Derrière le voile

Chapitre 1 : Derrière le voile

Chapitre final

2886 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 27/10/2023 14:57

Derrière le voile

 


Cette fanfiction participe au Défi d’écriture du forum Fanfictions .fr : Le fil du destin - (septembre octobre 2023).



 

Mon cœur s’est arrêté, je n’ai plus aucune douleur. Une sensation glacée me parcourt alors que je traverse une sorte de voile évanescent, oscillant comme de l’eau entre les briques d’une arcade en pierre, au beau milieu de la pièce où je me trouvais quelques minutes auparavant. Je me battais contre ma cousine pour tenter de sauver Harry et ses amis. Le sort qu’elle m’a lancé m’a atteint en pleine poitrine. Je tombe, les yeux écarquillés.

 

Soudain, je m’immobilise. Je flotte. Suis-je debout ? Couché ? Je n’arrive pas à le définir. J’ai perdu tous mes repères. Tout est noir autour de moi en dehors des couleurs délavées de cette fenêtre sur le Département des Mystères. Où suis-je ? Comment retourner d’où je viens ?

 

— Tu ne peux pas, me répond une voix éthérée, au loin.

 

Elle me semble quelque peu familière mais je ne m’y attarde pas. La dure réalité de ce qu’elle m’a annoncé me paralyse : je ne peux pas revenir sur mes pas. Si mon cœur battait encore, il aurait accéléré douloureusement.

 

Non, je refuse d’y croire. Cela ne peut pas se passer comme ça.

 

— Des regrets ? me demande la voix, de plus en plus forte.

 

Si j’ai des regrets ? Bien sûr : celui de n’avoir pas réussi à protéger mon meilleur ami. Celui de n’avoir eu que trop peu de temps à partager avec mon filleul.

 

— Seulement deux ? fait la voix juste derrière moi, si proche qu’elle me fait sursauter.

 

Je ferme les yeux : même effacée, telle un murmure, je l’ai reconnue. Et cette voix a peut-être raison quand j’y pense: j’ai un autre regret, même si je ne me le suis jamais avoué.

Je me retourne, lentement.

 

— Regulus, dis-je, méfiant.

— Bonjour, mon frère.

 

Il est là, tel que je m’en rappelle dans mes souvenirs. Les cheveux courts, bouclés, le dos droit et fier, engoncé dans une tenue qui aurait pu appartenir à notre père. Un parfait représentant de la famille Black, en somme. Mon opposé.

 

— Que fais-tu là, demandé-je, pris au dépourvu et un peu perdu face à cette apparition, lumineuse dans le néant ambiant.

 

Sans attendre sa réponse, je me détourne de lui, cherchant encore, en vain peut-être, un moyen de retourner là d’où je viens.

 

Je vois Remus tenter de retenir Harry qui semble vouloir courir vers moi. Je le regarde faire, impuissant alors que le voile s’éloigne dès que je fais un pas vers la scène pour y revenir. Les autres membres de l’Ordre continuent le combat alors que moi, je suis coincé ici. Et le passage refuse de s’ouvrir, quoi que je fasse.

Ça ne peut pas être vrai. 

 

— Tu ne sais toujours pas où tu es, n’est-ce pas ? me demande mon frère, avec désinvolture.

 

Je fais volte-face à nouveau, prêt à lui rétorquer une remarque cinglante qui ne vient pas.

 

— Parce que tu le sais toi peut-être ? répliqué-je, acerbe.

 

Il m’adresse ce petit sourire en coin, amusé de ma faible répartie. Ce sourire qui m’énervait tant quand j’étais enfant. Celui qu’il me réservait quand nos parents me punissaient moi pour des choses que lui avait faites.

 

— Je suis mort, Sirius, dois-je te le rappeler ? Où crois-tu que l’on soit ?

 

Et il a emporté son arrogance dans sa tombe, pensé-je, en me retenant tant bien que mal de lever les yeux au ciel.

Et pourtant, malgré sa condescendance, il n’a fait qu’énoncer une vérité : il est mort. Il y a seize ans. Le suis-je donc moi aussi ?

