Lettockar, tome 1 : la honte des écoles

Chapitre 21 : Louvoiements dans Poudlard

5082 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 14/05/2022 13:56

21. Louvoiements dans Poudlard


Kelly, Naomi et John se dirigèrent vers la silhouette du château perché au sommet de la colline où ils se trouvaient. Le silence total, à peine rompu par des bruits anecdotiques comme le hululement d’un hibou ou les battements d’ailes d’un oiseau, était rassurant. Ils remontèrent des chemins de terre et des escaliers grossièrement taillés dans des bosses, et finalement, ils purent admirer le château de Poudlard de son entier. Il était plus grand et plus complexe que celui de Lettockar : hérissé de tours aux toits pointus, bardé d’allées reliant les ailes curieusement disposées de l’édifice les unes aux autres, et doté d’un grand parc verdoyant. Il paraissait issu d’un conte de fée, sa bizarrerie le rendait charmant, attrayant. Il était si immense et si sophistiqué que les trois adolescents ne savaient pas par où l’aborder. Ils repérèrent une porte d’entrée, dans un bâtiment très large et prometteur. Mais elle s’avéra être fermée… rien de très surprenant, mais tout de même très contrariant. Et ils n’avaient pas le temps de chercher une autre entrée…


- J’ai une idée... murmura alors Naomi.


Elle les emmena près d’une des nombreuses et grandes fenêtres d’une aile du château. Elle en visa une de sa baguette et incanta :


- Alohomora !


Il y avait assez peu de chance qu’une porte d’entrée de Poudlard puisse s’ouvrir avec un sortilège aussi simple, en revanche, une simple fenêtre y était sensible : l’une d’elle s’ouvrit avec un grincement. Les fenêtres étaient assez surélevées : aussi, John dut faire la courte échelle à Kelly et Naomi pour qu’elles entrent dans l’endroit inconnu. Une fois à l’intérieur, elles le hissèrent à leur tour. Ils se trouvaient dans une vaste salle de banquet qui faisait penser à la Cantina Grande. Kelly, John et Naomi prirent le temps de l’admirer. Elle comportait aussi quatre longues tables placées à la verticale, et une autre au fond, sans doute pour les professeurs. Derrière, il y avait une très grande fenêtre ouvragée. Le plafond, où flottaient des centaines de bougies éteintes, était magique : il reflétait le ciel au-dessus de lui. Ils sortirent de cette superbe salle le plus discrètement possible, et s’engagèrent dans les couloirs de l’école Poudlard.


C’était comme s’ils s’étaient retrouvé dans un deuxième labyrinthe. Au vu de la hauteur du château, il devait y avoir six ou sept étages. Ils se dirigèrent instinctivement vers le dernier, sûrement parce qu’à Lettockar, le bureau de Doubledose se situait aussi tout en haut. Mais s’y rendre se révéla plus facile à dire qu’à faire : les couloirs remplis de salles étaient longs, alambiqués, et les nombreux croisements compliquaient leur progression à pas feutrés. Ils empruntèrent toutes sortes d’escaliers : des droits, des courbes et des carrés, qui avaient tous une fâcheuse tendance à bouger et à changer de direction alors que les trois compères étaient en plein milieu. L’édifice médiéval était richement décoré : miroirs, tapisseries, meubles ouvragés, sculptures... Sur les murs étaient accrochés de nombreux portraits vivants, mais heureusement, leurs occupants dormaient tous à cette heure-ci. A un moment, les trois intrus entendirent soudainement un toussotement suivi d’un bruit métallique ; ils sursautèrent, mais s’aperçurent que ce qui avait toussé était une armure de chevalier. Ils restèrent sur leurs gardes, s’attendant à ce qu’elle les attaque, mais elle n’en fit rien. Ils reprirent tranquillement leur exploration. Kelly se sentait déjà très bien dans ce château. Au moins, ici, l’architecture ne vous agressait pas et il n’y avait pas de dalles à ressorts qui vous envoyaient valser à l’autre bout du couloir. Mais ils y étaient complètement perdus… ils n’avaient pas réalisé que trouver le professeur Dumbledore dans un endroit aussi vaste et compliqué serait comme chercher une aiguille dans une botte de foin. Et si en plus, il était déjà allé se coucher ?


