Une Casquette rouge et or

Chapitre 1 : Une Casquette rouge et or

Chapitre final

5789 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 31/03/2022 10:07

Cette fanfiction participe au Défi d’écriture du forum Fanfictions .fr : Quelques gouttes d’OS dans l’océan - (mars avril 2022).

***


L'aube se levait à peine, teintant la ligne d'horizon de douces arabesques aux reflets bleu clair. Laissant la côte obscure loin derrière lui, Tupaï Karaka avançait paisiblement à bord de son rafiot de pêche, savourant la délicatesse du vent et des embruns qui s'engouffraient par les fenêtres ouvertes de la modeste capitainerie. Le moteur du petit chalutier fendait les vagues argentées qui s'écrasaient sur la coque avec une douce régularité. 


Soudain, tout changea. L'eau s'assombrit, le vent s'intensifia, devenant plus cinglant, mordant et froid ; le courant ne l'attirait plus vers le large mais le repoussait à nouveau vers la côte, les vagues grandirent et se firent plus puissantes. Le bateau à moteur les affronta vaillamment, grimpant et descendant sans faiblir un instant.


Tupaï avait toujours aimé ce moment, quand l'océan changeait de façon aussi brusque. A chaque fois qu'il venait ici, il avait l'impression de changer de monde. De partir. De voyager. Loin, très loin de sa Nouvelle-Zélande natale ; et pourtant, il ne se trouvait qu'à quelques miles nautiques de la côte. 


Il venait d'arriver au-dessus de la fosse d'Hikurangi. Sous la coque de son bateau, plus de trois mille mètres d'eau le séparaient du fond, admettons qu'il y en ai un. L'immensité, une faille, les profondeurs, l'obscurité, le bout du monde connu ... Cette pensée provoquait à chaque nouvelle visite en ce lieu, une douce sensation de vertige, à la fois euphorisante et terrifiante. 


Tupaï Karaka était un des rares pêcheurs à venir jusqu'ici, surtout avec un si petit bâteau. Le peu de ceux qui osaient s'aventurer sur ces eaux capricieuses évitaient de trop en parler, même entre eux. L'endroit était réputé dangereux, fréquenté par les baleines bleues et les cachalots qui faisaient parfois peu de cas des frêles embarcations humaines. Hikurangi était maudite selon certains chamanes, interdite par des chefs de tribus et sacrée pour la plupart des Anciens. Ce qui n'avait jamais empêché Tupaï de venir y pêcher de temps en temps, surtout quand la météo s'annonçait clémente, comme en ce beau jour d'été et aussi quand il devenait nécessaire de renflouer un peu les caisses grâce à une pêche particulièrement abondante.


Quand il fut enfin arrivé au bon endroit, Tupaï coupa le moteur, bloqua la barre et laissa le bateau flotter sur les grosses vagues du large. Il pouvait, durant quelques minutes laisser le bateau dériver avant de remettre les gaz. Trois minutes trente, exactement. Ensuite, il lancerait ses filets et remettrait le moteur en marche. 


Comme à son habitude, il se versa un gobelet de café, se roula une cigarette et sortit de la cabine pour aller s'accouder au bastingage. Il était encore tôt et, après deux bonnes heures de navigation, il ne se priverait pas de prendre le temps d'admirer le lever du soleil. Il bascula un peu en arrière son indéboulonnable casquette qui avait été rouge et or dans une autre vie, craqua une allumette à la rambarde rouillée et alluma son mégot.


Une dizaine de minutes plus tard, le soleil était levé, les moteurs du "Griffon d'or" ronronnaient régulièrement, les filets se remplissaient peu à peu dans son sillage et Tupaï avait réajusté sa précieuse casquette sur son crâne et tenait nonchalamment la barre.


Soudain, le bateau fut fortement ralenti, les moteurs crachèrent, hoquetèrent, la proue se souleva pendant que la poupe s'enfonçait légèrement dans l'eau sombre. Tupaï jura, ralentit les gaz, bloqua la barre et se précipita sur le pont. A l'arrière, le câble retenant le deuxième filet était tendu à l'extrême. Ça arrivait parfois, si celui-ci restait accroché à un récif, une épave ou un haut fond. Ce qui était parfaitement impossible ici. Donc quelque chose retenait son filet, quelque chose de lourd qui avait été pris au piège ... Quelque chose de très lourd ... Une belle prise ? 


