Lettockar, tome 1 : la honte des écoles

Chapitre 2 : Métro, bateaux, Lago

3644 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 08/12/2021 15:57

2. Métro, bateaux, Lago



« Laissez vos valises à l'entrée du Tragicobus, les elfes de maison vont venir s'en charger ! » ajouta le conducteur.


Kelly ignorait ce qu'était un elfe de maison, mais elle ne posa pas de questions. Avec John et Naomi, elle se joignit à la masse des passagers qui traversaient le couloir du véhicule vers la sortie. Une fois dehors, Kelly sentit un petit vent frais sur son visage, et une odeur d'humus et de bois vint lui emplir les narines. La nuit était tombée, et le Tragicobus s'était arrêté au milieu d'un sentier, dans une dense et sombre forêt. Kelly et ses amis abandonnèrent leurs bagages parmi le gros tas de valises qui s'était formé près de la portière, et firent quelques pas très lents, parmi la foule des élèves qui grossissait de plus en plus, comme régurgitée par le bus-train. Ils observèrent la nature autour d'eux, lorsqu’une voix grasse et grossière beugla au loin :


- Les première année, ramenez-vous par ici, en vitesse ! Et les plus vieux, soyez pas cons, restez pas en plein milieu, vos carrioles vous attendent !


Tout au bout de la clairière, une silhouette immense et obscure les attendait, une lanterne à la main. Kelly et ses compagnons se détachèrent de leurs aînés et s'avancèrent prudemment vers elle, peu rassurés. C'était un homme massif et monstrueux aux traits rustauds, encore plus grand que Bohort Debudloose : il faisait presque quatre mètres ! Vêtu d'un énorme manteau de cuir brun, portant des mitaines trouées et des bottes crottées, il avait de très longs cheveux noirâtres attachés en queue-de-cheval, et une énorme barbe en broussaille. Ses yeux noirs observaient les élèves d'un air maussade, derrière des lunettes rectangulaires cerclées de fer. Il dégageait une odeur épouvantable mélangeant un nombre impressionnant de différents alcools : vin, whisky, rhum, gin… d'ailleurs, une bouteille aux trois quarts pleine dépassait de sa poche. Dès qu'ils furent en face de lui, les novices en magie se sentirent mal à l'aise, intimidés voire effrayés. Avec mauvaise humeur, le géant se présenta :


- J'm'appelle Viagrid, et je suis garde-chasse ici ! C'est moi qui vais vous guider vers le château de Lettockar et… c'est quoi ce bordel, là-bas ?


Des éclats de voix venaient en effet de retentir au loin. Toutes les têtes des premières années se tournèrent d'un même mouvement vers l'endroit où se trouvaient leurs aînés, et virent que ceux-ci se dirigeaient vers des diligences noires. Elles étaient tirées par des ânes très laids brayant à tue-tête, dont les crinières étaient très bizarrement coiffées en crête à l'iroquoise, et toutes de couleurs pétantes : rouges, vertes, violettes, orange… La personne qui avait fait du bruit, une fille noire de quatorze ans, cria avec colère :


- Viagrid, Quevedo m'a mis la main aux fesses !


- C'est mal de balancer ses petits camarades ! répliqua-t-il en tournant la tête.


Et, comme si de rien n'était, il reporta son attention sur les première année, laissant la fille outrée. Pas gêné le moins du monde devant l'air scandalisé du groupe qu'il supervisait, il annonça :


- Vous les nouveaux, vous n'irez pas dans les diligences. La tradition veut que vous traversiez le Lac Caca d'Oie, pour mieux contempler le château dans son entier pour la première fois ! Alors, suivez-moi.


- Le Lac Caca d'Oie ? s'étrangla un garçon sud-américain.


- OUI, JE SAIS, son vrai nom, c'est le « Lago que vê longe », mais c'est tout pourri comme blase, donc on préfère l'appeler comme ça. Allez les chiards, magnez-vous !


Kelly, choquée par la vulgarité de Viagrid, resta figée sur place. Avant de suivre le mouvement de ses camarades qui emboîtaient le pas de Viagrid, elle jeta un regard en arrière. Le Tragicobus avait fait demi-tour, et repartait dans la direction opposée. Au fur et à mesure qu'il disparaissait au loin, derrière lui, des arbres voisins bougeaient, leurs racines faisant des pas chassés. Ils vinrent se placer exactement sur le passage que l'engin venait d'emprunter, faisant disparaître le sentier, comme pour sceller le chemin de sortie de Lettockar.


