Le Masque des Métamorphoses

Chapitre 14 : Un dernier espoir

Chapitre final

6232 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 21/03/2021 08:44

—   Inspecteur !

Un claquement de doigt le ramena au monde. C’était Henri.

Martin était allongé dans un canapé. Il reconnut son bureau. Rien n’avait bougé, personne n’avait pu y pénétrer en son absence. La porte s’ouvra automatiquement quand Sarah et Henri l’y transportèrent.

—   On vous a amené ici, inspecteur, le temps que vous retrouviez vos esprits.

—   Qui s’occupe des opérations, s’inquiéta Martin dans le coltard avec un mal de crâne.

—   Ne vous faites pas de bile, inspecteur, il y a du beau monde.

—   Henri, reprit Martin d’une voix fluette, - il se releva difficilement -, je suis heureux de vous revoir sain et sauf.

—   Moi de même monsieur. Je n’ai été prévenu que tardivement de l’attaque, c’est que j’étais où vous savez.

—   Où est Sarah ?

—   Je suis là inspecteur. Je vous ai trouvé un petit remontant, avec une pointe de calva.

—   Vous connaissez déjà mes goûts ?

—   C’est Goudie qui m’en a touché un mot. C’est elle qui a entretenu votre bureau en votre absence.

Elle s’approcha de Martin et lui offrit un doigt de café noir très corsé.

—   Sarah pense savoir comment Ovide a réussi à s’infiltrer, dit Martin en se réconfortant avec sa boisson, racontez-lui.

Sarah expliqua en détail la statue de bronze, son miroir qu’elle tenait entre les mains ; il avait dû refléter le visage de ses victimes.

—   Encore un meurtre symbolique, conclut-elle, ça ressemble bien à notre homme.

—   Ce n’est pas un meurtre, corrigea Martin, mais un carnage, et je sais comment il a pu s’enfuir aussi facilement en ayant pris le temps de… de poignarder Alicius.

Il effaça sa colère d’un revers de manche.

—   C’est un homme prêt à tout pour parvenir à ses fins, compléta Sarah.

—   Êtes-vous sûrs que c’est Ovide ? questionna Henri. Le gars qui a fait ça a plutôt l’air d’être le diable en personne.

—   C’est un homme, répondit Martin, un homme d’une imagination débordante. Il est temps de le considérer à sa juste valeur, il nous surpasse largement. Mais il est seul, il a tout un monde contre lui, et il le sait ! Il sait aussi que nous le traquerons jusqu’à ce que mort s’ensuive. Cet homme n’a plus d’horizon, plus d’espoir, il faut absolument qu’on l’arrête avant de découvrir son prochain charnier. Henri, qu’avez-vous appris de votre escapade ?

—   Comme vous me l’avez demandé inspecteur, je suis parti en Angleterre pour me renseigner sur Penny et Bernie Burnfire, Bernie Bleiz Oury Burnfire de son vrai nom. Hélas, les parents sont décédés, noyés dans leur chagrin je suppose. J’ai cependant rencontré une vieille tante en banlieue de Londres. Je ne sais pas si cela nous intéresse, mais j’ai cru comprendre que Bernie n’avait pas disparu tout seul. On n’a jamais retrouvé son elfe de maison. Or, si Bernie était mort, l’elfe aurait dû rejoindre la famille qui lui restait. Ce qui n’est jamais arrivé. J’en conclus que, soit Bernie n’est pas mort, ce qui au début m’étonnait grandement, soit que l’elfe a lui aussi été tué, ce qui semble plus cohérent.

—   Pourquoi « au début » ? questionna Martin.

—   J’y viens. La tante se souvenait que Penny fricotait avec un français l’année de sa disparition, mais elle avait entendu dire que cela se passait mal. Elle ne se rappelait plus de son nom, mais peu importe. Je crois qu’elle faisait référence à Alicius. Ensuite, je me suis rendu au Ministère de la Magie Anglaise. Ils ne m’ont pas laissé accéder à son dossier, c’est classé confidentiel. Je n’ai rien appris de plus sur Bernie, si ce n’est une chose qui pour le coup n’est pas mise au secret, et que j’ai pu mettre en rapport avec ce que vous m’avez dit.

—   Quoi donc ? s’empressa de demander Martin.

—   Bernie Burnfire était un animagus officiellement enregistré au Ministère. Je vous laisse deviner son animal, cela ne vous surprendra pas.

