De mon esprit à votre esprit

Chapitre 3 : L'intrusion

4308 mots, Catégorie: K+

Dernière mise à jour 07/07/2020 12:29

Chapitre 3 : L’intrusion



Dire que Rogue était nerveux serait un doux euphémisme.

Miss Baxter devait arriver dans la soirée – Flaversham avait négligé de préciser des choses importantes, comme par exemple l’heure exacte de cette arrivée – et le sorcier avait passé la journée à faire les cent pas dans le salon mal éclairé de sa petite maison en se demandant comment il avait bien pu accepter une telle mission. Car il s’agissait bien, dans son esprit, d’une mission presque aussi redoutable que celles dont il avait été chargé autrefois. Espionner pour le compte de Dumbledore, il avait appris à le faire, et plutôt correctement. Certes, cela s’était avéré dangereux, mais le danger ne l’effrayait pas. D’une certaine manière même, il avait appris à l’apprécier, à le rechercher, pour des raisons plus ou moins avouables. En revanche, s’occuper d’une gamine de quatorze ans… Après avoir passé toutes ces années dans la solitude la plus totale, voir sa vie envahie par cette Miss Baxter lui déplaisait profondément.

Pourtant, il avait passé trois mortelles journées dans l’attente de la réponse du Ministère, sursautant dès qu’un hibou apparaissait dans son champ de vision. Albus paraissait confiant ; Severus, quant à lui, était beaucoup moins sûr du résultat. Comment pouvait-on décemment confier à un ancien Mangemort au repentir douteux une héritière des Arts Sombres dont les pouvoirs étaient plus qu’instables ?

Mais Dumbledore avait raison, une fois de plus : le soir du troisième jour après sa confrontation avec John Dawlish et les autres experts, le maître des potions de Poudlard avait reçu une note express du Ministère, très sèche, le priant de se rendre de toute urgence au bureau du juge Flaversham pour signer les papiers concernant la mise en liberté et la garde de Yerma Baxter.

Cette nouvelle entrevue n’avait pas duré plus de dix minutes, mais il en était sorti dans un état de tension difficilement supportable. Apprendre que John Dawlish serait l’un des deux inspecteurs chargés de « vérifier l’état physique et mental de l’enfant » à plusieurs reprises durant l’été l’avait mis hors de lui ; mais le regard triomphant de ce vieux sadique de Flaversham l’avait calmé instantanément, à l’étonnement et au grand dam du magistrat, qui cherchait visiblement à faire sortir Rogue de ses gonds. Il ne savait que trop bien qu’au moindre prétexte, on lui retirerait la garde de l’enfant, qui serait ramenée séance tenante à Azkaban. Il devait rester maître de lui en toutes circonstances et se prêter aux conditions que lui imposait le Ministère ; cependant, l’idée que Dawlish allait avoir le droit de fouiller de fond en comble la maison qui prouvait son ascendance moldue lui donnait des envies de meurtre.

Maudissant pour la millième fois depuis le matin le nom de Dumbledore et le moment d’égarement incompréhensible où lui, Severus Rogue, avait cédé aux raisonnements flatteurs du directeur, il laissa errer son regard sur la chambre aménagée pour son « invitée ». C’était une pièce qui jusqu’ici lui avait servi de débarras et qu’il lui avait fallu ranger et nettoyer de fond en comble afin qu’elle parût décente. D’ailleurs, il avait mis sens dessus-dessous toute sa maison, en prévision de la fouille minutieuse que ne pourraient manquer d’effectuer Dawlish et Miss Tonks, la jeune Auror chargée de le seconder dans sa tâche de surveillance. Au moindre objet qui eût pu se rattacher à un quelconque rituel de magie noire, Rogue pouvait lui-même être arrêté, il le savait très bien ; aussi s’était-il débarrassé d’un bon nombre de vieilleries dont il n’avait pas l’utilité mais qui s’étaient entassées là au fil des ans, le numéro 19 de l’Impasse du Tisseur lui servant davantage de centre de stockage que de résidence. Il n’y passait que l’été et les vacances d’hiver, malgré l’insistance d’Albus pour le faire rester à Poudlard pour « célébrer Noël ensemble ». Comme si l’acariâtre maître des potions allait accepter de fêter quoi que ce soit !

