Les Premiers Chasseurs

Chapitre 4 : III Le Bois aux Corbeaux

5379 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 08/10/2021 06:55

CHAPITRE III : LE BOIS AUX CORBEAUX



Quand il ressortit de l’église, Philippe siffla pour appeler son cheval. Derrière lui, le père Mathérius le regardait d’un air neutre.

— Vous comptez vous y rendre ? demanda-t-il.

— Je dois découvrir ce qu’il s’est passé et ce qu’est devenue la famille Corvus, répondit Philippe. J’ai été missionné pour protéger les Moldus des Sorciers. Et c’est la seule piste pour retrouver les villageois disparus.

— Vous êtes droit et fidèle à vos engagements, rien de ce que je ne pourrais dire ne vous en dissuaderait. Soyez prudent, monsieur le comte, tout sorcier que vous êtes, cette forêt n’est pas accueillante pour ceux qui ne la connaissent pas. Ne vous écartez pas du sentier menant à la demeure des Corvus, vous y serez un peu plus en sûreté.

— Merci pour vos conseils, mon père.

— Mes prières vous accompagnent. Et si vous découvrez quelque chose, faites-m’en part s’il vous plaît, le patriarche de la famille, Orion, était un ami.

— Je vous le promets, mon père. À bientôt.

Sous les regards soit neutres soit méfiants des villageois, Philippe d’Estremer trottina en direction du bois aux Corbeaux. Les arbres se penchèrent bientôt au-dessus de lui, comme des sentinelles menaçantes aux longs bras décharnés. En ces jours d’hiver, la lumière terne prenait une teinte grise. En passant sous les premiers arbres, il eut l’impression de plonger sous terre tellement leur ombre était saisissante.

Philippe se souvenait de la forêt attenante à l’Académie Beauxbâtons. Sans être considérée comme la plus magique et la plus peuplée de créatures, elle était tout de même réputée. Les quelques rares visites qu’il y avait faites étaient dirigées par son professeur de magizoologie. C’était une matière qu’il avait trouvé intéressante sans plus. Les années ayant passé, il ne se souvenait que des animaux les plus communs.

Personne durant sa scolarité n’avait jamais évoqué le bois aux Corbeaux. De même, il réfléchit, mais ne se souvenait pas d’enfants nommés Corvus à l’Académie. Cela ne voulait pas dire qu’il n’y en avait pas eu, il était conscient de ne pas avoir connu tous ses condisciples. Et puis, peut-être n’y en avait-il simplement pas au moment où il y faisait ses études…

Il avait beau chercher, que ça soit à Beauxbâtons ou plus tard au Ministère, il ne se souvenait pas avoir déjà entendu ce nom avant que le père Mathérius ne lui en parle. Cela ne signifiait rien. Il demanderait des informations à l’archiviste Odon Marchas.

Malgré ses réflexions, il restait attentif à son environnement. Des cris d’animaux se mêlaient au bruit des feuilles sous le vent. Au début, il ne vit que des animaux communs, quelques moineaux volant de branche en branche et écureuils flânant.

Il ne devait avoir parcouru qu’une demi-lieue quand il tomba sur la première créature magique, ou plutôt sur un groupe d’une dizaine d’individus qui traversait le sentier devant lui. Ils ressemblaient à des chevaux noirs, mais leurs têtes étaient plus reptiliennes que chevalines, avec des yeux d’un blanc laiteux. Leurs dos étaient dotés de deux ailes noires rappelant celles des chauves-souris. Même si son professeur ne leur en avait jamais montré à Beauxbâtons, la description qu’il en avait faite lui permit de les identifier sans l’ombre d’un doute. Il s’agissait de sombrals.

Il se souvenait que son professeur leur avait parlé des particularités de ces créatures. Outre leur régime alimentaire essentiellement carnivore et leur extraordinaire endurance, ils n’étaient visibles que par les personnes ayant vu quelqu’un mourir sous leurs yeux. Ce fait leur avait généré une réputation funeste, totalement abusée d’après ce même professeur qui les avait observés à plusieurs reprises.

Prudemment, Philippe choisit de s’arrêter à une distance raisonnable pour les laisser passer. Certains sombrals tournèrent la tête vers lui, l’observant de leur regard inquiétant. Il ne put s’empêcher de frissonner, sans que le froid y fût pour quelque chose. Et pourtant, il leur trouva une beauté morbide. S’il osait, il s’en approcherait pour les caresser.