 

Non, je refuse d’y croire. Ça ne peut pas être mon destin. J’aurais dû accomplir plus de choses. J’aurais dû aider Harry dans son combat. J’aurais dû être innocenté de ce dont on m’a accusé durant toutes ces années. Quatorze ans perdus à Azkaban. J’aurais pu alors l’accueillir chez moi et reprendre ce rôle de parrain dont on m’avait privé. On aurait dû être une famille. Je serre les poings alors que je me rends à l’évidence.

 

— Nous sommes…

 

J’ai la gorge trop serrée pour finir ma phrase. Et puis d’ailleurs, quel est réellement cet endroit ? Le paradis ? L’enfer ?

 

— Définis ça comme tu veux, mais oui. Ce voile est celui que Cadmus Peverell a créé dans l’espoir de ramener sa bien aimée à la vie. Mais comme tu le devines, ça n’a pas fonctionné.

 

Je secoue la tête et je réfléchis, cherchant l’espoir dans de minuscules détails futiles.

 

— Mais… Bellatrix ne m’a pas tué. Ce n’était pas un sort mortel.

— Peut-être. Mais quoi que cela ait été, le sortilège t’a poussé à travers l’arcade. Tu es donc mort, que cela te plaise ou non, me répond-il en haussant les épaules.

 

Son mépris me fait sortir de mes gonds. J’ai toujours eu du mal à calmer mes nerfs en face de lui. D’autant plus que l’acceptation de ce qu’il énonce est difficile, injuste.

 

— Ton frère meurt et c’est tout ce que ça te fait ? craché-je.

— Parce que tu veux me faire croire que tu as porté le deuil pour moi ? ricane-t-il.

 

Touché. Il a raison, encore une fois. Je ne l’ai pas pleuré. Même pas une larme.

 

Quand Regulus est mort, j’avais vingt-et-un ans. J’avais quitté notre demeure familiale du Square Grimmaurd depuis cinq ans, le laissant derrière, au même titre que mes parents. Eux je ne les ai pas regrettés. Mais lui… C’était mon petit frère.

 

Nous étions différents, c’est vrai. Il était fidèle à la maison des Black, il avait les mêmes idées nauséabondes et les mêmes valeurs d’un ancien temps que mes parents. Moi, j’étais le rebelle rejetant en bloc leur éducation et leur sacrosainte vision du sang-pur. Mais c’était mon petit frère.

 

J’étais là quand il est monté sur son premier balai. J’étais celui qui sécurisait ses chutes. Celui qui assurait ses arrières. Celui qui prenait les punitions à sa place quand il faisait des bêtises, comme tout benjamin pouvait en faire. C’était le préféré de mes parents, mais c’était mon petit frère.

 

Il m’en a voulu quand j’ai été réparti à Gryffondor, brisant la tradition séculaire qui voulait que tous les Black soient à Serpentard. Il a été jaloux de James quand il a compris combien l’amitié qui nous liait était forte. Nous nous sommes éloignés sans retour possible quand il est devenu Mangemort. Même s’il était toujours mon petit frère…

 

J’étais en colère. Alors non, je n’ai pas pleuré. J’ai enfoui ma tristesse et ma culpabilité de n’avoir rien fait de plus pour le sortir de cet engrenage sous de très nombreux verres de Whisky Pur-feu.

 

— C’est vrai, concédé-je. Je n’ai pas pleuré… Un Black…

— Ne pleure jamais, m’interrompt-il, le sourcil arqué. Il semblerait donc que, malgré tout, tu aies retenu quelque chose des leçons de Père.

— Il faut dire qu’il avait sa façon bien à lui de nous inculquer ses valeurs. Difficile à oublier…

 

Le silence tombe à nouveau entre nous et je me retourne vers la porte de l’autre monde. Les combattants des deux camps sont partis. Je n’ai même pas vu qui a gagné. Je suppose – et j’espère – que Harry, Remus et les autres ont pu s’en sortir. Je baisse la tête.

 

— Tu avais raison, tu sais, finit par dire mon frère.