La perspective de visites de contrôle de la part de deux Aurors prévenus contre lui l’exaspérait mais, en réalité, ne l’inquiétait pas tant que celle de la présence permanente de la jeune fille chez lui. Dawlish et Tonks ne trouveraient rien qui pût l’incriminer, et la fouille de sa maison ne serait après tout qu’un mauvais moment à passer ; de plus, le maître des potions était convaincu que la jeune femme, qui avait eu Rogue en cours pendant cinq années, tempèrerait le zèle excessif de son collègue, ne serait-ce que par crainte de la chauve-souris des cachots. En revanche, l’arrivée de la fille Baxter constituait une violente intrusion dans son espace privé. Nul, excepté Dumbledore – qui n’avait pourtant jamais mis les pieds chez lui – ne connaissait son lieu de résidence, et voilà que cette gamine venait perturber sa solitude, non seulement en lui faisant donner son adresse au Ministère, mais surtout en s’installant elle-même chez lui pendant deux mois !

Severus devait toutefois reconnaître qu’il ne pouvait ni ne désirait rester à Poudlard pendant les grandes vacances. L’Impasse du Tisseur ne constituait certes pas le lieu idéal pour une enfant déjà perturbée, mais au moins, aucune des charmantes connaissances de l’ancien Mangemort ne risquait de s’aventurer dans ce quartier moldu aux mornes jardins, aux murs de brique délavés et aux trottoirs maussades. C’était là qu’il avait passé, enfant et adulte, toutes ses vacances, dans la solitude la plus absolue. Et voilà que, suite à une promesse inconsidérée, à un stupide élan de compassion, il allait se retrouver avec un hôte indésirable sur les bras… Une gamine qui, si tout se passait bien, serait son élève à la rentrée ! Une enfant qui pourrait raconter ce qu’elle voudrait à ses camarades de Poudlard sur la vie intime du professeur le plus craint de toute l’école… Tout l’enthousiasme qu’il avait éprouvé à l’idée de travailler avec une Occlumens-Legilimens de naissance était retombé dès lors qu’il avait commencé à réfléchir aux conséquences les plus quotidiennes de sa mission.

Car ce que le professeur de potions redoutait le plus n’était pas les crises de magie de la jeune Baxter, mais sa possible stupidité ou – pire encore – sa faiblesse. Avait-il seulement une seule raison valable pour avoir accepté ? Bien sûr, travailler avec une Occlumens-Legilimens de naissance ne pouvait manquer d’être passionnant. De plus, il n’avait jamais réellement aimé les vacances, et une occupation à plein temps ne pouvait que l’empêcher de penser au retour imminent du Seigneur des Ténèbres. La seule idée de cette éventualité le rendait malade.

Mais, par Merlin, comme il détestait être utilisé de la sorte !

Et surtout, surtout, comme tu as peur, Severus ! Rends-toi à l’évidence !

Le maître des potions fit immédiatement taire la petite voix sournoise de la lucidité dont la tonalité lui parut insupportablement moqueuse. Peur d’une gamine de quatorze ans, lui qui avait affronté des classes entières de Poufsouffles et même de Gryffondors ? Allons donc !

Peut-être pas d’elle, mais… de ce qu’elle te rappellera.

Rogue aurait bien aimé pouvoir s’empêcher de penser, mais il n’y parvint pas. Face à Dumbledore, il avait été froid, il avait parlé de la nécessité de place l’enfant hors d’atteinte du Seigneur des Ténèbres, de celle de la mettre de leur côté de peur qu’elle n’utilisât contre eux ses pouvoirs. Mais en réalité, il se moquait bien des possibles avantages qu’ils pourraient tirer de la fille Baxter. Lui aussi était passé par Azkaban. Il savait ce que cela signifiait, et il ne pouvait souhaiter cela à personne.

