Les Premiers Chasseurs

Chapitre 9 : VIII Le Rat Rouge

2888 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 13/01/2022 02:48

CHAPITRE VIII : LE RAT ROUGE


Mathias arriva en fin de journée à Compiègne. Il n’était jamais venu dans cette ville avant. Heureusement, les lieux magiques étaient indiqués par des signes que seuls les Sorciers et autres créatures surnaturelles doués d’intelligence pouvaient trouver. Car même si le Secret Magique n’était pas encore officiellement imposé, avec la pression constante de l’Inquisition sur eux, les Sorciers avaient déjà pris l’habitude de se cacher des Moldus, au moins dans les villes.

Il s’approcha d’une borne donnant la direction de Lille et d’autres cités du nord. À mesure qu’il s’avançait, l’enchantement, repérant sa nature magique, changea les lettres jusqu’à lui indiquer la direction du « Chaudron Bouillonnant ».

Il trouva l’établissement en périphérie de la ville. L’enseigne représentait un chaudron contenant un liquide verdâtre où des bulles éclataient à sa surface. Le reste était assez commun pour se fondre dans le paysage.

Une écurie jouxtait l’auberge. Mathias y attacha sa monture, n’oubliant pas de l’entourer d’une protection magique. Puis il entra dans l’établissement.

La clientèle se tut quelques instants à son entrée, le dévisageant, le jaugeant. Certains clients arboraient une expression patibulaire, leurs yeux s’arrêtant sur l’arsenal que transportait Mathias.

Celui-ci embrassa la salle du regard et se dirigea d’un pas tranquille jusqu’au comptoir. Il commanda un verre de vin et de quoi se restaurer avant d’aller s’installer à une table libre.

Lorsque le tenancier vint lui apporter sa commande, il lui demanda à demi-voix :

— Je cherche des ingrédients pour potion.

— Il y a un apothicaire à deux pas, lui indiqua l’aubergiste. Vous avez dû passer devant en arrivant.

— Ce que je cherche ne se trouve pas dans ce genre de boutique. Il me faut des ingrédients frais, voire saignants.

En réaction, l’aubergiste leva les yeux vers une table située au fond de la salle et autour de laquelle étaient installés quelques-uns des hommes qui avaient particulièrement scruté Mathias à son arrivée. Ce mouvement ne lui échappa pas, tout comme à un des hommes, un quarantenaire au visage taillé à la serpe buvant du vin par petites gorgées et tirant sur une pipe.

— On m’a dit qu’un certain « Rat Rouge » pouvait me fournir ce genre de marchandise. Où puis-je le trouver ?

L’aubergiste posa sur Mathias un regard clairement dégoûté avant de s’éloigner. Il se dirigea vers la table du fond et glissa un mot à l’oreille de l’homme à la pipe. Son attention envers Mathias en fut redoublée. Malgré tout, aucun homme de cette tablée ne vint l’aborder. Au contraire, ils partirent tous d’un même mouvement une heure plus tard.

Mathias ne bougea pas, attendant quelques heures encore. Minuit allait sonner quand il se décida à quitter l’auberge.

Il avait à peine fait quelques pas que plusieurs individus surgirent des coins sombres, l’encerclant. L’homme à la pipe apparut à son tour.

— Il paraît que vous cherchez certaines marchandises, dit-il.

— Oui, des ingrédients pour potion, répondit Mathias.

— L’apothicaire est là-bas, répliqua l’homme à la pipe en désignant une direction.

— Ce que je cherche ne s’y trouve pas, ni dans aucun autre commerce.

— Vous ne ressemblez pas vraiment à un potionniste ou un alchimiste. Quel genre de potion fabriquez-vous ?

— Pas moi, je travaille pour quelqu’un.

— Qui ?

— Il préfère garder l’anonymat. Je pense que vous comprenez pour quoi. C’est un certain Gédéon qui a indiqué à mon employeur où se procurer ce type d’ingrédients. Il a dit qu’il fallait s’adresser au « Rat Rouge ».

L’homme à la pipe plongea directement son regard dans celui de Mathias d’un air qu’il voulait inquiétant. Cela marchait sûrement sur le commun des mortels, mais sur un Corvus, c’était peine perdue. Certes, il aurait pu jouer la comédie et faire semblant d’avoir peur. Il préféra rester naturel et ne rien laisser transparaître.

