Les Premiers Chasseurs

Chapitre 14 : XIII Nicolas Flamel

3400 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 10/05/2022 03:21

CHAPITRE XIII : NICOLAS FLAMEL


Lorsque Philippe d’Estremer se réveilla, il était seul dans son lit et le soleil était déjà haut dans le ciel. Vraisemblablement, sa femme l’avait laissé dormir tout son saoul. Il s’habilla et descendit dans le vestibule où il fut accueilli par Noé.

— Monsieur a-t-il bien dormi ? demanda celui-ci.

— Très bien, merci, répondit Philippe. Où se trouve mon épouse ?

— Elle est allée au chevet de monsieur Corvus puis s’est rendu avec un certain monsieur Flamel à son laboratoire. Ce monsieur est arrivé tôt ce matin et a demandé à voir le patient.

— Maître Flamel est là ! Parfait, je vais les rejoindre.

Philippe sortit du château et se rendit à la dépendance située au fond du jardin dont s’occupait Isabelle. Elle y faisait pousser des fleurs et de multiples essences entrant dans la composition de diverses potions. La dépendance servait à la fois de remise pour ses outils de jardinage et de laboratoire pour la conception des breuvages magiques.

— Je suis impressionné, madame, par votre laboratoire, se fit entendre la voix de Nicolas Flamel quand Philippe entra. Il est modeste, mais très bien équipé et agencé. Vous pouvez y faire presque toutes les sortes de potions, philtres et autres compositions.

— Merci maître Flamel, répondit Isabelle. J’espère surtout qu’il conviendra à la tâche qui vous attend.

— Qui nous attend, madame ! J’aurai besoin d’assistance et vous m’avez l’air parfaitement qualifiée.

— Oh ! Si je peux apprendre quelques petites choses en plus…

— Et bien, voilà ! Et puis, après cette affaire, je pourrais toujours revenir vous voir pour vous enseigner. Vous êtes visiblement avide de connaissance, c’est quelque chose d’appréciable et de plus rare qu’on ne pourrait le croire.

— Oh Philippe ! s’exclama Isabelle, remarquant la présence de son époux. Tu es là depuis longtemps ?

— À l’instant, je ne voulais pas vous déranger, dit Philippe en s’approchant.

— Maître Nicolas Flamel, permettez que je vous présente mon mari, Philippe d’Estremer.

— Enchanté, monsieur le comte, sourit l’alchimiste en lui serrant la main. Je suis désolé d’être venu à l’improviste chez vous.

— C’est un honneur de vous rencontrer, et vous avez bien fait, maître, c’est une urgence, rassura le comte. Avez-vous examiné monsieur Corvus ?

— En effet, je n’ai pas pu déterminer quel poison lui a été inoculé au premier abord, je vais devoir faire quelques analyses. Et grâce à l’installation de votre femme, je n’aurai pas à rentrer à Paris pour les effectuer.

— Tant mieux maître. Vous êtes notre invité autant que nécessaire ou qu’il vous plaira.

— Que pouvez-vous me dire sur ce Taran ?

— Pas grand-chose, je le crains, à part ce qu’il nous a dit et qu’il est d’une grande force magique et a visiblement de grandes connaissances dans les arcanes. J’ai demandé au ministre de faire faire des recherches sur lui. Je doute que ça soit utile et que quelque chose soit trouvé, mais qui ne tente rien n’a rien.

— J’essayerai de me renseigner moi-même parmi mes connaissances, promit Flamel. Mais pour le moment, l’urgence est de sauver Mathias Corvus. Votre femme lui a permis de survivre jusque-là grâce à son mélange d’antidote, de même que le fait qu’il ait avalé très vite un bézoard a ralenti la progression du mal. Malgré tout, il est encore en danger de mort. Nous parlerons plus tard.

— Je vais vous laisser travailler, finit Philippe. Tenez-moi au courant.

Philippe alla rendre visite aux réfugiés, ces derniers avaient été installés dans une aile du château et le personnel du comte s’occupait d’eux. Il les trouva amorphes, comme s’ils avaient peur de bouger. Il comprit qu’ils ne réalisaient pas encore qu’ils avaient été sauvés. Seuls certains jeunes enfants se laissaient aller en jouant, se courant après. L’un d’eux percuta Philippe alors qu’il ne regardait pas où il allait.

Le garçonnet afficha une mine effrayée et se recula en tordant ses mains dans un geste nerveux.

— Pardon, monsieur… souffla-t-il.

Philippe sourit et posa un genou à terre pour se mettre à sa hauteur.

— Ce n’est rien, assura le comte. Retourne jouer avec tes amis.

Il ne se le fit pas dire deux fois et disparut en quelques secondes.