Une fois le chemin de nouveau dégagé, il se remit en route.

À mesure qu’il avançait, il semblait à Philippe que la forêt se faisait de plus en plus sombre et menaçante. L’atmosphère devint oppressante. Les cris et bruits environnants lui semblaient plus proches. Il entendit un rugissement lointain et il se demanda si des dragons ne peuplaient pas cette contrée.

Sans faire d’autres rencontres, il parvint jusqu’à un portail de bois donnant sur une cour entourée d’une barrière. Des bâtiments en pierre coiffés de chaume s’y dressaient. Philippe identifia une grange, le plus haut, la demeure et une écurie où se trouvaient plusieurs cadavres de chevaux attirant des nuées de mouches.

Il mit pied à terre et alla examiner les corps des animaux. Ils n’avaient aucune marque, il en déduisit qu’ils avaient été tués par Avada Kedavra.

Il reporta son attention sur le reste de la cour. Il y avait vraisemblablement eu une bataille ici. Des débris divers jonchaient le sol, dont les restes du puits. Les traces du combat s’éloignaient dans la forêt, en direction du village. Cela avait bien commencé là et s’était poursuivi dans les bois. Ce que ne pouvait pas déduire Philippe, c’était si les propriétaires des lieux avaient réussi à repousser leurs assaillants hors de la cour et les avaient poursuivis ensuite, ou si l’inverse s’était produit.

À mesure qu’il inspectait la cour, ses pas le menèrent jusqu’à la grange. La porte de celle-ci était verrouillée. Ce ne fut pas un problème pour le comte qui tapota la serrure avec sa baguette.

— Alohomora.

À l’intérieur, son regard fut tout de suite attiré par les corps allongés, alignés et recouverts chacun d’un drap. Aucune odeur de décomposition ne flottait dans l’air. La personne qui avait entreposé les cadavres avait également retardé la putréfaction par un enchantement. Seule une légère fragrance cuivrée se faisait sentir.

Lorsqu’il souleva un des draps, Philippe découvrit un corps pourvu d’un moignon encroûté de sang séché. La bataille avait dû être âpre.

Il y avait en tout cinq corps, trois hommes et deux femmes. Celui à qui il manquait un bras était âgé d’une cinquantaine d’années. Il avait des cheveux poivre et sel, mais on devinait qu’ils avaient été d’un noir de jais dans sa jeunesse.

Tous portaient des vêtements sombres idéals pour le combat, même les femmes étaient en pantalon. Autre point commun, ils étaient tous armés d’une épée ou d’un sabre, parfois même de dagues en plus, et bien sûr, de baguettes magiques.

En poursuivant son examen, Philippe remarqua qu’aucune blessure physique n’avait été mortelle. Il en conclut que c’était le sortilège de la mort qui avait mis fin à leurs jours. Cela confirmait, avec les cadavres de chevaux, que les assaillants étaient des sorciers. Peut-être une rivalité entre deux familles, dans ce cas, cette affaire n’aurait rien à voir avec sa mission.

Mais pourquoi s’en prendre aux villageois ensuite ?

Alors qu’il se posait ces questions, il entendit quelqu’un derrière lui.

— Mathias, appela une voix féminine.

Philippe se releva en se retournant, levant les mains pour montrer qu’il n’était pas armé et n’avait aucune intention belliqueuse.

— Qui êtes-vous ? questionna-t-elle pâlissante.

Elle avait le ventre arrondi par un enfant à venir, Philippe décida immédiatement de tenter de la calmer.

— Je me nomme Philippe d’Estremer, je travaille pour le ministre de la Magie, monsieur Étienne Courneuf.

— Que faites-vous ici ?

— Le père Mathérius m’a raconté les derniers évènements, je voulais vérifier si ça avait un rapport avec la mission dont j’ai été chargée.

La jeune femme tremblait d’effroi, et Philippe devina que ce n’était pas sa présence qui en était la cause. Ses yeux se portèrent sur le dernier corps qu’il avait examiné, celui d’un jeune homme d’une vingtaine d’années. Elle parut sur le point de défaillir.

— Recouvrez-le s’il vous plaît, supplia-t-elle.

Le comte s’exécuta immédiatement. Il s’approcha de la future mère et la fit sortir, refermant la porte derrière lui. Il fit apparaître une chaise pour qu’elle puisse s’asseoir.

