De mon esprit à votre esprit

Chapitre 1 : Comment le professeur Rogue fut, bien malgré lui, entraîné dans cette histoire

5204 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 07/06/2020 00:17

J'ai commencé cette fic il y a douze ans. A cette époque, je venais de découvrir les fanfictions et Harry Potter. Il m'a semblé tout naturel de commencer à écrire dans ce fandom. Il s'agit d'une histoire centrée sur un OC (inspiré par le personnage d'Ariana Dumbledore), mais dont le but principal est de parler de Severus Rogue, mon personnage préféré dans tout l'univers de Rowling. L'intrigue suit les quatre dernières années du Trio à Poudlard, mais il sera très peu question d'Harry dans cette histoire, dont les personnages principaux seront Rogue, Dumbledore, McGonagall, Lupin et Tonks chez les adultes, et Neville, Luna, Drago et Hermione chez les enfants.

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Chapitre 1 : Comment le professeur Rogue fut, bien malgré lui, entraîné dans cette histoire


Severus Rogue était plongé dans la lecture d’un simple roman (et non d’un ouvrage obscur traitant de potions complexes ou de la magie noire la plus dangereuse) lorsqu’on frappa discrètement à la porte de ses appartements. Avec un soupir, il glissa le livre dans le tiroir de son bureau.

– Entrez !

Une tête ornée d’une longue barbe blanche fit son apparition dans l’embrasure de la porte.

– Je vous dérange, Severus ?

Le maître des potions fit un signe de tête invitant Dumbledore à entrer, curieux de savoir ce qui pouvait motiver une visite aussi tardive et surpris de voir que le vieux sorcier semblait presque nerveux.

– Vous étiez en train de lire, peut-être ?

Maudit vieillard. Comment faisait-il donc pour toujours tout savoir ? Rogue, devant les yeux bleus pétillants de malice, préféra s’abstenir de répondre et se contenta de proposer, quoique sèchement, une tasse de thé à son visiteur inattendu.

– Volontiers, merci, répondit Dumbledore.

Tandis que le maître des potions faisait apparaître une théière d’un geste de sa baguette, il regarda le directeur s’asseoir dans un large fauteuil. Tout scintillement avait disparu de ses yeux, et son visage, inhabituellement grave, reflétait sa préoccupation. Severus prit son air le plus renfrogné pour déclarer avec résignation :

– Ne me dites pas que Potter a encore fait des siennes.

– Non, rassurez-vous, répondit le directeur avec un petit sourire amusé, Harry n’est pour rien dans les raisons de ma visite ce soir. En réalité, j’ai… un souci.

Rogue se sentit, très égoïstement, presque soulagé : du moment qu’on ne lui demandait pas de prendre soin, encore une fois, du fils de son pire ennemi, tout allait bien. Ou du moins, la situation ne pouvait pas être réellement catastrophique. Le professeur s’appliqua à garder néanmoins le visage sévère qui était le sien depuis que Dumbledore était entré dans ses appartements. Les récents événements lui restaient encore en travers de la gorge, et il gardait rancune à Albus, bien qu’il sût, au fond de lui, que le vieux sorcier avait raison à propos de Black. Mais quinze jours auparavant, il avait tenu ce… ce misérable au bout de sa baguette, et le misérable en question lui avait échappé. Il ne pouvait se résoudre à l’idée que Sirius fût innocent – et surtout libre comme l’air.

– Vous souvenez-vous de Benjamin Baxter ? demanda Dumbledore à brûle-pourpoint.

– Il me serait difficile d’oublier cette ersatz d’être humain.

Si le professeur ne laissa rien paraître de son étonnement, il s’appliqua à mettre dans sa voix tout le mépris que lui inspirait l’être abject qu’était Benjamin Baxter, traître à sa cause, qui avait somme toute joué le même rôle d’espion que Severus lui-même, mais pour le camp adverse. Puis il poursuivit sur le mode badin, cherchant à dissimuler que la nouvelle l’intéressait :

– Pourquoi cette question ? L’aurait-on enfin retrouvé ?

– Ainsi, vous persistez à croire qu’il est toujours vivant ?

