Secrets de Serpentard : La noble famille Black

Chapitre 3 : Comité d'accueil

4402 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 10/05/2022 14:36

Un véhicule rutilant s’approcha de la grille haute et menaçante qui barrait l’entrée de la Colline d’Émeraude. Malgré les pics acérés qui se dressaient devant elle, la voiture ne ralentit pas, et passa au travers de la grille comme si les barreaux de métal n'étaient qu'un écran de fumée.

Elle s’arrêta seulement un peu plus loin, devant la maison immaculée de la famille Black. La portière s’ouvrit brusquement, et Bellatrix Black sauta sur la chaussée. Elle faillit bien se tordre la cheville : le véhicule était gigantesque, d’autant plus qu’il roulait en lévitant quelques centimètres au-dessus de la chaussée, pour le plus grand confort de ses passagers.

Bellatrix prit son énorme valise noire dans le coffre, marmonna quelques remerciements à la famille Nott et claqua la portière avec force.

Elle était d’humeur absolument massacrante. La touffeur qui régnait était insupportable, et elle ruisselait de sueur sous son épaisse chevelure noire. Comme si ça ne suffisait pas, sa famille n’avait même pas daigné venir la chercher à King’s Cross, et elle avait été obligée de supporter Damian Nott pendant toute la durée du trajet : cet imbécile n’avait rien trouvé de mieux à faire que de la bassiner avec les excellents résultats qu’il venait d’obtenir à ses BUSE. Selon Bellatrix, il fallait vraiment être un crétin de la dernière espèce pour se vanter d’être un aussi gentil petit élève docile.

Pendant quelques instants, elle fit mine de traîner sa valise sur les pavés, mais dès que la voiture des Nott eut disparu derrière le virage, elle regarda à droite, puis à gauche, et sortit sa baguette.

Elle savait pertinemment qu’elle n’avait pas le droit d’utiliser la magie en dehors de l’école, mais elle ne faisait pas grand cas du règlement. Et puis, sur la Colline d’Émeraude, la densité magique était si forte que jamais le Ministère ne pourrait détecter qu’une deuxième année utilisait sa baguette de temps en temps. De toute manière, elle n'allait tout de même pas porter sa valise elle-même, comme une vulgaire moldue...

Elle rassembla sa concentration autour de sa baguette. Depuis quelques temps, elle essayait de ne plus prononcer les sortilèges qu’elle employait. Bien sûr, elle avait encore du mal, et n’avait réellement réussi que deux ou trois fois, pas plus, mais cela avait suffi à impressionner ses camarades : pour une deuxième année, c’était un véritable exploit.

Après plusieurs essais infructueux, elle se résolut à murmurer, le plus bas possible :

– Locomotor Malta…

Bellatrix sourit pour la première fois de la journée : sa valise se souleva docilement du sol, passa au-dessus du portail, et se posa tranquillement quelques mètres plus loin, sur le perron de sa maison.

 Mais le sourire de Bellatrix s’évanouit lorsqu'elle aperçut le corbeau de pierre qui tenait leur courrier dans son bec, perché sur une des larges colonnes qui encadraient leur portail. La lettre que l’on voyait en premier était une lettre prioritaire. L'enveloppe était épaisse, faite d'un parchemin jauni, et frappée du sceau de Poudlard. Décidément, ces cornichons avaient été rapides... Bellatrix ne se faisait pas d’illusion, elle savait pertinemment de quoi il retournait.

L’événement en question avait eu lieu la veille. Gryffondor avait gagné la coupe des quatre maisons, pour la première fois depuis des années – c'était généralement Serpentard qui l'emportait. La bataille avait été rude, et Gryffondor avait fini par les battre – de peu, certes, mais battus quand même.

Néanmoins, Bellatrix et ses acolytes ne l'entendaient pas de cette oreille. Au moment où Dumbledore avait annoncé les résultats, un petit groupe de Serpentard s'était levé, et avait crié en chœur, en brandissant leurs baguettes :

– Serpentini !

Et aussitôt, les étendards rouges et or avaient pris une vilaine couleur verte, s'étaient couverts d'écailles, pour finalement se désintégrer en une pluie de minuscules serpents qui s'était abattue sur les élèves.

Ça avait fait une sacrée pagaille : tout le monde criait, courait dans tous les sens, s'agitait pour sortir un serpent de sa chemise ou de sa chaussure. Les professeurs étaient restés sidérés quelques instants : même cette vieille chouette de McGonagall en avait perdu son chapeau. Puis, Dumbledore avait frappé trois fois dans ses mains, les serpents avaient disparu et les étendards rouges et or avaient repris leur place – mais plus personne n'y prêtait attention.