Les première année suivirent leur guide à travers les bois. Au loin, on pouvait entendre le bruit des diligences qui se mettaient en route. Viagrid les amena au bord d'une rivière où une vingtaine de chaloupes étaient amarrées, chacune pouvant accueillir deux personnes. Ils allaient devoir ramer eux-mêmes vers le château. Les élèves les plus proches s'apprêtaient à monter de mauvaise grâce dans les bateaux quand soudain, des cris retentirent à l'arrière de la troupe, les faisant se retourner.


Un énorme ours à l'épais pelage noir était apparu au milieu des arbres et s'était approché dangereusement près des enfants. Ses yeux brillaient comme des lucioles dans la pénombre et les fixaient d'un air menaçant. Il grognait entre ses crocs avec agressivité et éraflait le sol de ses griffes. Kelly sentit son estomac se geler : il y avait donc des bêtes sauvages dans une forêt à proximité d'une école ? Mais comment pouvait-on laisser passer une chose pareille ? Mais alors, Viagrid leur dit d'un ton apaisant :


- Pas de panique, c'est Gallay, mon grizzly ! Vous en faites pas, il est pas dangereux...


Pourtant, l'ours venait de se dresser sur ses pattes postérieures, atteignant plus de trois mètres de hauteur, et grognait de plus en plus fort. Pire, il leva même une de ses griffes, prêt à frapper. Les jeunes gens devant lui crièrent et reculèrent d'un bond, quand tout à coup, les traits du grizzly s'affaissèrent, s'amollirent. Puis, sa gueule s'ouvrit en grand, et il bâilla avec force… avant s'écrouler lourdement par terre, faisant trembler le sol. Quelques secondes plus tard, il se mit à ronfler. L'animal dormait profondément.


L'expression de tous les première année passa en une fraction de seconde de la peur à la totale sidération. Viagrid leur expliqua d'un ton dégagé :


- Il est narcoleptique, dès qu'il commence à s'énerver, il s'endort. Il a jamais fait de mal aux élèves, sauf en leur tombant dessus...


Viagrid s'approcha de son animal effondré, et lui souleva légèrement la tête du bout du pied.


- Il est sans doute venu chasser le saumon… marmonna-t-il, pensif.


- Y'a des saumons, dans le lac ? demanda un garçon proche, sceptique.


- Non, c'est ce que je me tue à lui expliquer. Qu'est-ce qu'il est con, cet ours.


Il pouvait parler, se dit Kelly. S'il ne se rendait même pas compte qu'un grizzly ne pouvait pas le comprendre… et puis pourquoi élevait-il cet animal féroce, quand bien même il était narcoleptique, et tout près de l'école qui plus est ? Cet affreux type était-il complètement inconscient ? La troupe de plus en plus médusée s'avança d'un même mouvement vers les barques qui les attendaient et grimpa enfin dedans. Le bois était froid et humide, y poser son fessier était particulièrement désagréable.


Kelly fut séparée de John et Naomi, qui s'installèrent tous les deux dans un canot. Assise dans un autre, elle attendit un ou une binôme ; quelques instants plus tard, quelqu'un arriva. C'était une fille mince au teint légèrement bronzé, à peu près de la même taille que Kelly. Elle avait des cheveux roux coupés courts, coiffés à la garçonne. Ses petits yeux sombres et luisants, son petit nez pointu et ses oreilles rondes, assez grandes et légèrement décollées, la faisaient ressembler à une souris.


- Bonsoir, la salua Kelly en hochant la tête, tandis qu'elle s'asseyait à ses côtés.


Le regard de la nouvelle venue s'attarda sur ses yeux vairons, comme beaucoup de gens. Puis, elle lui répondit avec un sourire neutre :


- Salut. Comment tu t'appelles ?


- Kelly Powder. Je viens d'Écosse, et toi ?


- Giovanna-Paola Martoni, et je viens de Naples, en Italie !


Kelly fut interloquée. Une italienne ? Il est vrai que Lettockar accueillait des personnes des quatre coins du monde, mais alors, comment se faisait-il qu'elle comprenait ce que cette fille lui disait ? Pourtant, elle ne parlait pas un mot d'italien. Giovanna-Paola Martoni parlait-elle en anglais ? Ça semblait peu probable, elle n'avait pas le moindre accent...