– Albus, je connaissais bien cet homme. Ou du moins, ajouta Rogue en baissant d’un ton, je connaissais le Mangemort qui se cachait derrière l’Auror. Je suis persuadé que, se voyant enfin dénoncé après toutes ces années, il a mis en scène sa propre mort pour se soustraire à la justice. Vous savez comme moi que son corps n’a jamais été retrouvé. Quant aux circonstances mystérieuses de sa… disparition…

– C’est de cela dont j’aimerais vous parler, Severus. Vous souvenez-vous de ce qui arriva alors ?

– Si j’ai bonne mémoire (question rhétorique : sa mémoire était infaillible !), sa fille fut accusée d’homicide involontaire, ce qui me sembla à l’époque complètement stupide.

Dumbledore hocha la tête.

– C’est exact. On n’a retrouvé que le corps d’Esperanza Baxter, ainsi que des traces de sang – incontestablement celui de son mari. La maison avait été entièrement dévastée. Et, sur le canapé, se trouvait l’enfant, évanouie mais sans blessure apparente. Des témoins fiables ont été entendus à ce sujet. Des voisins avaient déjà, à plusieurs reprises, assisté aux « crises de magie brute » de l’enfant. Ses pouvoirs avaient toujours été pour le moins étranges et incontrôlables, et on en a déduit que, dans un accès de folie, elle avait tué ses parents. Il ne s’agissait pas de magie involontaire comme en font tous les jeunes sorciers, mais véritablement de la magie sauvage.

A ce mot, Rogue leva un sourcil interrogateur.

– L’enfant est capable de choses tout à fait étonnantes, Severus. Il n’est pas du tout exclu qu’elle ait eu la force magique nécessaire pour tuer un être humain.

Le maître des potions ne répondit rien, mais hocha la tête d’un air de doute. Certes, il lui avait été donné d’assister à des crises de magie sauvage, et il savait parfaitement qu’elle étaient capables de donner la mort, si elles étaient concentrées sur une personne. Mais jamais il n’avait cru à la mort de Baxter, et quelle que fût la puissance magique de sa fille, jamais cet espion hors pair ne se serait laissé tuer de façon aussi stupide. Le contraire eût été décevant, malgré toute l’envie qu’avait Rogue de savoir que ce scélérat pourrissait six pieds sous terre.

Comme si le vieux sorcier avait pu lire dans cet esprit, il demanda calmement :

– Pensez-vous que Baxter ait été capable d’assassiner sa femme de sang-froid afin de mieux accréditer la thèse de sa mort ? prenez votre temps avant de me répondre, mon garçon, ajouta Dumbledore devant le geste impatient de son interlocuteur. Je ne pose pas cette question à la légère. Votre avis à ce sujet m’importe réellement, et pourra influencer mes prochaines décisions.

Tout en se passant le pouce sur les lèvres dans un tic nerveux qui lui était familier, Rogue se carra dans son fauteuil. Il ne comprenait pas où le vieux sorcier voulait en venir, et, bien qu’il lui fît confiance, l’idée que ses paroles pourraient peser dans l’avenir ne lui plaisait pas du tout. Il réfléchit un moment.

– Mais… articula-t-il avec lenteur, sans cesser de faire jouer son doigt sur ses lèvres, n’a-t-on pas déterminé la cause de la mort de Mrs. Baxter ?

– Elle a été blessée par des sorts relevant des Arts Sombres. Vous n’êtes pas sans savoir que cette appellation peut aussi bien concerner, dans certains cas, une crise de magie sauvage, que… qu’un Avada Kedavra, par exemple.

– Dans ce cas, je dirais oui. Baxter était tout à fait du genre à sacrifier les autres pour protéger ses propres intérêts. Et je ne crois pas me souvenir qu’il aimait particulièrement sa femme. Il la méprisait pour son refus obstiné de pratiquer la magie noire, ce qui avait, selon lui, contribué à l’affaiblissement de sa famille.

– Et sa fille ?

– Je ne sais pas, murmura pensivement le maître des potions. Je me souviens qu’un jour…

Il s’arrêta, cherchant à retrouver des souvenirs défaillants, qu’il avait volontairement occultés des années auparavant. Le directeur, buvant son thé à petites gorgées, attendit patiemment que la mémoire lui revînt.

