Lettockar, tome 1 : la honte des écoles

Chapitre 4 : Le premier jour (partie 2)

5594 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 12/01/2022 12:48

4. Le premier jour (partie 2)



10h30 – Potions magiques.


Le cours de potion avait lieu au sous-sol, dans la salle Afonso Menceldès, une pièce mal éclairée où se croisaient de nombreux effluves désagréables. Ils évoquaient à Kelly des fromages dépassés, de la naphtaline et du soufre. De nombreuses armoires contenaient des ingrédients répugnants : yeux de scarabées, araignées mortes, cuisses de grenouilles, des poudres et des fioles dont certaines étaient estampillées d’une tête de mort... Le professeur de potions, quant à lui, était avachi sur sa chaise, les jambes tendues sur son bureau, plongé dans la lecture d’un magazine. Kelly le reconnut : c’était le grand individu basané avec une moustache et des cheveux noirs en bataille. Chacun s’installa devant les chaudrons rouillés et déballa le matériel qui leur avait été exigé dans la liste des fournitures scolaires. Kelly, John et Naomi purent s’asseoir tous ensemble. Mais même quand tout le monde fut arrivé, le professeur ne fit aucun mouvement : manifestement, il ne s’était pas rendu compte que des élèves se trouvaient dans sa salle. Kelly jeta un coup d’œil à la revue que lisait cet homme et s’en retrouva bouche bée. Une sorcière vêtue seulement d’un shorty se dandinait sur la couverture, jouant avec une sorte de lézard – car, comme Kelly l’avait appris, les images, photographies et portraits créés par des sorciers étaient vivants.


Le moustachu continua sa lecture pendant une bonne minute. Kelly vit qu'il portait une grosse bague en or surmontée d'une pierre d'obsidienne, plutôt laide, à son index droit. L'homme finit par lever les yeux et s’aperçut de la présence des élèves de Dragondebronze. Vacillant sur sa chaise, il s’exclama :


- Ah merde, vous êtes là !


Il jeta alors son magazine sur son bureau et se leva. A l’image du professeur McGonnadie, il se lança dans une introduction à la matière qu’il enseignait.


- Et bah, bonjour. Je m’appelle Suppurus Grog, et je suis professeur de potions ici. Je pense que c’est explicite : je vais vous apprendre à préparer toutes sortes de breuvages et décoctions magiques. Peut-être avez-vous entendu parler de certains produits ? Par exemple, les philtres d’amour ?


- Oui, répondirent quelques élèves.


- Les Elixirs d’Euphorie ?


- Oui, répétèrent-ils.


- Des potions anti-boutons ?


Ils acquiescèrent à nouveau. Le professeur Grog hocha la tête.


- Parfait. Alors vous allez commencer par oublier ces conneries.


Beaucoup d’entre eux hoquetèrent de surprise. L’air agacé, Grog s’expliqua.


- Ben ouais. Comptez pas sur moi pour vous apprendre ces potions pour fragiles. Lettockar n’a pas été construit pour soulager les petites sensibilités des couilles molles ! On est là pour vous enseigner la magie des durs à cuire !


- Mais, monsieur… commença timidement John. Les potions que vous nous avez évoqués… elles sont au programme, j’ai feuilleté le manuel avant d’arriver à l’école.


- Si tu y tiens tant, tu peux aller faire mumuse avec ta panoplie du parfait chimiste, répliqua Grog avec dédain. Mais dans ma classe, pour réussir, il va falloir agir comme un vrai homme, garçon !


- C’est vraiment très sympa pour nous les femmes.


Cette réplique avait échappé à Kelly. Ses camarades affichèrent alors une étrange expression, à la fois impressionnée par l’audace de Kelly qui disait tout haut ce que beaucoup pensaient tout bas, mais aussi effrayés par le souvenir cuisant du cours précédent. Mais Grog n’avait apparemment pas la sanction aussi légère que McGonnadie.