— Aucune peur… souffla l’homme à la pipe. C’est rare. Est-ce vos armes qui vous donnent autant de confiance ? Ce serait idiot de penser qu’elles vous donnent un avantage.

— Je préférerais ne pas m’en servir, répliqua Mathias. Par contre, j’ai de l’or qui ne demande qu’à être utilisé.

L’homme à la pipe sortit sa baguette pour se remettre à fumer. Durant son geste, Mathias remarqua le tatouage en forme de rongeur écarlate sur son avant-bras.

— Nous allons pouvoir faire affaire, dit-il en lâchant un nuage à l’odeur âcre.

Il fit signe à Mathias de le suivre. Ses complices restèrent autour de lui pour étouffer toutes velléités de sa part.

Il suivit le Rat Rouge jusqu’à une grange située à l’écart de la ville. Celle-ci était gardée par deux sentinelles. Il avait potentiellement cinq adversaires. Et il se doutait qu’il devait y en avoir un certain nombre à l’intérieur.

Une des sentinelles ouvrit la porte. À l’intérieur, il découvrit des caisses, des tonneaux, des cagettes et des pots de terre cuite alignés. Plusieurs odeurs en émanaient, se mêlant en un mélange non identifiable.

Comme il s’y attendait, plusieurs hommes s’y trouvaient. Il en était à neuf ennemis.

— Alors ? fit le Rat Rouge en se tournant vers Mathias. De quoi avez-vous besoin ?

— Du foie et des yeux humains, indiqua Mathias.

— Nous en avons, en quantité et de premières fraîcheurs, répondit-il en le guidant vers une série de tonnelets.

— Mon employeur aurait souhaité savoir d’où vous proviennent vos ressources.

Le Rat Rouge s’arrêta et jeta un regard sombre à Mathias.

— Vous direz à votre employeur que pour conserver une bonne entente entre nous, il vaut mieux qu’il ne se montre pas si curieux.

La menace était à peine voilée, mais il en fallait bien plus pour l’impressionner.

— Il savait que vous auriez ce genre de réticence et il est prêt à payer cette information. Donnez juste votre prix.

Le Rat Rouge n’ajouta rien, se contentant de hocher la tête à l’intention de ses hommes. D’un même mouvement, ils produisirent leurs baguettes, les pointant sur Mathias. Ce dernier ne broncha pas.

— Maintenant, on arrête ce petit jeu ! dit le Rat Rouge. Pour qui travailles-tu ? Si tu ne réponds pas, tu vas le regretter.

— Beaucoup ont dit ça, certains ont essayé, aucun n’a réussi, fit sentencieusement Mathias.

— Joue pas avec nous ! Pour qui tu bosses ?

— Qui te dit que je travaille pour quelqu’un ?

— Alors c’est plus simple, sourit-il de manière malsaine. Tu vas crever !

Le Rat Rouge fourragea dans sa poche pour en sortir sa baguette. Mathias fut plus rapide. De sa main gauche, il stupéfixa le Rat Rouge et de sa droite il dégaina son épée, venant dans le même geste creuser un profond sillon dans la gorge d’un homme de main. Il pivota d’un coup sur sa gauche, déviant un maléfice en produisant un bouclier et plongeant la pointe de sa lame dans le cœur de l’agresseur.

Tout s’était passé si vite que les quatre autres ennemis présents demeurèrent figés par la surprise. Mathias les toisa du regard.

— Partez et vous aurez la vie sauve, proposa-t-il.

Ils parurent hésiter quelques secondes, certains affichaient une mine effrayée, aussi pâle que le sang de leurs camarades était rouge.

Finalement, trois s’élancèrent, effectuant divers maléfices. Mathias esquiva tout en contre-attaquant d’un sortilège de mort. Malgré la perte d’un nouvel homme, les deux autres continuèrent leur assaut. Mathias accourut en bondissant pour éviter les éclairs. Un sortilège de répulsion fit voler un des deux lui faisant violemment percuter un mur. Il ne se releva pas.