 

Je sursaute. Il n’a pas parlé fort mais c’est tellement silencieux par ici que tous les sons me paraissent disproportionnés.

— J’ai souvent raison, dis-je. Peux-tu préciser ?

— Le Seigneur des Ténèbres… C’est toi qui avais raison, Sirius.

 

Je me fige, avant de me retourner à nouveau vers lui, au ralenti. Je l’observe quelques secondes : il a l’air tellement jeune à ce moment là que j’ai l’impression de le revoir tel qu’il était alors que je passais la porte de notre maison pour ne plus y revenir : la mâchoire crispée, la tête baissée, osant à peine me regarder. Je m’étais toujours demandé s’il avait voulu me dire quelque chose ce jour-là …

 

— Regulus…tenté-je, ma voix rendue rauque par la tension qui m'habite.

— Il a créé des Horcruxes. Tu savais ? m’interrompt-il d’une voix forte. Je voulais te le dire. Mais je savais que tu ne me croirais pas. J’avais fait trop de mauvaises choses. Alors j’ai voulu t’apporter une preuve. J’ai voulu en voler un.

 

Des Horcruxes. Les livres de mon père me reviennent en mémoire. C’est de la magie noire à son niveau le plus abject. On parle de déchirer son âme… Harry… Comment peut-il tuer Voldemort s’il utilise ce genre de magie ?

 

Je regarde autour de moi en quête d’une échappatoire. La panique me guette. Je la sens grandir en moi. Il faut que je reparte ! Que je retourne parmi les vivants.

 

— C’est impossible. Tu ne peux pas y retourner, me tempère mon frère.

 

Malgré la froideur de son ton, je sens de la tristesse dans sa voix. Je m’apprête à plaider ma cause :

 

— Reg…

— J’ai réussi, tu sais, me coupe-t-il en relevant la tête, fier. C’est la dernière chose que j’ai faite, mais j’ai réussi. Je voulais me racheter à tes yeux.

 

Il lance un doigt accusateur vers moi et ma gorge se serre. J’ai la bouche sèche et pas un mot ne sort. Je ne fais que le regarder, les yeux ronds, alors que je comprends petit à petit ce qu’il veut me dire.

Il est mort.

A dix-neuf ans.

Pour se racheter aux yeux de son grand frère.

Et encore une fois, il a raison, j’étais trop buté, fier et arrogant à l’époque pour accepter sans preuve l’idée de m’être trompé sur lui. J’étais trop en colère. Les regrets et la culpabilité me frappent alors avec une force décuplée par toutes ces années de déni.

C’était mon petit frère.

Et il est mort en pensant que je le détestais.

S’il savait à quel point il avait tort ! J’étais en colère et déçu, parce que je l’aimais. J’ai bu à m’en rendre malade, parce que je l’aimais. Je m’apprête à avancer vers lui pour tenter de lui faire comprendre. Il recule.

 

— Je t’ai haï. Quand tu es parti. Je t’ai haï, si tu savais à quel point ! Tu m’as abandonné. J’avais quatorze ans, Sirius. J’avais besoin de toi. Je n’étais pas aussi fort que toi et j’ai dû prendre sur mes épaules la responsabilité qu’ils faisaient tous peser sur moi. Ils m’ont laissé entre les mains de Bellatrix, en proie à son fanatisme.

 

Je m’arrête, le pied levé, stoppé dans mon élan, tant la hargne dans sa voix est forte.

 

— Les seuls amis que j’avais étaient tous là, à chanter les louanges du Seigneur de Ténèbres, pas aussi fous que notre cousine, certes, mais je n’avais pas le droit de penser différemment à l’époque. Aucun d’eux ne m’aurait soutenu si j’avais osé émettre un avis contraire et me dresser contre notre maître, aveuglés qu’ils étaient. Mais moi, je voulais juste survivre, Sirius !!

 

Il était lancé et ses mots étaient plus douloureux que tous les sortilèges que j’avais pu subir.