- Rooooh, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit. Vous aussi, les filles, vous devriez bien vous en sortir en potions. Vous ne serez pas dépaysées, après tout, c’est un peu comme faire la cuisine.


La gent féminine de la classe poussa des sifflements outrés. Après l’humour raciste en métamorphose, c’est la misogynie qui s’invitait à l’école. La différence, c’est que cette fois, à la stupeur de Kelly, quelques garçons se mirent à ricaner.


- Merci de votre solidarité, les gars ! envoya-t-elle avec colère.


- Si c’est comme ça que tu comptes te trouver un mari… ironisa Grog.


- Qui vous dit que j’en veux un ? répondit brutalement Kelly.


- Dix points en moins pour Dragondebronze devraient te permettre de réfléchir à la question. Allez, on passe au cours.


Un grognement irrité accueillit le retrait de point. Mais cette fois, il y avait plusieurs cibles. Si certains rageaient contre le professeur Grog, d’autres s’étaient mis à en vouloir à Kelly, qui depuis le début de la matinée leur attirait des ennuis. Celle-ci baissa la tête, à la fois furieuse et honteuse de la situation. D’un côté elle ne pouvait leur reprocher de vouloir protéger les intérêts de leur maison, mais d’un autre elle ne comprenait pas comment ils pouvaient courber l’échine aussi facilement. Elle n’eut d’autre choix que de laisser Grog s’en tirer et reprendre son cours.


- Je trouve que l’un des trucs les plus stimulants qu’on peut faire en potion, c’est ce qui explose. C’est pourquoi nous passerons le trimestre à étudier l’art délicat des Cocktails Molotov.


Faisant fi de l’expression horrifiée de sa classe, il sortit alors un petit flacon qui contenait un liquide rouge vif et le mit bien en évidence. Soudain, on entendit le bruit d’un pas lourd dans le couloir, accompagné par une voix qui fredonnait. Tout le monde reconnut la démarche et l’horrible chant de Viagrid. Le professeur Grog eut alors un sourire retors.


- Il tombe bien, celui-là ; je vais vous faire une petite démonstration.


Jouant avec la fiole dans sa main, il attendit que Viagrid passe près de la classe. Quand son énorme silhouette fut visible à travers la vitre, la porte s’ouvrit à la volée et Grog lança de toutes ses forces son flacon qui se fracassa contre le mur du couloir. Ne laissant pas le temps au géant de comprendre ce qui lui arrivait, le liquide prit feu au contact de l’air et Viagrid, qui avait été abondamment aspergé lorsque le flacon avait explosé, eut le bras droit et une grande partie de la chevelure transformés en torche. Il se mit alors à hurler, sa voix prenant un timbre étonnamment aigu. Il fit volte-face et se rua vers les escaliers, les bras en avant. Ses pas précipités firent trembler le sol tandis qu’il beuglait « De l’eau ! De l’eau ! ».


- Ça, c’est pour avoir pissé dans ma Solution de Force l’année dernière ! aboya Grog à son intention.


- Oh non, professeur… gémit avec pitié l’élève rousse du nom de Ludmilla au premier rang. Vous n’auriez pas dû…


- Mais si, mais si, il va s’en remettre. Il a le cuir épais, vous savez. Bon, maintenant que vous avez vu de quoi il s’agit, vous allez vous y mettre. Prenez vos manuels et ouvrez-le à la page 7.


Les élèves obtempérèrent. La page 7 du Manuel de potions pour noobs portait le titre « Décoction pour pyromane de force 1 ». La formule était assez simple ; en revanche le timing et les dosages étaient particulièrement précis, et vu l’intitulé de la potion, on devinait que la moindre erreur comportait des risques extrêmes...