Tout à coup, des bruits de pas se firent entendre au loin. Affolés, les trois intrus filèrent se dissimuler dans un placard à balai. Ils étaient serrés comme des sardines et ce fut par miracle qu’ils ne firent rien tomber par terre. La porte entrouverte laissait un fine fente par laquelle ils pouvaient avoir un maigre aperçu de l’extérieur. Les pas s’approchaient, dans quelques secondes ils verraient de qui il s’agissait. Le cœur de Kelly fit un saut périlleux lorsqu’elle distingua les pans d’une longue robe de sorcier, et de longs cheveux blancs qui flottaient avec grâce…


- Le voil...


Mais alors, John plaqua sa main sur la bouche de Kelly pour la faire taire. D’abord étonnée, elle pâlit en voyant qu’elle avait failli commettre une gaffe. Dumbledore n’était pas seul. Il était accompagné de Harry Potter et d’un très gros chien aux longs poils noirs. L’attention de Kelly s’attarda vaguement sur cet animal qu’elle n’avait pas vu parmi la foule tout à l’heure… mais rien qu’à cause de la présence de Harry, ses amis et elle ne pouvaient pas sortir. Le bruit des pas du trio se faisait de plus en plus faible...


- On va encore le perdre… gémit Naomi.


- Bougez pas, je vais les suivre, dit John.


Kelly et Naomi eurent un air interloqué, surtout en découvrant qu’il était occupé à ôter ses chaussures.


- Quoi, tu vas y aller seul ? s’étonna Naomi.


- En se déplaçant tous les trois, on multiplie les risques de se faire repérer, signala John avec perspicacité. Il faut que quelqu’un parte en éclaireur et revienne chercher les autres une fois qu’il aura mis la main sur Dumbledore.


- C’est pas bête… mais je t’en prie, sois prudent… murmura Kelly.


John poussa très lentement la porte, qui ne grinça qu’un petit peu. Il la referma derrière lui avec douceur, en actionnant la clenche cette fois, car un placard entrouvert pourrait attirer l’attention d’un passant. Il aperçut Dumbledore, Harry et le chien au bout du couloir et les suivit à bonne distance en longeant les murs. Pieds nus, il faisait beaucoup moins de bruits, Kelly et Naomi l’entendirent à peine s’éclipser.


- J’espère que le chien ne va pas sentir l’odeur de ses pieds… commenta Kelly.


Et zut, se dit-elle, pourquoi John n’était pas là au moment où elle disait un truc drôle ? Tout à coup, Naomi la tira par la manche et dit à mi-voix :


- Kelly, au sujet de ce qui s’est passé dans le labyrinthe, avec l’Acromentule…


- C’est bon, Mimi, je t’ai dit que je t’en voulais pas, la coupa Kelly, agacée.


- C’est pas ça. En fait, si j’étais complètement pétrifiée, c’est parce que… quand je t’ai vue en danger de mort, et moi qui regardait ça sur le côté, j’avais l’impression de revivre… ce qui s’est passé avec Benjamin.


Sa voix s’étouffa sur ce dernier mot. Kelly se tourna vers elle, le souffle court. Naomi avait les yeux baissés et les paupières tremblantes. Bouleversée, Kelly lâcha un simple :


- Oh...


- Je voulais te le dire pendant que John n’était pas là…


- Tu lui as toujours pas raconté ?


Naomi secoua mollement la tête de droite à gauche, un peu piteusement. Kelly hésita un instant, puis lui caressa brièvement le dos avec douceur. Elles ne dirent plus rien durant l’attente du retour de John… aussi bien par gêne que par discrétion. Plus tard, trois petits coups furent frappés à la porte du placard. Elle s’ouvrit et John apparut, tout essoufflé, déclarant d’un ton triomphal :


- Ils sont dans une infirmerie… il faut qu’on se dépêche pour l’intercepter, en espérant qu’il repasse par le même chemin…


- Personne ne t’a vu ?


