Histoires d'Avant la Fournaise

Chapitre 5 : Reflexions nocturnes

1870 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 10/09/2023 18:53

La dalle de glace se décrocha avec un craquement sec. Elle s’effondra et se brisa en dizaines de fragments qui roulèrent sur la pente, entrainant des paquets de neige qui s’enroulèrent sur eux-mêmes et se mirent à dévaler le versant de la montagne en grondant comme un troupeau affolé.

En bas, hommes et nains, paniqués, s’égaillaient en tout sens, cherchant un abri.


Mais l’avalanche fut sur eux en premier…


– Rurick, non !


Emma se redressa sur sa couchette. Elle hoqueta, repris ses esprits et se laissa retomber en arrière.


De la couchette voisine, quelqu’un demanda :

– Hé, ça va ?

Emma s’assit sur le rebord de sa couchette, se passa les mains dans les cheveux et répondit

– Ouais, ça va ! Rendors-toi, Reyna.

– Encore ce cauchemar ?

– Oui…

– Tu devrais faire quelque chose à ce sujet…

– Oui…

Emma grogna, se recoucha et tira la couverture sur son nez. Cherchant à retrouver le sommeil.


Elle dormait dans ce que les gens de la colonie d’Ascalon appelaient « la tente des célibataires ».

Ce n’était rien d’autre qu’une tente basique, parmi toutes les autres qui composaient le camp de fortune qui s’était installé dans les ruines d’un village, dans les collines à quelques kilomètres de la ville Krytienne de l’Arche du Lion.

Mais dans cette tente, se regroupaient les filles et femmes qui n’avaient pas de famille, pas de compagnons, ou qui simplement désiraient qu’on leur fiche la paix.


Depuis que la troupe de réfugiés et de soldats s’était installée dans ces ruines, une petite musique avait commencé à circuler dans le camp. D’abord de manière discrète et sournoise, puis de manière un peu plus bruyante : Il. Fallait. Faire. Des. Bébés !


Emma savait quelle était la provenance de cette musique : parmi les survivants de l’hécatombe Ascalonienne et du massacre qu’avait été la traversée des Cimefroides, on trouvait encore quelques nobliaux et bourgeois. Dont on se demandait bien comment, au vu de leur embonpoint, ils avaient réussi la traversée.

De toute évidence, ces gens considéraient leur arrivée en Kryte comme le signal de la fin de la partie et qu’il était temps, maintenant que les fesses, ne craignant plus ni les haches des Nains, ni les crocs des Chars, s’étaient desserrées, de reprendre les bonnes vieilles habitudes.


La caravane de survivants comptait bon nombre de femmes seules, d’enfants perdus et de vieillards. Il n’y avait pas une personne qui n’avait perdu, qui un fils, un mari, un parent…


« Rectification, songea Emma. Il y a au moins une personne qui a retrouvé l’intégralité de sa famille… »


La petite Sarah. Une gamine qu’Emma avait trouvée, errant dans les ruines du domaine familial, entre les cadavres de ses domestiques.

La gamine avait rejoint la caravane de survivants qu’Emma menait, bon gré mal gré, au travers des Basses-Terres de Diessa, puis des collines d’Ascalon. La petite avait suivi le mouvement au travers des montagnes des Cimefroides, traversant mille périls, mille dangers, et provoquant au passage, mille catastrophes.

Et une fois arrivée en Kryte, la demoiselle avait retrouvé ses parents parmi les réfugiés que les autorités de l’Arche du Lion tentaient de canaliser.

Ainsi, la petite Sarah, qu’Emma surnommait désormais « La Reine », était l’une, sinon la seule survivante n’ayant perdu absolument quoi que ce soit.


« Tout le monde ne peut en dire autant », songea Emma en se retournant encore sur sa couchette.

Quant aux nobles, qui tentaient de remettre les bonnes vieilles coutumes ancestrales au gout du jour, et de forcer les femmes à pondre des enfants… « Oui », se dit Emma, « ceux-là, il va falloir les surveiller… »


Elle se retourna sur son autre flanc, et soupira. Là-bas, de l’autre côté de l’allée. Reyna s’était rendormie et respirait paisiblement. Son chat géant n’était visible nulle part. Peut-être était-il parti chasser…


« S’il pouvait nous ramener du gibier, cela améliorerait vachement l’ordinaire… »


Elle s’allongea sur le ventre, puis se tourna à nouveau sur le côté. Une couture de sa couchette lui rentrait dans les cotes. Elle ne l’avait jamais remarquée auparavant, mais maintenant, elle ne sentait plus que ça… Elle se transféra à nouveau sur le dos… repoussa les couvertures et soupira. De toute façon, il faisait trop chaud, en Kryte…


Elle commença à sombrer, quand un filet de vent, venu semble-t — il tout droit des Cimefroides, commença à fureter sous la tente, chatouillant ici, une plante de pied, un bout de nez, une épaule, qui disparaissaient aussitôt sous les couvertures.

La brise fureteuse passa ses mains bleues sur le visage d’Emma, qui soupira de satisfaction.


Elle se demanda alors pourquoi, mais pourquoi continuait-elle à rêver de la mort du Prince Rurick ? Après tout, elle ne l’avait jamais porté dans son cœur.

Le prince, elle devait le reconnaitre, était courageux. « Oh oui, inconscient même ! »

Mais ses tactiques, ses stratégies…

Emma se demanda pourquoi elle n’était pas morte vingt fois, à cause de ces plans qui, parfaitement ficelés sur le papier, finissaient inévitablement en plat de nouilles jetées en l’air, dès le premier contact avec l’ennemi.