—   Je n’ai pas envie de jouer aux devinettes Henri.

—   Un loup ? essaya Sarah.

Henri sourit.

—   Exactement, un loup, un grand loup au pelage blanc.

—   Bernie avait un certain flair disait Alicius. C’est sans doute comme cela qu’il a pu retrouver Ovide…

Martin se précipita pour fouiller dans les tiroirs de son bureau. Il en sortit la lettre 26 bis, route de Nohant, Sarzay. La trace ressemblait bien à une moitié d’empreinte, à une empreinte de loup.

—   Vous voulez dire, se permit Sarah, que Bernie Burnfire serait peut-être encore vivant et que c’est lui qui aurait écrit cette lettre ?

—   Vingt ans après ! Pourquoi attendre vingt ans pour nous révéler qu’il est toujours vivant ? Et pourquoi à moi et pas à Alicius qui le connaissait bien ? Non je n’y crois pas.

—   Peut-être le temps de retrouver Ovide…

Ils s’interrompirent. Une missive glissa sous la porte du bureau et s’envola droit vers Martin. Henri ouvrit pour voir si quelqu’un l’avait déposée, il n’y avait personne. Seule l’agitation du hall résonnait dans les couloirs. Le Ministère avait été évacué, même les portraits avaient déguerpi, les statues étaient immobiles. Martin se saisit du papier et le lut à haute voix. C’était écrit en patte de mouche.

—   Rendez-vous ce soir sur la corniche sud dans les hauteurs de Beauxbâtons. Soyez-là, demain il sera trop tard.

—   Qui cela peut-il être ? demanda Sarah.

—   Le même qui a dénoncé Ovide, dit Martin.

—   Sur la corniche au sud de Beauxbâtons ? s’interrogea Henri.

—   Je vois où c’est, dit Sarah, dans la montagne, il y a une sorte de promontoire avec vue sur le château. Souvent les jeunes couples s’y promènent, la vue y est magnifique et l’endroit est tranquille. Ce n’est pas facile d’accès à pied. Trois heures de chemin escarpé depuis le château, mais il faut sortir du parc.

—   Vous parlez en connaissance de cause, Sarah ? charia Henri.

—   De bons souvenirs, précisa-t-elle.

—   Nous irons à notre rendez-vous, dit Martin, nous n’avons plus rien à perdre. Couvrez-vous, c’est tempête de neige en ce moment. On se retrouve dans trente minutes, à vingt et une heure, j’ai besoin de récupérer deux-trois affaires.

Martin les abandonna précipitamment, gagné par une nouvelle vigueur. Il s’enfonça dans les sous-sols du Ministère, partout déserts, voyant au passage que le hall était quasiment vide et que les réparations avaient déjà commencé. Lugarus et Horkidor étaient à la manœuvre, mais l’inspecteur n’avait pas de temps à perdre, convaincu que ce qui allait suivre était encore plus important, apportant des réponses à toutes ces questions qu’il pouvait se poser. Après avoir descendu un dédale d’escaliers en spirale, il entra tout en sueur dans un cachot sombre, une crypte voutée en brique noire aussi longue que large. Une dizaine de chaudrons étaient posés sur des foyers tous éteints. Seul un athanor, chauffé d’un feu de mottes, luisait encore dans le fond de pièce. Imbriqué entre deux contreforts, il était relié à un alambic par un dédale tortueux de tuyaux en cuivre. Il distillait une liqueur de charbon, procédé extrêmement long qui ne pouvait être interrompu quelles que soient les circonstances. Obtenir une goutte de ce précieux mélange demandait des mois de chauffe dans des conditions très précises. Un puissant enchantement protégeait l’alambic, le rendant inaccessible tant que l’opération n’était pas terminée. La cornue, encore vide, n’en était qu’à sa sixième gouttes, il en fallait cent, ni plus ni moins.

—   Professeur ? Il y a quelqu’un ? lança Martin.

Personne ne répondit.

Un elfe de maison surgit derrière lui, enveloppé d’une écharpe et d’un bonnet troué d’où dépassait la pointe de ses oreilles.

—   Goudie ! Vous tombez bien, s’exclama l’inspecteur content de voir un visage familier sur qui compter. Allez me chercher le professeur Glouglorirabie, dites-lui de me rejoindre immédiatement, c’est très urgent.

L’elfe disparut sans attendre. Le spécialiste des potions, qui était sur le parvis pour aider aux soins, déboula en cinq minutes.

