Une enquête brûlante

Chapitre 1 : Une enquête brûlante

Chapitre final

5105 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 14/07/2025 10:37

Cette fanfiction participe au défi d'écriture du forum Fanfictions.fr "Incendiaire" (juillet août 2025)

Niveau 2 : écrire sous une forme différente de celle du roman







UNE ENQUÊTE BRÛLANTE


Comédie en trois actes




LA SCÈNE

Le bureau d'un commissariat de police

LES PERSONNAGES

Les membres de la police :

Gabriel Kingston, commissaire

Kenneth Goodman, inspecteur en chef

Muriel Motherwell, officier de police aspirant constable

Les témoins :

Les sergents Nicholas Angel et Danny Butterman

Reece Patrick Tyler

Nora et Cyrus Chandler

L'aviateur Elliot Grey

Tracy Murphy

Alfie Shadwell



ACTE I

Le rideau se lève sur un bureau d'un commissariat de police. Une grande table, des piles de dossiers et un ordinateur posés dessus. Trois fauteuils à accoudoirs du côté des policiers, trois chaises inconfortables faisant face.


scène 1 :

Le commissaire Gabriel Kingston, l'inspecteur en chef Kenneth Goodman.


Le commissaire : C'est une enquête ardue qui s'annonce, Kenneth.

L'inspecteur : En effet, commissaire. Nous sommes là en face d'un incendie bien mystérieux, dont il va nous falloir élucider les causes.

Le commissaire : La M25 en feu, littéralement, on n'a jamais vu ça. Qu'est-ce qui a bien pu déclencher pareil cataclysme, à votre avis ?

L'inspecteur : Aucune idée. Et n'oublions pas cette mystérieuse voiture en flammes aussi, sortie d'on ne sait où. Est-ce elle qui a provoqué ce brasier ? Ou l'inverse ?

Le commissaire : C'est bien pourquoi nous allons devoir interroger nos témoins avec le plus grand soin. Qu'avons-nous comme éléments fiables pour démarrer ?

L'inspecteur (fouille dans ses notes) : Un rapport préliminaire des sergents Nicholas Angel et Danny Butterman, Monsieur. Où il est dit que... voyons... ah, voilà : « Étions en patrouille statique près de la sortie n°29 à la jonction avec l'A127, chargés de surveiller qu'aucun contrevenant ne tentait de sortir ou d'entrer sur l'autoroute en feu. Avons néanmoins constaté l'exfiltration d'un véhicule non identifié, lui aussi la proie des flammes, à une vitesse excédant celle autorisée. Avons aussitôt communiqué nos observations à Monsieur le Maire de Londres. »

Le commissaire : On n'est guère avancés. Qui devons-nous interroger ce matin ?

L'inspecteur : Ces deux sergents, justement.


Scène 2 :

Entrent dans le bureau les sergents Nicholas Angel (qui a la main bandée) et Danny Butterman.


Le commissaire (affable) : Je vous en prie, Messieurs, asseyez-vous. Alors, vous qui faites partie de la Grande Maison, comment vous la sentez cette enquête ?

Danny : Elle sent comme qui dirait le roussi ! (il s'esclaffe)

L'inspecteur (lève les yeux au ciel) : Et vous, Nicholas ? Au fait, comment va votre main ?

Nicholas : Toujours un peu raide. C'est gentil à vous de vous en préoccuper, et...

L'inspecteur : Je ne suis pas gentil. Empathique peut-être, professionnel à tout le moins, mais « gentil » est un mot de six lettres que je n'emploierais pas pour me qualifier, manifestement. Il n'empêche qu'il ne vous a pas loupé, ce Père Noël d'opérette ! On n'a pas idée aussi de vouloir berner des gosses et en profiter pour cambrioler un grand magasin en emportant le butin dans sa hotte !

Nicholas : Le chirurgien m'a dit que le couteau à huîtres avait évité de peu le nerf médian. Je m'en remettrai.

Le commissaire (il feuillette un dossier) : Bien. Revenons à notre affaire. J'ai votre rapport sous les yeux. Je constate avec satisfaction que vous y avez parfaitement respecté les 5 C : Complet, Clair, Concis, Concret, Correct.