Tupaï Karaka n'hésita pas une seconde et actionna le treuil, relevant ainsi le filet. En entendant les grincements de la machinerie, il se maudit de ne pas avoir pris le temps de faire une petite révision. Il craignait une surchauffe du câble et du moteur. Se penchant vers les flots, Tupaï distingua peu à peu une masse sombre qui s'approchait, entraînée par le filet. Le cœur battant, il attendait avec impatience de découvrir sa prise.


Et quand il comprit, il n'en crut pas ses yeux. Pourtant, il n'y avait aucun doute. Les tentacules, les crochets, les ventouses ... Tout était là ... un calamar ... Et pas un petit !

- "Nom de dieu !" 


Il augmenta la puissance du treuil afin de sortir la masse de l'eau. Il était sur le point d'achever la manœuvre quand le ciel s'obscurcit brusquement, d'épais nuages masquant la lumière du soleil. Le vent se leva, alimentant la houle. En quelques secondes, Tupaï fut tellement ballotté qu'il dut se retenir plusieurs fois au bastingage pour ne pas perdre l'équilibre. Il devait relancer les moteurs au plus vite ou alors la charge qu'il tirait allait le déstabiliser et l'entraîner vers le fond ... qui était, très, très, très loin ... Il frissonna. 


D'énormes gouttes de pluie froide se joignirent à la force du vent, le frappant de plein fouet. S'agrippant où il pouvait à chaque pas, il parvint tant bien que mal à la capitainerie, se demandant ce qu'il avait loupé dans le dernier bulletin météo qui annonçait une journée parfaite. Avant d'avoir eu le temps de refermer la porte derrière lui, sa casquette rouge et or s'envola :

- "Nooon !" 


Il tendit la main pour essayer de l'attraper au vol mais c'était trop tard. Son précieux couvre-chef venait de disparaître dans une bourrasque de vent. Cela faisait plus de vingt ans que cette casquette restait littéralement vissée sur sa tête sauf le jour de son mariage où il l'avait même mise dans sa poche. D'aucuns demandaient même à sa femme s'il la retirait pour aller se coucher, ce à quoi elle répondait par un sourire, laissant planer le doute. 


Sa casquette, son inestimable casquette, le seul souvenir qu'il avait ramené de ses études en Angleterre : une casquette rouge et or, délavée aujourd'hui mais qui avait été autrefois étincelante et dont le blason, effiloché depuis des années, représentait un lion aux crocs acérés et à la crinière de feu. Son cœur s'emplit de désespoir quand il la vit se poser au loin sur la mer grise, trempée de pluie et ballotée par la houle, sa belle casquette perdue dans l'eau ...

- "Fait chier !" 


Il enfila un gilet de sauvetage, y noua une corde, prêt à plonger pour récupérer son couvre-chef quand un tentacule énorme, aux ventouses grandes comme des assiettes sortit de l'écume, s'enroula autour de sa casquette et l'entraîna au fond de l'eau.

- "Quoi ! Mais ... Espèce de saloperie ! J'y crois pas ! Hey ! Rends-moi ma casquette !" Hurla-t-il en se penchant par-dessus la rambarde.


Un cri strident, sinistre et monstrueux lui répondit, écorchant ses oreilles. Le bateau pencha dangereusement en arrière, lui faisant perdre l'équilibre. Le vent jouait avec le treuil et le câble du filet duquel les tentacules du poulpe prisonnier dépassaient et s'accrochaient un peu partout. Le moteur montait dans les tours, et le frêle chalutier devait affronter des vagues tellement hautes que son pont se retrouvait parfois à quarante-cinq degrés. 


Renfermant sa prise autour de la simple barre de fer rouillée, Tupaï hurla à nouveau :

- "Rend-moi ma casquette, sale bête ! Ou je te jure que je te transforme en beignets de ... Oh !" 


Son visage se figea, ses yeux s'arrondirent et sa bouche s'ouvrit dans hoquet de surprise :

- "Nooon ??? Est-ce que ... ? Non, pas possible !" 


D'un geste machinal, il porta la main à sa tête pour relever sa casquette absente. Il lâcha plusieurs jurons, fâché de ne trouver que du vide sur son crâne avant de se tourner vers le large, se tenant à la barre de sécurité :

- "Si je me rappelle bien ..."