Philippe continua sa tournée, s’arrêtant auprès des malheureux pour deviser avec eux, les rassurer sur leur avenir proche. La majorité eut du mal à le croire, il ne s’en offusqua pas, comprenant leur réaction après les épreuves qu’ils venaient de subir.

Il remarqua l’absence de Charlotte Lehel et s’en étonna auprès d’un jeune homme.

— Oh ! La rousse ! fit-il. Elle est allée voir un certain Mathias, c’est ce qu’elle a dit.

Philippe finit de faire le tour des réfugiés et se rendit à la chambre où se trouvait Mathias Corvus. Il trouva la jeune femme à son chevet, posant sur l’homme inconscient un regard inquiet.

— Bonjour, mademoiselle Lehel, dit Philippe en entrant.

Charlotte se redressa d’un coup et fit une révérence pour saluer le comte.

— Monsieur le comte. Excusez-moi, je ne vous ai pas entendu entrer.

— Il n’y a pas de mal. Il a l’air serein.

— Je sais que madame la comtesse a dit qu’elle me ferait appeler quand il se réveillera, mais je voulais venir le voir. J’espère ne pas avoir commis d’impair…

— Je ne vois pas où il y aurait un problème. Je pense même que cela peut lui faire du bien, il sent peut-être qu’il n’est pas seul. En attendant qu’il se remette. J’ai bon espoir, le plus grand alchimiste du royaume, voire du monde, est actuellement présent pour le sauver.

Le visage de la jeune femme s’éclaira par un léger sourire. Elle posa à nouveau ses yeux sur le visage endormi de Mathias.

— Je vais retourner avec les autres, annonça-t-elle après quelques instants. Je ne voudrais pas abuser de votre gentillesse envers moi.

— Vous pouvez rester ici et revenir autant qu’il vous plaira, dit Philippe. Sauf, bien sûr, si maître Flamel et mon épouse jugent le contraire pour le bien des soins à lui apporter. Pour le moment, tant qu’ils n’ont rien dit, je n’y vois aucun inconvénient.

— Merci, monsieur le comte, fit-elle avec une nouvelle révérence. Et merci encore de nous avoir sauvés et de nous offrir un refuge en attendant de savoir où aller.

— Je considère que c’est mon devoir. Mon père m’a enseigné que le rôle d’un noble est d’aider et de protéger ceux qui se trouvent sous sa responsabilité. Parfois, il faut les juger, voire les punir, bien sûr, mais toujours avec bienveillance.

— Mais nous ne sommes pas de votre fief !

— Et alors ? Personnellement, je pense que je dois apporter mon aide à ceux qui en ont besoin, qu’ils soient de mes gens ou non. C’est pour quoi je me suis mis au service du Ministre de la Magie, je savais que je pouvais aider les autres. Sorciers ou Moldus, personnellement, je ne vois pas la différence. Étant né de parents moldus, j’appartiens aux deux communautés.

Noé entra dans la chambre, tenant à la main un rouleau de parchemin.

— Monsieur, une lettre du Ministère pour vous, annonça-t-il.

— Merci, Noé, dit Philippe en s’en saisissant. Restez avec lui autant que vous le voulez, conclut-il à l’adresse de Charlotte avant de sortir de la chambre. Noé, assurez-vous qu’elle mange correctement.

— Oui, monsieur.

— Si on me cherche, je suis dans mon bureau.

Aussitôt assis, Philippe décacheta le parchemin et le déroula pour en apprendre la teneur. La lettre venait du ministre Étienne Courneuf en personne.

 

Monsieur le comte,

 

J’ai pris connaissance de votre dernière lettre ce matin. Ce que vous avez découvert est d’une horreur sans nom, et je ne peux que me réjouir que vous ayez agi avec cette promptitude et cette efficacité. Je ne vous remercierai jamais assez pour ce que vous venez de faire pour le bien de tous, Sorciers et Moldus. J’émets le vœu que Taran soit arrêté et jugé au plus vite pour ses crimes.

Maître Odon Marchas s’est tout de suite attelé à la tâche pour réunir les renseignements que vous avez demandés. Je l’ai d’ailleurs autorisé à ouvrir et prendre connaissance des lettres et rapports que vous m’enverrez à l’avenir, pour qu’il puisse vous apporter son expertise même en mon absence. Il vous transmettra directement ses découvertes.

En ce qui concerne les réfugiés, vous devriez être contacté par monsieur Ubéric Valrand dans les jours prochains. Je l’ai chargé de trouver une solution et de la mettre en application. Je lui ai dit de voir avec vous, car je sais que vous vous sentez responsable de ces gens, comme si c’était les vôtres.

Tous mes vœux accompagnent monsieur Corvus pour son prompt rétablissement. Les médicomages que j’ai contactés pour lui porter assistance m’ont tous dit que si maître Flamel s’en occupe, alors il est entre les mains du plus grand spécialiste en poison du royaume.