—   Vous m’avez fait demander monsieur Lazare ?

Il avait la voix cassée des hommes émus.

—   Pierre, ravi de vous voir. J’ai besoin urgemment de quelques-unes de vos potions. Une Revelti-d’Arquéus par exemple, ou quelque chose à base de mandragore qui soit efficace contre les maléfices de métamorphoses. Ajoutez-moi une fiole de Veritaserum, j’espère que vous en avez encore.

—   Je ne sais pas si je peux faire ça monsieur Lazare ! répondit l’autre hésitant derrière ses lunettes rondes.

—   Dites-moi que vous en avez en stock ? s’inquiéta Martin.

—   Oui, j’en ai toujours en stock, répondit l’autre froidement, mais seules certaines personnes sont autorisées à se servir, or je crois que vous ne faites plus partie de nos services.

Martin n’en crut pas ses oreilles. Sur les nerfs, il leva sa baguette, prêt à frapper.

—   Cependant, reprit le professeur Glouglorirabie pour apaiser la colère de l’inspecteur, vu la situation exceptionnelle du moment, votre antécédent dans l’établissement, et le fait que vous devriez récupérer bientôt votre poste… Je me dépêche de vous trouver ça.

Le sorcier s’engouffra dans une horloge à l’angle de la pièce. Les aiguilles du cadran tournèrent à contre-sens. Il en sortit peu de temps après avec un sac de tissu qu’il tendit à l’inspecteur. La cloche sonna.

—   Je ferai l’inventaire plus tard, lui dit-il, mais nous sommes sur un lot où il n’y avait plus de poudre de dents de salamandre. J’ai dû la substituer par du venin de crotale. L’effet principal reste le même, mais attention aux effets secondaires si c’est mal dosé, démangeaisons entre les omoplates, poils qui peuvent pousser dans le nez et les oreilles…

—   Merci Pierre, dit Martin en se saisissant des fioles qui se percutèrent dans le sac, cela ira.

L’inspecteur avait laissé sa veste fétiche avec sa poche fourre-tout dans son bureau. Il rangea le sac dans une poche de sa chemise qu’il agrandit sur le champ.

Il survola les escaliers et les couloirs pour récupérer le nécessaire pour l’expédition, puis il décida de s’hydrater et de se remplir le ventre. Goudie étant à présent introuvable, il demanda à un autre elfe de lui apporter un sandwich. Dix minutes après, les trois sorciers réunis étaient rassasiés, des vêtements chauds sur les épaules, avec dans leurs poches de quoi parer au moindre pépin. Ils avaient préparé avec intelligence tout ce qu’il fallait. L’inspecteur jeta un regard à sa vieille croûte.

—   Souhaite-nous bonne chance, lui dit-il.

—   Comme si tu en avais besoin, répondit la toile qui roupillait à moitié.

—   Et moi, on ne s’intéresse jamais à moi, répliqua le crâne qui restait attentif. Je suis pourtant le plus mal en point.

Martin se posa devant lui.

—   Je n’ai pas envie de finir à côté de toi, dit-il.

—   Je vous le souhaite, répondit le crâne, mourir n’est pas une partie de plaisir. Plus c’est bref, mieux c’est.

—   Sarah, dit Martin d’un mouvement de nuque, vous pouvez nous transplaner jusqu’au promontoire des amoureux ?

—   Oui, je le peux.

Le trio se posa au bord de la corniche, accueilli par un vent glacé qui fouetta la moindre bride de peau exposée à son souffle gelé. La neige s’abattait comme une pluie de grêles, et dans cette nuit noire sans lune, on ne voyait pas l’extrémité de ses mains à causes des bourrasques de neige qui fondait depuis les épais nuages. Même les lumières de Beauxbâtons, en contrebas, étaient invisibles. En plein jour, ils n’auraient pas pu différencier le ciel de la terre enneigée. Chacun lança des sorts pour repousser les flocons qui commençaient à recouvrir leurs épaules, leurs manches, jusqu’à pénétrer dans leurs bottes pour chauffer au contact de leurs pieds, donnant l’impression de marcher dans une flaque d’eau. Ils se rendirent imperméables, et se rapprochèrent de la paroi pour s’abriter du vent qui perçait les tympans.

—   Et maintenant, qu’est-ce qu’on fait ? cria Sarah qui avait enfilé de grosses moufles en laine.