— C’était votre mari, n’est-ce pas ?

— Oui, répondit-elle. Maintenant, je suis seule pour élever cet enfant.

— Quel est votre nom, madame ?

— Rose Corvus.

— Rose, je vous présente mes plus sincères condoléances. Je suis navré de devoir vous obliger à repenser à ce funeste jour, mais je dois vous demander de me raconter ce qu’il s’est passé.

Rose Corvus ferma un instant les yeux, des larmes commençaient à poindre à leurs coins. Philippe lui laissa le temps, il ne voulait pas lui mettre la pression outre mesure.

— C’était une journée comme les autres, on effectuait nos tâches quotidiennes. Et vers la fin de l’après-midi, ils sont arrivés. Ils étaient une vingtaine, tous en robes noires. Immédiatement, je me suis cachée dans la cave avec les enfants. J’ai vu la suite par le soupirail. Celui qui devait être leur chef s’est avancé. Orion, notre patriarche, a fait de même. Je ne sais pas ce qu’ils se sont dit, je n’entendais rien, mais je voyais bien que mon beau-père n’appréciait pas. J’ai vu sa main manquer de se saisir de sa baguette plusieurs fois. Puis c’est allé très vite. Les sortilèges ont commencé à claquer des deux côtés. Je me suis baissé pour ne pas en prendre un qui passerait par le soupirail. J’ignore au bout de combien de temps, nos attaquants ont été repoussés et le combat s’est poursuivi dans la forêt.

— Combien étaient les membres de votre famille ?

— Six.

— Ils ont repoussé une vingtaine d’assaillants !

— Vous ne connaissez pas les Corvus, ce sont des guerriers depuis toujours. Qui qu’ils soient, ces sorciers devaient le savoir, sinon ils ne seraient pas venus aussi nombreux.

— Et malgré ça… commença-t-il.

— J’ignore comment, mais oui, ils ont été vaincus. J’ai attendu des heures en ne sachant rien. J’ai dit aux enfants de rester dans la cave et je suis sortie. Je suis allée au-delà de la barrière et en ai fait le tour, espérant les voir revenir sans trop m’éloigner. C’est ça qui m’a sauvée. J’ai vu nos agresseurs revenir, ils n’étaient plus qu’une dizaine, certains visiblement blessés, tous enragés. Je ne sais pas si les autres étaient morts ou repartis. Ils ont passé leurs nerfs sur les chevaux et sont entrés dans la maison. J’étais paralysé par la peur, cachée derrière un buisson alors que les enfants hurlaient et pleuraient.

Rose essuya une larme.

— Ils les ont emmenés, et je n’ai rien fait pour les en empêcher.

— Vous n’auriez rien pu faire, madame, assura Philippe. Ils vous auraient emmené ou tué. Avant de revenir ici, ils s’en sont pris aux villageois.

— Mon Dieu ! Savez-vous si mes parents et mes frères vont bien ?

— Non, j’en suis désolé. Je sais juste ce que m’a dit le père Mathérius. Il y a eu une vingtaine de tués et une quinzaine ont été enlevés, principalement des enfants. Quelque chose me semble étrange… Vous dîtes que les autres Corvus ne sont pas revenus, vos agresseurs ont-ils ramené leurs corps ?

— Non, ils les ont laissés dans les bois.

— Vous n’êtes tout de même pas allée les chercher vous-même ?

— Le lendemain, mon beau-frère Mathias est revenu. Il était parti en voyage depuis quelques mois. Nous savions qu’il devait revenir sous peu. Lorsqu’il est arrivé, je lui ai tout raconté. Il a passé les derniers jours à parcourir la forêt pour récupérer les corps et les ramener ici.

— Où est-il à présent ?

— Il est…

Un hurlement de bête sauvage se fit entendre. Il venait de la forêt et semblait relativement proche.

— Mathias ! cria Rose. Il a besoin d’aide ! Les vouivres sont agitées depuis l’attaque !

— Des vouivres ! s’exclama Philippe.

— Vous devez aller l’aider ! Je vous en supplie !

— Enfermez-vous dans la maison ! ordonna-t-il en sortant sa baguette.

Il se précipita sous le couvert des arbres dans la direction des rugissements bestiaux. À mesure qu’il s’en approchait, il lui parut plus clair qu’il n’y avait pas qu’un animal.