John fit « non » de la tête avec fierté. Kelly et Naomi sortirent, il remit ses chaussures et leur fit signe de le suivre. Il avait une assez bonne mémoire des chemins : il les fit descendre des escaliers et emprunter des couloirs sans moment d’hésitation. De son côté, Kelly essayait de repérer des coins où ils pourraient se cacher au cas où ils croiseraient des personnes indésirables. Cela finit par se produire : alors qu’ils se trouvaient à un carrefour, en entendant à nouveau des bruits de pas, ils se recroquevillèrent dans une alcôve. Kelly jeta un coup d’œil. C’était bien le professeur Dumbledore, et cette fois, il était seul. Enfin, l’occasion se présentait. Kelly, Naomi et John surgirent de l’alcôve et allèrent à sa rencontre, le faisant se stopper sous la surprise. Les distinguant mal dans l’obscurité, le directeur les prit dans un premier temps pour trois de ses élèves.


- Qu’est-ce que vous faites dans les couloirs à cette heure-ci, jeunes gens ? dit-il d’un ton réprobateur. Allons, retournez dans vos salles communes, ne m’obligez pas à…


Alors il se tut, ferma brusquement la bouche et plissa les yeux. Son expression passa en un clin d’œil de la sévérité à la complète stupéfaction. Très calmes, les trois amis lui adressèrent un sourire engageant. Dumbledore s’adressa à Kelly et Naomi :


- Mais… je vous connais, toutes les deux ! Vous êtes…


- Kelly Powder…


- … et Naomi Jane.


A en juger par son expression, la mémoire de Dumbledore lui revint comme un pavé en pleine face.


- Vous êtes des élèves de Lettockar ! s’exclama-t-il d’une voix sifflante.


- Et oui. Ravie que vous vous souveniez de nous, lança Kelly.


Elle ne put s’empêcher de sourire en voyant l’air estomaqué de Dumbledore. Elle s’y était attendue, bien évidemment. La bouche entrouverte et les yeux écarquillés, il regardait alternativement Kelly et Naomi, peinant à assimiler toutes les questions qui devaient se bousculer dans sa tête. Il se tourna vers John et lui demanda à mi-voix :


- Et toi, alors ?


- John Ebay, un de leurs potes, également à Lettockar.


- Par la barbe de Merlin ! glapit Dumbledore.


Il sortit brusquement sa baguette magique et avec une vitesse surprenante, il donna trois coups avec, un par tête. Les trois amis furent frappés d’un même sortilège : Kelly eut l’impression qu’on lui avait écrasé un œuf sur la tête et que son contenu visqueux coulait sur son corps. Stupéfaite, elle leva une main, et découvrit qu’elle était devenue transparente, et tout le reste de son corps avec. Naomi, John et elle se confondaient avec l’environnement, comme des caméléons.


- Mais… professeur Dumbledore, qu’est-ce que vous nous avez fait ? s’exclama Kelly.


- Moins fort, Kelly ! N’ayez crainte, ce n’est qu’un sortilège de Désillusion, ce n’est pas dangereux. Maintenant, suivez-moi et ne faites plus un bruit. Nous allons dans mon bureau.


A ces mots, il s’avança d’un pas si vif que les trois sorciers pourtant dix fois plus jeunes que lui eurent du mal à suivre son rythme. Dumbledore les entraîna vers les étages supérieurs du château. L’entrée vers le bureau du directeur de Poudlard était dissimulée par une gargouille extraordinairement laide, mais bien moins effrayante que le squelette de tyrannosaure qui gardait le bureau de Doubledose. Devant elle, Dumbledore proféra une parole inaudible, et la statue de pierre fit un pas de côté. Le mur derrière la statue s’ouvrit, laissant apparaître un escalier en colimaçon qui tournait lentement sur lui-même, comme un escalator.


- Montez et attendez-moi dans mon bureau, chuchota Dumbledore, la porte n’est pas fermée. Je vous rejoins dans quelques minutes.