Et même cela n’est pas tout à fait vrai, Severus…

Car il avait souhaité cet ultime châtiment, et de tout cœur, à son ennemi de toujours, sa Némésis, avant de réaliser que le cabot était innocent de la mort de Lily et de reporter une bonne partie de sa haine sur Peter Pettigrow. Une vie entière à Azkaban n’eût pas suffi à expier le crime dont il était coupable. Rogue s’obligea à respirer profondément afin de faire taire les émotions contraires qui s’agitaient en lui et sur lesquelles il n’aurait pas su mettre de nom, mais il ne put s’empêcher de frissonner de nouveau au souvenir terrible de sa propre détention.

Il lui fallut un immense effort de volonté pour couper court à ses souvenirs et revenir à la situation présente. Oui, il avait bel et bien une raison d’avoir accepté cette mission : lui, Severus Rogue, était le seul – quelle ironie ! – à pouvoir sortir Yerma Baxter d’Azkaban. Et tout ce qui comptait était précisément de l’en sortir – parce qu’elle ne survivrait pas à la prison, parce que sa vie, son esprit, son âme étaient en train de partir en lambeaux alors qu’elle n’avait (probablement) rien fait pour mériter cela.

Il pouvait à présent commencer à payer sa dette, rendre à cette enfant le service inestimable que Dumbledore n’avait pas hésité à lui rendre à lui, le Mangemort repenti, le Sang-Mêlé qui s’était laissé captiver par les belles paroles du Seigneur des Ténèbres. Il pouvait boucler la boucle, refermer le cercle…

Rogue en était là de ses réflexions lorsque retentit le timbre de la sonnette. Avec un soupir, il referma la porte de la chambre, descendit lentement l’escalier, traversa le salon et ouvrit la porte d’entrée, après s’être composé un masque impassible.

– Bonsoir, Severus.

– Bonsoir, Albus. Entrez, je vous en prie, dit courtoisement le maître des potions.

Il s’effaça pour laisser passer les quatre personnes présentes, tout en reportant son attention sur la forme sombre et maigre qui se tenait, droite, à côté du directeur.

– Yerma, je te présente le professeur Rogue, qui prendra soin de toi pendant ces vacances, et t’apprendra tout ce que tu dois savoir pour pouvoir entrer à Poudlard en septembre prochain. Severus, voici Yerma Baxter.

Rogue vit distinctement un frisson parcourir le corps de la jeune fille, mais elle ne laissa paraître aucune émotion sur son visage et s’inclina légèrement devant le sorcier en murmurant de façon presque inaudible :

– Bonsoir, professeur.

Derrière Dumbledore et sa petite protégée venaient John Dawlish et Nymphadora Tonks, qui restèrent bouche bée devant l’apparence de la demeure dans laquelle ils venaient de pénétrer. Ravi de lire la stupéfaction sur les traits des deux Aurors qui, visiblement, ne s’attendaient pas trouver à un intérieur moldu chez le directeur des Serpentards, le maître des potions se retourna vers l’enfant.

Elle avait des cheveux bruns, longs, emmêlés, qui pendaient assez lamentablement de chaque côté de son visage. De grands yeux noirs jetaient à la dérobée, sur les objets qui l’entouraient, des coups d’œil empreints de méfiance, comme si les choses n’étaient pas réellement ce qu’elles donnaient l’impression d’être et que son regard avait eu le pouvoir de percer à jour leur imposture. Son nez était légèrement busqué, ses lèvres minces, ses pommettes hautes, ses joues creuses. Sa pâleur, songea le maître des potions, était due davantage à son année passée à Azkaban qu’à sa complexion naturelle : après quelques jours au soleil, sa peau prendrait des reflets cuivrés. Mais ce fut l’expression de bête aux abois qui le frappa tout particulièrement, ainsi que la maigreur excessive de sa future élève, vêtue d’un jean foncé et d’un T-shirt noir trop grands pour elle, qui faisait d’autant plus ressortir la pâleur de ses bras et de son visage.

– C’est ici que tu habites, Rogue ? demanda Dawlish d’un ton incrédule, coupant net le sorcier dans son examen.

– Peut-être t’attendais-tu à autre chose ? demanda Severus avec un reniflement de mépris. Un peu plus de magie, peut-être ? Désolé de te décevoir, Dawlish.