Nicholas (se trémousse sur sa chaise) : Merci, commissaire.

Le commissaire : Vos déclarations ont été corroborées par votre coéquipier ici présent.

Danny : C'est moi.

L'inspecteur (hausse les sourcils) : Oui. On sait que c'est vous, Danny.

Le commissaire : Donc, je vous cite : « Aussitôt informés par le Commissariat Central de Londres, je me suis rendu, accompagné de mon coéquipier le sergent Danny Butterman, aux abords de la M25 en feu, à la hauteur de la sortie n°29, où j'ai stationné près du portail d'accès d'urgence. Nous étions chargés de veiller à ce qu'aucun véhicule n'entre ou ne sorte du brasier. Seules les ambulances étaient autorisées. Il faisait diablement chaud sur zone. Aussi, Danny et moi, avons pioché dans la glacière de voyage afférente à notre voiture une bonne petite b...

L'inspecteur (en poussant un cri d'effroi) : Bouteille ? Bière ?

Nicholas : Barre de céréales, commissaire. Et aussi un Cornetto.

L'inspecteur : Un Cornetto ? Vous vous foutez de moi ?

Danny : Pas du tout, inspecteur. Surtout qu'on avait bien besoin de se rafraîchir tous les deux. C'est vachement bien pensé cette invention. On branche simplement la glacière sur la prise de l'allume-cigare. Et les Cornetto, c'est super-bon. Moi ce que je préfère c'est ceux à la pistache. Nicholas, lui, il aime mieux vanille.

L'inspecteur (agacé) : Taisez-vous, Danny. N'aggravez pas votre cas. Dois-je vous rappeler qu'il est interdit de manger ou de boire (sauf de l'eau) pendant le service ?

(Danny, piteux, regarde ses chaussures.)

Le commissaire : Que s'est-il passé ensuite ?

Nicholas: Nous avons vu, soudain, sortir un véhicule. Il était en feu mais roulait cependant à une vitesse excessive, à ce qu'il nous a paru. Nous n'avions pas les moyens de contrôle, mais c'était flagrant.

Le commissaire : Avez-vous pu identifier ce véhicule ?

Nicholas : Je ne saurais le dire, commissaire. Avec toutes ces flammes, on n'y voyait pas grand-chose. La forme rappelait cependant une voiture ancienne, genre de collection vous voyez, avec un très long capot. Noire, je dirais.

Danny : Mon tonton avait une Bentley vintage. Ça ressemblait un peu à ça.

Le commissaire : Et qu'avez-vous fait ensuite ?

Nicholas : J'ai immédiatement prévenu Monsieur le Maire, qui a en a informé la ministre de l'Intérieur, le ministre de la Défense, la ministre de l'Environnement et le ministre des Transports, à ce qu'il m'a dit.

L'inspecteur (les yeux sur le document) : Oui. C'est ce qui est indiqué dans le rapport. Autre chose que vous auriez oublié de mentionner ?

Nicholas : Le conducteur...

L'inspecteur : Je vous écoute.

Nicholas (en bredouillant) : Il affichait un grand sourire.

Danny : Bien poli, cet homme. Il nous a fait coucou.

(Les sergents sortent.)



ACTE II


Scène 1

Le commissaire, l'inspecteur, rejoints par Muriel Motherwell, officier de police aspirant constable.


Le commissaire : Je vous souhaite la bienvenue, Muriel. Nous sommes ravis de vous avoir au sein de notre équipe.

Muriel : Oh ! Vous savez, je ne suis qu'officier de police aspirant constable. Je débute. En fait, je suis là pour apprendre.

L'inspecteur : Un œil neuf ne fait jamais de mal. Parfois, seul un esprit novice peut voir la paille dans l'œil du voisin et lui dire « Écoutez, Patron, je crois que c'est vraiment une très très mauvaise idée »

Muriel (tout sourire) : Vous le pensez sincèrement ?

L'inspecteur : Mais oui, bien sûr, officier aspirant constable.

(puis, en aparté, au commissaire) : Le nombre de mots qui compose l'intitulé d'un poste est inversement proportionnel à son rang dans la hiérarchie. J'ai croisé pas plus tard que ce matin l'agent technique chargée de l'entretien des bâtiments, qui m'a demandé une augmentation.

