Les regrets sont éternels

Chapitre 2 : Cinquante-trois ans plus tard

1546 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 29/11/2023 18:45

Cinquante-trois ans plus tard…


1998, quelque part en Autriche. Par une nuit sans étoiles, un vent lugubre soufflait entre les montagnes, se brisant sur un grand et sombre bâtiment de pierre. Froid, sans vie, silencieux comme un cimetière. Un endroit que la grande majorité des humains ne pouvait pas voir ; quant à ceux qui le pouvaient, ils évitaient soigneusement de s’y rendre. A cause de la chose terrible qu’elle contenait.


Dans la plus haute cellule de la forteresse de Nurmengard, Gellert Grindelwald essayait de dormir.


Il blottissait son corps maigre et malade dans le morceau de toile miteux qui lui servait de couverture. Il avait froid. Un problème que n’importe quelle personne de son espèce aurait résolu en quelques tours de magie. Mais la magie, il ne l’avait pas utilisée depuis 1945. Quelle ironie ! Lui qui avait bâti toute sa conquête du pouvoir sur sa fierté d’être un sorcier, l’un de plus puissants ayant existé, déterminé à remettre les non-magiques à leur place, il n’avait pas lancé un seul sortilège depuis plus de cinquante ans. Presque la moitié de son interminable vie.


Depuis trop longtemps il égrainait des journées tristement semblables dans sa propre prison, ne connaissant plus que les quelques mètres carrés dans lesquels on l’avait confiné. La porte, les murs, les dalles sur le sol, son lit, son tabouret, et le bout de paysage montagneux qu’il pouvait voir à travers les barreaux de sa fenêtre : voilà tout ce qu’il avait sous les yeux depuis cinquante-trois ans. Contrairement au commun des prisonniers sur terre, il n’avait pas droit à la promenade, même sous étroite surveillance. A cause de ses évasions spectaculaires d’autrefois qui avaient largement défrayé la chronique, on l’avait jugé trop dangereux, trop habile pour prendre le risque de le laisser prendre l’air ne serait-ce qu’une minute. Il ne devait en aucun cas poser un pied au-delà de son cachot. Grindelwald aurait bien expliqué à ses geôliers qu’aujourd’hui, il n’avait plus aucune envie de s’évader, mais personne ne l’aurait cru.


Toutefois, de temps à autres, le gardien de sa cellule, en même temps qu’il lui apportait à manger, lui donnait quelques nouvelles du monde. La dernière en date avait été la mort d’Albus Dumbledore. L’homme qui, aux yeux du monde entier, était celui qui l’avait vaincu, l’avait enfermé, avait mit fin à son règne, l’avait détruit. Son plus grand ennemi, son total opposé, son nemesis absolu. N’importe qui aurait imaginé qu’en apprenant sa mort, Grindelwald aurait dansé de joie.


Lorsque le gardien lui avait annoncé la nouvelle, il n’avait rien dit.


Lorsque le gardien était parti, il avait pleuré.


Cinquante-trois ans à tourner en rond dans sa cellule lui avaient donné beaucoup de temps pour songer. Au début, il n’ avait eu que de la haine pour Dumbledore. Il l’avait insulté, maudit, voué aux gémonies, avait souhaité toutes les souffrances du monde à cet homme qui l’avait réduit à néant, qui avait condamné le monde des sorciers à la clandestinité au lieu de l’avenir éclatant que lui, Grindelwald, avait imaginé. Puis, la haine s’était changée en amertume. Car Grindelwald s’était mis à en vouloir davantage à lui-même qu’à Dumbledore pour sa défaite. Souvent, il s’était repassé l’intégralité de leur duel dans la tête, cherchant ce qu’il aurait dû changer pour gagner, quel sortilège il aurait dû utiliser. Il avait cherché à savoir pourquoi il avait échoué, pourquoi son règne si puissant s’était effondré brutalement, ce qu’il aurait dû faire pour conserver son immense pouvoir, pour accomplir son rêve. Alors, l’amertume s’était changée en regrets. Il avait infiniment regretté que Albus ne l’ait pas suivi… et puis après, il avait infiniment regretté de ne pas l’avoir suivi. Après leur combat, Dumbledore n’était jamais venu le voir, ni durant les premières années de son incarcération, ni durant les dernières. Et pourtant, il aurait aimé ce qu’il aurait vu.