- Tu es italienne… mais du coup, comment ça se fait que je te comprends ? demanda Kelly.


- C'est parce qu'il y a un sortilège traducteur dans tous les domaines de Lettockar.


- Quoi ?


- Allez, tas de fainéants, donnez-moi quelques bons coups de pagaie ! leur ordonna Viagrid.


Kelly l'insulta entre ses dents en se saisissant d'une des rames, puis, elle, Giovanna-Paola et tous leurs camarades s'efforcèrent de faire appareiller leurs embarcations. Ils progressèrent au milieu de la rivière qui traversait la forêt vers le fameux Lac Caca d'Oie. Elle était bordée de saules pleureurs dont les branches effleuraient la surface de l'eau et masquaient l'horizon. Les première année, encore jeunes et frêles, peinaient à faire s'avancer leurs bateaux et à synchroniser leurs mouvements de rames. La barque de Viagrid, par contre, naviguait toute seule sans qu'il ait besoin de pagayer. Elle était sans doute magique. Debout dans son canot, le garde-chasse éclairait le chemin de sa lanterne, chantonnant faux dans sa barbe. Kelly estimait avec amertume que toutes les barques auraient pu être enchantées de la même manière, au lieu de les faire ramer. Au bout de quelques minutes, elle reprit sa conversation avec sa camarade :


- Tu parlais d'un sortilège traducteur...


- Ouais, un enchantement qui date de la fondation de Lettockar, qui fait que toutes les personnes se comprennent, quelles que soient la langue qu'ils parlent. C'est une invention propre à l'école, un de secrets dont elle est le plus fier. Il s'étend à l'école même, ainsi qu'au Tragicobus et au Chemin de Traviole. Il semblerait que Lettockar se trouve quelque part au Portugal…


Kelly haussa les sourcils, déconcertée à la fois par cette révélation et par le savoir de cette fille. Ne prêtant pas attention à Viagrid qui leur braillait de se bouger le cul, elle lui demanda quelques minutes plus tard :


- Comment tu sais toutes ces choses ?


- C'est mon père qui m'a tout dit… répondit-elle avec un sourire satisfait.


- Ton père ?


- Oui, c'est un sorcier. Il a été élève à Lettockar, lui aussi !


- Ah ouais ? Mais alors pourquoi…


- Pourquoi quoi ?


- Et bien… dit prudemment Kelly, je ne voudrais pas lui manquer de respect mais… maintenant, il a l'occasion d'envoyer sa fille dans une école officielle, non ?


- C'est vrai, admit Giovanna-Paola, mais il était extrêmement attaché à cette école, donc il a choisi de m'y envoyer. Et il place beaucoup d'espoirs en moi.


- Vous allez bientôt pouvoir admirer Lettockar ! les avertit tout à coup Viagrid.


Effectivement, ils avaient enfin quitté la forêt et atteint un grand lac qui s'étendait à perte de vue. Et, en se retournant, ils virent au loin, par-delà la vaste étendue d'eau, un immense château éclairé par la lumière de la lune. Un énorme édifice carré au toit en coupole, haut de plusieurs grands étages en constituait la majeure partie ; de chaque côté, deux tours carrées couronnées de créneaux y étaient rattachées ; sur le devant, il était précédé d'un long bâtiment d'entrée rectangulaire lui arrivant à peu près à mi-hauteur, encadré par deux ailes carrées. Celle de gauche était hérissée d'une tour ronde au toit pointu.


L'arrière du château était collé à une immense colline rocheuse, sur laquelle était dressée une autre tour, assez semblable à celle de l'aile gauche, reliée au reste de la forteresse par un corridor de pierre percé d'ouvertures ovales. Et le point culminant de la forteresse était un gigantesque donjon circulaire, à moitié incrusté à l'arrière de l'édifice principal… dont le sommet était orné de la colossale statue d'un dragon allongé aux ailes repliées qui semblait surplomber l'école.


C'était donc ça, Lettockar, se dit Kelly. L'endroit où elle ferait sa nouvelle vie. Il était impressionnant, et en même temps un peu inquiétant. Martoni, elle, regardait le château d'un air parfaitement assuré.


- J'ai vraiment hâte de commencer, déclara-t-elle.