Le commissaire (en chuchotant) : La femme de ménage ?

L'inspecteur : C'est ça.

Le commissaire (d'une voix forte) : Bien. Faites entrer le premier témoin.


Scène 2

Le commissaire, l'inspecteur, Muriel, et Reece Patrick Tyler, témoin.


L'inspecteur : Bonjour Monsieur. Veuillez vous asseoir et décliner vos nom, prénom et qualités.

(Muriel prend des notes pour le procès-verbal d'audition)

Mr Tyler : Tyler, Reece Patick, retraité de l'administration des Finances Publiques, fondateur du Comité de Surveillance Citoyenne de la commune de Tadfield.

L'inspecteur : Vous avez indiqué aux enquêteurs avoir vu une voiture en feu, hier, le jour du grand incendie de la M25.

Mr Tyler : C'est exact. Je promenais mon chien Apple dans les rues de Tadfield, quand un véhicule en feu s'est arrêté près de moi, et le conducteur m'a demandé son chemin. Il ne semblait absolument pas affecté par les flammes, pas plus que sa voiture d'ailleurs. J'ai pensé à une blague, un tour de magie ou je ne sais quoi.

Le commissaire : Et il se rendait où ?

Mr Tyler : À la base aérienne de Tadfield.

(Le commissaire et l'inspecteur échangent un regard entendu.)

Le commissaire : Vous a-t-il dit dans quel but ?

Mr Tyler : Non Monsieur.

Le commissaire : Et qu'avez-vous fait ensuite ?

Mr Tyler : J'ai immédiatement averti les pompiers, bien entendu. C'est mon devoir de citoyen. Je venais d'ailleurs de prévenir mon voisin, Mr Arthur Young, que son fils Adam était parti en vélo avec sa bande de vauriens en direction, eux aussi, de la base aérienne. Le monde tournerait plus rond si les enfants restaient bien sagement dans leur foyer à regarder la télévision, et si tout un chacun effectuait un minimum de surveillance auprès de ses voisins, quitte à prévenir les autorités compétentes à la moindre attitude suspecte. Je dis toujours qu'il vaut mieux prévenir que guérir, vous ne croyez pas ?

Muriel : Vous avez suivi des cours d'espionnage et de délation ?

L'inspecteur (outré) : Muriel !

Muriel : Pardon Monsieur l'inspecteur. Mes mots ont dépassé mes pensées.

Mr Tyler (jette un regard mauvais à Muriel) : Vous changerez peut-être d'avis quand vous aurez mon expérience, jeune fille.

Le commissaire : Et que vous ont répondu les pompiers ?

Mr Tyler : Qu'ils avaient déjà beaucoup à faire avec un gigantesque incendie sur la M25, ce que j'ignorais à ce moment-là. Et aussi que les rares renforts disponibles finissaient au même instant de maîtriser un feu à Soho, dans une librairie, m'ont-ils dit.

Muriel : En effet. Allumer une bougie au milieu des livres, on n'a pas idée aussi...

L'inspecteur : Oui, bon, celui-ci a été maîtrisé. De même que le périphérique. Reste à savoir ce qu'est devenue la voiture et son chauffeur. Vous n'en savez pas plus, Mr Tyler ?

Mr Tyler : Je regrette. J'aurais adoré pouvoir vous être utile, mais...

Le commissaire : Dans ce cas, vous pouvez disposer.

(Mr Tyler sort.)


Scène 3

Le commissaire, l'inspecteur, Muriel, ainsi que Nora et Cyrus Chandler, témoins.


Muriel : Bonjour Madame, bonjour Monsieur. Veuillez décliner vos noms, prénoms et qualités, s'il vous plaît.

L'inspecteur (tout bas, à Muriel) : C'est très bien, Muriel.

(Muriel, aux anges, lui adresse un franc sourire et retourne à sa prise de notes.)

Nora : Chandler, Nora, infirmière en psychiatrie, résidant à Ashford.

Cyrus : Chandler, Cyrus, employé chez British Telecom, résidant à Ashford.

Le commissaire : Vous étiez aux premières loges sur la M25 lors du début de l'incendie, d'après les premiers éléments de l'enquête.