Avant même d’atteindre la source du bruit, il fut assailli par une horrible puanteur reptilienne. Il parvint à une clairière où deux silhouettes allongées gesticulaient en feulant de rage. À mesure qu’il s’approchait, Philippe eut une vision plus précise de ces animaux. Ils ressemblaient à des dragons dépourvus d’ailes, leur peau écailleuse était d’un noir irisé de reflets verdâtres, une sorte de collerette entourant leurs têtes recouvrait leurs cous, leurs mâchoires effilées étaient serties de crocs pointus et tranchants.

Il n’en avait vu que des illustrations, mais il se souvenait des leçons les concernant à Beauxbâtons. Bien que cousines des dragons, elles ne pouvaient cracher de flammes. Malgré tout, elles faisaient partie des créatures les plus dangereuses d’Europe avec leurs dents acérées et leurs pattes puissantes pourvues de griffes.

L’homme qui se tenait devant les deux monstres paraissait d’un calme olympien, il n’avait même pas tiré sa baguette. Il lança à Philippe un regard interrogatif avant de lui faire comprendre d’un hochement de tête de ne pas bouger. Le comte s’arrêta, essayant de calmer silencieusement sa respiration. Il put ainsi étudier la physionomie de Mathias Corvus.

Il ressemblait beaucoup aux hommes qu’il avait découverts étendu sous les draps, arborant des cheveux et des yeux d’un noir profond, présentant une carrure de combattant, ni trop gros ni trop fluet. Il était habillé tout de noir, pas en robe de sorcier, il ressemblait à un mercenaire ou un mousquetaire sans dentelle, avec un pourpoint de cuir et un pantalon de serge. Son chapeau, sans plume, gisait par terre à quelques mètres. À sa hanche, on voyait la garde d’une épée à la lame plus large que celle d’une rapière, c’était une broadsword[1].

Il ne faisait aucun geste brusque et ne quittait pas des yeux les deux créatures, sans ciller. Une des vouivres fit claquer ses mâchoires à quelques centimètres de son visage, il n’eut aucune réaction. Philippe sentait que les deux créatures allaient lui sauter dessus et le réduire en charpies. Malgré tout, il ne bougea pas, fasciné par le spectacle de cet homme demeurant immobile face à cette mort sertie de griffes et de dents.

Un croassement se fit entendre dans les branchages juste au-dessus. Les deux monstres orientèrent leurs têtes vers le corbeau qui semblait observer la scène avec la même attention que le comte d’Estremer. Il poussa un nouveau cri. Les vouivres semblèrent se regarder, comme si elles tenaient conseil. Elles lancèrent un dernier regard en direction du corbeau et de Mathias Corvus et, non sans qu’une d’elles le fouette d’un léger coup de queue au visage, elles disparurent dans l’ombre de la forêt sans se retourner.

Estimant qu’il n’y avait plus de risque, Philippe s’avança dans la clairière. Aussitôt qu’il fut à portée, Mathias Corvus dégaina son épée, la pointant sur sa gorge.

— Puis-je savoir qui vous êtes, monsieur ? demanda-t-il.

— Je me nomme Philippe d’Estremer. Je travaille pour monsieur Étienne Courneuf, le ministre de la Magie. Il m’a demandé de venir voir ce qu’il s’est passé. J’étais avec votre belle-sœur, Rose, lorsque nous avons entendu les cris de ces animaux et que je suis venu pour vous aider. Ce qui s’avéra bien inutile, j’en conviens.

— Cela ne me dit pas ce que vous êtes venu faire dans cette forêt.

— Je vous l’ai dit : le ministre m’a demandé de voir ce qu’il s’est passé.

— La famille Corvus a toujours vécu à l’écart du Ministère, je ne sais même pas s’il sait que nous existons.

— En effet, le ministre ne m’a pas parlé de vous dans la lettre me demandant de venir ici. Ceux qui vous ont agressé, ils ont aussi tué des villageois et en ont enlevé. Le prêtre du village m’a raconté les faits, et je suis venu dans ces bois pour continuer mon enquête. C’est lui qui m’a parlé de votre famille.

— Vous cherchez les coupables ?

— Ce n’est pas précisément la mission dont je suis chargé, du moins en finalité, mais les retrouver peut me permettre d’atteindre mon but.