Plusieurs élèves saignaient du nez après avoir percuté un de leurs voisins. Toutes les petites pimbêches de Poudlard qui s'étaient mis sur leur trente-et-un pour le dernier jour étaient complètement ébouriffées, et suppliaient leurs amies de regarder si un serpent ne se baladait pas dans leurs cheveux. Bellatrix et ses amis étaient absolument ravis : le chahut n'avait pas duré, mais au moins, quand les élèves rentreraient chez eux, ils ne diraient pas que Gryffondor avait gagné, mais plutôt que Serpentard avait tout saboté.

Après un sermon collectif dans le bureau du professeur Dumbledore, pendant lequel ils avaient eu beaucoup de mal à ne pas éclater de rire, tous les amis de Bellatrix lui avaient tapé sur l'épaule, ravis : c'était elle qui avait trouvé le sortilège en feuilletant les ouvrages de la Réserve, et elle en retirait une immense fierté. Même Antonin Dolohov, un des préfets de Serpentard, lui avait adressé un long regard admiratif, sur le quai du Poudlard Express.

Néanmoins, maintenant qu'elle était de retour chez elle, les festivités étaient finies, et elle allait devoir assumer seule les conséquences de ce coup d'éclat – ce qui était nettement moins réjouissant. Les amis avec qui elle avait préparé ce mauvais coup ne craignaient rien : leurs familles n'accordaient aucune valeur aux dires des professeurs de Poudlard. Les parents de ses amis Rabastan et Rodolphus Lestrange avaient déjà fait plusieurs séjours à Azkaban, pour diverses raisons ; ceux de Corban Yaxley étaient fortement soupçonnés par le Ministère d'orchestrer un trafic de Fumobec, Piqu'plane et autres substances frauduleuses ; et ceux des Carrow, enfin, déménageaient tous les quatre matins pour semer les Aurors qui surveillaient leur domicile.

Bellatrix les enviait ouvertement. En recevant la lettre de Poudlard, les parents de ses amis éclateraient de rire, encourageraient leurs enfants à continuer dans cette voie, leur offriraient peut-être même une récompense : Bellatrix ne pouvait certainement pas en dire autant. Ses parents étaient de bons petits soldats, bien rangés, surtout son père qui passait son temps à cirer les bottes du Ministre, en espérant pouvoir un jour prendre sa place.

C'était la quatrième lettre de l'année que Poudlard leur adressait à ce sujet. Bellatrix imaginait déjà la diatribe que son père allait lui servir en apprenant qu'elle avait une nouvelle fois semé le désordre : il lui parlerait de l'importance du respect des règles, lui commanderait de donner l'exemple devant ses cadettes, etc., etc. Et sa mère approuverait docilement, bien sûr, comme toujours...

Son seul espoir était de dissimuler la lettre, avant que son père ne rentre. Bellatrix tendit la main vers le bec du corbeau, et tira fermement sur l'enveloppe.

– Allez, laisse-toi faire, marmonna-t-elle.

Mais, sans prévenir, le corbeau de pierre se cambra, et donna un coup de griffe sur la main de Bellatrix pour la tenir en respect.

– Sale bête ! glapit-elle en voyant trois stries rouges apparaître sur le dos de sa main.

Son père avait sûrement amélioré la sûreté de leur courrier, depuis la dernière fois. Bellatrix se résolut à laisser la lettre dans le bec du corbeau, remit sa tignasse noire en place et ouvrit le portail d'un coup de pied rageur.

En entrant dans le jardin, elle sentit immédiatement que quelque chose clochait. D’habitude, en cette saison, et surtout lorsque le soleil brillait comme il le faisait ce jour-là, ses deux sœurs se prélassaient dans la pelouse ou faisaient de la balançoire. Or, le jardin était désert et silencieux. Même les oiseaux chantaient avec moins d'entrain que d’habitude, et les fleurs piquaient du nez, comme si leur maison était entourée d’un sombre maléfice.

Bellatrix oublia aussitôt ses préoccupations à propos de Poudlard et de son père, et poussa lentement la porte de sa maison, qui était restée entrebâillée.