(Il joint les mains sous son menton, comme en prière.) Racontez-moi tout, dans les moindres détails.

Cyrus : On était en route pour chez les parents de ma femme. Ils habitent à Hornchurch, la banlieue est de Londres. J'ai eu envie de faire pipi, et la M25 était à l'arrêt, comme d'habitude. J'en pouvais plus, alors je suis sorti de la voiture et après... je me souviens plus de rien.

Nora : Il est sorti, et j'ai vu d'autres personnes sortir de leur voiture au même moment. C'est bizarre que tout le monde ait eu envie de faire pipi en même temps, vous ne trouvez pas ? Et une fois dehors il a dit un truc incompréhensible, j'ai pas bien entendu. On aurait dit « Salut à toi, jette la sonde, shampouineuse de blonde »

L'inspecteur : Ça n'a aucun sens !

Nora : Je suis bien d'accord, inspecteur. Aussi, il était comme hypnotisé, ses yeux étaient rouges et luisants, j'ai eu peur, mais tout de suite après les voitures ont commencé à prendre feu et j'ai eu encore plus peur.

Le commissaire : Qu'est-ce qui a pu provoquer ça, à votre avis ?

Cyrus : J'ai un copain mécano, Damian il s'appelle. Il dit que la sonde lambda, c'est fragile, et si elle fonctionne mal, ça peut faire un court-circuit et une surchauffe du moteur.

L'inspecteur : Connais pas. À quoi ça sert ?

Cyrus (du ton de qui récite) : La sonde lambda est implantée sur le système d'échappement en amont du catalyseur. Elle informe le boîtier de gestion du moteur sur la teneur en oxygène des gaz brûlés issus de la combustion. Le boîtier de gestion en déduit donc la quantité d'essence à injecter dans les cylindres pour que le ratio air-essence soit idéal.

L'inspecteur (bouche bée devant tant d'informations) : Vous en connaissez un rayon, dites donc !

Cyrus : Damian m'a tout appris. Grâce à lui, je fais mes vidanges et tout l'entretien moi-même. C'est quand même une grosse économie !

Le commissaire : Donc, vous pensez que votre sonde alpha...

Cyrus : Lambda.

Le commissaire : Oui, votre sonde lambda pourrait s'être révélée défectueuse, avoir provoqué un court-circuit dans votre moteur, qui aurait pris feu, embrasant ainsi les véhicules tout proches dans cet embouteillage ?

Cyrus : C'est possible. C'est pas exclu.

L'inspecteur : Et ensuite ?

Nora : On s'est éloignés du brasier, bien entendu, et on a réussi à rejoindre le bas-côté. Il y avait déjà plein de gens. Alors les secours sont arrivés, ambulances, pompiers, tout le cirque. Ça clignotait de partout, avec les sirènes et tout. Personne n'était blessé à l'endroit où on se trouvait, juste un bon coup de chaud et quelques moustaches cramées. On s'en est tirés avec une peur de tous les diables.

Muriel : Aux dires des autres témoins, c'est bien ce qui s'est passé. Le feu aurait pris dans votre voiture puis se serait étendu aux autres. Tout est allé très vite, selon tous les témoignages recueillis.

L'inspecteur : Pouvez-vous affirmer que tous les véhicules dans votre champ de vision étaient à l'arrêt ?

Nora : Oui, Monsieur. Enfin non, pas tout à fait. L'un d'entre eux, en flammes, a déboîté soudainement pour s'enquiller sur la bande d'arrêt d'urgence.

Le commissaire : Vraiment ? Avez-vous pu voir cette voiture ?

Nora : Non, Monsieur. Elle était loin devant nous, j'ai juste vu les flammes qui sortaient de partout.

Le commissaire (soupire) : Parfait. Je vous remercie. J'ai comme l'impression que les primes d'assurance auto vont singulièrement augmenter sur Londres l'année prochaine...

(Le couple Chandler sort.)


Scène 4

Le commissaire, l'inspecteur, Muriel, et Elliot Grey, témoin.


L'inspecteur : Mon cher Elliot ! Alors, remis de vos émotions ? Nous sommes un peu collègues, mais malgré tout je vous demanderais de décliner vos...