— Et quel est-il ?

— Désolé, je suis tenu au secret.

— Vous avez une épée pointée sur votre tête et vous ne répondez pas aux questions ! s’exclama Mathias.

— Y répondriez-vous ? répliqua Philippe.

Mathias continua de scruter le comte durant quelques secondes avant de baisser sa lame et de la ranger au fourreau.

— Non, en effet je ne le ferai pas non plus. Je suis Mathias Corvus. Nous discuterons à la maison. Permettez.

Mathias Corvus se retourna et se dirigea vers les fourrés. Philippe pensa qu’il allait récupérer son chapeau, mais il alla plus loin. Il s’agenouilla, hissa quelque chose de volumineux sur son épaule et se redressa. Lorsqu’il refit face au comte, celui-ci vit qu’il s’agissait du cadavre d’une femme.

— Vous ne vous servez pas de la magie plutôt ? Voulez-vous de l’aide ? demanda Philippe.

— Certaines choses doivent être faites sans aide ni facilité, répondit Mathias en prenant le chemin de la demeure des Corvus.

— Permettez que je m’occupe de votre chapeau au moins.

Mathias ne répondit pas, ce que Philippe prit pour un consentement. Il lui emboîta le pas en silence, prêt à lui porter assistance en cas de nécessité. Mais cet homme en noir était fort, il marcha sans démontrer la moindre faiblesse malgré les obstacles de la forêt.

Ils atteignirent assez vite la propriété des Corvus. Rose surgit de la demeure et s’arrêta un instant en reconnaissant le cadavre que transportait son beau-frère. Elle lui ouvrit la grange où il le déposa à côté des autres, le recouvrant d’un drap.

— Voilà, ils sont tous rentrés, conclut Mathias.

Rose semblait sur le point d’éclater en sanglots, si seulement elle avait encore des larmes à verser.

— Pas tous, dit-elle.

— Je les retrouverai et les ramènerai, jura-t-il.

Philippe était resté dehors, respectant le deuil de cette famille. Lorsque Mathias et Rose sortirent de la grange, ils l’invitèrent à entrer dans la demeure. Le corbeau qui était intervenu lors de la confrontation avec les vouivres les suivit à l’intérieur. Comme les deux derniers Corvus ne réagirent pas autrement qu’en le suivant des yeux, Philippe ne dit rien. L’oiseau s’était perché, visiblement par habitude sur le linteau de la cheminée. Avant de regarder le reste de la pièce de vie, Philippe s’arrêta sur celle-ci.

La cheminée, bien que simple et fonctionnelle, était décorée par des armoiries au niveau du conduit. Il représentait un oiseau noir aux ailes déployées, un corbeau forcément. En bas des armoiries, une phrase en latin était inscrite : Quid Iudices Diffidam. Le comte connaissant bien cette langue traduisit par : Qui me juge me défie.

Le reste de la pièce se composait d’une table de bois entourée de chaises, et de divers meubles de rangement qui devaient contenir les ustensiles de cuisine et autres couverts. Le tout était d’une simplicité rappelant l’ameublement rural. Certains détails dépareillaient, comme un glaive visiblement romain accroché au mur, ou un tableau représentant plusieurs personnes où Philippe reconnut les Corvus morts et Mathias.

Ce dernier invita le comte à s’asseoir et aida sa belle-sœur à s’installer dans l’unique fauteuil de la pièce près du feu. Il jeta une bûche dans l’âtre et proposa du vin à son visiteur.

— J’ai vu que vous avez regardé nos armoiries, dit Mathias.

— Je ne connaissais pas votre famille avant aujourd’hui, avoua Philippe. Votre lignée est ancienne ?

— Nous avons pris ce nom du temps de la domination romaine. Le corbeau a toujours été notre symbole. Et pour la devise, nous nous sommes contentés de la traduire.

— Je ne me souviens pas avoir croisé un Corvus à Beauxbâtons.

— Nous n’y sommes jamais allés, répondit Mathias. L’enseignement dans notre famille se fait par nous-mêmes et par nos amis et connaissances extérieures. Comme beaucoup d’autres familles sorcières je suppose.

En effet, Philippe ne pouvait qu’acquiescer. Bien que reconnu dans tout le royaume et au-delà, l’enseignement de Beauxbâtons ne touchait qu’une partie de la population magique française. Le ministre et le directeur de l’Académie souhaitaient généraliser à tous l’accès à l’établissement, mais la route pour atteindre cet objectif était encore longue.