Cela remontait à de longues années. Il pensait ces souvenirs théoriques effacés depuis longtemps mais, non, d'un coup, la page de son manuel, "Les Animaux Fantastiques" de Dragonneau et ses cours de Soins aux Créatures Magiques lui revinrent en mémoire. Il ne se rappelait malheureusement pas de tout mais comme son copain Rubeus n'avait pas arrêté de lui rabâcher les oreilles avec tous ces animaux légendaires et fantastiques, Tupaï avait encore en tête quelques détails ... Il murmura à voix basse :

- "Kraken Noir des Profondeurs ... Protecteurs des océans et des abysses... Sorte de Calamar géant ... vit en solitaire ... Quoi d'autre ? Ah oui ! Crochets acérés et peut-être empoisonnés ... Va falloir faire attention ! Défendent un territoire restreint. Et je crois que certains sorciers ont pu communiquer avec eux mais ça n'a pas pu être vérifié scientifiquement, si je ne me trompe pas ... enfin, c'est ce que Rubeus disait, non ? Ou alors il parlait des basiliques ? Bon, ce qu'il faudrait vérifier, c'est si les Krakens Noirs ont la capacité d'influencer la météo ..." 


Il soupira. S'il avait eu sa baguette sur lui, il aurait fait une exception à son serment de ne pas avoir recours à la magie. Il aurait été en mesure de lancer un sortilège d'attraction et aurait récupéré sa casquette en deux temps trois mouvements.


Mais non.


Il avait laissé sa baguette en eucalyptus dans le fond du tiroir de sa table de nuit, là où elle demeurait depuis plus de vingt ans. Il avait fait cette promesse à lui-même et ensuite à sa femme. Il voulait vivre en homme normal, il ne voulait pas devenir un chamane, ou un sorcier, ou homme-médecine ... Non, il avait renoncé volontairement à tout ça il y a bien longtemps. Il voulait être pêcheur comme son père, son grand-père et son arrière-grand-père avant lui. Naviguer et pêcher, rien de plus. Et aujourd'hui ... il avait navigué et pêché quelque chose qui n'avait rien à voir avec le monde des non-sorciers. 


De plus en plus balloté par la forte houle, luttant contre les bourrasques de vent, trempé jusqu'aux os, Tupaï ne pensait qu'à une chose : récupérer sa casquette de Gryffondor :

 - "OK. On va tenter le coup. Après tout, je n'ai rien à perdre."


Toujours fermement agrippé au bastingage, il hurla :

- "Hey, Le Poulpe ! ... Heuuu ... E Wheke Pango Nui ! Ô Grand Kraken Noir ! Écoute-moi ! Rends-moi ma casquette !"


Le grondement du tonnerre lui répondit et il maugréa :

- "Voilà que je parle à une bestiole ... Peut-être que je me plante totalement et ces calamars sont tout à fait normaux et l'autre a confondu ma casquette avec une mouette ou je ne sais quoi qui se bouffe ... et cette tempête est peut-être juste un hasard."


Il soupira :

- "En même temps ... qui ne tente rien n'a rien ..."


Il se tourna à nouveau vers l'Océan déchaîné, en appelant à son dieu du vent, du tonnerre et de la mer : 

- "Par Tawhiri, entends raison, Grand Gardien de l'Océan. Cette casquette ne te servira à rien !" 


Puis il réfléchit un instant, regardant, derrière lui, le poulpe prisonnier dans son filet avant de crier à nouveau dans le tumulte de la tempête : 

- "Je te propose un marché : tu me rends ma casquette et je libère ton ... copain."


Il sembla à Tupaï que le vent faiblissait un peu. Ou bien était-ce son imagination ? Encouragé par son intuition, il poursuivit :

- "Ou alors, ce n'est pas un simple congénère, c'est ça ? C'est ton bébé, je me trompe ?"


Cette fois, il eut la preuve que son discours était entendu. Les grosses gouttes de pluie diminuèrent, se transformant en léger crachin.

- "Tu es une mère, n'est-ce pas ? Il n'y a que les mères pour se mettre dans des états pareils quand on touche à leurs rejetons ! On dirait Akumatua, ma femme quand une guêpe a piqué notre petite Makei ! Tu aurais dû voir comme elle l'a écrabouillée, cette pauvre bête !" Ajouta-t-il en riant.


La pluie s'intensifia à nouveau, fouettant le visage buriné de Tupaï avec de grosses gouttes froides :

- "OK, OK, OK, j'ai compris, j'ai compris ... Pas le moment de faire de l'humour, c'est bon ! Tu as raison !"


Cette fois, le vent s'adoucit, la houle se calma, apaisant les mouvements de tangage du bateau. N'ayant plus aucune difficulté à marcher sur le pont de son chalutier, Tupaï se dirigea d'un pas assuré vers le kraken pris au piège. D'un geste vif, il actionna le levier et libéra ainsi la masse flasque qui coula immédiatement dans les flots redevenus paisibles.