- Vous avez dans cette salle tous les ingrédients nécessaires à l’élaboration de cette potion, et en quantité suffisante, annonça Grog. Vous devriez avoir le temps de faire deux préparations. La première sera sans doute ratée, mais j’attends au moins de vous que vous ayez terminé un produit en temps et en heure. Et vous avez intérêt à assurer pour la deuxième…


Devant son air menaçant, ils déglutirent bruyamment. Grog, dans un grand mouvement de baguette magique, remplit d’eau tous les chaudrons, et un feu vif s’alluma sous chacun. Il retourna s’asseoir derrière son bureau et donna le départ :


- Allez, allez, rock’n’roll !


Il ressaisit alors sa revue de charme et s’y replongea. Les élèves se regardèrent entre eux, puis, guère tranquilles, se mirent à l’ouvrage. La potion était faite à la fois d’ingrédients ordinaires comme le souffre ou l’ammoniaque, mais aussi du sang de salamandre, des crochets de vipère et une substance que Kelly ne connaissait pas, la poudre de corne de Bicorne.


La préparation exigeait que l’intensité du feu soit croissante, et ce jusqu’à une température très élevée. Aussi, la pièce fut rapidement envahie par une chaleur étouffante. Kelly, en sueur, les yeux agressés par la fumée, avait du mal à rester concentrée, si bien qu’elle commit l’erreur d’incorporer du soufre trop tôt et avant le sang de salamandre. Alors, sa potion lâcha une énorme et foudroyante gerbe de flamme qui lui brûla tout l’avant-bras. Kelly hurla, retira son bras du feu et se recroquevilla, anéantie de douleur. Toute la classe sursauta de terreur. Dans le vain espoir de contenir sa souffrance, Kelly serra son biceps jusqu’à le broyer. Grog bondit hors de son siège et s’approcha promptement d’elle.


- Tu t’es brûlée ? Fais voir.


Kelly se releva très péniblement, et parvint non sans mal à lui tendre son bras brûlé. Il avait une énorme trace rouge vif, parsemée de cloques. Grog examina sa blessure et l’effleura même du doigt, lui arrachant un autre couinement de douleur. Elle attendit qu’il lui administre un remède mais, à sa grande stupéfaction, il se contenta de maugréer :


- Oh, c’est pas grave. Je te soignerai à la fin du cours. Va te passer le bras sous l’eau quelques minutes et reprend ton travail.


- Euh… vous ne pouvez rien faire tout de suite ? Ça fait mal, je vous jure ! insista Kelly.


- Nan. Ça fait partie du challenge, ma poule.


Kelly ouvrit la bouche pour protester contre la familiarité déplacée du professeur ainsi que son refus de la soigner, quand un hurlement retentit dans la classe. Au premier rang, le chaudron de Naomi avait fondu et laissait s’échapper son contenu orangé, qui fumait et bouillonnait abondamment. D’autres se mirent à crier et bondirent pour ne pas être touché par le liquide qui progressait à travers la salle, brûlant le sol. Mais Grog tira sa baguette d’un geste vif et le fit aussitôt disparaître. Quand le calme fut revenu dans la classe, il s’approcha du chaudron de Naomi. Il se pencha et en examina le fond percé.


- Professeur, je vous jure que je n’ai rien fait de mal ! s’écria Naomi, paniquée. J’ai respecté à la lettre les consignes et...


- Je n’en doute pas, l’interrompit Grog d’une voix douce. C’est ton chaudron qui devait être trop usé, le fond a cédé. Tu n’y es pour rien. C’est vrai que la potion était assez corrosive…


Il pointa sa baguette à l’intérieur du chaudron et prononça :


- Reparo.


Un fond flambant neuf se reconstitua alors. Grog donna un nouveau coup de baguette, et la marmite se remplit d’eau pure frémissante. Il adressa un sourire à Naomi et conclut :


- Allez, recommence et fais de ton mieux avec le temps qu’il reste.