Le séjour, habituellement agréable et étincelant de propreté, était plongé dans l’obscurité, et semblait être à l'abandon depuis plusieurs jours. Les banquettes molletonnées et les étagères étaient recouvertes d'une fine pellicule de poussière, ce qui était tout à fait anormal. Dans la vaste cuisine, le petit palmier qui occupait l'espace central s'était affaissé sur lui-même, et de la vaisselle sale remplissait l’évier : la brosse magique censée s’en occuper flottait mollement dans les airs, effleurant de temps à autre une assiette ou un couvert, mais avec si peu d’énergie qu’elle n’avait aucune chance d’en retirer le moindre gramme de saleté. Bellatrix fut pétrifiée de retrouver sa maison dans un tel état de négligence.

– Ohé ! Il y a quelqu’un ?

Elle entendit des murmures affolés à l’étage, puis des pas précipités dans l’escalier. Sa sœur cadette, Andromeda, apparut dans l'encadrement de la porte.

Une fois de plus, Bellatrix eut l'impression furtive de se regarder dans un miroir. Toutes les deux avaient hérité des yeux gris argent et des cheveux noirs de leur père : à part ses traits plus doux et ses cheveux plus souples, Andromeda était le portrait craché de Bellatrix – et ce, malgré toutes leurs dissemblances de caractère.

– Tu es rentrée, dit Andromeda d'une voix étranglée.

– Ton sens de l'observation m'étonnera toujours, railla Bellatrix. Oui, je suis rentrée, et ça n'est pas grâce à vous ! Je sais que maman n'aime pas aller dans le centre de Londres, mais tout de même, elle aurait pu faire un effort... Et c'est quoi, tout ce bric-à-brac ? Pourquoi tous les volets sont fermés ?

Andromeda resta muette. Après le cataclysme qui avait eu lieu quelques jours plus tôt, la situation n'avait fait qu'aller de mal en pis. Le lendemain de leur expédition à Sainte-Mangouste, lorsque Narcissa et Andromeda s'étaient levées, elles avaient constaté – sans grande surprise – que leur père était retourné derechef travailler au Ministère. Druella s'affairait dans la cuisine comme si de rien n'était : elle avait expliqué à ses filles avec assurance que tout compte fait, elle saurait bien se débrouiller sans les conseils à la noix de l'Hôpital Sainte-Mangouste, que leurs remèdes de charlatan leur coûteraient une fortune, et qu'un peu de repos avec du jus de citrouille bien frais lui suffiraient amplement.

Mais à peine quelques jours plus tard, Druella avait refusé une invitation pour prendre le thé chez les Goyle, et avait poussé un cri quand Narcissa lui avait pris la main, tant ses articulations lui faisaient mal.

– Ne dites rien à votre père, les avait-elle suppliées. Ses affaires au Ministère lui causent déjà assez de souci comme cela.

Et depuis, tout le monde agissait comme si tout allait bien, Cygnus Black le premier : il arrivait de plus en plus tard et partait de plus en plus tôt, et passait même parfois la nuit au Ministère pour des raisons obscures. Plus personne ne prenait soin de la maison, dont l'état se dégradait peu à peu, tout comme celui de Druella Black.

Face à Bellatrix, Andromeda ne savait pas par où commencer. Heureusement, derrière elle, Narcissa dévala les escaliers à son tour.

– Bella ! s'exclama-t-elle en courant à la rencontre de sa grande sœur.

– Cissy ! Dis donc, t'as sacrément grandi depuis Noël ! Viens là, que je te fasse un bisou !

Bellatrix embrassa tendrement Narcissa sur les deux joues. Elle souriait, mais en la regardant dans les yeux, Bellatrix remarqua que son regard était voilé par une inquiétude nouvelle. Elle fronça les sourcils.

– Qu'est-ce qu'il se passe, Cissy ? Qu'est-ce qui ne va pas ?

À son tour, Narcissa ne sut que répondre. Et en effet, comment lui expliquer les derniers bouleversements sans qu'elle ne sorte de ses gonds ?

– Où est maman ? demanda enfin Bellatrix.

Narcissa glissa un regard vers le plafond, et Bellatrix se rendit aussitôt à l'étage, malgré les protestations d'Andromeda.

Lorsqu'elle découvrit sa mère écrasée au fond de son lit, et qu'elle comprit que leur père refusait de financer le remède proposé par Sainte-Mangouste, Bellatrix eut envie de tout fracasser par terre. Cela lui arrivait souvent, et dans ces moments-là, une seule chose lui permettait de se défouler : utiliser la magie, et canaliser toute sa révolte autour d'un but précis.