—   On attend, répondit l’inspecteur alors que le vent redoublait d’effort pour hurler entre les pierres.

—   On attend quoi, une avalanche ? répliqua Henri la main sur son béret qui ne tenait pas en place.

—   Vous avez un sens de l’humour à toute épreuve, Henri. Tant mieux !

Le temps était trop mauvais, dangereux, affuté par ces lames de vent qui vous découpent un arbre. Ils ne savaient pas quand leur contact arriverait. Ils allumèrent un petit feu pour se réchauffer, collé à la montagne, à l’aide d’une Pierre-de-feu que l’inspecteur sortit de sa poche fourre-tout. Les flammes brûlaient juste assez pour ne pas s’éteindre. La neige, en une heure, avait grimpé de quinze bons centimètres, la température descendait encore.

—   On va se retrouver ensevelis si ça continue, s’impatienta Henri qui se serait bien assis sur le feu s’il n’en gardait pas un mauvais souvenir.

—   Regardez ! s’exclama Sarah, désignant une lueur dans la nuit.

Surgissant de derrière la falaise, une énorme bête s’approcha du trio. C’était un loup au pelage blanc, translucide, éclairant les ténèbres comme un rayon de lune. Il s’arrêta à quelques mètres et les observa. Martin, prudent, s’approcha. Au lieu de s’enfoncer dans la neige, le loup avait un pas léger, effleurant à peine la surface de la poudreuse.

—   Un Patronus ? demanda Sarah.

—   Ce n’est pas un Patronus, s’écria Martin, c’est un fantôme !

Il se remémora l’histoire qu’il avait lue dans un journal, un immense loup blanc avait été aperçu dans une vallée. On n’a jamais vu de spectres d’animaux, avait écrit le reporter, c’était pourtant le cas aujourd’hui. Cependant, Martin restait dubitatif, le spectre dégageait trop de lueur pour être un banal fantôme, trop de détails et de transparence pour être un Patronus. Un Patronus est une rébellion de la joie de vivre, un sortilège qui vous protège contre ce qui voudrait aspirer votre âme ; le fantôme, tout au contraire, est le signe d’une victoire de la mort, une mort que vous n’étiez pas prêt à accepter. La mystérieuse créature était entre les deux, c’était l’heureux souvenir d’un défunt.

Sans attendre, le loup s’engagea dans le petit sentier qui se faufilait entre les falaises. Martin accourut derrière lui.

—   BERNIE… ! Vous êtes le fantôme de BERNIE BURNFIRE, et vous avez été tué alors que vous étiez sous votre forme animale ?

Le fantôme s’arrêta, tourna la tête vers l’inspecteur, et l’arrima de ses yeux noirs. La neige redoubla d’effort, traversant le spectre qui se tenait là comme une illusion. Sans un mot, le loup prit de la hauteur et tournoya autour du trio.

—   Il veut qu’on le suive. Prenez vos balais ! ordonna Martin.

Sarah et Henri partagèrent un sentiment de découragement.

—   Inspecteur, j’aime le risque, mais là…

—   Je ne vous oblige pas à me suivre si vous préférez attendre ici, hurla-t-il pour se faire comprendre. Mais comprenez qu’il va nous conduire à Ovide. C’est maintenant que tout se joue. C’est notre dernier espoir. Je n’y arriverai pas sans vous.

—   N’est pas Darren O’Hare qui veut, bredouilla Henri en faisant référence à un grand joueur de quidditch. On va se faire emporter par les rafales. Vous nous accorderez une promotion, inspecteur ?

—   Vous êtes un sorcier oui ou non ? Protégez-vous du vent ! Je sais que c’est interdit en compétition, mais là, je crois que personne ne vous en tiendra rigueur.

Brandissant sa baguette, Martin fit apparaitre une chandelle rouge, clignotant comme un feu de détresse, qu’il plaça à l’arrière de son balai. Henri et Sarah, peu convaincus, l’imitèrent. Ils enfourchèrent leur monture et collèrent le spectre au train comme un peloton pendant la célèbre course du Tour-des-Cinq-Montagnes. Le vent soufflait tellement fort qu’ils se retrouvaient emportés par des tourbillons, incapables de suivre le loup sans le perdre de vue. Heureusement, celui-ci faisait des pauses pour les attendre. Martin se fixait sur sa lueur, Sarah sur Martin, et Henri sur Sarah. Pendant un instant, l’inspecteur se retrouva même, sans comprendre comment, derrière Henri, emporté par une bourrasque plus forte que lui.