– C’était avant… avant que je… (Rogue pâlit, mais se reprit immédiatement.) Je dirais quelques mois avant la naissance de Potter. A l’époque, bien évidemment, je ne savais pas que Baxter, l’illustre Auror si bien considéré, était un de mes… compagnons. Ce n’est que maintenant que je réalise que c’était bien à ce traître qu’il s’adressait ce jour-là. Le Seigneur des Ténèbres semblait intéressé par la naissance de la fille Baxter. Je ne suis pas certain de ce que j’avance, mais je crois me souvenir que Baxter lui avait assuré qu’elle pourrait lui être d’une grande utilité plus tard. Qu’il lui apprendrait à utiliser ses dons. Vous croyez que…

Rogue n’acheva pas. Un léger silence s’installa, bientôt rompu par Dumbledore :

– Je vous remercie, Severus. J’y vois plus clair à présent.

– Vous m’en voyez ravi, ironisa le professeur. Malheureusement, il n’en est pas de même pour moi. Daignerez-vous m’expliquer de quoi il retourne ? Il me semble que cette enfant a disparu peu après son père, il y a maintenant sept ans de cela…

 – Je n’en attendais pas moins de votre prodigieuse mémoire. C’est exact. Elle a tout simplement faussé compagnie à deux Aurors expérimentés, alors qu’on l’emmenait au Ministère, deux jours après la mort de sa mère. Cette circonstance suffirait à prouver que cette jeune fille n’est pas une jeune fille ordinaire… Mais figurez-vous, Severus, que Yerma Baxter a été retrouvée.

– Retrouvée… répéta Rogue. Où et quand ?

Le directeur soupira et son visage se fit plus grave encore.

– Il y a de cela un an. C’est une bien triste histoire, ajouta le vieux sorcier, comme en réponses aux interrogations informulées du professeur. Vous souvenez-vous d’un accident arrivé à Sheffield, en mai de l’année dernière ?

En effet, il se rappelait vaguement un incident qui avait failli coûter la vie à plusieurs Moldus. Pour sa part, préoccupé par les risques que couraient ses élèves et plus spécialement par un Harry Potter particulièrement borné, incapable de comprendre que sa vie était en jeu, et qui n’avait rien trouvé de mieux que d’aller affronter seul un basilic, il n’avait pas prêté grande attention à cette affaire vite étouffée.

– Faites comme si j’avais tout oublié.

– Selon toute apparence, un sorcier avait fait un usage abusif de magie, qu’il n’a pas su contrôler. Un bâtiment a été sérieusement endommagé, plusieurs Moldus blessés, et il a fallu jeter bien des sorts d’Oubliette pour réparer tout cela. L’affaire a été étouffée, on a parlé de négligence, d’un sorcier maladroit… Mais la vérité est tout autre. Cette jeune fille est arrivée de nulle part, vêtus de haillons, visiblement sans aucune idée de l’endroit où elle se trouvait. Avant que quiconque ait eu le temps de réagir, elle avait fait voler en éclats les vitres d’un immeuble, provoqué un début d’incendie et blessé magiquement une demi-douzaine de personnes. Fort heureusement, une brigade de réparations des troubles magiques a pu intervenir assez vite. Inutile de vous dire à quel point ils ont été stupéfaits de découvrir que cette source de magie si violente provenait d’une enfant de treize ans, qui s’était évanouie après l’effort.

Rogue hocha la tête. Il y avait, sans nul doute, de quoi être surpris, et il l’aurait été lui-même, s’il avait pu constater les faits.

– C’est assez… déconcertant, se contenta-t-il de remarquer d’un ton neutre. Où a-t-elle été placée durant toute cette année ? J’imagine qu’elle a fait un séjour prolongé à Sainte-Mangouste, sous bonne garde ?

Le regard à la fois triste et coupable que lui jeta Dumbledore lui fit immédiatement comprendre que le destin de la jeune fille avait été sensiblement différent, mais il ne parvenait toujours pas à deviner ce qu’il s’était passé.

– Dès qu’elle a été identifiée – ce qui n’a pas pris beaucoup de temps –, le Ministère a décidé de la juger, à la fois pour abus de magie et pour le meurtre de ses parents. Le procès n’a pas duré deux jours, et au terme de ce scandaleux simulacre de justice, elle a été déclarée dangereuse pour la société, et envoyée tout droit à Azkaban.