Prenez garde à vous et à vos proches, monsieur le comte, vous nous êtes précieux en cette période troublée. Et malgré tout ce que je pourrai écrire et appeler de mes vœux, je sais, malheureusement, que beaucoup de sang coulera avant la fin de cette triste affaire.

 

Respectueusement,

Étienne Courneuf

Ministre de la Magie

 

Philippe reposa la lettre. Étienne Courneuf avait raison, le sang coulerait de nouveau, et en quantité. La voie que Taran a choisi de suivre ne peut mener qu’à la violence, y compris pour l’arrêter.

Le comte pensait que la haine que leur adversaire portait aux Moldus n’était finalement qu’un outil lui permettant de liguer ses acolytes avec lui dans le seul but de prendre le pouvoir. C’était l’explication la plus facile, une simple soif de pouvoir. Peut-être en partie, mais quelque chose de plus profond semblait l’animer. La question étant : quoi ?

Son père lui avait appris qu’il ne faut pas seulement combattre son adversaire, il faut le comprendre, savoir ce qui le motive. Pour le moment, Philippe avait du mal à conclure ses réflexions sur Taran. Il lui manquait trop d’éléments. Il espérait recevoir des informations de la part d’Odon Marchas très vite.

 

L’analyse du sang de Mathias Corvus avait permis à Nicolas Flamel d’identifier le poison. Ce qu’il découvrit le surprit. Il avait besoin d’explications, et aussi de quelques ingrédients précis et rares qui ne se trouvaient pas chez Isabelle d’Estremer.

— Je vais m’absenter quelques heures, madame, dit-il. Je vais revenir très vite avec ce qu’il faut pour sauver notre ami.

— J’aurais aimé vous voir préparer l’antidote, fit-elle déçue.

— Vous le verrez, je vais le préparer ici, il faut qu’il soit administré très vite après sa préparation. Je dois juste me procurer les ingrédients, vous ne les avez malheureusement pas tous. C’est assez normal, ils sont rares. Je reviens au plus vite.

D’un claquement de fouet, Flamel transplana jusqu’à chez lui. Pernelle vint immédiatement aux nouvelles, il lui exposa l’état de santé de Mathias.

— As-tu trouvé le poison ? demanda-t-elle.

— Oui, et heureusement je suis un des rares à en connaître l’antidote, répondit-il.

— Tu dis « heureusement », mais le ton de ta voix n’exprime pas autant de joie que ce mot.

Flamel soupira, il ne pouvait rien cacher à celle qui partageait sa vie depuis plus de trois siècles. À vrai dire, il n’avait aucun secret pour elle, hormis un. Plus une omission volontaire qu’une volonté de lui cacher.

— Je n’ai pas le temps de te raconter, car c’est une longue histoire sur laquelle tu ne m’as jamais posé de questions, mais quand Mathias sera hors de danger, je te narrerai comment j’ai découvert la Pierre Philosophale. Et qui m’a aidé à l’époque…

Sans rien ajouter de plus, Flamel se rendit à son laboratoire. Il y récupéra plusieurs substances qu’il mit dans sa besace. Il savait qu’il lui manquait encore quelques ingrédients.

Même si c’était contraire aux règles du lieu, il transplana au milieu du vestibule du bâtiment de la Guilde Royale des Alchimistes et Potionnistes. Le gardien se leva d’un bond et allait le réprimander, mais se dégonfla légèrement en reconnaissant l’arrivant.

— Maî… Maître Flamel… Vous savez qu’il est interdit de transplaner ici, n’est-ce pas ?

— Oui, et je suis désolé d’avoir passé outre cet interdit, mais, voyez-vous, une vie est en jeu. C’est pour quoi je me suis permis cet écart qui ne se reproduira pas, excepté pour repartir. Je vous en fais la promesse. J’irai m’excuser moi-même auprès du Maître de la Guilde quand j’en aurais le temps.

— Bien maître, dans ces conditions, je n’ai rien à ajouter.

Flamel le remercia d’un hochement de tête et se rendit dans une des réserves de la guilde. Il y trouva les éléments qui lui manquaient. Il entendit un frôlement derrière lui.

— Si je ne connaissais pas les capacités de Chan, j’aurais pu croire que vous me surveillez, dit-il.

Il se retourna. Devant lui se tenait Hermès. Il était accompagné d’une femme asiatique qui sourit franchement à l’adresse de Flamel.

— Heureuse de vous revoir, Nicolas, dit-elle en s’inclinant.

— Moi de même, Chan, imita Flamel. Vous êtes toujours aussi radieuse.

— Et vous, toujours le même vil flatteur de français !

— Désolé de couper court à cet échange si distrayant soit-il, interrompit Hermès. Votre ami a été sauvé, n’est-ce pas ?