Ils opinèrent du chef et s’engouffrèrent dans l’escalier. A leur passage, Dumbledore leur donna à chacun un coup de baguette et supprima son sortilège de Désillusion. Ils se laissèrent élever sans effort par l’escalier tournoyant, qui les emmena jusque devant une porte en chêne aux reflets chatoyants, avec un heurtoir de cuivre en forme de griffon. Ils pénétrèrent dans le bureau, qui s’avéra être une grande pièce circulaire, très chargée. Les murs étaient tapissés de portraits représentants des sorciers et sorcières que Kelly devina être les anciens directeurs et directrices de Poudlard. Il y avait de nombreuses étagères remplies de livres, ainsi que plusieurs tables où étaient entreposés une multitude d’étranges instruments en argent, à l’utilité inconnue, qui bourdonnaient ou bien produisaient de petits nuages de fumée.


Kelly, John et Naomi prirent la liberté de se promener dans la pièce fascinante. Les deux premiers examinèrent les objets magiques, mais naturellement, Naomi se dirigea aussitôt vers la bibliothèque de Dumbledore. Elle parcourut des yeux les innombrables titres en lettres dorées avec un enthousiasme affiché. Un épais ouvrage parut tout particulièrement lui taper dans l’œil : elle s’en saisit et commença à le feuilleter. La couverture animée représentait un homme à tête de chacal essayant péniblement de se gratter l’oreille avec son pied. Peu après, Dumbledore entra dans le bureau. Il aperçut Naomi absorbée par la lecture d’un de ses livres, et un sourire se dessina sur son visage ridé.


- Tu t’intéresses à la métamorphose en Égypte Antique, Naomi ? lui lança-t-il, les yeux pétillants.


- Euh… oui euh… pardon, j’ai pas pu m’en empêcher, je vais le reposer… balbutia Naomi.


- Non, je t’en prie, garde-le, on m’en a déjà offert deux autres exemplaires pour mes cent ans, répondit Dumbledore avec un petit soupir blasé. Maintenant, asseyez-vous, je vous en prie… et buvez donc quelque chose...


Il fit un grand tournemain avec sa baguette magique. Aussitôt, trois sièges apparurent devant son bureau, ainsi que des verres et deux bouteilles, l’une remplie de jus d’orange, l’autre de lait chocolaté. Il y avait aussi une boîte remplie de biscuits. Kelly reconnut bien là sa gentillesse. Les trois compagnons se laissèrent tomber sur les confortables sièges et commencèrent à boire et à manger, avec avidité et même empressement. Les bouteilles se remplissaient automatiquement et n’étaient jamais vides. Ces vivres étaient comme une bénédiction après cette aventure éprouvante. Dumbledore s’assit en face d’eux, et attendit patiemment qu’ils aient repris quelques forces avant de les interroger :


- Je ne sais même pas par où commencer… comment êtes-vous arrivés jusqu’ici ? Et comment avez-vous eu ces blessures ? Grands dieux, vous avez l’air si éreintés...


Kelly, John et Naomi marquèrent d’abord un silence. Cette conversation était le couronnement de toute leur machination, et maintenant qu’ils y étaient parvenus, toute la tension qu’ils avaient accumulée non seulement ce soir, mais aussi ces dernières semaines, était étonnamment difficile à évacuer, et livrer leur longue histoire représenta un effort considérable. Il leur fallait remonter jusqu’à la découverte du Vif d’or dans les murs de Lettockar le soir de Noël…


- Ah aaaah, c’est donc là qu’il était passé… murmura Dumbledore, songeur, lorsqu’il apprit cela.


- Donc, ce Vif d’or était bien à vous ?


- Cette année, il n’y a pas eu de compétition de Quidditch à Poudlard. Mais le matériel était régulièrement entretenu… le soir de Noël, un elfe de maison a commis une petite négligence, le Vif d’or s’est échappé de la malle où il est enfermé d’habitude. Comme vous l’avez sans doute remarqué, il est extrêmement rapide, et il a hélas été perdu de vue. Nous l’avons cherché, en vain. Mais il est revenu deux jours après, sans que personne n’ait su où il était passé… et je n’en ai pas fait grand cas. Je constate que j’ai eu tort.