Durant un bref, très bref instant, le professeur Rogue ne réagit pas. Quoiqu’il eût parfaitement entendu ce que venait de dire Dumbledore, son esprit ne parvenait pas à assimiler les paroles prononcées. Puis vint le choc et, presque instantanément, l’incrédulité. Ce n’était pas possible. Envoyer à Azkaban une gamine de treize ans était non seulement sans précédent, mais c’était aussi un crime monstrueux. Il devait avoir mal entendu…

– Mais enfin, Albus, c’est impossible ! Pas une enfant de treize ans !

– J’ai bien peur que si. Et je m’en veux terriblement, Severus, de n’avoir pas, à l’époque, prêté plus d’attention à cette affaire.

Le maître des potions, sans se départir de son calme habituel, hocha la tête d’un air désapprobateur :

– C’est tout simplement insensé ! Comment a-t-on permis une chose pareille ? Et comment se fait-il que vous, en tant que président du Magenmagot, vous n’ayez pas été informé d’un tel procès ?

Un léger sourire apparut sur les lèvres du directeur. Visiblement, il était à la fois surpris et heureux que Severus semblât prendre cette affaire tellement à cœur – et, par la même occasion, oublier momentanément l’évasion spectaculaire de Black, qu’il ruminait depuis trois semaines. Mais Rogue n’avait rien oublié, et rien de ce que pouvait dire le directeur n’atténuerait la colère qui bouillonnait en lui à l’idée que Sirius était libre.

– Ce n’est qu’un mois après que j’ai pu apprendre ce qui s’était réellement passé. Je dois avouer, à ma grande honte, que je ne m’étais guère préoccupé de cet incident.

– Cela n’a rien d’étonnant, grogna Rogue. Rien de tout cela n’est apparu dans la presse et j’imagine qu’ils ont fait passer cet événement pour un délit mineur afin de ne pas attirer l’attention sur eux. Bien évidemment, ils n’allaient pas se vanter d’avoir envoyé à Azkaban une terrible criminelle de treize ans !

Dumbledore acquiesça.

– Ils se sont en effet arrangés pour que rien ne transpire au-dehors – ce qui aurait dû me faire comprendre que quelque chose d’étrange s’était produit. Mais enfin, l’affaire a été étouffée et le procès tenu à huis clos. Ce n’est que l’évasion de Sirius Black, un mois plus tard, qui m’a fait réaliser que quelque chose n’allait pas à Azkaban.

Le maître des potions fronça les sourcils. L’idée que cette gamine pût avoir joué un rôle dans l’évasion de son ennemi lui fit oublier d’être désagréable à la simple mention de Black.

– L’évasion de… Vous ne voulez pas dire que… que cette gamine y était pour quelque chose ?

– Si, Severus, c’est exactement ce que je veux dire. Fin juillet, l’enfant a fait une crise de magie sauvage apparemment très effrayante. Je veux bien le croire… Ravager une cellule d’Azkaban est un exploit en soi. Les Détraqueurs avaient pour consigne de ne pas trop s’approcher d’elle, mais, face à ce déchaînement de magie, ils se sont précipités, croyant qu’une tentative d’évasion avait lieu dans la tour sud. En réalité, je pense qu’ils ont été davantage attirés par sa magie plutôt que désireux de l’étouffer.

– Je ne suis pas sûr de vous suivre. Cette jeune personne a… ravagé une cellule ? Et les Détraqueurs ont abandonné leur poste pour « s’occuper » d’elle ?

– Oui, c’est à peu près cela. C’est ce qui a permis à Sirius de s’enfuir sous sa forme d’Animagus, sa cellule n’étant plus gardée. Bien évidemment, après cela, il n’était plus question de me cacher l’existence de la fille de Benjamin Baxter et son arrestation. Je me suis rendu en personne à Azkaban et j’ai enfin compris ce qu’il s’était passé…

Le directeur fit une pause afin de laisser à son interlocuteur le temps et la possibilité d’assimiler ce qu’il venait d’entendre. Rogue, de son côté, avait peine à en croire ses oreilles, mais il parvint à dissimuler son étonnement et son intérêt profonds sous le masque habituel de froideur qu’il arborait toujours devant ses élèves.