Tupaï releva le visage pour apprécier alors pleinement la chaleur du soleil sur sa peau et sur ses vêtements trempés. Les nuages sombres avaient disparu et ne restait que le bleu du ciel, clair et limpide. Soulagé et euphorique, le pêcheur cria de joie :

- "C'est toi qui fais ça, n'est-ce pas ? Tu es donc un Kraken Noir des Profondeurs ! Incroyable ! Pourtant, tout le monde dit que vous n'êtes que des légendes, des mythes de sorciers ratés ou des hallucinations de pirates alcooliques ! Si seulement Hagrid avait été là pour voir ça, il aurait adoré ! Quand je lui dire que vous pouvez maîtriser et dominer les éléments. C'est ... extraordinaire ! Extraordinaire !"


Une brise légère se leva et un léger bruit attira son attention : sa casquette rouge et or tournoyait doucement sur le pont. Tupaï se précipita pour l'attraper et la planter vigoureusement sur sa tête :

- "Ahhh ! Merci ! Je suis content de la retrouver ..."


L'une des dernières phrases qu'il avait prononcées lui restait en tête : 

- "Si seulement Hagrid avait été là pour voir ça ... Quand je vais lui dire ..." 


Sauf que ça faisait plus de vingt ans qu'ils ne s'étaient pas vus, parlé ou écrit. Vingt ans de silence et pourtant ... La casquette à l'effigie de sa maison, cette casquette-là n'avait jamais quitté sa tête, sauf à son mariage où elle était restée dans sa poche et aujourd'hui, lors de cette tempête monstrueuse et fantastique. 


Cette casquette, c'était son meilleur ami, Rubeus Hagrid qui lui avait offerte le jour où Tupaï avait décidé de quitter définitivement l'école de magie et de sorcellerie de Poudlard. Il y avait passé presque trois ans et ce que n'était pas forcément que de bons souvenirs. Il faut dire que certains élèves, avec en tête, le préfet de la maison Serpentard, Tom Jedusor, leur avaient mené la vie dure, à lui et Hagrid. Tous les deux avaient dû faire face à de nombreuses insultes et humiliations. 


Hagrid, fils d'un homme et d'une géante, avait évidemment été une cible privilégiée. Tupaï, quant à lui, n'échappait pas au classique "sang de bourbe" ou aux moqueries sur son physique hors normes : très grand pour son âge, assez massif, le teint hâlé, les cheveux longs et un accent particulier venus des îles lointaines, traînant sur certaines syllabes et roulant les R. Il avait bien sûr eu droit à des allusions idiotes à ses origines jugées "sauvages" et "incultes". On le traitait de cannibale, ce qui était totalement faux, on riait de ses ancêtres, on se moquait de ses parents, prétendant qu'ils ne savaient pas manger avec des couverts ou qu'ils vivaient nus comme des hommes préhistoriques ... et d'autres choses du même acabit.


Jusqu'à présent, Rubeus et lui avaient fait face. Mais ces derniers jours de mars 1943 avaient été plus difficiles que les autres. En parallèle des événements tragiques dans le monde moldu, une nouvelle menace planait sur Poudlard qui risquait la fermeture : la Chambre des Secrets avait été ouverte, libérant ainsi un monstre tueur de "sang-de-bourbe" et Mimi, une de leur camarade de classe avait été tuée. Et surtout, l'araignée qui avait grandi dans le placard de Rubeus avait été découverte et accusée de ce meurtre par Jedusor, leur pire ennemi. 


Le scandale était sans précédent. Les esprits s'échauffaient et se radicalisaient. Rubeus Hagrid avait été renvoyé de l'école, privé de sa baguette qui avait été brisée devant tout le monde et sans l'intervention de leur Professeur de métamorphose Albus Dumbeldore, Hagrid aurait été banni du monde des Sorciers, voire pire ... Au lieu d'un exil, il venait d'obtenir la place de Garde-Chasse de l'École de Poudlard, ce qui était moins grave mais revenait un peu au même : il devait rester en dehors des bâtiments officiels, ne recevrait aucun enseignement magique et logerait désormais seul dans une cabane miteuse au milieu de la Forêt.