Au bout de dix minutes d’un vol éreintant, usant jusqu’à la moelle, la tempête se calma. Poussé par le vent, le groupe était désormais loin de Beauxbâtons. Dans la situation actuelle, il n’était même pas envisageable de rebrousser chemin.

Martin s’accrochait désespérément à son balai, les doigts engourdis, les os gelés. Lâcher d’un pouce son manche, malgré ses sorts de protection, l’aurait plongé tout droit dans l’abysse de la nuit. Ils avaient perdu de l’altitude, le loup rasait des bois et des vallées. Ils passèrent devant une grosse masse sombre qu’il reconnut comme un château en ruine. Ils s’arrêtèrent devant l’ancien portail écroulé. Ils auraient voulu se réchauffer, mais le spectre n’avait pas fini de les conduire. Une fois au sol, ils dévalèrent une longue pente, puis s’arrêtèrent en bas de la falaise, au pied du château encastré dans la vallée. Là, ils sautèrent derrière un rocher pour se retrouver dans une courte tranchée, protégés du vent qui sifflait comme un gros serpent.

Le loup s’assura que les trois sorciers étaient réunis, puis, d’un coup, comme un poisson dans l'eau, il disparut dans la roche. Martin s'approcha et tâta la pierre. Elle était dure, lisse, gelée de l'intérieur.

—   Il doit y avoir un passage quelque part, commenta-t-il. Le loup est passé précisément…ici.

Il appuya avec force.

—   Vous pensez à une cachette secrète ?

—   Si Ovide est là, il est déjà averti de notre présence, ajouta Sarah.

—   Comment croyez-vous que l'on puisse passer ? demanda Henri. Pensez-vous que l’on soit obligé de zigouiller l'un d’entre nous pour qu'il se transforme en fantôme ? Vous, inspecteur ? Ce serait plus facile pour résoudre les enquêtes.

Martin resta silencieux, étudiant la paroi.

—   Comment dit-on « ami » en langue elfique ? finit-il par dire.

Sarah et Henri se jaugèrent sans comprendre.

—   « Ami, friend, Freund, amico » ! Cela dépend du pays, je suppose, répondit Sarah.

L'inspecteur hocha la tête. Ce n’était pas ça. Trop d’énigmes pour un mystère.

—   Sinon, proposa Henri, je me souviens d'une histoire où il fallait donner de son sang pour passer.

—   Vous vous portez volontaire, interrogea Martin ?

—   Avec le froid qu'il fait, mon sang est bleu, ça ne marcherait pas.

—   Je suppose qu’Ovide a besoin de rentrer et de sortir rapidement de son repère, ajouta Sarah, donc de quelque chose d'assez simple à faire. N’est-il pas doué pour camoufler les choses ?

—   On a bien fait de vous amener avec nous, conclut l’inspecteur qui eut un déclic. Je ne sais pas comment il fait pour rentrer, mais je sais comment nous, nous allons faire.

Il sortit de son sac de potion un petit tube d’une liqueur trouble avec un morceau de racine. Il lança la fiole sur la roche, le verre éclata et le liquide se répartit sur le minerai.

En deux secondes la pierre se mit à fondre, laissant en lieu et place des barreaux de fer rouillés. Il en manquait un, offrant l’espace suffisant pour qu’un homme puisse s’y faufiler. Le loup les attendait un peu plus loin.

—   Eh bien les amis, ce n'était pas bien compliqué, chuchota-t-il. Il fallait juste y penser. Bravo Sarah ! Votre remarque était pertinente, je persiste à dire que vous devriez réfléchir à votre orientation. Maintenant, sortez vos baguettes.

Derrière les barreaux s’écoulait dans un petit sablier un liquide vert. La partie supérieure se vidait rapidement. Henri glissa juste à temps, car les barreaux se retransformèrent en pierre, poussant le sorcier vers l’intérieur.

—   Il était moins une, dit-il alors qu’il aurait pu se retrouver aplati.