Voyant que la situation menaçait de s’envenimer, étant donné le caractère respectif et le lourd passif des deux hommes en présence, Dumbledore toussota légèrement :

– Je pense qu’il serait bon que tu ailles te coucher, Yerma. La journée a été longue et mouvementée.

L’enfant tourna son regard vers le directeur, comme pour le supplier de ne pas la laisser seule ; mais Dumbledore reprenait déjà :

– Tu peux faire confiance au professeur Rogue comme à moi-même. S’il y avait le moindre problème, il me contacterait immédiatement. Je reviendrai très bientôt prendre de tes nouvelles.

Un peu rassurée, elle esquissa un vague sourire et un signe de tête affirmatif, non sans avoir jeté un coup d’œil en coin vers le maître des potions, très raide, l’air sévère dans ses robes noires.

– Professeur Dumbledore… intervint alors la jeune Nymphadora Tonks, visiblement embarrassée. Avant que Yerma n’aille se coucher, nous devons…

Elle s’interrompit, écarlate, sous le regard sombre de Rogue ; mais, contre toute attente (il avait décidé de ne laisser aucune prise à Dawlish, quelque effort qu’il lui en coûtât), ce dernier répondit sur un ton poli :

– Je suggère que vous effectuiez vos vérifications en premier lieu dans la chambre de Miss Baxter, afin qu’elle puisse s’y installer, puis vous procéderez à votre… travail (il ne put s’empêcher d’appuyer sarcastiquement sur le mot) dans le reste de la maison.

Les deux envoyés du Ministère et même Dumbledore restèrent un instant figés, stupéfaits du calme et de la courtoisie dont venait d’user Rogue, mais ce dernier, sans paraître remarquer leur étonnement, se dirigea vers l’escalier, suivi des quatre nouveaux venus.

– Voilà votre chambre, Miss Baxter, annonça Rogue en ouvrant la seconde porte à gauche. La salle de bains est juste à côté. Lumos !

La baguette du sorcier flamboya un court instant et la bougie posée sur la table de chevet éclaira aussitôt la pièce comme s’il se fût agi d’une lampe. Les deux Aurors inspectèrent rapidement la pièce, passant rapidement leur baguette sur le sol, les murs, les meubles, sous le regard ébahi de Yerma. Enfin, la jeune femme et son collègue sortirent dans le corridor ; le maître des potions agita nonchalamment sa baguette en direction de la fenêtre pour fermer volets et rideaux, tandis que Dumbledore se tournait vers Yerma :

– Au revoir, mon enfant.

Severus observa attentivement la fille Baxter, qui déglutit péniblement, les yeux fixés sur lui. Elle semblait partagée entre une admiration parfaitement incompréhensible, comme si ce que venait de faire son futur professeur lui paraissait extraordinaire, et la crainte de voir s’en aller le vieux sorcier qui l’avait tirée d’Azkaban. Elle baissa rapidement les yeux en se rendant compte que Rogue la dévisageait.

– Considérez-vous ici comme chez vous, Miss, déclara le maître des potions. Si vous avez le moindre problème, ma chambre est la pièce située en face de la vôtre. Je vous souhaite une bonne nuit.

Puis, sans attendre le « merci » que murmura sa protégée, il s’empressa de refermer la porte et d’aller rejoindre Dumbledore qui avait eu le tact de ne pas rester dans la pièce. Il tomba nez à nez avec Dawlish qui sortait de sa chambre après, sans nul doute, en avoir fouillé les placards.

– Spartiate, commenta-t-il.

Rogue haussa les épaules et suivit les deux Aurors vers la porte qui se trouvait au fond du couloir, les poings crispés malgré lui.

La jeune femme ne put retenir une exclamation admirative devant la bibliothèque qui, du sol au plafond, ne laissant voir que les deux fenêtres et la cheminée, recouvrait tous les murs de la pièce. A la grande surprise du maître des potions, les cheveux de Miss Tonks, de blonds qu’ils étaient, passèrent subitement au bleu turquoise, ce qui devait traduire chez la métamorphomage le profond enthousiasme qu’elle ressentait face à la vue de cette multitude de livres. Dumbledore lui-même, qui se tenait un peu en retrait, semblait impressionné.