Et c'était dans cette même cabane, alors que les deux amis achevaient le déménagement des affaires du demi-géant, qu'ils avaient encore la même conversation : 

- "Non, Tupaï, dis rien ! Tu risques d'finir à Azkaban, s'non." Venait de lui répéter Hagrid. "Dumbledore a pu m'protéger mais pas sûr qu'il puisse le r'faire pour toi. Et pi's même ... r'garde autour d'toi ! Y'a pas assez d'place pour deux ici. Donc, dis rien. Et si tu dis que'que chose, moi j'dirai qu'c'est pas vrai. C'est c'qu'y'a de mieux à faire."

- "Mais l'oeuf d'acromantule était à moi !" S'était indigné Tupaï. "C'était mon cadeau d'anniversaire, c'est mon oncle de Bornéo qui me l'a envoyé, c'était mon idée de le garder au chaud pour le faire éclore, c'était mon idée de planquer ensuite Aragog dans ton placard. Je devrais aller me dénoncer aussi. Tu n'as pas à endosser toute la responsabilité de cette histoire ! En plus, je suis persuadé qu'Aragog a rien fait à Mimi ! C'est pas lui !"

- "Pas la peine, j'te dis. Tout c'qu'on récolt'ra, sera l'sourire satisfait de l'autre crétin d'Jedusor. S'ra content d'pouvoir dire, tout fier, "J'vous l'avais dit, faut toujours s'méfier des sang-de bourbe." Nan, nan, nan. Pas envie d'lui faire c'te plaisir, à c'lui-là." Avait répliqué Hagrid, d'un ton sec.


Assis tous les deux sur le sol poussiéreux de sa cabane, Tupaï avait soupiré tristement :

- "C'est pas juste. Moi aussi je devrais être renvoyé alors."


Hagrid avait secoué négativement sa grande tête hirsute et Tupaï avait insisté : 

- "Tu sais bien que, de toute façon, je ne me sens pas à ma place ici, à l'école."

- "Pfff. N'import'quoi ! T'sais, avec les Serpentards et des types comme Jedusor, ça s'ra toujours compliqué. Surtout quand on est différents ! Mais, ça veut pas dire qu't'es pas à ta place. Oh non ! T'es un sorcier, t'es à Poudlard, c'est tout ! Et si tu veux rester à Poudlard, bah, tu restes à Poudlard ! Et c'que les autres en disent, bah, on s'en fout !"

- "C'est justement ça, le problème, Rubeus. Je n'ai pas envie de rester à Poudlard."

- "Hein ?" Hagrid s’était tourné vers lui, circonspect. "C'est quoi encore c'te foutaise ?" 

- "Ça fait un moment que j'y pense, tu sais ... Avec toutes ces histoires en plus ... J'aurais du mal à rester tranquillement bien au chaud dans le dortoir alors que toi, t'es ici tout seul. C'est pas juste."


Hagrid avait tenté de l'interrompre mais Tupaï avait posé sa main sur le bras de son ami pour poursuivre :

- "J'ai pas besoin de tous ces cours, tu sais. La magie, chez moi, on ne la pratique pas de la même façon. Je ne me reconnais pas dans tout ça : les baguettes, les capes, les potions, les sortilèges, les forces du Mal, du Bien, C'est trop de chichis, trop de combats, trop de guerre, trop de ... Je sais pas quoi. Chez moi, la magie est plus simple."

- "Ouais, j'sais, t'en as d'jà parlé." Avait murmuré Hagrid en levant les yeux au ciel.


Tupaï avait souri. Effectivement, ils avaient tous les deux leurs sujets de prédilection : Hagrid, les animaux fantastiques et les créatures magiques, lui, la pratique de la magie ancestrale.

- "On fait beaucoup moins la distinction entre Sorciers et "Moldus". D'ailleurs, chez nous, ce mot n'existe pas et notre Ministère est beaucoup moins strict. Les Sorciers sont des chamanes, des hommes-médecines, des sages qu'on va consulter régulièrement. Ils vivent au sein des tribus, ils en sont des membres à part entière. Ils soignent, conseillent, ils protègent, ils communiquent avec les Ancêtres, ils interprètent les rêves, les signes, prédisent l'avenir en rêvant du passé, ce genre de choses. Pas tout ce cirque avec des forces du Mal et des gars qui veulent prendre le pouvoir ou séparer les gens, purifier la race des Sorciers ... C'est mauvais tout ça et cette histoire de "sang pur" et "sang pas pur", c'est une sacrée connerie. Ca va dégénérer, j'te l'dis."

- "Tu te répètes, t'sais ?" Avait répliqué Rubeus en souriant, moqueur.