Elliot (avec un salut militaire) : Grey Elliot, aviateur 2ème classe de faction à la base aérienne US Air Force au moment des faits.

Le commissaire : Voilà. Vous êtes un habitué des faits, et rien que les faits. Dites-nous ce qui s'est passé hier.

Elliot : J'ai d'abord vu arriver un véhicule de l'état-major de l'armée de l'air américaine, Monsieur. Ils étaient quatre, venus pour une inspection surprise de la base. Les documents qu'ils m'ont présentés étaient parfaitement en règle, Monsieur. Ils se sont dirigés vers l'entrée principale, et je ne les ai plus revus. Ensuite est arrivé un scooter avec une conductrice et un passager. Ils étaient bizarres, Monsieur. Très bizarres.

L'inspecteur : Comment ça ?

Elliot : La conductrice avait une voix de ventriloque, on aurait dit qu'elle parlait pour deux personnes différentes. Et aussi elle portait un manteau avec des couleurs... des couleurs …

L'inspecteur : Criardes ?

Elliot : C'est ça. Même qu'elle était outrageusement maquillée et semblait surexcitée.

L'inspecteur (en aparté au commissaire) : C'est Tracy Murphy. Nous l'interrogerons tout de suite après.

(plus fort) : Continuez, aviateur.

Elliot : Le passager n'avait pas l'air plus sain d'esprit. Un vieux monsieur aux cheveux gris, qui portait une espèce de redingote avec plein de médailles. Il m'a menacé avec son doigt.

Le commissaire : Je vous demande pardon ?

Elliot : Absolument. Il m'a dit : « Ce doigt peut t'envoyer retrouver ton créateur en moins d'une seconde ». Je n'ai pas eu peur, parce que Papa habite juste à côté et de toute façon je passe le voir tous les jours. Alors ça ne changeait rien, ses menaces. J'aurais dû me méfier, pourtant...

L'inspecteur : Effectivement. Un brin dérangé, l'énergumène.

Elliot : Après ça, j'ai vu arriver à vive allure une grande voiture noire, en feu.

Le commissaire (soudain très intéressé) : Quel genre de voiture ?

Elliot : Je suis abonné à « Rétro Passion Automobiles », alors j'en vois souvent des bien jolies en photo. Malgré les flammes, je pourrais presque jurer qu'il s'agissait d'une Rolls-Bentley de 1933.

L'inspecteur : Vous en êtes certain ?

Elliot : Pratiquement. À quatre-vingt-dix-neuf pour cent. Ensuite le conducteur est sorti, tout habillé en noir avec des bouts de cuir brûlé et de cendres sur ses vêtements, il s'est avancé avec une démarche de top-model, et s'est adressé à la femme rousse, en l'appelant « Aziraphale ».

Le commissaire : Jamais entendu ce nom-là.

Elliot : Moi non plus. Et la femme rousse l'a appelé « Crowley ». Elle semblait enchantée qu'il soit là. Il tenait un livre à la main, aussi. Un gros, pas récent. Il m'a adressé la parole en me parlant de son ami et d'un long chemin.

L'inspecteur : Mmm... Et ensuite ?

Elliot : Ensuite le vieux type en redingote a pointé son doigt vers le portail, qui s'est ouvert. Je n'ai rien compris. Aucune procédure ne mentionne pareille façon d'ouvrir ce portail, hyper-sécurisé.

Le commissaire : En effet, c'est très bizarre. Et alors ?

Elliot : Quatre enfants, une fille et trois garçons, sont arrivés en vélo et ont franchi le portail ouvert. C'est hallucinant. J'ai vu plus de monde ce jour-là qu'en six mois de garde de la base.

Muriel (compte sur ses doigts) : On en est à treize, commissaire, si on compte Mr Newton Pulsifer et Mme Anathème Bidule, présents dans les locaux pour effectuer la maintenance des systèmes informatiques.

L'inspecteur : Ces deux-là n'ont rien vu des feux. Il leur appartiendra de répondre à l'enquête sur les évènements qui se sont produits à la base aérienne. Ce n'est pas notre rayon. Nous, c'est les feux.