Un peu surprise mais soulagée, Naomi reprit tranquillement sa potion depuis le début. Kelly, qui s’était rué vers le robinet et versait de l’eau glacée sur sa blessure, eut de son côté une moue soupçonneuse. Cette clémence du professeur lui semblait trop facile. Durant le dernier quart d’heure, d’autres potions s’enflammèrent et brûlèrent les élèves, si bien que très vite, ils durent faire la queue devant les robinets. Enfin, Grog annonça la fin du temps imparti. Sur son ordre, les élèves éteignirent leurs chaudrons. Il quitta son bureau et se dirigea vers leurs rangs.


- Alors, voyons voir vos chefs d’œuvre. Attention, je peux retirer des points si je juge que la potion est trop bâclée… dit Grog d’un ton grave.


Il évalua un à un le contenu des chaudrons de chaque élève. Parfois il réservait un petit rire condescendant aux préparations les moins réussies. Il ne fit aucun commentaire devant la potion d’un rouge beaucoup trop clair de Kelly. Vint alors le tour de Naomi, qui n’avait pu préparer qu’une potion à moitié terminée. Elle eut un sourire penaud mais plutôt confiant, le professeur ayant été plutôt bienveillant lors de l’incident.


- Je suis navrée monsieur, j’ai fait comme j’ai pu, mais je n’ai pas eu le temps de finir, murmura-t-elle en s’inclinant légèrement.


- Et bah ça fera 10 points en moins pour Dragondebronze, dit Grog d’un ton léger.


- Quoi ?? M… mais monsieur… haleta Naomi, les yeux ronds, tandis que ses camarades affichaient un air scandalisé, mon chaudron a fondu et vous avez dit vous-même que ce n’était pas ma faute !


- Je peux pas tout juger au cas par cas non plus. Il y avait une règle, tu ne l’as pas respectée, j’applique la sanction. Allez, tout le monde, c’est reparti !


Sur cette injustice qui fit trembler les genoux de Naomi, Grog brandit à nouveau sa baguette, les chaudrons furent remplis d’eau pure et des flammes vinrent les chauffer doucement. Après s’être à nouveau échangé des regards désespérés, ils recommencèrent leur préparation, la mort dans l’âme.


Cette deuxième séquence fut tout aussi ponctuée que la première par des explosions impromptues, d’infâmes odeurs de brûlé, de cris et de gémissements de souffrance d’élèves. Naomi, qui cherchait absolument à se rattraper, versait ses ingrédients à toute vitesse. Trop vite, car à un moment, sa potion lui envoya une gerbe de flammes bleues qui faillit lui toucher le nez.


- Des flammes bleues ? commenta Grog depuis son bureau. C’est pas bon signe.


Naomi parut alors terrorisée. L’intellectuelle qu’elle était ne pouvait envisager être humiliée une deuxième fois dans un même cours. Kelly et John éprouvèrent une profonde pitié pour elle, mais ne purent rien faire d’autre que de se consacrer à leur potion. Il était absolument miraculeux que Kelly parvienne à quelque chose tant son bras lui faisait mal. Abrutie par la douleur, elle versait fiévreusement les ingrédients dans son chaudron. Chaque minute lui paraissait une éternité de souffrance. Elle finit par ne même plus se rendre compte des embrasements et des hurlements qui animaient la salle. A vrai dire, peu lui importait de réussir cet exercice : elle voulait juste en finir. Aussi, elle ne sut jamais comment elle avait réussi à obtenir une potion rouge semblable à celle de Grog quand le temps fut écoulé.


Grog réitéra alors son évaluation. Cette fois, il attribua quelques points aux élèves qui étaient parvenus à réaliser une décoction correcte, dont Kelly, qui était presque incrédule devant sa performance. Elle estimait cela étant que c’était une récompense bien maigre par rapport aux dommages qu’ils avaient subis. Surtout au vu de l’appréciation qu’il réserva à Naomi en voyant l’espèce de soupe violacée qu’elle avait obtenu.


- J’espère au moins que tu fais mieux le ménage que la bouffe.


Naomi fondit alors en larmes, et Kelly ressentit une telle haine envers Grog qu’elle était persuadée qu’elle allait la vomir dans son chaudron.