Les trois amis hésitèrent, ne sachant pas si cette inadvertance mettait Dumbledore de mauvaise humeur, mais ce dernier leur adressa un sourire qui les invitait à poursuivre leur récit. Il parut médusé par la description de la magie chaotique qui régnait dans les catacombes du château de Lettockar, et encore plus par le fait qu’elle ait créé ni plus ni moins qu’un vortex vers son propre domaine. Kelly, John et Naomi lui racontèrent que suite à cette découverte, ils avaient mené des mois de recherche, et réussi à fabriquer un portail fiable autour du vortex, en direction – ils l’avaient espéré de toutes leurs forces – de Poudlard. Qu’après l’avoir enfin emprunté, ils s’étaient retrouvés dans un labyrinthe totalement imprévu et en étaient sortis sans trop savoir comment, après avoir filé entre les pattes d’une araignée géante et résolu l’énigme du sphinx. Dumbledore leur expliqua que le terrain de Quidditch avait été aménagé en labyrinthe pour servir d’épreuve au Tournoi des Trois Sorciers, comme Naomi l’avait intelligemment suspecté. Quand ils en eurent terminé, le sage hocha lentement la tête de haut en bas, agréablement stupéfait.


- Ainsi, vous avez survécu à la Troisième tâche du Tournoi. Je suis véritablement impressionné… Moi-même, je n’aurais pas fait mieux à votre âge.


- Roh, vous allez nous faire rougir, dit John.


- Si, si, j’insiste. J’espère ceci dit que vous n’avez pas fait trop de mal à l’Acromentule, ajouta le directeur avec un petit rire. Notre garde-chasse aime beaucoup ces créatures, il risque de ne pas apprécier de la retrouver trop abîmée…


- Euh, professeur… elle a failli nous tuer, quand même… rappela Kelly.


- Euh… ahem… oui, pardon, dit Dumbledore en s’empourprant. Je… j’espère que ta blessure ne te fait pas trop mal ?


Kelly voulut clamer un « non » courageux, mais un brusque lancement à sa hanche l’empêcha de fanfaronner. Ensuite, Dumbledore baissa les yeux, et marmonna d’une voix pensive :


- Il existe donc un passage entre Lettockar et Poudlard…


- Qui mène tout droit à l’emplacement du terrain de Quidditch, acheva John.


- Mais comment est-il apparu ? interrogea Dumbledore. Le savez-vous ?


Une certaine inquiétude, qui n’échappa pas à Kelly, perçait dans sa voix. Maintenant qu’elle y pensait, cela pouvait représenter un danger pour lui, en effet…


- Il a été créé il y a plus d’un siècle, par un certain Daniel Glover, un élève de notre école, expliqua Naomi. Il y a passé ses sept années d’étude, en exploitant la magie nébuleuse des catacombes. Il cherchait à quitter Lettockar pour rejoindre Poudlard...


-… et apparemment, vous avez voulu faire de même, déduit Dumbledore.


Il joignit les mains devant la bouche, et se mit à les observer par-dessus ses lunettes en demi-lune, d’un regard pénétrant et calculateur. Kelly avait l’impression d’être passée aux rayons X. Intimidée, elle ne dit rien. Elle ne parvenait pas à deviner ce que le professeur Dumbledore pensait de leur initiative. Le vénérable sorcier dit lentement :


- Je suis navré de vous assommer de questions, mais puis-je quand même vous demander ce qui vous a poussé à faire tout cela ?


- Professeur Dumbledore, vous devez savoir ce… comment c’est, là-bas… articula Kelly.


- J’ai bien une petite idée, je le crains… mais je vous écoute…


Dire que Kelly, Naomi et John avaient vidé leur sac aurait été un euphémisme. Ils lui dirent absolument tout ce qu’ils purent, sans s’arrêter. Dès les premières minutes de leur scolarité de sorciers, ils avaient été plongés dans l’horreur. Ils lui parlèrent de la traversée du Lac durant laquelle ils avaient été attaqués par un Edouard Balladur monstrueux, des Choixlettes Magiques. Ils lui parlèrent du château où chaque pierre semblait complètement cinglée, des statues aztèques qui manquaient de couper les passants en tranches et des serres bourrées de plantes dangereuses cultivées par le plus irresponsable enseignant du monde. Ils lui parlèrent des cours de Jar Jar Binns, de McGonnadie et son « humour » qui avait métamorphosé un élève dès son premier jour d’école, de Fistwick et ses expériences qui avaient failli détruire le château… de ceci, de cela, la liste n’en finissait pas. Et le visage de Dumbledore s’assombrissait un peu plus à chaque nouvelle révélation. Il paraissait même vieillir davantage au fil de la discussion, mutique et consterné. John, Kelly et Naomi finirent par se taire, plus par fatigue que parce qu’ils ne trouvaient plus rien à dire. Dumbledore passa une main dans ses longs cheveux, les yeux perdus dans le vide.