Le commissaire : Oui, ça fait du monde. Mais poursuivez.

Elliot : À ce moment-là, la voiture a explosé. Le conducteur s'en est approché, puis est tombé à genoux devant. La femme rousse l'a rejoint, mais je n'ai pas entendu ce qu'ils disaient. Puis elle est revenue vers moi pendant que l'autre me pointait toujours du doigt. Je leur ai donné à tous cinq secondes pour vider les lieux avant que je tire, comme l'indique le protocole de sommations. J'étais un peu à cran . Et alors d'un seul coup je me suis réveillé au château d'Hambleden.

L'inspecteur : Mmm... Vous en pensez quoi ?

Elliot : C'est un très beau château !

L'inspecteur (se masse les tempes, l'air soudain très las) : Non. Je veux dire : de tout ça. Vous en pensez quoi de tout ça ?

Elliot : Je ne saurais dire, Monsieur. J'ai un peu de mal à aligner deux idées. Le médecin militaire m'a diagnostiqué un syndrome de stress post-traumatique. Il m'a mis en Congé du Blessé pour trois mois (il cache son visage dans ses mains pour pleurer).

Le commissaire : Vous vous en êtes sorti à merveille, Elliot. On va vous laisser tranquille maintenant. Rentrez chez vous et reposez-vous.

Muriel (en souriant) : Vous avez fait ce qu'il fallait, Monsieur Grey. Et votre témoignage nous est précieux. D'ailleurs, nos enquêteurs dépêchés sur place juste après l'incident n'ont retrouvé de la voiture qu'une manivelle et une statuette avec des ailes, qui confirment votre hypothèse de la Bentley. Prenez soin de vous, Monsieur Grey.

L'inspecteur (en aparté au commissaire) : Il faudra tout de même auditionner ces enfants, en présence des parents, bien entendu.

(L'aviateur sort.)


Scène 5

Le commissaire, l'inspecteur, Muriel, et Tracy Murphy, témoin.


Muriel : Bonjour Madame. Veuillez vous asseoir et décliner votre identité.

Tracy : Murphy Tracy, médium de renommée internationale. Je dirige une entreprise de sciences occultes à Soho : lignes de la main, marc de café, tarot, voyance en tout genre, contact avec les défunts, désenvoûtement, retour de l'être aimé... (elle leur tend une carte de visite.)

L'inspecteur : Mme Murphy...

Tracy : Je vous en prie, appelez-moi Tracy.

L'inspecteur : Mme Tracy. L'un des drones qui effectuent une surveillance constante de la base aérienne de Tadfield a enregistré des images le montrant éviter de peu une collision avec un... hem... scooter volant.

Tracy : Vraiment ?

Le commissaire : Oui. Sur ces images, on vous identifie facilement grâce à votre accoutrem... vos vêtements, comment dire... heu... remarquables.

Tracy (piquée au vif) : Il vous plaît pas mon manteau ?

L'inspecteur : La question n'est pas là Mme Tracy. Elle est qu'un scooter n'a rien à faire à sept mètres au-dessus du sol. Cela défie l'entendement, ainsi que les lois les plus élémentaires de la physique.

Tracy : Eh bien, demandez à ce brave militaire de faction à l'entrée. Je suis arrivée par la route.

L'inspecteur : Bien. Étiez-vous seule ?

Tracy : Non. J'étais accompagnée de Mr Shadwell.

L'inspecteur : Et que faisiez-vous là, tous les deux ?

Tracy : Des évènements terribles se préparaient. Je le savais.

L'inspecteur : Et par quel biais ?

Tracy : Par le biais de mon ange gardien, pardi !

(L'inspecteur et le commissaire se regardent sans comprendre, s'ensuit un long silence.)

Le commissaire : Je laisse le soin à mes collègues d'investiguer sur les faits survenus à la base aérienne. Revenons à ceux qui nous intéressent. Avez-vous assisté à l'explosion d'un véhicule devant la base aérienne ?

Tracy : Oui.

Le commissaire : Quand est-il arrivé sur les lieux ?

Tracy : Pendant que Mr Shadwell et moi tentions de convaincre ce jeune soldat de nous laisser entrer.

Le commissaire : Rien d'anormal à cette voiture ?