- Bon, ce sera tout pour aujourd’hui, clama-t-il, totalement indifférent. Ceux qui ont encore des brûlures, venez prendre un antidote. Après vous pourrez aller déjeuner.


Il sortit alors un énorme tube rempli d’une matière grasse bleuâtre. La moitié des élèves se mit en file indienne pour se faire soigner. Kelly fut la première à passer. Grog s’était montré tellement ignoble qu’elle en venait à douter qu’il allait vraiment les soigner. Mais la pommade qu’il lui administra fut d’une efficacité déconcertante : sa brûlure disparut aussitôt, et la douleur avec. Kelly toucha sa peau. Elle était parfaitement lisse, comme si elle n’avait jamais rien subi. L’adolescente releva la tête vers son professeur de potions et lui jeta un regard abasourdi. En guise de commentaire, il lui désigna la sortie du pouce.


A la pause du midi, les elfes de maison distribuaient les portions de purée de carotte aux première année déjà fatiguées de la rentrée. Le ton était donné : Lettockar restait sur l’estomac. Qu’à cela ne tienne, comme dans toutes les écoles, des groupes se formaient : on discutait, on commentait, on donnait un moment de normalité à une situation pour le moins abracadabrantesque.


Kelly déjeunait bien sûr en compagnie de John et Naomi. Comme elle avait l’air blasée, Naomi tâchait de la soutenir.


- C’était vraiment horrible ce matin… T’as eu raison de réagir. Désolée d’avoir voulu te retenir, j’ai eu peur pour toi…


- C’est rien, répondit Kelly d’un air triste. Le pire, c’est que j’ai l’impression que c’était qu’une mise en bouche…


- Peut-être que c’est pour nous tester ? répondit sa camarade sans grande conviction. Après tout, c’est le premier jour, j’imagine qu’il veut voir ce qu’on a dans le ventre…


- Arrêtez de parler de bouffe, déclara soudain John, qui avait déjà englouti sa purée. J’ai encore faim et j’ose pas en redemander…


Kelly lui tendit spontanément son assiette à demi entamée.


- Tu peux finir la mienne si tu veux, ça m’a coupé l’appétit…


John s’exécuta.


- Au fait, merci Kelly. Et j’ai pas eu l’occasion de te le dire, mais merci aussi pour tout à l’heure avec McGonnadie… Mais…


Il prit un moment de réflexion. La gravité dans son ton, lui qui était plutôt enjoué, décontenança ses deux amies. Il dit enfin :


- C’était super gentil, mais ça m’a mis un peu mal à l’aise.


- Ah bon ? Mais pourquoi ?


- Ben, déjà, ça m’embête un peu que tu prennes des risques pour moi ! Je trouve ça dommage que tu te grilles auprès des profs dès le premier jour, et puis aussi, même si j’apprécie le geste, c’est quand même moi que ça concerne, et si jamais j’ai à me défendre, t’inquiète pas que je saurai le faire.


Kelly, dont le teint avait viré au rouge, ne sut pas quoi répondre.


- Mais y’a pas de souci ! assura John. Je sais que c’était bien intentionné de ta part ! Mais si toute l’année est comme ça, il vaut mieux que tu saches tout de suite que si jamais ça arrive à nouveau, la prochaine fois, laisse-moi agir le premier. Et j’ai pas envie que tu te fasses punir bêtement.


Il avait rendu à Kelly son assiette. Elle hocha la tête et déclara :


- Oui, bien sûr, désolée, je voulais bien faire… J’espère que…


- N’en parlons plus, dit-il en souriant. Bon alors, c’est quoi la suite ?


14h – Sortilèges.