— Nous ne sommes pas pour autant moins érudits que ceux sortant de l’Académie comme vous l’êtes. Et puis, cela nous permet d’apprendre certaines choses qui ne sont pas enseignées là-bas.

— Comme le maniement de l’épée ?

— Entre autres… Nous avons une tradition guerrière dans notre famille, vous avez compris notre devise.

— Un avertissement pour ceux qui vous jugeraient.

— La société sorcière a toujours été gangrénée par des obsédés de la pureté du sang. Ils ont toujours été marginaux, quoiqu’un peu plus nombreux durant ces dernières années. Nous avons été plusieurs fois confrontés à ce genre d’individus depuis aussi longtemps que nous existons. Or, notre famille n’a jamais souscrit à ces théories erronées qui disent que les sorciers de sang-pur sont supérieurs aux autres, et qu’ils doivent dominer les Moldus. Au contraire, nous sommes la preuve vivante de son contraire. Nous nous sommes toujours liés aux Moldus, comme Rose. Et nous avons toujours cherché à les protéger de certains éléments belliqueux de la communauté magique.

— La mission dont m’a chargé le ministre est d’ailleurs celle-ci : protéger les Moldus des vengeances des Sorciers. Avec l’Inquisition qui fait des ravages et le Secret Magique qui risque d’être mis en place prochainement, il estime que certains Sorciers, frustrés, pensant ne pas être défendus par nos institutions, vont s’en prendre aux Moldus. Les évènements de Sainte-Cécile-les-Bois prouvent qu’il avait raison. Après avoir attaqué votre famille, ils s’en sont pris au village, tuant une vingtaine d’habitants et en enlevant une quinzaine.

Mathias lança vers Rose un regard compatissant. Il savait que sa famille vivait au village.

— Votre belle-sœur m’a déjà raconté ce qu’il s’est passé ici, continua Philippe. Pouvez-vous m’en dire plus ?

— Non, je suis revenu de voyage deux jours plus tard. J’ignorais tout jusqu’à constater le carnage par moi-même et trouver Rose. J’ignorais le sort des villageois jusqu’à maintenant, je suis arrivé par l’autre côté de la forêt.

— Où étiez-vous parti ?

— Peu importe, je suis passé par beaucoup d’endroits en plus d’un an d’absence.

— J’ai cru comprendre que les membres de votre famille effectuaient souvent ce genre de long voyage, est-ce pour travailler ?

— C’est une des raisons. Nous vivons de ce que nous cultivons et de ce que cette forêt nous fournit, mais il est intéressant d’améliorer le quotidien. Nous travaillons donc comme mercenaire on peut dire. Le plus souvent, nous sommes engagés pour protéger des gens ou leur famille, parfois pour retrouver certaines personnes.

— Et pour assassiner ?

— On nous le demande, mais nous nous gardons le droit de refuser un travail quand il n’est pas en accord avec nos valeurs. Tout comme nous pouvons accepter de le faire contre aucune rémunération. Il y a de cela quelques mois, une famille démunie voulait me donner le peu qu’elle possédait pour retrouver leur fille aînée, enlevée par un riche marchand, amateur de très jeune vierge. Je n’allais décemment pas leur demander quoi que ce soit. Le marchand en question, par contre, m’a offert une fortune pour le laisser en paix.

— Et qu’avez-vous fait ?

— J’ai pris son or, et ramené l’enfant chez elle auprès des siens. Je leur ai donné la plus grosse partie de la somme donnée par le marchand.

— Il ne vous a pas poursuivi ? s’étonna Philippe.

— Vous croyez que j’ai laissé en vie un tel énergumène ?

— Qu’allez-vous faire maintenant ?

— Je vais déjà m’occuper des corps des miens. Puis je dois retrouver les autres, les ramener. Et punir ceux qui nous ont attaqués.

— Comment comptez-vous faire ?

— Je ne sais pas encore. Nous avons pas mal d’amis en dehors de cette forêt, certains pourront peut-être me fournir une piste…

— Je peux peut-être vous aider, je vais voir si le ministère aurait quelque chose.

— Nous n’avons jamais fait confiance dans les différents ministères de la Magie.