– Il était temps que je rentre, déclara-t-elle en revenant dans le salon, la voix un peu enrouée.

Ses mains tremblaient un peu, et elle saisit celle de Narcissa pour se radoucir : s'il y avait bien une personne pour qui Bellatrix consentait à faire des efforts, c'était sans aucun doute pour sa petite sœur.

– Tu vas voir, je vais tout remettre en ordre, promit-elle.

Elle sortit sa baguette, et à l'aide de plusieurs injonctions précises, ouvrit les volets un par un, tout en restant au milieu du salon. La lumière pénétra de nouveau dans le séjour, et remit un peu d'espoir dans la pièce.

– Tu ne devrais pas, dit Andromeda, sans trop y croire. Tu n'as pas le droit...

– Si tu crois que je vais laisser la maison dans un état pareil parce que des règles stupides me l'interdisent, tu te fourres le doigt dans l'œil jusqu'à l'omoplate, répliqua Bellatrix.

Elle entreprit de ranger la salle de séjour.

– Récurvite ! Ordonnate !

Toute la vaisselle fut propre en un instant, et les assiettes rejoignirent leur placard en sautillant dans les airs.

– Voilà qui est mieux, pas vrai, Cissy ? dit Bellatrix en remuant sa baguette dans les airs pour guider les verres en cristal jusqu'à la serviette qui attendait avec impatience de les essuyer.

Narcissa acquiesça avec émerveillement. À force de s'inquiéter de la réaction de Bellatrix lorsqu'elle apprendrait les récents évènements, elle en avait presque oublié à quel point sa grande sœur était douée. Depuis Noël, où elle avait cassé une bonne partie de la vaisselle lors de ses expériences, elle avait fait des progrès flagrants : désormais, les mouvements des objets qui lui obéissaient étaient plus fluides, et ils ne s’entrechoquaient plus du tout entre eux.

C'est ce moment précis que choisit Cygnus Black pour faire irruption dans la maison, en brandissant furieusement la lettre de Poudlard qu'il venait de recevoir. Lorsqu'il ouvrit la porte, Bellatrix sursauta si fort que tous les sorts qu'elle avait lancés s'interrompirent, et plusieurs verres en cristal se fracassèrent sur le sol.

– Bellatrix ! tonna son père en entrant. Qu'est-ce que je vois ? Je reçois une nouvelle lettre de Poudlard à propos de ton comportement mutin, et je constate que tu es à nouveau en train d'enfreindre les règles ?

Contrairement à son épouse, Cygnus Black avait toujours aussi fière allure. Il était plutôt bel homme, avec ses cheveux noirs et brillants, et ses yeux gris comme de l'acier, étincelants d’intelligence et d’ambition, cerclés de lunettes à la monture argentée. Très fier de son travail de juge au Magenmagot – le plus prestigieux qui existe, selon lui – il gardait sa longue robe rouge jusqu'au seuil de sa maison, pour que le voisinage puisse l'admirer. Il portait un couvre-chef assorti : autrefois, il le faisait porter à ses filles pour leur donner « le goût de l'ambition », disait-il.

Narcissa le trouvait très distingué, habillé de la sorte. Et puis, avec sa grande taille, son torse compact et sa voix de tonnerre, elle était persuadée qu'il impressionnait tous ceux qui se trouvaient sur son chemin...

Tous, sauf sa sœur Bellatrix. Une fois remise de sa frayeur, celle-ci se mit également à crier au scandale. Elle balaya l'accusation d'un revers de main, et prétexta des sujets plus urgents :

– Comment osez-vous me disputer à propos de choses aussi insignifiantes ! Notre mère est malade, et vous ne pensez qu'à satisfaire ces imbéciles de professeurs ? Vous êtes un irresponsable, il faut que nous payions ce traitement ! Vous n'avez pas honte de laisser dépérir notre mère, dans la plus puissante des familles de sorciers ?

Mouché, leur père fut enfin franc avec elles : la rémunération que lui dispensait le Ministère était certes coquette, mais largement insuffisante pour financer des fioles hebdomadaires de Croculus Sativus.

– Eh bien, changez donc de métier ! Il n'y a rien de plus facile ! Vous êtes dans les petits papiers du Ministère, ils sauront bien vous trouver un poste financièrement plus avantageux !