Tracy : Eh bien... Un détail. Elle était en feu.

Muriel : Comment expliquez-vous qu'une voiture en feu puisse rouler normalement, puis que le conducteur en sorte sans une égratignure ?

Tracy : Vous savez, je vois toutes sortes de phénomènes surnaturels dans mon métier. Je ne suis qu'une intermédiaire entre les mondes, un témoin, une facilitatrice. Je n'ai pas la réponse à toutes les questions. Néanmoins, je ne m'étonne plus de rien depuis longtemps. Si cette voiture était en feu, c'est qu'elle devait l'être. Apprenez à admettre ce que votre esprit ne peut pas analyser.

Muriel : Sauf votre respect, Mme Tracy, c'est tout le contraire de notre métier.

Tracy (en hochant la tête) : Je le sais, mon petit. Mais vous y viendrez.

Le commissaire : Merci à vous, Mme Tracy. Restez dans les parages pour le cas où nous aurions besoin de vous joindre. Bonne journée.

(Tracy sort.)


Scène 6

Le commissaire, l'inspecteur, Muriel, et Alfie Shadwell, témoin.


Mr Shadwell (sans attendre qu'on le lui demande) : Shadwell Alfie, officieusement sergent dans l'armée secrète des inquisiteurs mais ça reste entre nous. Ne l'ébruitez pas. Vous pouvez m'appeler juste Shadwell.

L'inspecteur : Parfait. Exposez-nous votre version des faits, je vous prie.

Shadwell : Je suis arrivé à la base aérienne à l'arrière du scooter conduit par Jézab... par Mme Tracy. C'est là que ça devait se passer.

Le commissaire : Se passer quoi ?

Shadwell : Ben, l'apocalypse !

(Les policiers échangent un regard perplexe, l'inspecteur tapote son front du bout de son index d'un geste universel signifiant « Il est fou ».)

Le commissaire : L'apocalypse. Mais bien sûr.

L'inspecteur (à Muriel) : Officier aspirant constable Muriel Motherwell. Vous avez interrogé Mr Shadwell ici présent à votre arrivée sur la base aérienne, n'est-ce pas ? Quelles ont été vos conclusions ?

Muriel : Comme indiqué dans mon rapport, Monsieur, Mr Shadwell a totalement coopéré avec les forces de police et a, de bonne grâce, accepté le contrôle de dépistage d'alcool et de stupéfiants, qui se sont révélés négatifs. Comme la loi nous y autorise, ce contrôle a été effectué suite aux déclarations du témoin, qui nous a affirmé avoir dû traverser, sur son trajet, une averse de poissons.

Le commissaire : Je vous demande pardon ?

Shadwell (déclamant) : Les poissons de la mer et les oiseaux du ciel trembleront devant moi, et les bêtes des champs et tous les reptiles qui rampent sur la terre, et tous les hommes qui sont à la surface de la terre. Les montagnes seront renversées, les parois des rochers s'écrouleront, et toutes les murailles tomberont par terre. Ézéquiel, chapitre 38, verset 20.

Muriel : Qu'est-ce qu'il a dit ?

Shadwell (se tournant vers Muriel) : Vous avez combien de tétons, mon petit ?

Le commissaire : Mr Shadwell ! Il suffit !

Shadwell (ignorant la remarque, il poursuit d'une voix d'outre-tombe) : C'est ici qu'on reconnaît la sagesse. Celui qui a l'intelligence, qu'il se mette à calculer le chiffre de la Bête, car c'est un chiffre d'homme, et ce chiffre est six cent soixante-six. Apocalypse, chapitre 13, verset 18.

Muriel : Qu'est-ce qu'il a dit ?

L'inspecteur (lève les bras au ciel) : Faites sortir ce maboul, par pitié !

(Deux policiers raccompagnent Shadwell vers la sortie.)


Scène 7

Le commissaire, l'inspecteur, Muriel.


Le commissaire (à Muriel) : Quel fêlé ! On n'en apprendra guère plus avec lui. Demandez une perquisition au domicile de cet olibrius.

Muriel : On cherche quoi ?