S’ensuivait alors de la panique, de l’affolement, des crises de nerfs… Et pour finir, les soldats, qui connaissaient leur métier, se réorganisaient et faisaient face au péril avec plus ou moins de succès.


Et puis, on recommençait… Rurick établissait des plans, des stratagèmes, des embuches, des guets-apens… on expliquait la stratégie, les mouvements, les positions…

Et puis arrivés sur le terrain, les plans, les stratagèmes, les manœuvres parfaitement affutées… Tout cela finissait roulé en boule au fond d’une poubelle.

Le Prince tirait son épée, bramait des ordres, que plus personne n’écoutait, et fonçait dans le tas, chargeant des ennemis souvent supérieurs en nombre et suivit souvent par les membres du commando d’Emma, bien décidés à ne pas le laisser se suicider aussi facilement…


Non, elle n’aimait vraiment pas Rurick. Mais sa mort avait laissé un vide. Un vide que les maisons nobles d’Ascalon, ou ce qui en restait, étaient bien décidés à remplir, à leur manière.


« Il a vécu comme un héros. Oraisonna Emma. Il est mort comme un con ! »


Elle remonta les couvertures.

Les ressortissants des maisons nobles d’Ascalon étaient aussi utiles aux réfugiés qu’une colonie de termites dans un canot de sauvetage… Si cet idiot de Rurick n’était pas mort aussi bêtement, les négociations avec les autorités Krytienne auraient eu une autre tournure…


« Ou pas… »


Après tout, Rurick était le fils d’Alberden, roi d’Ascalon. Qui aurait préféré s’étouffer de rage, plutôt que d’accepter l’aide de la Kryte, l’ennemi historique…

Oui, peut-être que Rurick aurait fait empirer les choses…


Emma repoussa les couvertures, et s’assit sur sa couchette. C’était sans espoir. Le sommeil ne venait pas… Alors, autant essayer de se rendre utile.


Elle se leva, et enfila sa cotte, puis sa brigandine. Elle se saisit de sa ceinture, enroulée autour de ses armes, quand elle prit conscience d’un brouhaha étouffé provenant du dehors de la tente…

Visiblement, deux personnes étaient en train de discuter fermement, tout en essayant de ne pas faire trop de bruit… Emma passa la tête par l’ouverture de la tente.


La sentinelle, une grande blonde qui était postée devant la tente, essayait d’argumenter avec un soldat massif qu’Emma ne distinguait pas. Le ton montait…


– C’est pas bientôt fini, oui ? Il y en a qui dorment, ici !


Les deux soldats se tournèrent vers leur chef. Emma reconnut le gros Thom et Farah, la sentinelle.


Ces deux-là ne pouvaient pas se saquer et passaient le plus clair de leur temps à se chicaner et se disputer. Emma se dit qu’il serait plus simple pour tout le monde que ces deux-là couchent ensemble, une bonne fois pour toutes…


– Alors ? C’est quoi tout ce foin ?


Thom s’avança, l’air penaud.

– Désolé, patron, mais il y a du nouveau…


Emma sortit de la tente, et referma la toile derrière elle. Le quotient intellectuel de Thom n’était pas bien terrible, mais là, il battait des records…


– Il va falloir être plus spécifique que ça, mon vieux…

– Vous savez, Figo, l’officier de la garde du lion, celui avec la barbe…

– Si tu es venu me réveiller pour me dire qu’il s’est rasé, je te pète la gueule ! Sois moins spécifique… En fait, va directement aux faits !


Thom s’agita, dansa d’un pied sur l’autre. Emma crut entendre des grelots s’agiter. Elle espéra qu’il n’allait pas s’évanouir soudainement. Elle s’impatienta :

– Alors ?

– Hé ben, conformément aux ordres duquel que vous nous avez donnés, vous nous avez dit qu’il fallait vous prévenir immédiatement, dans le cas ou si une situation dont au sujet qu’elle sortirait de la routine venait à se produire…

– Et donc ?

– Et bien, alors, l’officier Figo vient de nous faire préviendre que les sentinelles dont au sujet duquel il leur avait ordonné de monter la garde à la sortie des montagnes, pour au cas ou dans l’éventualité que d’autres Ascaloniens en sortiraient… (Thom prit sa respiration). Les sentinelles susnommées viennent de lui faire parvenir un message pour lui faire dire que des réfugiés en question viennent de franchir le passage et de se diriger vers l’arche…


– Tu veux dire… Que des réfugiés Ascaloniens… D’autres réfugiés viennent d’arriver en Kryte ?

– Euh, oui, c’est correct, L’officier Figo vient de nous envoyer un coursier à cheval, mais là, il est reparti.

– Il a dit autre chose ?

– Les réfugiés seront escortés vers la colonie. Ils arriveront d’ici quelques heures, et il y a une gamine à leur tête !

– Une gamine ?

– Oui, enfin, une fille, quoi…

– Ah ! Très bien, Thom, tu peux… retourner à ton poste… Puis elle se tourna vers Farah et ordonna : allez me chercher les Officiers, principalement le Capitaine Vent-Gris. Il est chargé de l’approvisionnement. Accueillons nos compatriotes du mieux possible ! On va avoir besoin d’un surplus de nourriture !


« Même si je me demande bien où on va le trouver ».

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