Vers 13h50, ils se rendirent au deuxième étage où avait lieu leur cours. La salle de sortilèges était pratiquement identique à celle de métamorphose dans son architecture. Par contre, la décoration et l’équipement étaient différents. Il n’y avait pas d’animaux, mais des ustensiles et surtout, au grand étonnement de Kelly, des instruments de musique. Cela était-il simplement du matériel spécial, ou cela correspondait-il à la personnalité du professeur de sortilèges ? Un sentiment naïf traversa son esprit, comme quoi un mélomane serait peut-être moins terrible que ses collègues. Sentiment qui fut totalement étouffé quand elle vit ce qui constituait le principal ornement de la pièce : quatre squelettes aux crânes défoncés pendus par les poignets, de part et d’autre du grand tableau derrière le bureau. Certains de leurs os étaient cassés ou rongés par une moisissure verdâtre.


Kelly se mit à suer devant ce spectacle morbide et identifia celui qui serait leur professeur, incapable d’imaginer un personnage qui puisse décorer sa salle de travail de cette manière. C’était l’individu bedonnant et boiteux qui se trouvait à droite de Doubledose lors de la Cérémonie, vêtu de son costume à rayures et coiffé de son chapeau ovale. Il avait l’air calculateur et mesquin, et ses petits yeux clairs faisaient froid dans le dos quand ils croisaient ceux de ses élèves. Assis sur sa chaise, les mains jointes posées sur son bureau, il attendit patiemment que tout le monde soit assis, puis déclara :


- Bonjour à tous. Je suis votre professeur de sortilèges, Fistule Fistwick. Et je vais commencer par vous enlever 5 points à chacun parce que mon nom vous fait rigoler.


Il est vrai que Kelly avait réprimé un fou rire en entendant le patronyme improbable de son professeur, mais il se mua aussitôt en cri de protestation, comme le fit l’ensemble de ses camarades. Le professeur Fistwick les fit taire et poursuivit :


- Inutile de nier, bien sûr que vous trouvez ça drôle. Et très franchement, je ne peux pas vous en vouloir. Moi aussi ça me ferait marrer ! Mais bon, comme c’est moi qui commande, je vous enlève quand même des points.


Il adressa un large sourire à leur mine déconfite. Puis, plongeant toute la classe en pleine perplexité, il se mit à leur raconter sa vie :


- Oui, dès mon plus jeune âge, mon nom difficile à porter m’a attiré les quolibets de tout le monde. Mais bon, dès que j’ai été en âge de tenir une baguette, j’ai rapidement fait passer le goût de se moquer de moi. Je me suis révélé tellement balèze que j’ai vite cloué le bec à toutes les fortes têtes, y compris des types plus âgés. D’une façon pas toujours très propre d’ailleurs.


Instinctivement, les yeux de Kelly et de ses camarades se levèrent vers les quatre squelettes suspendus derrière Fistwick. La peur glaça les entrailles de Kelly : ces horribles trophées ne pouvaient quand même pas être les restes des victimes du professeur de sortilèges ?

Mais visiblement, Fistwick avait compris ce qu’ils avaient en tête, car il leur lança avec morgue :


- Non mais calmez-vous bande de glands, ça c’est du matériel didactique. D’ailleurs, oubliez-le pour le moment, vous n’êtes pas prêt d’en avoir l’usage. Aujourd’hui, on va étudier un sortilège très simple : le sortilège de Lévitation.


À ces mots, Fistwick brandit sa baguette et décrivit un cercle en direction de l’encrier posé devant lui.


- Wingardium Leviosa !


L’encrier s’éleva alors dans les airs, sans que l’enseignant ait eu besoin de la toucher. Certains élèves, dont Kelly, émirent un son admiratif. L’encrier suivait le moindre des mouvements de la baguette de Fistwick. Il le fit alors se promener dans toute la classe. Tout le monde le suivit des yeux. Mais tout à coup, l’encrier se retourna brutalement et renversa son contenu sur la tête de Gudrun, la fille aux cheveux d’un blond très clair, qui poussa un cri de frayeur.