Le troisième voyait Mathias s’approcher malgré son feu nourri. Il eut un mouvement de recul, ses tirs étaient de moins en moins précis. Quand il fut assez près, l’épée vint lui trancher la main avant que sa pointe ne se plante au creux de son plexus.

Alertées par le bruit du combat, les deux sentinelles surgirent par la porte. Il ne leur laissa pas le temps d’agir et lança un Cofringo qui explosa à leurs pieds, les tuant sur le coup.

Mathias se tourna lentement vers le dernier survivant. Celui-ci leva sa baguette, mais il tremblait tellement qu’il aurait été bien en peine de lancer le moindre sort, il était près de la lâcher. Il était livide alors que cet inconnu s’avançait vers lui. La pointe de l’épée, perlant de sang gluant, se retrouva à quelques centimètres de son visage.

— Fous le camp, ordonna Mathias.

Sans demander son reste, il prit ses jambes à son cou.

Mathias s’approcha du Rat Rouge étendu sur le sol sans connaissance. Il le désarma puis pointa sa baguette sur lui.

— Enervatum.

Le Rat Rouge fut agité de soubresauts et se releva. Il découvrit le carnage qui l’entourait. Devant lui, Mathias nettoyait son épée sanguinolente d’un coup de baguette avant de la remettre dans son fourreau.

— Qu’est-ce que tu veux ? demanda le Rat Rouge. De l’or ? J’en ai.

— Je me fous de ton or, dit Mathias. Je veux savoir d’où te viennent ces marchandises humaines. Qui te les fournit ?

— Si je te le dis, je suis mort…

— Tu le seras si tu ne me dis rien, ce sera juste plus long et plus douloureux.

— Quelle assurance ait-je que tu ne me tueras pas après ?

— Aucune.

— Tu es franc et direct, je reconnais ça. Bien, je vais tout te dire. Je ne sais pas comment s’appelle mon fournisseur, tu sais ce que c’est : l’anonymat dans ce genre de commerce, c’est important. C’est lui qui vient m’apporter ce dont j’ai besoin généralement, mais une fois, il ne pouvait pas se déplacer pour me livrer et il m’a fait venir dans un coin paumé de l’est, en Lorraine, à quelques lieues de Pontoy. De ce que j’en ai vu, c’était dans un ancien monastère. Je ne peux rien te dire de plus.

Mathias sentait que c’était la vérité, le Rat Rouge avait tout intérêt à être honnête s’il souhaitait être épargné.

Ce qu’il ne ferait pas.

Il devait maintenant en finir avec ce trafiquant de chair humaine qui avait mérité cent fois la mort. Il le releva et l’attacha solidement à un des madriers soutenant la charpente.

— Tu vas te contenter de me laisser là ? questionna le Rat Rouge.

— Oui, tu vas rester ici, confirma Mathias. Incendio.

Sa baguette généra un panache de flammes qui vint mettre le feu aux caisses et tonneaux. Il embrasa une réserve de paille située dans un coin et dirigea sa baguette vers la charpente pour finir.

— Ais pitié, tue-moi avant que les flammes ne m’atteignent.

— Pourquoi aurais-je pitié d’une engeance comme la tienne ?

Et alors que les flammes s’intensifiaient, dégageant une odeur de viande en train de cuire en s’attaquant aux marchandises, Mathias sortit tranquillement, ignorant les vociférations du Rat Rouge qui tour à tour le suppliait et l’insultait.

Mathias resta quelques minutes à regarder la grange être rongée par le feu. Il voulait surtout s’assurer que personne ne vint secourir le Rat Rouge ou tenter d’éteindre l’incendie. Il n’y eut personne. Et quand le toit s’effondra, sa charpente devenue trop fragile sous l’action corrosive des flammes, il s’éloigna tranquillement, prenant la direction de l’est.

 

Nicolas Flamel avait continué à fureter dans les lieux magiques parisiens, cherchant le moindre renseignement qui pourrait mettre Mathias Corvus sur la piste des agresseurs de sa famille. Malheureusement, mis à part des rumeurs évoquant un groupe de sorciers voulant contrarier la mise en place du Secret Magique sans plus de précision sur leur identité ou leur localisation, il ne découvrit rien de probant. Il se décida à rentrer chez lui, pensant aux remontrances que lui ferait Pernelle sur l’heure à laquelle il rentrait.