— Je comprends. J’irai et nos chemins se recroiseront peut-être. Et pour votre belle-sœur ? Va-t-elle rester ici seule ?

— C’est ici qu’est ma place, répondit la jeune femme. Ici, je vais attendre le retour de Mathias avec les enfants.

— Ce n’est pas prudent, madame. Outre le fait que cette forêt est dangereuse, votre état fait que vous ne pouvez rester seule. Vous êtes proche du terme.

— Il a raison, acquiesça Mathias. Pendant que je ne serais pas là, tu vas devoir aller ailleurs.

— Et où donc ? s’emporta-t-elle. Le comte m’a dit que le village était en train d’être déserté. Mes parents, s’ils ont survécu, sont sûrement partis.

— Le curé, le père Mathérius, il pourra s’occuper de toi…

— Puis-je vous proposer mon assistance ? avança Philippe. Je peux amener Rose chez moi, elle y sera en sécurité, ma mère et mon épouse prendront soin d’elle. De plus, une sage-femme et un médicomage habitent non loin.

— Et que voudriez-vous en échange ?

— Je suis comme vous, monsieur, je n’ai nullement besoin de rétribution pour aider quelqu’un.

Mathias regardait Philippe profondément, comme s’il l’évaluait. Ses yeux passèrent un instant sur le corbeau qui était demeuré étrangement silencieux durant toute la discussion. Puis ils se posèrent sur Rose.

— Je pense que tu devrais le suivre, finit-il par dire.

— Tu veux que j’aille chez un inconnu ! s’exclama Rose.

— La famille d’Estremer a une réputation depuis quelques générations, ils traitent bien leurs gens, avec justice et équité. Et je sais qu’ils font preuve de charité.

— Êtes-vous déjà venu ? questionna Philippe.

— J’ai juste traversé la région quelques fois. Si tu vas chez lui, au moins je saurai où te trouver quand je retrouverai les enfants. Et nous rentrerons chez nous ensuite.

— Bien, je ferai comme tu le souhaites. Je vous remercie, monsieur le comte. J’aurai juste une faveur, pouvons-nous partir après les funérailles ?

— Cela va sans dire, madame. Je me souviens de ce que vous avez dit plus tôt : certaines choses doivent être faites sans aide ni facilité. Accepteriez-vous tout de même mon aide pour vous occuper de vos morts ?

— Oui, j’accepte, dit Mathias. Nous n’aurons pas à creuser.

— Vous n’enterrez pas vos morts ?

— Notre famille est ancienne, nous avons certaines traditions. Nous brûlons les corps des nôtres et laissons les vents les disperser.

— N’avez-vous pas retrouvé ceux des assaillants que les vôtres ont certainement tués au combat ?

— Non, je suppose qu’ils les ont emmenés avec eux avant de disparaître.

Des bûchers furent dressés par les deux hommes sur lesquels les cadavres des Corvus furent juchés. Pendant ce temps, Rose préparait quelques affaires pour suivre le comte d’Estremer chez lui.

Les corps des chevaux furent simplement déplacés dans la forêt, à quelques encablures de la propriété. Les animaux et insectes vivants ici se chargeraient d’eux.

D’un coup de baguette, Mathias mit le feu aux bûchers. Tous les trois restèrent dans un silence religieux durant de longues minutes alors que les flammes dévoraient les corps, les réduisant en poussières.

Philippe observa Mathias, il n’eut aucune parole cérémonielle, se contentant de regarder le feu faire son office. Le corbeau se posa sur son épaule sans que cela ne le perturbe. Lui aussi garda le silence.

— Comment comptez-vous emmener Rose ? demanda-t-il. Estremer est loin d’ici.

— Nous allons transplaner, répondit Philippe.

— Bien, quand vous serez partis, je vais dresser des protections autour de ce lieu, pour le protéger des animaux et autres. Moi seul pourra les retirer donc ne revenez pas. Je viendrai chercher Rose le moment venu. Prenez soin d’elle.

— Je vous jure que nous veillerons sur elle comme si elle faisait partie de la famille.

Mathias vint dire quelques mots à Rose avant de la guider jusqu’à Philippe. Tenant le bras de la jeune femme d’un côté et la bride de son cheval de l’autre, il transplana, réapparaissant dans une petite cour protégée par de hauts murs.



[1] Épée d’origine écossaise autorisant des coups plus violents de taille qu’avec une rapière.


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