Le gris de tes yeux

Chapitre 1 : Le gris de tes yeux

Chapitre final

2920 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 13/03/2022 16:02

Cette fanfiction participe au Défi d’écriture du forum Fanfictions .fr : Quelques gouttes d’OS dans l’océan - (mars avril 2022).







Il n’avait jamais vu la mer.


C’était une si petite chose, un détail de sa vie, mais qui prenait une importance démesurée. Il avait dix-sept ans, il n’avait jamais vu la mer, et il allait mourir.


Au début, c’était une pensée qui venait de temps à autre. De la même façon qu’il se disait qu’il n’avait jamais été réellement amoureux, ou qu’il y avait beaucoup de choses qu’il ne ferait jamais.


Mais la mer…

Il l’avait souvent imaginé, petit, enfermé dans son placard. Une vaste étendue liquide, sauvage et indomptable. Un symbole de liberté.

Il en avait rêvé, tant de fois qu’il pouvait presque imaginer son odeur, l’effet des embruns sur son visage.


Et puis, il y avait eu Poudlard. Le lac noir le fascinait bien sûr, mais ce n’était pas la mer. Rien à voir.

Les premières années, il avait été trop occupé à découvrir ce nouveau monde, à apprendre et à survivre pour rêver encore de l’océan. Parfois, il y avait cette pensée, obsédante. Dès qu’il le pourrait, il irait voir la mer. Seul ou avec ses amis, il s’en moquait, il voulait juste la contempler une fois au moins.


Puis tout s’était emballé. Sa vie avait basculé, après la mort de Sirius, puis de Dumbledore. Tous ses rêves de liberté partaient en fumée, et il quitta Poudlard pour partir à la recherche des horcruxes.


Son obsession revint, alors qu’il campait dans une forêt humide, dans le froid. Il aurait préféré qu’ils se cachent à proximité des côtes, au moins il aurait pu voir la mer. Quand il fermait les yeux, il l’imaginait, et il s’endormait en entendant presque le ressac.


Il n’en parlait jamais. C’était son secret, son rêve inavoué. Ses amis auraient probablement compris, ils auraient peut-être fait un détour pour lui permettre de passer une journée de liberté au bord de la mer. Ils avaient tant besoin d’un peu de réconfort, tous les trois, alors qu’ils erraient, seuls, sans la moindre aide, tout en sachant que Voldemort prenait le pouvoir et que leurs proches souffraient de la situation.

Mais il n’avait jamais réussi à le leur dire. Il y avait quelque chose d’intime avec ce rêve obsédant et il continuait de l’imaginer inlassablement.


Souvent, ses rêves d’océan devenaient cauchemars. Il était attiré dans les profondeurs obscures par une créature invisible alors qu’il se débattait en vain, sans pouvoir remonter à la surface et il se réveillait en sueur, avec la sensation d’étouffer, de se noyer.




Le temps passait, inexorablement. Leur humeur s’assombrissait alors qu’ils comprenaient que la mission donnée par Dumbledore était presque impossible. Ron et Hermione se languissaient de leur famille, même si Hermione avait écarté ses parents pour leur sécurité. Il suffisait de peu de choses pour déclencher une dispute et ils devenaient moins prudents peut-être.

Ce fut ce que Harry pensa alors qu’il brisait le tabou involontairement.


Il se figea dans une stupeur horrifiée, laissant Hermione prendre les choses en main — comme toujours. Elle lui lança un sort et il sut que ses traits étaient dissimulés. Ce n’était pas parfait, mais ce serait suffisant pour des étrangers.


Ce jour-là, la chance n’était pas avec eux. Harry le comprit en voyant les grilles du Manoir Malefoy.


Si Malefoy était présent, il le reconnaîtrait, il en était certain. Hermione dut penser la même chose puisqu’elle s’agita, nerveuse. Ron semblait juste agacé, regardant autour de lui les yeux plissés.


En voyant Bellatrix face à lui, Harry dut se faire violence pour ne pas lui sauter à la gorge et tenter de la tuer à mains nues. Seule la peur que ses amis puissent souffrir de ses actions lui permit de garder le contrôle…

Ils gardèrent le silence alors qu’ils étaient malmenés, échangeant des regards terrifiés, mais décidés.