- "Je sais. Et je t'ai déjà dit que si je continue mon cursus jusqu'au bout, je devrais chercher un travail ici, dans le monde de la magie et je n'en ai pas envie. Mes parents ont écouté les chamans, ils m'en envoyé étudier ici soi-disant pour élargir ma vision de la magie ... Mais ça n'est pas pour moi, je crois. Hagrid, la magie d'ici ou la magie de chez moi, ça ne m'intéresse pas plus que ça."


Rubeus l'avait dévisagé mais était resté muet. Tupaï avait souri en ajoutant :

- "Et tu as bien vu ... Je suis pas non plus très doué en pratique." 


Hagrid lui avait rendu son sourire mais n'avait toujours rien dit. Tupaï avait repris plus sérieusement :

- "Alors ... Tout ça mis bout à bout ... Je n'ai pas envie de rester. Mes parents sont des gens simples et j'ai envie de vivre comme eux, avec eux. C'est pas parce que le chamane de notre tribu a vu un potentiel chez moi que je suis obligé de suivre cette voie, après tout. Tu sais, quand je suis ici, l'Océan me manque mais, quand je suis rentré pour les vacances, ma baguette et la magie ne m'ont pas manqué. A force d'être enfermé ici, je me suis rendu compte que j'aimerais pêcher comme mon père, plus tard."

- "Pêcher ?"

- "Oui." Avait confirmé Tupaï. "Juste pêcher. Pour gagner ma vie. Nourrir ma famille. Et ensuite pouvoir me marier ..."

- "Hihihihi ... avec Akumatua, j'parie ! Celle à qui t'écris d'si longues lettres !"


Tupaï s'était senti rougir :

- "Peut-être, oui."

- "Et pis ... P't-être qu'c'est pas définitif ? T'pourras r'venir l'année prochaine, non ?" Avait demandé Hagrid, plein d'espoir.


Tupaï avait détourné le regard pour murmurer :

- "Peut-être, oui."


Il en doutait fort mais n'avait pas eu le courage de l'avouer à son ami en le regardant dans les yeux. Ca faisait un moment que cette idée hantait ses pensées : rentrer définitivement. Si, pendant longtemps, la seule chose qui lui avait donné envie de rester à l'école était la présence de son ami Rubeus, maintenant que ce dernier en avait été injustement banni de la plus abjecte des façons et qu'il était considéré comme coupable d'un crime qu'il n'avait pas commis, l'envie de partir du jeune Néo-zélandais s'était muée en besoin viscéral. 


Il voulait rentrer chez lui ; il voulait retrouver ses parents, sa petite sœur Kaewa et sa meilleure amie, la si jolie Akumatua, ses cousins et ses copains, les longues courses sur la plage. La plage ... Les vagues, l'odeur du sel, le bruit du ressac, l'écume et les tempêtes ... Il voulait retrouver l'Océan et ses cannes à pêche, son île faite de montagnes aux pics enneigés et acérés. Il voulait retrouver cette sensation grisante de flotter sur l'eau avec l'horizon libre droit devant lui au soleil levant ... 


Oui, il voulait rentrer, partir de Poudlard et ne plus y revenir ... Oui, il en était sûr. Il voulait rentrer, du plus profond de son âme. Il avait été tellement malheureux ici. Mais l'idée d'abandonner son ami lui déchirait le cœur.

- "J'ai l'impression de te trahir en envisageant de faire ça." Avait avoué Tupaï. 


Hagrid avait secoué la tête :

- "T'as une famille. C'est normal d'vouloir être avec sa famille. Si j'pouvais, j'le f'rais aussi, t'sais."


Ces mots avaient eu l'effet d'un coup de poing dans la poitrine de Tupaï. Hagrid était orphelin depuis peu, son père étant décédé l'année précédente et sa mère l'avait abandonné alors qu'il n'était qu'un bébé. Hagrid était seul. Tupaï avait essayé de dire quelque chose mais ses mots étaient restés prisonniers dans sa gorge nouée. Il avait senti des larmes brûlantes envahir ses yeux, troublant sa vue. Puis, brusquement, il avait été projeté en avant par une grande claque dans le dos :

- "Allez mon vieux ! On va pas s'mettre à chialer comme des augurey avant la pluie non plus !" Il s'était levé lourdement et avait été chercher quelque chose dans sa vieille valise déformée. "Tiens ... Comme ça, t'penseras à moi d'temps en temps."


Tupaï avait alors écarquillé les yeux devant ce que Rubeus lui tendait, paraissant minuscule au milieu de son énorme main maladroite : sa casquette de supporter de l'équipe de Quidditch de Gryffondor, une casquette écarlate et or, avec un blason cousu en fils doré, un blason avec un lion aux crocs acérés et à la crinière flamboyante. Il l'avait acquise grâce à son maigre salaire de plongeur à l'Auberge de Pré-au-Lard pendant les vacances d'été.