– Une belle collection, Severus !

– Avec une section « magie noire » particulièrement étendue, ironisa Dawlish. Pourquoi est-ce que ça ne m’étonne même pas ? Mangemort un jour, Mangemort toujours…

Le maître des potions pâlit et serra les dents. S’il s’était écouté, s’il avait laissé libre cours à la colère qui envahissait son esprit, il se serait jeté sur son ennemi, lui faisant passer l’envie de l’insulter. Mais il devait garder son calme pour le vieux sorcier qui le regardait d’un air inquiet, comme s’il pressentait qu’il allait perdre son sang-froid, et pour l’enfant qui était à présent son hôte et que la moindre incartade de sa part pouvait renvoyer à Azkaban. Rogue se contenta de faire demi-tour et de redescendre l’escalier, suivi du directeur qui paraissait soulagé. Quelques minutes plus tard, les deux Aurors les rejoignirent, Miss Tonks un sourire aux lèvres, bien qu’elle se fût pris les pieds dans un tapis et qu’elle eût manqué descendre les marches de façon tout à fait brutale, et John Dawlish manifestement contrarié de n’avoir rien trouvé de répréhensible dans la vaste pièce.

Le salon et la cuisine, parfaitement moldus, intriguèrent les deux sorciers, qui s’arrêtèrent avec une curiosité particulière devant le téléphone et le tourne-disque. Jamais ils n’auraient imaginé Severus Rogue en possession de romans moldus ou d’un piano ; et ce fut d’un ton intéressé que Miss Tonks demanda :

– Tout ceci marche à l’électricité, n’est-ce pas ?

Rogue acquiesça, légèrement tendu, pendant que Dawlish, qui se moquait bien du fonctionnement de tous ces appareils, inspectait les moindres recoins du salon.

– Et cette porte-ci ? demanda l’Auror lorsqu’il revint dans le salon, désignant un renfoncement situé sous l’escalier. Elle mène à la cave, j’imagine ? Tu voulais nous la cacher ?

Severus poussa un soupir d’exaspération mais parvint encore une fois à se contenir :

– Dawlish, je suis un maître des potions. Je n’envisage pas de rester deux mois sans toucher à un chaudron.

En réalité, le laboratoire que Rogue avait installé dans sa cave l’emplissait de fierté, et, n’eût été l’odieuse présence de John Dawlish, il aurait été presque heureux de montrer à Dumbledore et même à la jeune Auror les aménagements qu’il avait effectués lui-même au cours des ans. Il avait passé plusieurs mois à nettoyer et à meubler la cave poussiéreuse, et des années à emplir ses placards d’un certain nombre d’ingrédients rares qu’il entreposait ici plutôt qu’à Poudlard. C’était dans la cave de l’Impasse du Tisseur qu’il effectuait ses expériences les plus dangereuses et les moins officielles, loin des regards indiscrets du monde sorcier. Personne n’avait encore jamais pénétré dans son antre.

– Quelle est cette potion ?

La voix de Miss Tonks, de nouveau, ne marquait aucun dédain mais, au contraire, un grand intérêt. Surveillant Dawlish du coin de l’œil tandis qu’il ouvrait les placards sans ménagements, Severus répondit distraitement :

– Il s’agit de potion tue-loup, Miss.

Dumbledore ne put s’empêcher de sursauter légèrement à cette réponse, puis ses yeux bleus s’allumèrent de cette étincelle de malice qui lui était si caractéristique, alors qu’une légère rougeur montait aux joues pâles du maître des potions. Quant à Tonks, sa réaction fut surprenante : non seulement ses cheveux prirent une inquiétante teinte vermillon, mais son visage, l’espace d’un instant, changea lui aussi de forme tandis qu’elle rougissait. Voulant dissimuler son trouble aux yeux des trois hommes qui considéraient avec étonnement ce brusque changement de couleur, elle se tourna vivement vers une autre étagère dans le but évident de poser des questions sur les ingrédients qui l’ornaient, mais sa légendaire maladresse la fit trébucher. Elle se rattrapa comme elle put à une table. Deux fioles s’écrasèrent à terre. Rogue sentit son cœur s’arrêter et se précipita pour rattraper la troisième avant qu’elle n’atteigne le sol, tout en maudissant cette Poufsouffle qui, il s’en souvenait à présent, avait toujours été une catastrophe ambulante en cours de potions.