- Oh, pardon, dit le professeur Fistwick, faussement navré, en esquissant un sourire narquois. Je couve peut-être un début de Parkinson. Parfait, maintenant, c’est à votre tour ! »


Toute la classe se raidit légèrement. Le souvenir des travaux pratiques de la matinée était encore bien présent dans leur esprit et ils n’étaient guère à l’aise à l’idée de faire à nouveau de la magie, même très basique. Gudrun, dont la chevelure étincelante était maculée de noir, paraissait furieuse en plus d’être tendue.


- Alors, vous faites comme moi, reprit le professeur Fistwick. Vous formez un cercle suivi d’un trait vertical avec votre baguette, et prononcez la formule : Wingardium Leviosa !


Au tableau, l’incantation s’écrivit d’elle-même, comme si une craie invisible était à l’oeuvre. Puis, Fistwick claqua des doigts. Des flacons apparurent sur tous les pupitres. Il s’agissait sans doute des objets qu’ils allaient essayer de faire léviter. Kelly examina le sien et vit qu’il était rempli d’un liquide écarlate. Un frisson parcourut son échine. C’était le cocktail explosif qu’ils avaient étudié ce matin même en cours de potions !


- Vous savez ce que c’est, je crois ? gloussa Fistwick. C’est le professeur Grog qui me les fournit. Franchement, c’est carrément plus amusant de s’exercer sur ce genre d’objets que sur des plumes ou des parchemins, non ? Allez-y, faites-moi léviter ces trucs. Mais, comme vous vous en doutez, si vous arrivez à les soulever, faites attention à ne pas les laisser tomber...


Le pire était que, comme toutes les potions n’avaient pas obtenu le résultat attendu, ils ne savaient pas ce qu’elles étaient réellement, et par conséquent quels effets elles causeraient si elles étaient libérées. Ils en avaient donc encore plus peur que si elles avaient toutes été des Décoctions pour pyromanes.


Ils durent cependant se résoudre à s’exercer. Les « Wingardium Leviosa » s’élevèrent machinalement. Bien évidemment, au début, il ne se passa rien. Fistwick leur donna quelques conseils sur la prononciation. John fut le premier à soulever sa fiole, elle ne s’éleva que d’une vingtaine de centimètres. Elle tomba alors sur sa table, et le jeune homme fit un pas en arrière, inquiet. Mais heureusement, sa fiole ne se brisa pas.


Hélas, tous n’eurent pas cette chance. Beaucoup d’autres élèves qui parvenaient à faire léviter leur flacon les brisaient sur le sol, le mur ou les pupitres. Dans certains cas, cela n’était qu’un fluide inoffensif. Un autre relâcha dans la salle une horrible odeur de pétrole. Milosz Wavarum s’attira une flopée d’insulte de ses voisins quand sa fiole se cassa et répandit de la matière fécale, exactement comme ce matin. Kelly, qui se tenait à bonne distance, fut prise d’un fou rire en se disant que Milosz était vraiment un sorcier de merde.


Une Décoction pyromane réussie finit par exploser, et le pupitre de Stephen Borntobewaïld s’enflamma. Tous les élèves aux alentours s’enfuirent en glapissant. D’un geste fulgurant, Fistwick fit léviter un extincteur qui se tenait tout près. La grosse bonbonne envoya un grand jet qui éteignit le feu. Mais en même temps, Stephen fut totalement recouvert de mousse et se mit à tousser et à crachoter. Il lança un regard implorant à Fistwick, espérant qu’il le débarrasse de la substance neigeuse, mais le professeur tourna les talons et n’en fit rien, laissant le malheureux dans cet état pitoyable. Son voisin de derrière, qui avait fait léviter la Décoction, lui bredouilla des excuses auxquelles Stephen répondit par un juron.


Kelly mit plus d’une demi-heure à faire léviter la sienne. Mais hélas, son sort était encore mal maîtrisé, car au bout d’une quinzaine de seconde, le flacon chuta. Kelly se rua en avant pour le rattraper afin qu’il ne se brise pas et déclenche un incendie. Elle parvint à s’en saisir du bout des doigts, mais dans son élan, elle bascula par-dessus son pupitre et tomba lourdement à terre, les fesses en l’air. Elle s’était violemment cogné le front contre le sol et sentit naître une bosse de belle taille au moment où elle se relevait. Mais au moins, elle n’avait pas mis le feu...