Mais au lieu d'être plongés dans le noir comme ils s'y attendaient, de petits points lumineux d’un vert fluo scintillèrent tout le long de la voûte ; des feux follets indiquaient la direction à suivre. Le loup s'enfonça d'un pas sûr et tranquille dans les entrailles de la grotte. Un peu plus loin, la cavité débouchait sur une chambre ovale, creusée par une ancienne rivière souterraine avant d’avoir été polie par la main de l'homme. Quelques stalactites se faisaient menaçantes, l’une d’entre elles descendait si bas qu’elle embrassait une stalagmite d’un immuable baiser de pierre. Des flammèches, étincelantes par centaines, tamisaient avec la légèreté d'une bougie la plus grande partie de la grotte. Certes, la nuit était souterraine, mais c’était une nuit étoilée quand même, parsemée de l’éclat des vers luisants et des lucioles qui traversaient la voûte comme des avions dans le ciel nocturne. Des chandelles vacillaient sagement posées sur la saillie des niches. Dans un coin se dressait une solide table de pierre avec son banc, quant au centre de la cave, il était couvert par un large tapis de mousse vert aussi épais qu’un matelas. A côté, crépitait dans son rayon de silex un feu de bois sans fumée. On entendait même couler un ruisseau à travers la roche, une berceuse qui clapotait avec la gaité d’un pinson. Une bonne partie de la grotte restait cependant noyée dans le noir. Le fantôme s'avança près d'un mur, se retourna, et s'enfonça à reculons, comme pour dire au trio qu'il fallait attendre caché.

Ils n'eurent pas le temps de se camoufler. Un grognement guttural, sourd et puissant, résonna. Les trois sorciers retinrent leur respiration. Ils portèrent simultanément l’étincelle de leurs pupilles vers l’obscur panache ombragé. Martin envoya une chandelle rouge pour éclairer la cavité. La boule de lumière explosa en silence, projetant sur la paroi opposée l'ombre d'une bête accroupie. Le grognement, menaçant, se fit plus fort.

—   PETRIFUS TOTALUS ! cria Henri.

Le sortilège disparut dans les ténèbres. En guise de réponse, d’un coup brusque et instantané, toutes les chandelles s’essoufflèrent. Ils se retrouvèrent enveloppés par l'obscurité la plus totale.

—   LUMOS MAXIMA ! cria l'inspecteur à son tour.

Son sort faiblit et se dissipa comme une lanterne sans combustible. Il projeta alors de nombreux orbes lumineux aux quatre coins de la grotte, mais les sortilèges de lumière s'éteignaient trop vite, étouffés par un rideau de ténèbres et de magie.

—   J’ai déjà vu ça, s’inquiéta Henri.

 Un galop sourd fit vibrer le sol. L’animal courait, invisible, fondu dans le noir. La menace pouvait surgir de n’importe où.

—   ECLAIREZ AU MAXIMUM ! hurla Martin.

Les trois sorciers, dos à dos, lancèrent aussi vite qu'ils le purent des sortilèges de lumière qui disparaissaient aussitôt. Martin se remémora un grand moment de joie : le jour où il reçut sa baguette. Elle fut comme une libération pour lui, alors tourmenté par une magie débordante.

—   Expecto Patronum ! cria-t-il.

Le Patronus eut à peine pris forme qu’il s’évapora au bout de deux secondes.

Il ne devait pas laisser l’obscurité l’emporter ou la bête les aurait, l’un après l’autre, creusant leur tombeau dans ce trou de pierre. Sarah poussa un cri hystérique. Une gueule affreuse et grande ouverte traversa les ténèbres et se précipita sur elle. La bête avait les omoplates recouvertes de lames affutées d’un vert émeraude. Elle atterrit de tout son poids sur la sorcière, la mâchoire broyant de l’air, ses lourdes griffes écrasant la poitrine de la pauvre Sarah qui se cogna la tête contre la pierre. Martin et Henri eurent tout juste le temps de s’écarter pour lancer des sortilèges qui rebondirent sur l’épaisse peau de la créature. Mais avant que sa gueule, nauséabonde, menaçante de crocs aiguisés, ne déchiquète sa proie, Henri fit voler la table de pierre ; elle expulsa le fauve qui, emporté par un poids plus lourd que lui, alla s’écraser contre la paroi. Sarah, délivrée de ces griffes acérées, resta par terre, haletante, la cape déchirée au niveau du ventre, une tache de sang imbibant ses habits. Elle suffoquait.

—   OCCUPEZ-VOUS D’ELLE ! ordonna Martin.

Henri se jeta vers sa collègue au moment où ils étaient de nouveau plongés dans le noir.

—   Ça va aller Sarah, ça va aller, essaya-t-il de la rassurer en masquant sa propre panique.