Puis ils virent Bellatrix hésiter. Si elle les livrait et qu’elle faisait erreur, elle serait punie… Et elle craignait suffisamment son maître pour ne pas se précipiter aveuglément. Son indécision leur permettait de gagner un peu de temps, mais Harry ne voyait aucun moyen de s’en sortir. Le sort d’Hermione finirait par se dissiper et son identité serait révélée…


Bellatrix fit appeler son neveu et Harry eut un choc en voyant Drago Malefoy arriver. Il avait maigri, des cernes sombres soulignaient ses yeux et il semblait sur le qui-vive. Il hésitait, bien loin du jeune homme assuré qu’il était autrefois.

Lorsque Bellatrix lui agrippa l’épaule pour l’approcher de Harry, il se raidit et grimaça, comme si le contact le gênait.


Et puis, ils furent face à face. Yeux dans les yeux.

Drago le reconnut immédiatement. Harry le sut, il vit l’éclair de surprise puis d’inquiétude passer. Cependant, Harry se détendit aussitôt, sans savoir exactement pourquoi.


Il se plongea dans les yeux de Drago, confiant. C’était probablement une erreur, mais ses yeux avaient la couleur de la mer, telle qu’il l’imaginait. Une mer agitée, furieuse, pleine de vie… Libre. Loin de la guerre et de cette situation périlleuse.

Il ne détourna pas le regard, fasciné, presque émerveillé de redécouvrir son camarade différemment.


Drago sembla troublé lui aussi, suffisamment pour protéger Harry en refusant de l’identifier, gagnant du temps. Bellatrix était furieuse et entreprit de torturer Hermione. Elle imaginait qu’à défaut de livrer Potter, torturer un peu sa sang-de-bourbe lui vaudrait des félicitations de son maître adoré.


Ron devint presque fou, se débattant comme un beau diable, ses hurlements couvrant ceux de douleur de leur amie.



Harry eut l’impression de puiser de la force dans le regard couleur d’océan. Malgré les cris d’Hermione, il garda son calme et il prit une profonde inspiration avant de faire un geste brusque, échappant au raffleur qui le maintenant. Plutôt que de chercher à se battre avec l’homme, bien plus grand que lui, il se jeta sur Drago, sans le quitter des yeux, comme pour lui montrer qu’il ne le blesserait pas, comme pour l’inclure dans son plan stupide et désespéré.


Drago resta passif. Il aurait pu échapper à Harry ou le neutraliser, mais il lâcha sa baguette au moment où Harry posa la main dessus et il se laissa entraîner en arrière, agrippant juste le poignet de Harry alors que ce dernier le plaquait contre son torse, son bras sous la gorge.


Bellatrix semblait se moquer du geste de Harry, prête à faire souffrir encore une fois Hermione. Mais Lucius Malefoy, l’air horrifié, l’arrêta et permit aux trois amis de se rassembler et de reculer. Drago était toujours avec eux, Harry pointant sa baguette sur lui en le maintenant contre lui, sans pour autant le blesser. Bien qu’il soit un Mangemort cruel, Lucius Malefoy semblait se soucier sincèrement de son héritier.


Hermione murmura qu’ils devaient transplaner, mais elle tremblait tellement qu’il craignait qu’elle se désartibule. Il échangea un regard avec Ron et ce dernier hocha la tête, l’air grave. Il enlaça Hermione et ses deux amis transplanèrent, disparaissant du Manoir Malefoy.

Harry recula d’un pas, entraînant toujours Drago avec lui. Il avait juste à le lâcher, à le pousser vers son père, et à disparaître à son tour. Mais ce qu’il avait vu dans ses yeux le retenait.



Sur un coup de tête, il resserra sa prise sur lui, le plaquant contre son corps, et il ferma les yeux un instant. Au moment de transplaner, la seule chose qu’il avait en tête était la couleur de ses yeux, ce bleu gris si particulier, qui lui évoquait la mer.




Il trébucha à l’arrivée, tenant toujours son rival de toujours contre lui. En ouvrant les yeux, il libéra Drago et ne put s’empêcher de rire, les yeux brillants comme ceux d’un enfant.