Le professeur Fistwick se promenait le plus tranquillement du monde à travers sa classe, appuyé sur sa canne. Il affichait son imbuvable sourire goguenard, qui s’élargissait quand il constatait les effets involontaires et calamiteux des tentatives de sortilège de Lévitation. Parfois, il avait l’indulgence de stopper certaines fioles dans leur chute pour éviter qu’elles se brisent. Kelly devina que cette mansuétude beaucoup trop ponctuelle pour être crédible avait un côté méprisant qui amusait encore davantage Fistwick.


Le summum de l’ignominie eut lieu lorsque la jeune fille que Fistwick avait arrosé d’encre rata son sortilège et cassa son flacon. Une matière boueuse verdâtre se répandit sur le sol. D’abord inerte, elle se mouva soudain en formant d’affreux grumeaux. L’un d’eux enfla plus intensément que les autres et prit une consistance plus solide. Kelly, vit, épouvantée, des espèces de bras jaillir du monticule et s’écarter. Une sorte de créature naissait de la substance. Des orbites vides se creusèrent, et juste en dessous une fente béante qui devait correspondre à une bouche. L’immonde engeance se mit soudain à chanter d’une voix mélodieuse :


- La mer, qu’on voit danser le long des golfes claiiiiiiirs !


Aussi juste que fut ce chant, il ne ravit personne. Tout le monde eut un grand mouvement de recul terrifié. En revanche, Fistwick, parfaitement posé, s’approcha de l’horrible créature qui continuait sa chanson, l’observa avec un grand intérêt et dit d’un ton amusé :


- Ah tiens, c’est original, ça !


Il lâcha sa canne, qui ne tomba pas au sol et resta parfaitement droite et rigide dans les airs, fit apparaître une bouteille du néant, et la déboucha. Le tas de boue verte fut alors aspiré à l’intérieur dans un bruit de succion désagréable. On vit alors la créature s’agiter à l’intérieur, essayant de s’en échapper.


- J’examinerai ce truc plus tard, dit Fistwick d’un ton enjoué. 10 points pour Dragondebronze pour avoir créé une chose intéressante.


Il adressa un signe de tête à Gudrun, qui resta totalement interdite. Puis il déclara à la cantonade :


- Bien, je crois qu’on va s’arrêter là. Sortez de quoi écrire, on va terminer le cours par une introduction à la notion même de sortilège et un passage théorique sur la Lévitation.


- Je ne comprends pas, chuchota Kelly à John tandis qu’elle sortait sa plume et du parchemin, si on est un peu logique, on étudie la théorie en premier et après on passe à la pratique, non ?


- Je crois qu’il va falloir renoncer à la logique à Lettockar, soupira John.


La deuxième heure de cours fut donc consacrée à la prise de notes. En soi, c’était assez barbant, mais les élèves avaient eu leur dose de magie pour la journée. Ce moment de passivité fut pour eux une véritable délivrance. À la fin de l’heure, une fois son développement achevé, Fistwick se frotta les mains.


- Parfait, le cours est terminé. Vous pouvez ramasser vos affaires. N’oubliez pas, on se revoit demain !


Ils acquiescèrent tous sans aucun enthousiasme. Au moment où ils se dirigeaient d’un pas abattu vers la sortie, le professeur leur lança :


« C’était votre dernier cours de la journée, si je ne m’abuse ?


Les quelques élèves qui n’étaient pas totalement démoralisés confirmèrent d’un signe de tête. Une petite lumière s’alluma au fond des yeux pâles de Fistwick, qui conclut ainsi son cours :


- Et bien, permettez-moi de vous le redire : bienvenue à Lettockar !




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