– Bellatrix, tu devrais avoir honte de ce que tu dis, gronda Cygnus Black. J'ai la chance d'être précisément à l'endroit où je peux être le plus influent, et protéger notre société des vices moldus qui la menacent, et dont mes confrères ne semblent pas se soucier. Si j'abandonne ma place, les Sang-Pur deviendront sous-représentés au Magenmagot : ce serait un désastre. Vous devriez plutôt me remercier, et m'encourager ! 

Comme Narcissa le craignait, Bellatrix explosa d'indignation, avec sa grandiloquence habituelle. Elle menaça mon père de tout raconter aux autres familles voisines, de venir jusqu'au Ministère pour l'humilier devant le Magenmagot, ou d'aller réclamer à ses employeurs la somme qu'il leur manquait – un chantage qui n'avait ni queue ni tête, mais qui suffit pour provoquer à son tour la susceptibilité paternelle.

– Qu'est-ce que tu crois, Bellatrix ? Que le Magenmagot va généreusement me proposer la somme astronomique d'argent dont nous avons besoin, alors que les caisses du Ministère sont vides ? Ou peut-être qu'avec tes idioties, tu cherches tout simplement à me nuire ?

Bellatrix, butée, ne décolérait pas :

– Le Ministère, le Ministère, vous n'avez que ce mot-là à la bouche ! Mais ils sont tous pervertis, là-bas, ils ne pensent qu'à abolir nos privilèges et à protéger ces satanés Moldus !

Narcissa était toujours impressionnée par son impertinence. Son père se dressa de toute sa hauteur, en serrant les poings, et fit trembler les murs de sa voix retentissante :

– Je me demande quel genre de fréquentations tu as, à Poudlard, pour oser proférer de telles absurdités ! As-tu seulement une idée, bon sang, de tous les sacrifices que j'ai fait pour arriver si haut placé ? Grâce à moi, la famille Black n'a jamais été aussi puissante ! Et je pourrais faire encore davantage, si vous arrêtiez de me mettre des bâtons dans les roues !

Mais malgré les remontrances et la stature impressionnante de son père, Bellatrix ne revint pas sur ses paroles.

– De toute manière vous êtes un esclave du Ministère, dit-elle encore. Et le pire, c'est que vous en êtes fier !

Leur père devint écarlate, sa moustache noire frémit, et Narcissa eut très peur qu'il ne sorte sa baguette pour la punir. Mais finalement, il prit une grande inspiration, se tourna vers ses trois filles, et déclara d'un ton aride :

– Je vois bien, mes chères filles, que votre petit confort est votre seule préoccupation, et que vous n'avez que faire de tous les combats que je mène au Ministère pour défendre, non seulement nos intérêts, mais ceux de tous les Sang-Purs d'Angleterre. Je me désole de ne pas avoir su vous inculquer l'importance de notre statut et la responsabilité qui en découle, mais soit, j'accepte de payer ce maudit traitement, puisque telle est votre volonté. Mais ayez bien conscience que cette somme sera dilapidée à vos propres dépens, car je n'abandonnerai jamais – vous m'entendez, jamais – ce poste que j'ai si durement obtenu.

Les trois sœurs allèrent se coucher, la tête basse. Narcissa ne l'avoua pas à ses deux sœurs, mais une part d'elle était du côté de son père : il était clair que son rôle au Magenmagot était absolument capital pour le peuple des sorciers, et Narcissa n'arrivait pas à lui en vouloir de s'entêter à y rester, coûte que coûte. La force avec laquelle il se battait pour ses convictions était quelque chose que Narcissa avait toujours profondément admiré chez lui, et elle n'arrivait pas à l'imaginer autrement que vêtu de sa superbe robe rouge, prêt à remuer le monde de leur grande influence.

– Je n'ai jamais entendu de telles idioties ! enrageait toujours Bellatrix. Ce sont tous des pourris, là-bas, ils lui ont retourné le cerveau ! Que diraient mes amis, s'ils entendaient ça...

– Au moins, Maman va être soignée, avança prudemment Andromeda.

Mais les sœurs Black ignoraient, ingénues, tout ce que cela allait impliquer.

Car si les jours suivants, leur mère se porta un peu mieux, certains objets de la maison commencèrent à disparaître. Au début, cela ne concerna que les objets du salon, un miroir enchanté par-ci, une statuette ensorcelée par-là. Puis, Andromeda déplora la perte d'une de ses broches en argent. Ensuite, ce fut le tour des bagues de Bellatrix, qui ne manqua pas d'en faire un esclandre. Narcissa cacha sous une latte de parquet l'objet de la maison auquel elle tenait le plus : Nymphadora, sa poupée de chiffon.