Ils étaient au bord de la mer.


Il faisait froid et humide. Le vent glacial leur fouettait le visage et leur laissait un goût salé sur les lèvres. Le bruit des vagues était assourdissant alors qu’elles s’écrasaient sur la plage.


C’était parfait.



Drago le regarda, perplexe, et Harry lui adressa un large sourire heureux. Il murmura, tranquillement.

   — Je n’avais jamais vu la mer.


Il s’attendait à des reproches de la part du Serpentard. Ou à une remarque acide peut-être. À n’importe quoi d’hostile, compte tenu de leur passif.

Cependant, Drago semblait brisé. Il fixa les vagues, amorphe, laissant son regard se perdre sur l’horizon à peine perceptible — le gris de l’océan se fondait avec le gris du ciel — et il répondit, en chuchotant lui aussi.

   — Merci.


Sans poser de questions sur les raisons de ces soudains remerciements, Harry agrippa sa main, respirant à pleins poumons l’air iodé. Il ne s’était jamais senti aussi vivant, aussi libre… Il avait l’impression d’être ivre de toute cette étendue d’eau.


Si Voldemort s’était présenté à cet instant, il n’aurait pas eu peur. Il aurait probablement pu le battre exclusivement avec le sentiment de bonheur qui l’envahissait.


Malgré lui, il gloussa, les yeux brillants de joie.

   — Je crois que je pourrais lancer le patronus le plus puissant possible, uniquement grâce à ce moment.


Drago sourit et hocha la tête, comme s’il comprenait. Il semblait lui aussi fasciné par les éléments qui se déchaînaient, par cette puissance brute devant eux qui fonçait et modelait le paysage à sa convenance. Vague après vague, la mer grignotait la côte, emportait un peu de plage, changeait l’aspect de l’horizon. C’était sauvage et vivant, indestructible et impossible à arrêter.


Après un long moment de silence, alors qu’ils tremblaient de froid, les lèvres un peu bleuies, mais incapables de se détourner de la mer, Drago prit la parole, d’une voix douce inhabituelle chez lui.

   — Tu es comme la mer, Potter. Quand on te rencontre, tu sembles si naïf et si innocent, qu’on pense pouvoir t’influencer facilement. On pense que tu es faible, à cause de ça. Et puis, tu as l’air de plier face à l’adversité, mais en définitive… on se rend compte que tu recules uniquement pour te glisser dans le moindre chemin qui s’ouvre à toi pour parvenir à tes fins. Lorsque tu sembles abdiquer, c’est pour mieux revenir plus puissant encore, capable de tout renverser par ta volonté. Tu es incontrôlable et tes colères sont… dévastatrices… et ça, j’en sais quelque chose !


Harry cligna des yeux, surpris. Il finit par sourire, le cœur battant.

   — Merci. Je crois… enfin, c’est la première fois qu’on me dit quelque chose comme ça. Enfin, je le prends comme un compliment.


Drago sourit tristement.

   — C’en est un. Je suis certain que tu vas le battre finalement. Que tu vas réussir parce que tu es déterminé avant tout.


Harry se rembrunit.

   — Je ne suis pas certain de pouvoir…


Il s’interrompit alors qu’une nouvelle vague, plus haute que les autres, s’écrasait sur la plage. Drago ricana sans malice.

   — Tu es le seul à douter de toi, Potter.


Harry inspira profondément, profitant de l’air marin qui le faisait se sentir vivant, plus que jamais. Puis, il haussa les épaules.

   — Je n’aurais jamais imaginé que tu serais celui qui me rassurerait dans un moment de doute.


Ils eurent un rire complice, comme si enfin ils arrivaient à se comprendre, et Harry rendit sa baguette à Drago. Ce dernier cependant recula d’un pas sans prendre le morceau de bois.

   — Garde -là. Elle va me manquer, c’est certain, mais je pense que tu en auras plus besoin que moi… je pourrais au moins dire que… Que j’ai participé un peu à sa chute. Où sommes-nous ?


Harry rosit et détourna le regard.

   — Je ne sais pas. J’étais un peu perdu et quand j’ai vu tes yeux, j’ai pensé à la mer. Je… voulais la voir au moins une fois avant de…


Drago leva un sourcil moqueur.