— En partie, il est empoisonné, par le Gu, d’après mes analyses, renseigna Flamel. À ce que j’en sais, peu connaisse la nature de ce poison, dont les personnes ici présentes. Surtout que vu la façon dont il a été administré, il faut le connaître précisément.

— Taran a toujours été fort en poison…

— C’est un des vôtres… Je vois.

— C’était un des nôtres, précisa Hermès. Nous nous sommes séparés il y a longtemps déjà. Nous n’étions pas en accord avec la voie qu’il choisissait de suivre. Nous ignorions qu’elle le mènerait si loin.

— Et maintenant, vous voulez corriger votre erreur ?

— Oui, on peut le dire comme ça. Malheureusement, nous ne parvenons pas à le trouver. Il nous connaît trop. C’est pour quoi, les deux hommes qui se sont déjà dressés face à lui ont de l’intérêt pour nous.

— Ne jouez pas les manipulateurs, Hermès, je sais que vous n’aimez pas ce rôle, lança Flamel. Le comte d’Estremer et Mathias Corvus combattront Taran et ses sbires, pas pour vous ou parce que vous les auriez influencés en quelque chose. Non, juste parce que ce sont deux hommes d’honneur avec des convictions profondes. Ils vont se battre pour une seule raison : protéger les innocents de Taran.

Hermès sourit. Il lança un bref regard vers Chan qui lui renvoya avec une expression signifiant : « je te l’avais dit ».

— Nous allons surveiller la situation, en espérant ne pas avoir à sortir de l’ombre, continua Hermès.

— Je suppose que Néféri préférerait agir… fit Flamel.

— En effet, mais elle sait pourquoi nous devons éviter d’intervenir. Nous ne le ferons qu’en cas d’extrême nécessité. Nous allons vous laisser maintenant, surtout que vous avez quelque chose d’important à faire.

— Avez-vous tout ce qu’il vous faut pour créer l’antidote au Gu ? questionna Chan.

— Oui, assura Flamel. Je dois me dépêcher. Et je comprends bien que si je vous revois, c’est que les choses se passent mal.

— Probablement… soupira Hermès avec fatalité.

— Alors j’espère ne plus vous revoir avant longtemps. Et quand on se reverra, je souhaite que ce soit pour une simple visite amicale. Je vous présenterai ma femme.

— Alors, à notre prochaine rencontre… Dans longtemps, conclut Hermès en souriant.

Flamel s’assura de n’avoir rien oublié une dernière fois avant de retourner vers le vestibule de la guilde d’où, avec un sourire d’excuse au gardien, il transplana.

De retour au comté d’Estremer, il se mit immédiatement au travail avec la comtesse.

— Monsieur Corvus a été empoisonné à l’aide de ce que l’on appelle le Gu, expliqua Flamel tout en s’affairant. Il s’agit d’un poison magique créé dans la lointaine Chine il y a des siècles de ça. D’après la légende, il serait si puissant qu’il pourrait tuer à distance, via un esprit maléfique issu de sa toxicité. Bien sûr, cela est faux. Le Gu est réputé pour n’avoir aucun antidote, à cause de la manière dont il est produit.

— Comment est-il produit ? questionna Isabelle.

— Un serpent au poison particulièrement virulent est enfermé dans une jarre portant des symboles magiques avec d’autres animaux, insectes, araignées et scorpions, eux aussi dotés de poison. Par un procédé magique durant plusieurs mois, la force des poisons des petites créatures va passer dans le serpent. Celui-ci produira alors un venin surpuissant. Tant qu’il est dans la jarre, le serpent ne peut pas mourir, mais il faut l’en sortir pour extraire son fluide mortifère. L’opération est délicate, car rendu fou par les toxines, le serpent va chercher à mordre tout ce qui bouge autour de lui une fois sorti. Beaucoup de sorciers chinois sont morts, tués par leur propre création, retrouvés avec le serpent encore accroché à eux. Mais pour ceux qui réussissaient, ils avaient alors acquis une arme terrible.

— Et vous en connaissez l’antidote ? Vous disiez qu’il n’y en avait pas !

— Cela fait partie de sa terrible réputation, mais aucun poison n’est dépourvu de son contraire. Pour le Gu, c’est juste plus compliqué. Chaque Gu est différent, cela dépend des animaux mis dans la jarre avec le serpent. Impossible à savoir.

— Je ne comprends toujours pas comment vous allez sauver monsieur Corvus.

— Je ne vais pas combattre le Gu dans son entièreté, je vais m’attaquer à ses éléments principaux : le venin du serpent et ceux que j’ai pu identifier.

— Et les autres ?

— Ce sera à lui de les combattre. On ne pourra rien faire de plus. Vous avez compris, madame, nous ne sommes pas sûrs de le sauver.


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