Mais, excepté cette précieuse poupée, tout fut vendu, la maison se vida progressivement de sa substance et de leurs souvenirs, et à la fin du mois de juillet, il ne restait qu'une coquille vide, envahie par leur impuissance.

Et ainsi, par une douce soirée d'été, Cygnus Black convoqua ses filles dans la cuisine, où de minuscules tabourets avaient désormais remplacé les fauteuils moelleux.

– Nous allons quitter cette maison, annonça-t-il.

Un lourd silence accueillit ses paroles.

– Ma sœur Walburga, dans sa grande générosité, m'a proposé de nous héberger pour quelque temps... En attendant des jours meilleurs.

Narcissa fouilla dans sa mémoire. Elle avait déjà vu sa tante, il y avait très longtemps, et elle en gardait un souvenir plutôt effrayant. Bellatrix s'indigna une nouvelle fois :

– Habiter au centre de Londres, au milieu des Moldus ? Mais quelle horreur ! Pourquoi on ne va pas chez les Rosier ? Ce sont nos cousins aussi, après tout ! Ou chez les Goyle ? C'est à deux pas, et leur maison est immense !

– Ne discute pas, Bellatrix. Les Rosier ne nous ont rien proposé, et les Goyle non plus...

– Normal ! Ils ne savent même pas ce que nous traversons !

– ...Nous irons chez ma sœur, un point c'est tout. Comme ça, vous pourrez rencontrer vos petits cousins, Sirius et Regulus, deux garçons charmants, paraît-il.

– Des morveux, râla Bellatrix.

– Et puis, sa maison est toute proche du Ministère... Il sera bien plus simple de m'y rendre.

­– Ah ! Voilà donc la vraie raison !

– Montez faire vos valises, ordonna Cygnus Black pour couper court à toute discussion.

Les trois sœurs se dirigèrent vers l'étage. Juste avant de monter, Narcissa regarda par-dessus son épaule. Son père, les croyant parties, passa son doigt sur une étagère vide, et examina la poussière grise qu'il y avait ramassé.

– Je savais bien que fonder une famille me rendrait la vie impossible, soupira-t-il.

Il se tourna vers sa femme, qui avait écouté toute la conversation depuis son tabouret, accoudée sur la table, la tête entre ses mains.

– Bellatrix n'a pas tout à fait tort, dit faiblement Druella Black en se massant les tempes. Tout serait plus simple si...

– Je ne veux pas recevoir de leçons de ta part, Druella ! la coupa Cygnus Black d'une voix menaçante. Je t'avais bien dit qu'un jour, avoir une troisième enfant serait au-dessus de nos moyens ! Comment allons-nous financer la scolarité de Narcissa, alors que nous n'avons même pas de quoi payer la baguette d'Andromeda ? Tu vois, si nous nous étions contentés de nos deux premières filles, les choses auraient été bien plus simples... Sans compter que...

– Cygnus ! Silence, elles vont nous entendre !

Narcissa sursauta, comme si elle avait reçu une décharge électrique. Ses parents continuèrent de se disputer à voix basse ; elle n'entendait pas ce qu'ils disaient, mais elle resta tout de même pétrifiée dans les escaliers, la main crispée sur la rampe.

– Cissy, tu viens ? appela Andromeda en passant sa tête dans le couloir. Je vais t'aider à faire ta valise.

Narcissa acheva de monter les escaliers, la gorge serrée. Tout en faisant sa valise avec Andromeda, elle repensa à ce que son père venait de dire. Après quelques instants d'incompréhension, elle se promit de lui prouver le contraire : elle ferait tout pour qu'il soit fier d'elle, et pour lui prouver qu'elle n'avait pas eu tort d'exister. Et un jour, il se souviendrait de ce qu'il avait dit, dans ce salon dépouillé, il en aurait honte, et se confondrait en excuses.

Les trois sœurs emportèrent donc le peu d'affaires qu'il leur restait. Le tout fut entassé sans difficulté dans le véhicule ironiquement affrété par le Ministère, puisque leur propre véhicule avait été vendu. Et sans trop réaliser ce qui lui arrivait, Narcissa se retrouva serrée entre ses deux sœurs sur la banquette arrière, sa main blottie dans celle d'Andromeda, quittant leur maison bien-aimée et leur jardin fleuri pour s'enfoncer dans Londres, où la brume dissolvait la lumière et confondait les immeubles avec le ciel.


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