Il retarda l'hémorragie, les mains ensanglantées, avec des sortilèges appris dans ses premières années de formation. Sarah toussa un peu de sang.

« Pourvu que Martin maintienne la créature à distance, sinon on est morts ».

Il voulut allumer un feu pour s’éclairer, mais la flamme s’essouffla encore. Il se contenta de son Lumos pour trouver à tâtons les potions dont il avait besoin. La blessure n’était pas mortelle, non, on s’en sortait pour plus que ça, mais la situation rendait l’opération délicate.

Dans le même instant, Martin se précipita en hurlant vers la bête. Elle se relevait difficilement, apparemment blessée à une patte. Il lui lança un sortilège que cette dernière esquiva agilement en profitant de l’obscurité. C'est alors que le loup sortit de sa cachette et se mit à suivre la créature comme son ombre. Grâce à sa lueur, Martin savait désormais exactement où était le fauve. Néanmoins, il n'arrivait pas à l'atteindre, car il se déplaçait trop vite. Le monstre s'arrêta, faisant volte-face, et essaya de chiquer le fantôme à coup de dents. Voyant que sa mâchoire claquait dans le vide, il se lécha la patte avant. L’inspecteur eut alors une idée folle. « Un coup de poker, songea-t-il, et si ce monstre n’existait pas ? » La créature, dressée sur des ressorts, la queue frétillante, s'apprêtait à bondir vers lui dans un dernier saut de l’ange. Martin eut tout juste le temps de lancer une nouvelle fiole qui s’éclata sur la bête en plein vol. L’inspecteur s’attendait à un choc mortel qui n’arriva pas. A la place, un petit chat blanc, portant autour de son cou un grelot doré, atterrit toutes griffes dehors dans les bras de Martin. L’inspecteur saisit le fauve par la nuque, il miaula en agitant les pattes dans le vide. Ses poils triplèrent de volume. L’inspecteur leva la tête. Comme des mèches de briquet, les lumières se ravivèrent une à une, éclairant d’une lueur délicate la fosse au fauve. Le coup de grisou passé, la grotte retrouva une atmosphère apaisante toujours traversée par ses lucioles d’un vert luisant.

—   Je t’ai déjà vu toi, dit-il en lâchant le félin qui courut se réfugier, boitant et effrayé, dans une sorte de niche. 

Martin se précipita vers Sarah. Henri avait fermé la plaie, mais la sorcière était mal en point.

—   Je vais m'en sortir, inspecteur, dit-elle à mi-voix en le voyant dégoulinant de sueur, je suis entre de bonnes mains.

—   Vous allez vous en sortir, dit Henri, mais il faut vous procurer de vrais soins. On ne peut pas prendre de risque, inspecteur…

—   Transportez-là Henri, ne perdez pas de temps, avant que l'autre ne revienne !

—   Inspecteur...

—   C'est un ordre, Henri ! je me débrouillerai…

—   Non, inspecteur, vous n'y arriverez pas tout seul.

La voix qui résonna n’était ni celle d'Henri, ni celle de Sarah. Ils se retournèrent en direction de l'entrée. A une vingtaine de mètres devant eux, une silhouette encapuchonnée se dressait baguette en main tel un escrimeur au salut.

—   Ovide, pesta Martin qui se leva les poings serrés pour faire face au monstre. Vous voilà enfin !

—   Enfin ? Je n’ai jamais été bien loin.

Martin s’apprêtait à frapper, mais une balayette invisible l’allongea sur le dos.

—   Vous êtes dans mon antre, inspecteur, j'ai un sacré avantage sur vous. Il est préférable que vous soyez trois, enfin, deux et demi, si vous espérez avoir la moindre chance. Tout ici obéit à ma seule volonté.

Une froide colère envahit Martin. L’homme qu'il recherchait depuis des mois était là, devant eux, parlant d’une voix sereine et tranquille. Cette ignominie du monde des sorciers osait enfin se montrer à eux, prêt à en découdre. Martin ne le laisserait pas s’enfuir.

—   La colère est mauvaise conseillère, ajouta Ovide qui devinait les états d’âme de l’Auror.