Elle était parfois un peu trop maternelle, mais il aimait ça chez elle. Jamais il ne songerait à passer sa très longue existence avec quelqu’un d’autre. Et il ferait tout pour que son couple perdure durant encore des siècles.

Paris la nuit n’était pas rassurante. Il n’allait pas en parcourir les rues au risque de se faire agresser alors qu’il possédait un moyen de rentrer plus rapide et plus sûr. Nicolas Flamel regarda de tous les côtés pour s’assurer que personne ne se trouvait dans les parages, il s’approcha de son cheval et allait poser une main sur son encolure quand il entendit :

— Ça ne vous ressemble pas d’être dehors aussi tard.

Nicolas Flamel crut sentir son cœur s’arrêter par la frayeur. C’était donc ça mourir ! Il chercha sa baguette avec des gestes gauches et paniqués avant de se retourner vers un homme habillé simplement et qui n’esquissait aucun mouvement agressif à son encontre. Pris d’un doute, Nicolas Flamel tenta de retrouver son calme et au lieu de lancer un maléfice, il généra de la lumière, éclairant le visage de son vis-à-vis.

C’était un homme d’une quarantaine d’années au teint méditerranéen. Ses yeux et son léger sourire exprimaient l’amusement devant l’agitation de l’alchimiste. Ce dernier poussa un soupir de soulagement en le reconnaissant.

— Hermès ! Vous m’avez fait peur ! dit-il.

— Je vois ça mon vieil ami, fit Hermès. J’en suis désolé, même si je dois avouer que je trouve ça assez drôle également.

Nicolas Flamel rit de la remarque. Puis après le soulagement, ce fut la surprise qui marqua ses traits.

— Vous êtes bien la dernière personne que je m’attendais à croiser, fit remarquer l’alchimiste. Cela faisait longtemps qu’on ne s’était pas vu. Avez-vous à faire en France en ce moment ?

— Par la force des choses… En fait, je dois vous avouer que je vous suis depuis un moment. Je vous ai vu avec un homme il y a quelques heures sortant de la Guilde. De qui s’agissait-il ?

— Mathias Corvus, répondit Nicolas Flamel.

— Corvus ! s’exclama Hermès.

— Ce nom vous évoque-t-il quelque chose ?

— Possible… J’ai cru comprendre qu’il cherchait quelqu’un.

— En effet, sa famille a été attaquée il y a peu. Plusieurs ont été tués, des enfants ont été enlevés. Mathias s’est juré de les retrouver, les enfants pour les sauver, les assaillants pour les tuer.

— Ira-t-il jusqu’au bout ?

— Oh oui… soupira Nicolas Flamel. Les Corvus sont des guerriers épris de justice. Même s’il ne parvient pas à punir les agresseurs, il mourra en essayant. Sa priorité demeure les enfants dans un premier temps. Mais pourquoi un tel intérêt pour lui et ses motivations ? Cette tragédie a-t-elle un lien avec la raison de votre présence ?

— Toujours aussi perspicace mon vieil ami ! Je ne peux rien vous dire de précis. Une de mes amies a suivi Mathias Corvus quand vous vous êtes séparés tantôt. Et nous savons où le mène son chemin actuel. Il est en grand danger.

— Ce n’est pas le genre de chose qui l’arrêtera, objecta Nicolas Flamel.

— C’est ce que j’ai cru comprendre. Toujours est-il qu’il aura besoin d’assistance. Nous préférons rester en retrait pour le moment, espérant ne pas avoir à nous dévoiler si c’est possible. Et je me doute que si nous abordions ce Mathias Corvus, ne nous connaissant pas, il douterait de nos motivations à l’aider.

— Et donc vous souhaitez que j’intercède auprès de lui… Je peux lui envoyer un hibou pour le prévenir du danger, mais – s’il lui parvient à temps – cela ne changera rien, il continuera sur sa voie. Et personnellement, je doute d’avoir les capacités à l’aider à faire face au danger. Par contre, quelqu’un pourrait peut-être l’aider… Ça vaut le coup d’être tenté. Dites-moi où se trouve Mathias et où il se rend, ainsi que tout ce que vous savez concernant le danger qu’il doit affronter.


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