– Et ça, Rogue ?

L’Auror désignait la petite fiole rouge, non étiquetée, que Rogue avait placée avec soin à l’écart de toutes les autres en espérant que personne ne la remarquerait.

Ca, Dawlish, ça ne te regarde pas.

Le sorcier ne parut guère impressionné par la voix froidement menaçante de son ennemi.

– Tout ce qui se trouve ici me regarde, rétorqua Dawlish en élevant la fiole pour mieux l’examiner.

D’un mouvement imperceptible pour tout autre que Dumbledore, Rogue fit glisser sa baguette le long de la manche de sa robe, prêt à lancer un sort à son vieil ennemi. Il jeta un bref coup d’œil vers Tonks qui, interdite, faisait aller son regard de Dawlish au maître des potions. Elle ne représentait pas un adversaire bien dangereux, mais si Rogue attaquait son collègue sans avertissement, il y avait fort à parier qu’elle ne le laisserait pas faire…

– John, nous avons fouillé toute la maison sans trouver la moindre trace de magie noire. Je pense que le professeur Rogue n’est pas assez stupide pour laisser en évidence une potion illégale alors qu’il savait que nous passerions également son laboratoire au crible. Il y a d’ailleurs une façon très simple d’en avoir le cœur net.

Avec une dextérité tout aussi inattendue que sa petite tirade, la jeune Auror tira sa baguette et la pointa sur la fiole.

Fuscam artem revelio !

Un petit éclair jaillit de l’extrémité de la baguette d’olivier, fit le tour du récipient et revint vers la sorcière, chargé de rouge mêlé d’un soupçon de violet.

– L’usage des Arts Sombres est nécessaire pour confectionner certains philtres, déclara Tonks alors que l’éclair s’évaporait au-dessus de sa tête. Le professeur Rogue a peut-être utilisé certains ingrédients ou sortilèges que d’autres maîtres des potions n’auraient pas choisis, mais tous demeurent parfaitement légaux. Pouvons-nous passer à autre chose ?

Non sans une certaine brusquerie, Dawlish reposa la fiole incriminée sur une étagère. Rogue retint un soupir de soulagement. Il lui avait fallu près de deux années pour réaliser ces quelques gouttes. Lorsque la potion fut de nouveau en sécurité, loin des mains inexpérimentées de l’Auror, Severus reporta toute son attention sur Tonks. Elle cachait bien son jeu… Le sortilège qu’elle avait employé était inconnu du maître des potions et de Dawlish, à en juger par la stupéfaction qui se lisait dans son regard. Dumbledore le connaissait probablement, mais il semblait également surpris que la jeune Auror fût en mesure de le réaliser aussi aisément. Une invention de Maugrey, probablement.

Rogue se surprit à considérer différemment son ancienne élève. Tout à sa méfiance envers le plus âgé des deux Aurors, il l’avait sous-estimée, classée dans la catégorie des quantités négligeables. Il avait eu tort. Peut-être serait-il opportun de s’en faire une alliée. Peut-être pourrait-elle lui être d’une aide précieuse, dans le cas probable où Dawlish cherche à lui retirer la garde de l’enfant.

L’idée que le directeur des Serpentards puisse s’associer avec une Poufsouffle inexpérimentée était bien évidemment perturbante, mais Severus avait depuis longtemps compris que les différences et les différents entre Maisons ne menaient nulle part. Il lui fallait, pour sa couverture, maintenir une façade d’injustice qui lui convenait parfaitement et lui permettait d’avantager les Serpentards, mais au fond de lui, il se souciait peu de la Répartition. Seules comptaient à ses yeux les compétences – et des compétences, Nymphadora Tonks en avait visiblement à revendre.

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