   — Normalement, il est impossible de transplaner vers un lieu inconnu. Tu es censé connaître ton point d’atterrissage pour éviter les accidents, tu sais ? Tu es bien le seul à plier les règles du monde magique à ta convenance.


Harry roula des yeux, mais un léger sourire amusé persistait sur ses lèvres.

   — Je ne suis pas si… doué, Malefoy. Tu l’as toi-même dit plusieurs fois, que j’étais juste… ordinaire. Désespérément normal. 

Son camarade haussa simplement les épaules.

   — Ce n’est pas une question de puissance ou de talent. C’est une question de volonté. Le… lui, il pense déjà avoir gagné, il te sous-estime. Toi… Tu es déterminé, Potter. Tu es prêt à te battre pour tes amis, pour l’avenir. Je suis certain que tu te sacrifierais sans la moindre hésitation si tu pensais que ça pouvait sauver tes amis. Ton foutu complexe du héros, pas vrai ?



Quelque chose se réchauffa dans le cœur de Harry, pour briller comme un soleil, et il ferma les yeux, écoutant le bruit de la mer, profitant de cette accalmie bienvenue au milieu de la guerre. Son pouls sembla s’accorder au va-et-vient des vagues et il se sentit plus serein qu’il ne l’avait été ces derniers mois.

Il souffla doucement et rouvrit les yeux pour admirer une fois encore l’étendue liquide, fasciné par son mouvement perpétuel, se laissant presque hypnotiser.


Sans se tourner vers son camarade, Harry soupira.

   — Et toi ?


Drago laissa échapper un rire amer.

   — Je vais… retourner là-bas. Mes parents me protégeront, mais je devrais peut-être subir quelques Doloris pour mon… incompétence. Puis, je serais renvoyé à Poudlard. Si j’ai de la chance, je n’aurai pas de mission à remplir avant la fin des cours. Je vais m’en sortir, Potter.


La respiration de Harry se coupa un bref instant. Puis, il se tourna vers Drago et agrippa ses épaules, avant de plonger dans son regard couleur de mer. Ces yeux qu’il connaissait par cœur, à force de l’épier, qui changeaient de teinte suivant ses émotions. Du gris tempête lorsqu’il était furieux au bleu gris plus tendre lorsqu’il était heureux.

Il s’y perdit un instant, essayant d’imaginer un monde sans Drago Malefoy. Un monde sans leurs disputes, un monde sans cette fragile paix qu’ils venaient de conclure…


Puis, il sourit, déterminé en sachant exactement ce qu’il voulait.

   — Reste avec moi.

Drago ouvrit la bouche, stupéfait, et resta muet. Pour une fois, il n’avait aucune répartie cinglante, aucune réponse immédiate. Le sourire de Harry s’élargit, fier de lui.

   — Je te proposerais bien de nous baigner pour t’aider à reprendre tes esprits, mais je suppose qu’il fait bien trop froid… C’est pourtant tentant, avec la plage pour nous seuls, et ces vagues énormes qui vont et viennent…


Drago grimaça et se mordilla un instant la lèvre avant de répondre prudemment.

   — Je suppose que tu as besoin de quelqu’un pour t’empêcher de foncer dans les ennuis tête la première… Tu n’auras pas toujours la chance de pouvoir te sortir d’un… nid de Mangemorts de cette façon.


Harry hocha la tête gravement, l’air sérieux malgré ses yeux brillants, sans lâcher le jeune homme, comme s’il avait peur de voir Drago prendre la fuite. Malicieux, il répondit.

   — Tu as tout à fait raison. Même si après tout… il est impossible d’enfermer la mer.

Le sourire de Drago lui fit battre le cœur et renforça l’espoir qui l’avait envahi. Ses amis étaient en sécurité et il n’était pas seul. Il avait l’impression que tout était possible désormais, comme si l’air marin l’avait lavé de tous ses doutes, de toutes ses peurs.


Une dernière fois, ils se tournèrent vers l’étendue liquide, sauvage, main dans la main. Puis, sans un mot de plus, ils tournèrent le dos à la plage sur laquelle ils étaient arrivés et s’éloignèrent en silence, sans se lâcher, vers leur destin.



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