 

— Mais laisse-moi t’avouer une chose cependant, continue-t-il, amer. Tes amis : ces fiers Gryffondor, traitres à leur sang, sang-de-bourbe et autres hybrides que tu aimais tant, ils ont rendu mon choix plus facile. Alors les autres n’ont pas eu à insister beaucoup pour que je me range à leurs côtés.

 

Je grimace. Que de non-dits et de regrets dans sa voix. J’ai honte soudain et mes barrières cèdent devant le flot destructeur dont il m’abreuve sans s’arrêter. Je ne relève même pas les insultes utilisées que je sais être là uniquement pour me blesser. J’avance à nouveau vers lui. Il ne recule plus.

 

— Oh oui, je t’ai haï. A la hauteur de l’amour et de l’admiration que j’avais pour toi. Je t’ai haï !

 

Il se tait enfin alors que je suis tout près de lui. Il me fixe, me défie et ses pupilles irradient de rage, de colère et de regrets. Elles me dévorent l’âme, rongeant la carapace que je m’étais forgée depuis tout ce temps. Ses poings sont serrés, je le sais et malgré la tension que je ressens dans mes épaules en ce moment crucial, je me force à me détendre, à ne pas répondre à ses provocations. Ça ne ferait que répéter ce qui nous a, au final, toujours empêché de communiquer.

 

— Tu ne m’as jamais rien dit de tout ça…, finis-je par dire avec douceur.

— Tu ne m’as jamais rien demandé, répond-il avant de détourner le regard, la mâchoire toujours crispée.

— J’ai toujours détesté la magie noire, tu le savais. Tu l’as toujours su. Comment aurait-il pu en être autrement, vu les maléfices que me faisaient subir nos parents. Tu n’as jamais rien dit contre ça. Tu en as même ri à plusieurs reprises, avant de soutenir tes « amis » de Serpentard quand ils en faisaient usage à leur tour. Comment aurais-je pu deviner ? 

 

Il ne répond pas.

 

— Le destin est une chose étrange, tu ne trouves pas ? demandé-je après quelques minutes passées à attendre une réponse.

 

Il me regarde à nouveau, interrogatif.

 

— Nous avons pris tous les deux des chemins différents. Nous n’avons jamais réussi à nous comprendre. Nous n’avons jamais réussi à communiquer et à nous avouer… tout ça, dis-je, encore incapable d’exprimer à haute voix ce que je ressens. Et ça n’a fait que nourrir un ressentiment. Et pourtant, c’est toi qui es venu m’accueillir ici.

 

Il ne répond pas, mais dans son regard, je ne vois plus la haine qu’il y avait avant. J’hésite et déglutis péniblement, avant de continuer :

 

— J’ai trouvé une nouvelle famille à Poudlard, c’est vrai, mais il m’a toujours manqué quelque chose…

 

Je le prends dans mes bras et le serre, vaine tentative pour cacher les tremblements qui me trahissent. Mais c’est alors ma voix qui m’abandonne : 

 

— Toi, petit frère, murmuré-je.

 

Je me râcle la gorge avant de continuer :

— Et je suis reconnaissant au destin de t’avoir retrouvé. Même si c’est dans la mort. Mon cœur est plus léger.

 

Incertain, il prend un instant pour jauger ma sincérité. Puis dans un immense soulagement, je sens ses bras se refermer sur moi. Nous restons ainsi pendant un long moment, savourant cette étreinte dont nous avions tous les deux besoin. C’est finalement Regulus qui me relâche.

 

— Harry ne sera pas seul, dit-il.

 

Un sourire sur les lèvres, il passe sa main autour de mon épaule pour me faire avancer vers le néant.

 

— Ceux qu’on aime ne nous quittent jamais vraiment. Ils restent en vie tant qu’on les garde dans notre cœur. Tu pourras veiller sur lui de là où tu es. Et pour t’aider, il y a deux personnes qui t’attendent un peu plus loin, ajoute-t-il avec un clin d’oeil.

 

De sa main libre, il désigne deux silhouettes devant nous qui me tendent les bras. Je souris. Je les reconnais immédiatement.

James.

Lily.

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