– J’ai dû exiger, reprit Dumbledore, que l’on me montre le déroulement du procès. Les membres du tribunal de haute instance magique étaient plutôt réticents… et pour cause ! Il n’y a eu ni témoins, ni défense.

– N’ont-ils pas essayé la Legilimencie ? Le Veritaserum ? ironisa Severus.

– Mais si, mon garçon, aussi choquant que cela puisse paraître, ils y ont pensé. Et c’est à ce moment qu’ils ont commencé à avoir réellement peur.

– Pourquoi ? demanda le professeur en se redressant, fasciné malgré lui par le récit du vieux sorcier. Qu’ont-ils pu voir de si… effrayant dans l’esprit d’une enfant de treize ans ?

– C’est bien là le problème, Severus : ils l’ont rien vu.

– Rien vu ? articula lentement le maître des potions.

– La Legilimencie n’a rien donné : les plus experts en ce domaine se sont heurtés à des barrières mentales bien trop fortes. Quant au Veritaserum, il semblerait que l’enfant ait développé à son égard une parfaite immunité, sans que l’on puisse comprendre comment. Au prix toutefois d’une sévère intoxication, ce qui n’a pas eu l’air de déranger les membres de cet auguste tribunal…

La voix de Dumbledore vibrait à présent de colère et de mépris difficilement contenus.

– J’ai pu voir l’état dans lequel était l’enfant en arrivant au Ministère. Je ne sais pas ce qu’elle a pu vivre durant les six années qui ont suivi la mort de sa mère, mais il y a fort à parier qu’Azkaban n’a été que la continuation logique de son existence. Elle portait de nombreuses marques de coups récents et anciens, ainsi que des blessures faites par des griffes et des dents. Je pense qu’elle a été battue, puis qu’elle a dû vivre dans la forêt pendant un certain temps.

Severus se mordit les lèvres, mais il s’astreignit au silence. Lui qui prenait pourtant plaisir à rabrouer les élèves, lui qui n’avait de cesse de les blesser par des paroles acerbes, qu’il prenait bien soin d’aiguiser à la lame mordante de son esprit, réprouvait toute sorte de mauvais traitements physiques sur un enfant. Il aurait voulu tenir les responsables du malheur de la jeune Baxter, y compris le juge stupide qui avait prononcé cette sentence inique, et leur infliger une punition à sa manière…

– Mais n’a-t-elle pas cherché à se défendre ?

– Je n’ai pas entendu une protestation sortir de ses lèvres, répondit le vieux sorcier avec un regard triste et fatigué. Elle n’a pas même esquissé un geste de rébellion, mais s’est contentée de tenter de se protéger physiquement lorsqu’on l’approchait de trop près. En revanche, la magie dont elle est capable est réellement étonnante, pour ne pas dire effrayante. Durant le procès, lorsqu’elle a été soumise à la Legilimencie, elle n’a pas émis la moindre contestation, mais elle a rendu aux « experts » la monnaie de leur pièce. Ils n’ont pas réussi à pénétrer dans son esprit, mais ils ont senti qu’elle fouillait les leurs.

– Impressionnant, se contenta de faire remarquer Rogue.

Le directeur de Poudlard acquiesça doucement.

– Sans oublier la violence extrême de sa magie qui lui a permis de causer d’importants dégâts matériels, peut-être même… de tuer. Sans oublier non plus ce que vous m’avez dit tout à l’heure à propos de l’intérêt de Voldemort pour la fille de Baxter.

Un silence pesant s’installa. L’ex-Mangemort, qui avait frémi en entendant le nom de son ancien maître, resta un instant immobile avant de lever les yeux vers son interlocuteur qui, de son côté, le fixait de son regard translucide.

– Le Baxter ont toujours maîtrisé les Arts Sombres, finit-il par murmurer comme à contrecœur. Du côté de la mère de l’enfant, je crois me souvenir qu’il y a eu là aussi des mages noirs…

– C’est exact, Severus. Les Herrera étaient une famille puissante, qui a décliné au fur et à mesure que ses descendants ont cessé de pratiquer les Arts Sombres. Mais ce pouvoir s’est transmis de génération en génération. Yerma est à présent la dernière survivante et l’héritière à la fois des Baxter et des Herrera.