Le commissaire : Des hosties, du vin de messe, une croix renversée, des trucs bizarres. En vue d'analyses. Si vous trouvez quoi que ce soit de suspect, vous l'envoyez au labo en priorité absolue. Et, vous êtes sûre que ce vieux fou n'a pas un passé psychiatrique ?

Muriel : Secret médical, commissaire. On n'aurait accès aux fichiers que si un délit avait été commis. Mais ce n'est pas le cas. Du moins, rien n'est encore prouvé. Présomption d'innocence, bla bla bla...

L'inspecteur : Mais quand même, ça ne tient pas debout cette affaire de poissons, pas vrai ?

Muriel : Ça s'est déjà vu, inspecteur. Le Lorrain, en Martinique, a connu le phénomène le 9 août 2012. Au Japon, au début du mois de juin 2009, il a plu des têtards dans plusieurs villes de la préfecture d'Ishikawa. Le 18 août 2004, à Knighton dans le Pays de Galle, on a signalé une pluie de poissons. On pourrait remonter en 2002, à Korona, en Grèce, où il a plu des centaines de petits poissons. On relève d'autres cas dans un passé plus lointain. Les scientifiques sont encore sur le coup pour expliquer ces phénomènes.

(Un silence pesant s'installe.)



ACTE III

Le lendemain matin, à la première heure, dans le bureau du commissariat.


Scène 1

Le commissaire, Muriel.


Muriel : Bonjour, bonjour, bonjour ! J'ai apporté des brioches, Monsieur le commissaire.

Le commissaire : C'est bien aimable à vous, Muriel. Je ne dirais pas non à un deuxième petit déjeuner. Avec une bonne tasse de thé, voilà qui est bienvenu. Ce n'est pas encore l'heure d'ouverture des bureaux.

(Il adresse un clin d'œil à Muriel et sort de son sac une thermos couleur améthyste agrémentée d'une paire d'ailes blanches, pendant que Muriel ouvre la sienne, ornée de tartan bleu et beige.)

Après tout, l'incendie de la M25 a été rapidement maîtrisé, sans faire aucune victime, c'est l'essentiel.

Muriel : Par contre, cette Bentley reste un mystère.

Le commissaire : Son explosion n'a pas fait de victime non plus.

Muriel : Reste à en retrouver le conducteur.

Le commissaire : On va laisser ça à l'équipe en charge de la base aérienne. Notre boulot s'arrête là.

(Ils trinquent avec leurs gobelets de thé.)


Scène 2

Le commissaire, Muriel, l'inspecteur qui vient d'entrer.


Muriel : Bien le bonjour, inspecteur ! Vous prendrez bien une brioche ?

L'inspecteur : Avec grand plaisir, Muriel. Je suis d'excellente humeur ce matin. Figurez-vous que j'étais au Ritz, hier soir. Oui, j'ai pour habitude de m'accorder une pause gourmande de luxe à la fin d'une enquête. J'étais assis tout près de deux hommes tout à fait étonnants qui bavardaient avec enthousiasme. Ce devait être un dîner de travail. Une création d'entreprise, sans aucun doute. Ils ont cité un nouvel associé, Éric, et aussi un putain d'archange, leur PDG, sans doute ? Ce doit être dans de nouveaux bâtiments de grand standing. Ils ont évoqué une baignoire, des serviettes miraculeuses, une vue beaucoup plus belle qu'au sous-sol, sûrement un balcon ou de grandes baies vitrées. Peut-être aussi un poêle à bois dernière génération ? L'un d'eux a parlé d'un feu d'enfer. Par contre je n'aimerais pas être leurs concurrents. Ils n'hésiteraient pas à massacrer un ami, coupable d'un acte de trahison. Ce serait la guerre avec l'autre camp, ont-ils dit. Je me demande tout de même ce qu'un canard en plastique venait faire là-dedans...

Muriel : Ah ! Le monde des affaires est sans pitié !

L'inspecteur : En effet. Au dessert, ils ont même trinqué à ce monde.

Muriel : Et cela a suffi à vous mettre de bonne humeur ?

L'inspecteur : Non, Muriel. Le pompon, c'est qu'en sortant du restaurant, pour la première fois depuis bien longtemps, j'ai entendu chanter un rossignol.



RIDEAU




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