- Je savais qu’être élève à Lettockar revenait à avoir une existence et une scolarité difficile… dit-il dans un soupir, mais je ne pensais vraiment pas que c’était aussi désastreux…


- C’est pour ça qu’on est là, professeur ! s’exclama Kelly, pleine d’espoir. On veut quitter cette école de merde ! On est venu jusqu’ici pour… pour vous demander si vous voulez bien nous prendre comme élèves à Poudlard à la place. Je sais bien qu’on y a pas été inscrits pour des raisons d’effectifs, ou parce qu’on a été repérés trop tard, mais… y’a vraiment pas moyen ? On est prêts à faire beaucoup d’efforts pour s’intégrer dans la meilleure école de sorcellerie du monde, tous les trois. On aimerait tellement que ça soit vous qui nous appreniez la magie… et pas eux !


John et Naomi n’ajoutèrent rien, mais ils l’approuvèrent avec cœur de grands hochements de tête. Dumbledore les regarda longuement, l’expression insondable. Ils étaient suspendus à ses paroles, censées livrer la réponse à leurs mois de travail, de peine et de persévérance. Le vieil homme ne leur adressa pas le moindre sourire bienveillant… il prit alors une grande inspiration et déclara :


- John, Naomi, Kelly, rien ne me ferait plus plaisir que de vous dire ceci : j’accède à votre requête. Il est hors de question que je vous laisse une minute de plus étudier dans une telle école. Je ferai le nécessaire dès demain matin : je tâcherai de trouver un arrangement avec le professeur Doubledose et m’occuperai de remplir tous les formulaires pour votre transfert ici. Vous voilà dès à présent des élèves de l’école de sorcellerie Poudlard.


Il marqua une pause, qui n’augurait rien de bon aux yeux des trois adolescents. Dumbledore baissa les yeux, comme s’il avait honte de ce qu’il allait dire.


- Je ne peux pas.


Kelly sentit en même temps une lame acérée lui embrocher le cœur, et un poids tomber au fond de son estomac avec tant de force qu’elle crut entendre un bruit sourd. Ses bras tombèrent le long de son siège en même temps que son visage se fendait d’une expression horrifiée. Non, ça ne pouvait pas se passer comme ça… le professeur Dumbledore ne pouvait pas leur dire ça, pas après tout ce qu’ils avaient fait !


- Mais pourquoi ? gémit Naomi, au bord des larmes.


- Je… enfin, voyons, les enfants… on ne peut pas changer d’école de sorcellerie d’un coup de baguette… ne vous rendez-vous pas compte de la difficulté que cela représente ? De tous les bouleversements que cela impliquerait ? Depuis la fondation de l’école cachée, une telle chose ne s’est jamais produite. Transférer des élèves entre deux académies « officielles » est déjà difficile, mais alors là… il n’existe même pas de procédure pour un tel cas de figure. Je ne voudrais surtout pas vous enfoncer, mais réfléchissez… comment pourrions-nous faire passer cela, à Poudlard ? Il faudrait expliquer à tous les élèves et tous les professeurs qui vous êtes, d’où vous venez, où vous avez passé votre première année, pourquoi vous intégrez soudainement les bancs de Poudlard… comment le faire sans briser le secret de votre école ? Vous ne pourrez jamais passer inaperçus. Vous changeriez complètement de monde… il faudrait tout recommencer à zéro, mentir sur tout, réécrire votre histoire… Sans parler du fait qu’il faudrait faire accepter aux autorités de Lettockar que vous les quittez de force. Et vos camarades restés là-bas ? Accepteraient-ils que vous ayez reçu un traitement de faveur ?