– La pauvre, conclut Rogue froidement.

– Elle n’a que quatorze ans, fit remarquer le vieux sorcier. Tout n’est pas perdu.

– Après ce qu’elle a vécu ? Elle n’aura en elle que de la colère, de la peur, de la haine, si elle a véritablement eu l’existence que vous lui supposez. Azkaban suffirait à faire se tourner vers la magie noire n’importe quel sorcier sain d’esprit.

– C’est encore une enfant, Severus. Elle a gardé un peu de cette innocence qu’ont tous les enfants. Elle peut encore apprendre à maîtriser sa peur et sa colère. Je l’ai vue, Severus, ajouta Dumbledore en voyant le professeur hocher la tête en signe de dénégation. J’ai lu dans ses yeux cette peur dont vous parlez, et beaucoup de désespoir, mais aucune lueur meurtrière. Je vous le dis, tout n’est pas perdu.

La suspicion s’embrasa dans l’esprit méfiant du maître des potions.

– Albus, qu’est-ce que vous manigancez encore ?

– Je veux la faire sortir d’Azkaban.

– Je suis en accord total avec vous. Je ne comprends pas que vous n’ayez pas déjà entamé des démarches…

Il se tut devant le regard que lui lança le directeur. Pas de reproche, non, mais une sorte de tristesse voilée. Severus se gifla mentalement. Bien évidemment, Dumbledore avait entamé des démarches. Il n’était pas sans savoir que faire sortir qui que ce fût d’Azkaban relevait de l’exploit, même lorsque l’on était président du Magenmagot. Il avait fallu près d’un an au directeur de Poudlard pour prouver l’innocence de Severus Rogue et son véritable rôle dans la guerre. Le maître des potions frissonna à ce souvenir. Pendant douze ans, il avait refusé de penser à cette période de sa vie, et voilà que les paroles de l’homme qui l’avait tiré de prison le replongeait mentalement dans cet enfer qui hantait encore ses nuits.

– Je ne peux pas la sortir d’Azkaban comme je l’ai fait pour vous, Severus. Je ne peux pas établir son innocence, faute de preuves, faute de témoins. Je n’ai rien pu tirer de l’enfant, je ne sais rien d’elle. Je me fie à mon intuition, voilà tout.

– Mais vous avez tenté quelque chose, cependant ?

– Oui. Je croyais avoir réussi, mais…

Dumbledore soupira. Il semblait soudain très âgé, et terriblement vulnérable. Rogue sentit le coup venir, mais il n’en laissa rien paraître.

– Vous seul pouvez m’aider, Severus.

Le maître des potions se contenta de hausser les sourcils en guise d’interrogation ; depuis le début de cette étrange conversation, il s’attendait à voir solliciter son aide, mais il ne comprenait toujours pas.

– Peut-être, murmura le directeur, peut-être serait-il préférable que vous voyiez ma dernière entrevue avec le Ministre, un magistrat que vous connaissez bien, et le directeur d’Azkaban, il y a de cela deux jours. Cela vous permettrait de mieux comprendre la nature du problème.

Rogue acquiesça d’un bref mouvement de tête et sortit sa baguette de la longue manche noire de sa robe, puis il la pointa vers son visiteur, qui lui sourit en guise d’approbation.

Legilimens !

Le professeur se retrouva immédiatement projeté à l’intérieur de l’esprit du directeur, qui se concentrait volontairement sur un souvenir précis. Rogue, n’ayant aucune envie de se montrer indiscret envers l’homme à qui il devait tout, plongea dans cette pensée sans chercher à rien voir d’autre.

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Une vaste salle, probablement au département de la Justice du Ministère. Devant Dumbledore se trouvaient un vieux juge à l’air sévère (Rogue grinça des dents à sa vue et en détourna aussitôt son esprit), Fudge en personne et un tout petit bonhomme d’une minceur effrayante, que le maître des potions reconnut comme le directeur de la prison d’Azkaban. Une dizaine de sorciers à peine moins rébarbatifs se tenaient sur le côté, regardant le directeur de Poudlard avec une curiosité non dissimulée.