L’inspecteur jeta un œil à Henri, il tenait Sarah dans ses bras. Une bulle éclata dans son cœur, le pseudo Mangemort avait raison : la rage et la colère étaient des sentiments trop aveuglants pour se laisser submerger par elles. D’autant plus que l’homme qui se dressait face à eux avait trop de talents, trop d’intelligence, pour que Martin se laisse handicaper par ses émotions. Il suivit le conseil, se ressaisit, retrouva son sang-froid, et fit le vide en lui. Sans ça, il savait par expérience que, sous l’égide de la haine, le combat était perdu d’avance.

—   Henri, Sarah, leur dit-il, je veux seulement que vous vous protégiez l'un et l'autre. Vous entendez ! Couvrez vos arrières !

Sarah qui s'était redressée sur ses coudes se voulait prête pour l'action. Tant pis s'il lui fallait rester assise là, elle se battrait par terre. Mais une terrible douleur lui déchira les boyaux, elle peinait à lever un bras.

—   Je reste avec vous, lui dit Henri.

Il avait compris que le temps n’était pas venu pour jouer au héros. L’inspecteur avait donné un ordre clair.

—   IL EST TEMPS DE PAYER POUR TOUT CE QUE VOUS AVEZ FAIT ! cria Martin pris d’un reflux de colère.

—   Ce que j'ai fait... répliqua l'autre sans crainte, la voix posée. Ah oui, c’est vrai, je suis le méchant de l'histoire, inspecteur, parce que vous et votre bande d’incompétents l’avez décidé ainsi.

—   Vous êtes un cinglé ! répondit Martin.

—   Oui, il y a du vrai, dit-il toujours aussi calmement, mais puisque vous n'êtes pas prêt à comprendre la vérité, vous mourrez dans l'ignorance.

Il dessina un globe de flammes qu’il propulsa sur l’inspecteur.  

—   PROTEGO !

La boule de feu heurta Martin en pleine face et se désintégra violemment sur sa protection. L’inspecteur ne broncha pas. Ovide le testait. Mais alors qu'Henri essayait d’emmener Sarah à couvert, le sorcier encapuchonné lança dans son dos un autre sortilège mortel.

—   PROTEGO ! cria Sarah.

Le sort explosa sur son charme, mais le binôme, projeté en avant, termina en roulade. Sarah gémit de douleur, le ventre en feu, comme transpercé d’une pointe. Henri utilisa sa baguette pour l’abriter au plus vite derrière un dénivelé qui s’affaissait d’un bon mètre dans le sol. Martin voulut en profiter pour contre-attaquer, mais il trébucha. Ses pieds étaient embourbés dans la roche, cimentés jusqu’aux chevilles. Il n’arriva pas à se dégager du maléfice ; effrayé, il releva la tête.

—   Je vous ai prévenu inspecteur, vous êtes chez moi. J'aurai toujours un coup d'avance sur vous.

Deux gros blocs de pierre se détachèrent de la paroi dans un tremblement de terre qui aurait réveillé l’Etna. Ils se précipitèrent vers l'inspecteur avec la folle force d’un marteau qui écrase une enclume. Pris au piège, Martin ne put les éviter. Les deux mastodontes se heurtèrent si violemment qu'ils explosèrent. Des morceaux de roc de la taille d'une boule de bowling furent projetés dans tous les sens avec la vitesse de la mitraille. Mais à l'instant d'après, alors que la pluie de débris allait ravager la grotte, ils se figèrent. Ovide, en chef d’orchestre, remit tout en ordre en battant la mesure. Aucune cicatrice dans la roche n’était visible, toutes les miettes de pierre avaient regagné leur place d’origine.

—   NON SEULEMENT VOUS VOUS INTRODUISEZ CHEZ MOI, MAIS VOUS FOUTEZ LE BORDEL, cria le mage sur un ton sarcastique.

—   VOUS ÊTES CINGLE, hurla Henri pris de désespoir quand il constata qu'il ne restait plus, à la place de Martin, que son long manteau beige.

Ovide n’y prêta pas attention. Il ne criait pas victoire, quelque chose l’intriguait. Il se rapprocha du vêtement qui trainait par terre et le souleva du bout de sa baguette. Soudainement, le sorcier disparut. Il venait d’être aspiré à l’intérieur du manteau.

Henri se laissa tomber à côté de Sarah. Elle était complètement effondrée, tétanisée par la douleur et par ce qu’elle venait de voir.

—   Ce n’est pas fini, lui dit-il en prenant sur lui pour ne pas gémir à son tour, mais on ne peut plus rien faire pour aider l’inspecteur, montrez-moi votre blessure… 

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