Kelly fit la moue, embarrassée. Il est vrai qu’ils n’avaient pas pensé à leurs camarades de Dragondebronze… ils les auraient abandonnés. Avaient-ils manqué de solidarité ? Mais beaucoup auraient voulu faire la même chose qu’eux trois s’ils en avaient eu l’occasion, se disait-elle, on ne pouvait pas leur en vouloir…


- Et quand bien même… reprit Dumbledore, cela m’est interdit de vous accepter dans mon château. Un pacte magique très ancien lie Lettockar aux autres écoles, et je ne peux pas le rompre. Il est des serments contre lesquels je ne peux pas lutter… je ne peux pas vous extirper de Lettockar en signant un simple morceau de papier. Et de toute façon, vos professeurs ne voudront jamais...


- Mais qu’est-ce que vous en avez à faire, de leur avis ? s’écria Kelly, la voix brisée. Qu’est-ce qu’ils peuvent bien faire, face à un sorcier comme vous ?


- Kelly, ma petite, je ne suis pas tout-puissant, répondit Dumbledore d’une voix lasse. Je ne puis résoudre seul tous les problèmes de ce monde. Et user de mes pouvoirs pour imposer ma volonté n’est pas dans mes habitudes...


Il y eut un silence. Le corps de Kelly peinait à la soutenir, elle avait l’impression d’être aspirée dans le sol. Dumbledore se tordit les mains en voyant le visage dévasté par l’incompréhension et le désespoir de la jeune fille. L’air grave, il se pencha vers ses interlocuteurs et déclara avec insistance :


- Ce n’est ni par choix, ni par indifférence que je vous dis tout cela. Je voudrais vous intégrer dans mes classes. Je suis le premier à trouver d’un cynisme insupportable le fait de condamner des apprentis sorciers à vivre comme des reclus pour le simple fait d’être nés différents… et parmi toutes mes missions en tant que directeur de Poudlard, avoir à annoncer à de jeunes nés-Moldus qu’ils n’iraient pas dans le même collège que les autres a toujours été la plus pénible. Je l’ai toujours vécue comme un échec personnel. Au fond de moi, j’espère qu’un jour, partout dans le monde, des nés-Moldus ne seront plus obligés de se cacher dans un château coupé de tout pour étudier, ou être protégés de la cruauté du monde. Mais je crains fort que… ça ne soit pas ce soir que ce changement historique ait lieu.


Il n’ajouta plus rien. Il contempla avec tristesse Naomi enfouir son visage dans ses mains, les joues déjà humides. Tout aussi anéanti, John passa son bras autour de ses épaules. Kelly, elle, était en colère. Mais pas contre le professeur Dumbledore. Elle savait qu’il était sincère. Dans ses yeux bleus, elle lisait toute la pitié et toute la compassion du monde.


Elle était en colère contre elle-même. Tout ce que venait de dire le professeur Dumbledore… était tristement vrai. A aucun moment, elle n’avait pensé à tout cela. Comment avaient-ils pu ne pas prendre en compte tous ces paramètres, partir la fleur à la baguette en pensant que changer d’école serait aussi facile ? Le simple fait qu’ils aient pu y croire… tous leurs plans, tous leurs espoirs, leur conviction, tout ça lui parut d’une puérilité pathétique. Une lubie, une chimère, une vraie blague. Kelly était ramenée à la raison, ramenée sur terre avec brutalité, et même avec cruauté. Ramenée à sa condition d’enfant naïve et inconsciente, elle qui s’était crue devenir une guerrière audacieuse avec cette ruée vers Poudlard. Pire, elle culpabilisait, car tout ça était parti de son idée. C’était elle qui avait entraîné Naomi et John là-dedans, et c’était à cause d’elle qu’ils étaient dans le même état qu’elle en cet instant. Elle n’était pas sûre de se le pardonner un jour…


- Alors on va repartir ? demanda John d’une voix rauque.


- C’est la seule solution, conclut Dumbledore.


Il n’y eut plus aucun bruit. Seulement le faible croassement d’un corbeau dehors.


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