- "Ta casquette ? Hagrid, c'est ton porte-bonheur !"

- "J'sais bien. C'est pour ça qu'j'te la donne, triple buse. Comme ça, elle veillera sur toi. T'auras b'soin d'chance loin d'moi."

- "Merci, mon ami." Avait murmuré Tupaï en la mettant immédiatement sur sa tête ; puis il avait éclaté de rire en enlaçant son ami et en lui tapant joyeusement dans le dos. 


Ça avait été la dernière fois qu'il l'avait vu. 


Le lendemain, convaincre le directeur Dippet de le laisser partir en cours d'année n'avait pas été très difficile. Tupaï avait même eu la sensation que le directeur était soulagé de se débarrasser d'un élément aux résultats plutôt moyens, perturbateur et turbulent. Durant toute la durée de son entretien avec Dippet, Tupaï avait été tenté d'avouer la vérité pour l'acromantule mais finalement, il avait respecté les conseils de son ami et n'avait rien dit. La date de son départ avait été fixée au lendemain.


Ce jour-là, Tupaï avait cherché Hagrid partout mais ne l'avait trouvé nulle part. En désespoir de cause, il lui avait laissé, sur la table bancale de la cabane, son exemplaire illustré des "Animaux Fantastiques" de Dragonneau, une édition augmentée offerte par ses parents pour son admission. Hagrid avait toujours adoré ce bouquin. Tupaï y avait ajouté son adresse moldue, quelques paquets de chocogrenouilles et de dragées surprises de Bertie Crochue. Il en avait cependant gardé quelques-uns : pour lui, le trajet de retour allait être long. Les Sorciers de Nouvelle-Zélande avaient toujours refusé de raccorder leurs cheminées au réseau de transport. Le dirigeable magique qui transportait tous les élèves de la zone pacifique, ne reliait Sydney à la gare de Londres que pour les grandes vacances et la rentrée scolaire. Il ne restait à Tupaï qu'une seule possibilité : prendre la mer.

- "Je n'ai jamais visité votre île, Monsieur Karaka." Avait expliqué le professeur Dumbledore d'une voix douce. "Je ne peux donc pas transplaner directement chez vous. Par contre, je peux vous conduire jusqu'au port de Londres avec un Portoloin. De là, vous embarquerez sur un paquebot moldu pour Sidney puis dans un autre pour Manukau. Un trajet de presque un mois ... Vous êtes sûr que vous ne préférez pas attendre la fin de l'année scolaire ?"


Tupaï avait réaffirmé son choix. Au moins, il échappait à un engin volant. C'était déjà ça. Il détestait être dans les airs plus que tout. 


Dans la cour de la Tour, quelques camarades de Tupaï étaient venus le saluer. Plus nombreux étaient ceux qui venaient simplement assister au spectacle de l'utilisation d'un portoloin. D'autres, comme Tom Jedusor et ses amis de Serpentard étaient venus l'observer de loin d'un air satisfait. 


Au moment de saisir le portoloin, une jolie longue vue en laiton que Dumbledore avait sorti de la poche intérieure de sa veste de costume, Tupaï avait dissimulé tant bien que mal son appréhension. Son professeur lui avait adressé un sourire rassurant en le regardant par-dessus ses lunettes rondes mais Tupaï cherchait quelqu'un d'autre des yeux. 

- "Je pense qu'Hagrid est trop pudique pour des adieux." Avait murmuré Dumbledore. 

- "Possible ... Vous lui direz qu'il va me manquer ?" Avait demandé Tupaï.

- "Vous pouvez compter sur moi. Allez, accrochez-vous, Monsieur Karaka. Surtout, pensez à fermer les yeux ..."


Tupaï avait agrippé la longue-vue en retenant son souffle et avait fermé les yeux aussi fort que possible. Il avait senti un crochet le saisir brusquement au niveau du nombril pour le faire tourbillonner, encore et encore jusqu'à ce qu'il rencontre brutalement la terre ferme. Il se rappelait encore de cette horrible sensation de tournis qui lui avait tant donné la nausée. 


En saluant Dumbledore avant d'embarquer, il n'avait pu se retenir d'avouer :

- "Rubeus n'est pas responsable. Aragog n'est pas coupable. Rien de tout ça n'est vrai."