– Nous reconnaissons le bien-fondé de votre requête, professeur Dumbledore, déclara sèchement le vieux juge. Bien sûr, attendu que l’enfant s’est montrée imperméable à toute sorte d’interrogation, nous n’avons aucun moyen de savoir si elle a véritablement tué ses parents. Cependant, vous comprenez que nous ayons dû l’enfermer à Azkaban à titre préventif. Imaginez ce qui se passerait si nous laissions une jeune sorcière en proie à des crises de magie sauvage en liberté dans les rues de Londres ! Nous ne pouvons maîtriser l’héritière de tant de mages noirs. Aussi douloureuse que soit l’épreuve pour elle…

– Il me semblait, dit Dumbledore d’un ton innocent, que la loi interdisait la détention de mineurs à Azkaban.

– Vous savez bien que j’ai signé une dérogation, répondit le Ministre avec courtoisie, mais sans oser regarder le vieux sorcier dans les yeux.

– Je le sais parfaitement, mais mon devoir, en tant que président du Magenmagot, est de protester contre de telles pratiques.

– Professeur, je vous en prie, l’interrompit le juge en levant la main comme pour le calmer, tandis que Fudge s’agitait, visiblement mal à l’aise sous le regard perçant de son antagoniste. Nous avons longuement, mes collègues ici présents et moi-même, considéré votre proposition de prendre Miss Baxter comme élève à Poudlard, sous votre responsabilité…

Severus ne put s’empêcher de sursauter. Certes, il était depuis trop longtemps habitué aux bizarreries de son directeur pour être réellement déconcerté, mais il n’en trouva pas moins l’idée insensée, voire tout à fait stupide, et il se promit de l’exprimer avec tout le tact qu’il était capable de déployer sitôt qu’il sortirait de ce souvenir.

– … Nous serions bien évidemment ravis de vous accorder cette faveur, étant donné les services importants que vous avez rendus à la communauté sorcière, n’était la sécurité des autres élèves qui, bien évidemment, passe avant toute autre considération. Nous avons estimé à l’unanimité qu’il valait mieux protéger ces enfants plutôt que de risquer leur bien-être et peut-être même leur vie dans cette entreprise hasardeuse.

Rogue sentit que le vieux sorcier réprimait un soupir entre le découragement et la colère. Déjà le Ministre prenait la parole :

– Je suis désolé, Dumbledore. Vous comprenez bien que cela serait d’une imprudence rarement égalée.

Le directeur haussa les épaules.

– Il ne s’agit en réalité que d’une question de valeurs, répondit-il doucement.

Un des sorciers présents, que Rogue reconnut comme un maître ès Legilimencie, prit alors la parole :

– Il serait certes particulièrement intéressant d’étudier les aptitudes pour le moins singulières de cette enfant. Mais bien que vous soyez vous-même un excellent Legilimens, vous n’avez aucune maîtrise ni même aucune connaissance des Arts Sombres.

Le maître des potions nota avec plaisir l’emploi de ce terme, qu’il préférait infiniment à celui de « magie noire » qu’avait prononcé le juge quelques minutes auparavant. Dumbledore avait hoché la tête. Ce n’était que trop vrai, il ne pouvait comprendre les Arts Sombres, mais comment pouvait-il expliquer à ce jury d’experts, de bureaucrates et de magistrats froids comme la pierre que l’enfant avait besoin d’être protégée et mise en confiance plutôt que surveillée comme une bête sauvage et dangereuse ?

– Nous avons donc décidé, conclut le juge, un sourire triomphant et mauvais aux lèvres, que nous ne pourrions vous autoriser à faire sortir Miss Baxter d’Azkaban qu’à la condition de confier sa garde à un sorcier à la fois Occlumens et Legilimens, qui accepterait volontairement de la prendre en charge et qui, de plus, devra posséder une certaine connaissance de la magie noire, ce qui n’est malheureusement pas votre cas.

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Severus sortit brutalement de l’esprit de son visiteur. Il n’avait pas besoin d’en entendre davantage : il avait enfin compris ce que Dumbledore attendait de lui – mais il n’avait nullement l’intention de se laisser ainsi manipuler. Bien sûr, il s’était attendu à quelque chose de ce genre depuis le moment où Albus était entré dans ses appartements, mais cependant rien d’aussi… déplacé. Sans laisser au directeur le temps d’ouvrir la bouche, il explosa :

– N’y comptez pas une seule seconde !

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