Car enfin, les regrets s’étaient transformés en remords. A force de n’avoir personne pour lui parler, il avait commencé à les entendre… les voix des morts, des veuves et des orphelins, de tous ceux dont il avait brisé les vies. Tous ces gens qui le suppliaient, lui hurlaient leur souffrance. En plus d’entendre, il avait commencé à voir. Il avait des visions, parfois furtives, parfois très longues, de ce qu’il avait commis, des morts innombrables, des villages ravagés, des nations entières mises à feu et à sang. Au fil du temps, ce qu’il avait longtemps considéré comme des discours mièvres, bien-pensants, s’étaient imposés à lui comme des vérités : il avait été un criminel. Un fou, un assassin, un tyran, la lie de l’humanité. Et il avait fallu attendre près de cinquante ans, et tant de vies ôtées, avant qu’il ne s’en rende compte. Peu à peu, il s’était mis à parler tout seul au fond de sa cellule. Il se lamentait, se blâmait lui-même à haute voix. « Qu’est-ce que j’ai fait ? », « Pourquoi ? », « Comment cela a-t-il pu arriver ? », telles étaient les seules choses que son gardien l’avaient entendu dire ces dernières années. Son bilan sanguinolent avait de quoi le hanter jusqu’à la fin de ses jours...


Mais il y avait autre chose qui le tourmentait. Quelque chose qu’il gardait sous silence. Dehors, un fléau frappait les sorciers, plus terrible que tout ce qu’ils avaient jamais connu. Cela durait depuis 30 ans… dehors, Lord Voldemort s’emparait du monde magique. Exactement comme Grindelwald l’avait fait. D’aucuns estimaient d’ailleurs qu’il était son digne successeur. Voldemort, c’était lui en pire… ou en mieux, selon le niveau de racisme des uns ou des autres. Au début, Grindelwald l’avait considéré comme un petit nouveau, et, au fur et à mesure que son pouvoir avait crû, il l’avait alors considéré comme une menace, le fossoyeur de l’humanité.


Les maigres échos qu’il avait eu sur cet homme avaient amplement suffi à Grindelwald pour cerner le personnage. C’était le genre d’homme qui ne vivait que pour la puissance. Jamais satisfait de son propre pouvoir, il consacrait chaque minute de sa vie, chaque respiration, à conquérir un peu plus, à prendre davantage de force, dans une soif jamais étanchée. Rien n’avait d’importance à ses yeux, pas même ses serviteurs les plus fanatiques, pas même ses amis les plus dévoués, du moment qu’il trouvait un moyen d’accroître un peu plus sa domination sur le monde. Grindelwald en savait quelque chose : cet homme là, c’était lui. Et quoi de mieux pour satisfaire ce désir de puissance que de détenir la seule Relique de la Mort qu’il ait possédé, la Baguette de Sureau ?


Depuis le premier jour où Gellert Grindelwald avait entendu parler de Lord Voldemort, il avait envisagé l’éventualité qu’il se mette en quête de cet objet. Puis, au fil des années, c’était devenu une certitude : un jour, il viendrait. Il remontrait la piste et viendrait lui demander ce qu’il était advenu de la Baguette de Sureau, la Baguette de la Destinée, le Bâton de la Mort. Les murs, les barreaux et les charmes de protection de Nurmengard ne l’arrêteraient pas. Mais lorsqu’il viendrait, il serait très déçu, car Grindelwald avait soigneusement préparé sa réponse. En attendant, le vieux mage déchu se rendait chaque soir dans son seul refuge : le sommeil. Pour le moment, la Baguette était en sécurité dans une tombe, il ignorait où… à Godric’s Hollow, peut-être ? Ça n’avait pas d’importance… ses yeux se fermèrent enfin, ses doigts serrés sur sa couverture se détendirent, et il perdit connaissance tout en douceur…


Mais son sommeil parut ne durer que quelques minutes. Il fut réveillé par un son étrange dans sa cellule, feutré, comme celui d’une fumée glissant sur le sol. Il se retourna dans sa couverture et jeta un regard. Dans sa cellule, il y avait un homme drapé dans une grande robe noire à capuchon, sous lequel on distinguait un hideux visage d’un blanc cadavérique, aux traits inhumains.


Lord Voldemort se tenait devant lui.


Dans l’obscurité, Grindelwald distinguait ses yeux rouges, qui le dévisageaient avec une avidité mêlée de colère. Voldemort ne dit rien, ne laissant échapper que le bruit de sa respiration haletante à travers les deux fentes qui lui servaient de nez. Grindelwald ouvrit lentement sa bouche édentée, et lui sourit. Il y avait tant d’années que cela ne lui était pas arrivé qu’il en eut mal aux joues.


« Je ne le laisserai pas faire, Albus », pensa-t-il.

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