Son professeur lui avait souri :

- "Je sais, Monsieur Karaka."

- "Alors pourquoi bannir Hagrid ? C'est pas juste !" S'était indigné Tupaï.

- "Certaines forces sont à l'œuvre, le destin prépare ses pions."

- "C'est nul, ça, comme explication !" Avait répliqué Tupaï en croisant les bras. 


Soudain, Dumbledore avait eu l'air très triste et il avait murmuré avant de s'éclipser : 

- "Je ne saurais le dire, Monsieur Karaka, je ne saurais le dire. Mais quoiqu'il en soit, je veillerai sur notre ami commun, soyez-en assuré."


Durant le trajet, qui fut l'un des plus longs de toute sa vie, les paroles du professeur n'avaient cessé de le hanter alors qu'il passait le plus clair de son temps accoudé au bastingage à regarder les flots s'écraser sur l'énorme coque du paquebot à vapeur. Au bout d'un mois de navigation, il avait enfin retrouvé ses parents. Ils l'avaient reconduit chez lui où l'attendaient sa sœur et son amie, ses cousins, ses cannes à pêche et ... son Océan. 


Au cours des années qui suivirent, il échangea avec Rubeus quelques lettres, mais, peu, à peu, les souvenirs de Poudlard se firent plus lointains, les mots de Dumbledore s'effacèrent, les missives d'Hagrid s'espacèrent. Il se disait qu'il avait certainement rencontré de nouveaux amis, que ses lettres s'étaient peut-être perdues en mer, qu'il avait peut-être de nouvelles tâches importantes à faire, tout comme lui, qu'il avait peut-être fait une rencontre, qu'il allait peut-être se marier ... Comme lui avec Akumatua. 


Quoiqu'il en soit, depuis ce temps-là, la casquette rouge et or au blason de Gryffondor n'avait jamais quitté sa tête. Sauf aujourd'hui ... Oui, il avait eu chaud. Aujourd'hui, il avait bien failli la perdre.


Tout en l'ajustant machinalement, il reprit la direction de la côte en sifflotant de joie :

- "Un Kraken Noir des Profondeurs ! Sans rire ! Ah ! Il faut que je prévienne Poudlard ! Le professeur Brûlopot ne peut pas louper ça ! Lui qui rêvait d'en avoir un pour protéger le lac de l'école …[1]"


Soudain son sourire s'effaça :

- "Oui, mais comment faire ? Je suis parti depuis si longtemps ! Personne ne me croira !"


Son regard se fit soudain plus déterminé :

- "Hagrid me croira, lui. Et il viendra, j'en suis sûr ! Il faut qu'il vienne ..."


*** 

Sur la plage juste devant chez eux, la petite Makei, du haut de ses sept ans, observait son papa pointer un kéa avec un drôle de bâton en eucalyptus en lui murmurant des mots étranges.

- "Tu fais quoi avec ce perroquet, papa ?"

- "J'envoie un courrier urgent."


La petite fille éclata de rire :

- "C'est pas plus simple par la poste ?"


Tupaï secoua la tête :

- "Je t'expliquerai quand j'aurais fini."


Il tendit une enveloppe scellée de rouge à l'oiseau qui la saisit dans son bec crochu. Puis, il souleva délicatement le kéa, lui murmura une dernière chose et le propulsa dans les airs. Il suivit le perroquet des yeux jusqu'à ce qu'il ne parvienne plus à distinguer les plumes rouges de ses ailes déployées dans le ciel. Il se tourna alors vers sa fille et lui tendit les bras :

- "Viens par là, toi. Il faut que je te raconte une histoire."

- "Ah oui ! Laquelle ?" S'exclama Makei en se précipitant vers son père qui la prit contre lui en s'asseyant dans le sable. 


Il retira sa casquette et lui la posa dans les mains :

- "C'est l'histoire d'une casquette ..."

- "Pfff ... C'est pas drôle, ça ! Elle ne fait que rester sur ta tête toute la journée !" Souffla la petite en levant les yeux au ciel.

- "Oh, détrompe-toi, Makei. Elle a rencontré des personnes et des créatures extraordinaires."

- "Ah oui ?" Demanda-t-elle, les yeux soudain pétillants de curiosité.

- "Oui. Des sorciers, des amis, des longues-vues un peu spéciales, des baguettes magiques, des krakens puissants et des araignées géantes ..."



***

[1] Effectivement, la présence de ce kraken sera utile : à lire juste ici : La mémoire de l'eau, une fanfiction Harry Potter (fanfictions.fr) de Elane67.



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