- Moi aussi, même si je sens que ça va être chaud…dit Kelly à mi-voix. Toutes ces matières dont j'avais jamais entendu parler de toute ma vie… potions, métamorphose, botanique...


- Ça ne me fait pas peur, répliqua Martoni en bombant le torse. Je suis sûre que je vais bien m'adapter à Lettockar. J'ai ça dans le sang, tu comprends...


Kelly ne répondit pas. Elle trouvait cette fille un peu arrogante. Avoir confiance en soi était une bonne chose, mais de là à se jeter des fleurs de la sorte… Secrètement, Kelly espéra que quelque chose lui ferait perdre un peu de sa superbe durant les premiers jours à l'école. Ceci dit, elle préféra changer de sujet pour ne pas laisser d'autres sentiments amers la gagner. Après avoir longtemps ramé en silence, elle s'interrogea à haute voix :


- Je me demande si c'est possible de se baigner dans le lac…


- Pourquoi donc ? demanda très distraitement Martoni, n'accordant de toute évidence que peu d'intérêt envers ce que disait Kelly.


- Ben, tu vois, j'aime beaucoup nager ; je fais de la natation depuis que je suis toute petite, et je sens que ça va vite me manqu...


- ATTENTION ! hurla soudain Viagrid.


Une énorme forme noire venait d'apparaître au fond du lac et grossissait à vue d’œil. Quelques instants plus tard, le buste d'une créature, haut d'une dizaine de mètres, surgit hors de l'eau, face à la petite flotte, l'assombrissant de sa gigantesque silhouette.


C'était… un homme. Un homme âgé au visage mou et inexpressif, avec des cheveux blancs coiffés en arrière, bien que son crâne commençait sérieusement à se dégarnir. La forme de son nez faisait penser à un bec de pigeon. Il avait des bajoues tombantes, et la gorge si grasse qu'il en avait un véritable goitre. Ses épaules et son poitrail étaient également ceux d'un homme, en revanche, son bas-ventre, ses avant-bras et ses mains griffues étaient couverts d'écailles turquoises.


Les passagers des chaloupes hurlèrent de terreur. La chose mi-homme, mi-monstre marin, elle, émettait continuellement des espèces de gémissements plaintifs et hauts perchés. Soudain, d'un grand revers de sa patte écailleuse, le monstre donna un coup à un garçon asiatique tout près de lui, qui tomba dans le lac dans un grand cri. Depuis sa barque, Viagrid rugit de colère et saisit un grand harpon relié par une chaîne au canot. Il le brandit en direction de la créature et le menaça :


- Barre-toi de là, sale bête ! Laisse-nous passer !


Mais la créature ne lui obéit pas, et tenta d'attraper un garçon qui lui échappa de justesse. Bougonnant des douzaines de grossièretés, Viagrid projeta le harpon de toute ses forces et l'atteignit au niveau du goitre. Le monstre gémit de douleur en saignant ; quelques secondes après, de fins éclairs bleuâtres parcoururent la chaîne et lui électrocutèrent la peau. Sous le coup de la décharge, le monstre s'immobilisa quelques secondes, les yeux exorbités et le corps agité de tremblements, en geignant de plus belle. Viagrid lui hurla :


- Deuxième sommation !


Mais, fou de rage, le monstre lui donna un violent coup de poing sur la tête et Viagrid s'effondra lamentablement dans son bateau, assommé.


Puis, sous le regard horrifié des élèves, la créature prit une grande inspiration, et ouvrit grand la bouche. Kelly s'attendit à entendre un rugissement dévastateur, mais c'est une voix humaine, pompeuse, alternant les hauts et les bas, comme un violon désaccordé dont les cordes auraient été frottées très aléatoirement par un archet, qui s'échappa de la gueule de la chose :


- Je ne fais pas de promesses, mais je les tiens !


En dépit de l'épouvante des première année, un silence abasourdi s'abattit sur le lac.


- Qu'est-ce qu'il a dit ?? s'écria une fille blonde dans le canot à côté de Kelly et Martoni.


Alors, la créature les attaqua. Viagrid hors circuit, les adolescents étaient livrés à eux-mêmes face au monstre des eaux. Il donnait des coups dans les barques pour essayer de les renverser, ou bien frappait les élèves à sa portée. Il ne parvenait pas à ôter le harpon magique, qui continuait de lui envoyer des décharges électriques qui l'immobilisaient à chaque fois quelques secondes. Les jeunes gens tentaient tant bien que mal de le repousser à coups de rame ; certains avaient tiré leurs baguettes magiques et les agitaient dans l'espoir dérisoire de produire un quelconque sort, mais aucun d'entre eux ne connaissait quoi que ce soit à la magie...


Au bout d'un moment, la créature hybride parvint enfin à arracher le harpon de sa peau. N'ayant plus rien pour la gêner, elle proféra une autre phrase saugrenue, et s'apprêta à se jeter dans un autre assaut, lorsque soudain, un son d'instrument à vent, puissant et grave, retentit. Les élèves comme le monstre firent volte-face. Viagrid avait repris connaissance, et soufflait à présent à pleins poumons dans un énorme cor en ivoire.


Mais cela n'eut en fait aucun effet. L'hybride géant ne parut pas incommodé ou atteint de quelque manière que ce soit : il regardait simplement Viagrid d'un air décontenancé. Le garde-chasse regarda sa corne, surpris, puis tiqua avant de se dire à lui-même :


- Ah oui, j'suis con...


Il fit tourner une espèce de barillet métallique situé au milieu du cor. Quand il souffla à nouveau dedans, il produisit un son différent. Un bruit mécanique, comme celui d'un moteur, mêlé à une sorte de souffle… on aurait dit le bruit d'un métro…


Cette fois, la créature du lac réagit. Sa mâchoire se décrocha, ses yeux roulèrent dans leurs orbites, et son visage flasque se distordit de terreur. Poussant un dernier insupportable geignement, elle bascula en arrière et replongea dans le lac, soulevant de grosses vagues qui firent tanguer les chaloupes. Kelly vit son ombre disparaître dans les profondeurs et s'enfuir au loin.


Le calme revint, mais les première année étaient encore terriblement ébranlés. Trois personnes étaient sérieusement blessées, des chaloupes avaient été percées et commençaient à prendre l'eau, et Kelly sentait ses organes trembler encore sous l'effet de la peur. Viagrid reposa son cor d'ivoire, tira sur la chaîne de sa barque pour remonter son harpon, et s'assit tranquillement. Puis, il cria à l'intention des élèves :


- Allez, on traîne pas ! Vous voyez l'ouverture dans la roche, là-bas ? C'est là qu'il faut aller !


En effet, l'eau du lac s'engouffrait dans un trou en demi-cercle, creusé dans la colline, suffisamment grand pour laisser passer les bateaux. A l'intérieur se trouvait sans doute l'endroit où ils accosteraient, et vraisemblablement, on pouvait accéder au château depuis l'intérieur du massif rocheux. Néanmoins, la flottille ne redémarra pas tout de suite, tant les élèves étaient effarés.


- Mais Viagrid, qu'est-ce que c'était que cette horreur ? s'écria une élève qui tentait tant bien que mal de calmer son voisin qui avait été blessé par la créature.


- C'est le monstre du lac : un Mégamorphe Centroïde du Jura. Il prend l'apparence de l'homme politique de son pays qu'il trouve le plus ridicule. Donc, en ce moment, c'est un Édouard Balladur géant. Et il a très peur de ce bruit, on sait pas pourquoi.


L'élève qui était tombé à l'eau s'y débattait toujours, hurlant à l'aide de toutes ses forces. Viagrid ne fit rien pour lui et ordonna avec mauvaise humeur aux passagers de la barque la plus proche de l'infortuné :


- Bah allez quoi, aidez-le !


Bien qu'ouvertement irrités à l'égard du géant, le garçon et la fille interpellés obéirent et hissèrent le malheureux hors de l'eau. Trempé jusqu'aux os, il sautilla péniblement de barque en barque pour rejoindre la sienne, où l'attendait avec pitié son compagnon. Viagrid lui jeta par-dessus son épaule une toile très fine avec une telle force que, quand il la reçut en pleine figure, le garçon vacilla et faillit retomber dans le lac. Tout à fait serein, Viagrid leur fit signe de reprendre la route. Avant qu'elles ne recommencent à ramer, Giovanna-Paola Martoni lança à Kelly d'une voix lugubre :


- Ça répond à ta question ?


Kelly n'emporterait pas son maillot de bain l'année prochaine...


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