Bonjour, je suis votre recenseur !
Chapitre 1 : Bonjour, je suis votre recenseur !
9638 mots, Catégorie: M
Dernière mise à jour 17/04/2025 17:00
— Auriez-vous tous perdu la raison ?
Harry doutait fortement de se trouver dans le bureau du Ministre de la Magie, et non dans l'aile psychiatrique de l'hôpital Sainte-Mangouste. Que penser ? L'expression sereine et bienveillante de Kingsley semblait parfaitement appropriée pour s'adresser à des patients potentiellement dangereux. Le directeur du Département de l'Application de la Loi Magique acquiesçait de manière incongrue, tandis qu'Hermione, assistante ministérielle junior, se précipita comme à son habitude sur l'embrasure.
— Harry, il faut que tu comprennes l'importance capitale du premier recensement de la population magique ! Tu n'imagines même pas à quel point c'est crucial ! Nous devons connaître avec précision les conditions de vie actuelle des sorciers. Une année s'est écoulée depuis l'ultime affrontement, et nous ignorons encore le sort de nombreux disparus et victimes ! Et les survivants, chacun d'entre eux a-t-il un emploi, est-il informé de ses droits aux prestations sociales et autres aides ? Nous ne sommes même pas certains de notre nombre exact !
— Alors, procédez au recensement du personnel ministériel, murmura Harry, s'efforçant de contenir la vague d'indignation qui faisait déjà frémir sa magie de façon perceptible.
En tant qu'aspirant Auror, sa vocation était de servir et protéger, non de s'adonner à des tâches administratives et remplir des formulaires ! Comment pouvait-il faire comprendre cela au trio qui le contemplait d'un air ingénu ?
D'un ton évoquant celui qu'on emploierait pour expliquer à un jeune enfant les raisons pour lesquelles on ne saurait substituer une friandise en chocolat au repas de midi, Hermione déclara :
— Tous les citoyens ne sont pas employés par le Ministère, Harry ! Il faut que tu comprennes, la société est aujourd'hui divisée, méfiante, et en dépit des nombreux articles parus dans la Gazette, une part importante de la population demeure réticente à l'égard du recensement. Or, tu es la personne qui inspire le plus confiance ! Comme on le dit souvent, si Harry Potter en personne se présente à votre porte, il n'y a aucune raison de s'inquiéter !
Harry sombra dans une stupeur plus profonde encore, réalisant que c'était précisément ce qu'ils attendaient de lui : devenir l'égérie d'une campagne publicitaire, un nouveau symbole pour promouvoir leur initiative. Certes, il n'avait aucune objection au recensement en soi. Qu'ils rédigent en son nom une déclaration affirmant son soutien inconditionnel, qu'il s'était déjà fait recenser et qu'il exhortait chacun à suivre son exemple ! Il était même disposé à poser pour un cliché, questionnaire en main, destiné à faire la une des journaux !
— Pourquoi ne pas organiser une loterie avec des prix à gagner ?
— Non, Harry, dit Kingsley calmement. On doit attirer l'attention au maximum. Tu te rendras à quelques adresses et on te photographiera en train de parler aux gens. Ça donnera l'impression que tu peux débarquer chez n'importe qui. C'est simple : tu poses les questions, tu vérifies les formulaires et tu souris.
— Et quand quelqu'un d'autre viendra faire le recensement, les gens sauront que cette personne fait la même chose que le héros national. Ils n'auront donc rien à craindre ! ajouta Hermione d'un ton exagérément joyeux.
Le chef du département de l'application de la loi magique acquiesça si vigoureusement qu'Harry crut que sa tête allait se détacher.
Bien que contrarié par la situation, Harry ne pouvait s'empêcher de reconnaître une certaine logique dans leurs propos. Il pressentait également que ses interlocuteurs ne le laisseraient guère en paix.
— Combien de foyers devrais-je visiter ? Et qui seraient ces personnes ? soupira Harry, conscient de sa capitulation et percevant que ses compagnons l'avaient également compris.
L'enthousiasme d'Hermione sembla redoubler d'intensité, son visage s'illuminant tel une ampoule électrique :
— Parfait, Harry ! Nous allons constituer un panel représentatif de diverses catégories sociales - peut-être un jeune couple avec enfants, une mère célibataire, des retraités… Voyons. Une dizaine d'adresses tout au plus - nous ferons des photos des entretiens avec deux ou trois recensés, et tu te rendras seul chez les autres, sans accompagnement.
« Est-ce mon imagination, ou ont-ils échangé des regards équivoques ? », songea le futur Auror Potter.
***
Au premier jour du « recensement », Harry se sentait dans un état de confusion sans précédent, dépassant même celui qu'il avait pu éprouver en se préparant à l'ultime affrontement avec Voldemort. Cette situation lui paraissait, de façon surprenante, bien plus déconcertante que la perspective d'un duel à mort contre le Seigneur des Ténèbres.
Sur sa tête trônait une casquette ornée d'un emblème : une plume entrelacée avec un encrier et un parchemin. Un sac contenant des formulaires à remplir était suspendu à son épaule, et un badge était fixé sur sa poitrine.
« C'est toujours mieux que celui avec l'inscription SALE », songea Harry, prenant la pose avec la résignation d'un condamné à mort pour le photographe de la Gazette du Sorcier qui s'affairait autour de lui, tout en s'efforçant de suivre simultanément les multiples directives d'Hermione.
Harry, naturellement, n'avait pas échappé à l'attention de sa méticuleuse et consciencieuse amie, qui ne cessait de lui prodiguer des conseils : « Souris, tiens-toi droit, veille à ce que ton badge ne soit pas dissimulé par ton sac. »
Finalement, après avoir écouté un nombre considérable d'instructions supplémentaires, le vaillant recenseur Potter et son équipe transplanèrent vers une modeste demeure qui avait manifestement connu une époque plus florissante : le porche vacillait, les marches suscitaient la méfiance, bien qu'un tapis aux couleurs vives ornât le seuil, et les vitres resplendissaient d'une propreté irréprochable. Madame Johnson et ses deux enfants paraissaient profondément gênés, en particulier, nota Harry, en raison de la pauvreté de leur foyer.
— Mon mari a disparu en mars de l’année dernière, il est parti au travail et n’est jamais revenu. J'ai déposé une déclaration chez les Aurors, mais ils m'ont dit qu'il y avait beaucoup de personnes disparues, et... J'ai des enfants, je travaille comme femme de ménage dans deux magasins, et je dois les laisser seuls le soir... Non, je n'ai pas lu les journaux depuis longtemps, depuis... Prenons un thé, je viens de cuire une tarte...
Harry dut reconnaître que l'initiative du recensement présentait certains mérites : Madame Johnson répondit à toutes les questions en détail et avec une évidente bonne volonté. Il s'avéra qu'elle ignorait ses droits, en tant que veuve du chef de famille, à percevoir une allocation, tout comme ses enfants.
Mme Johnson, quoique légèrement embarrassée par la présence d'un journaliste et d'un photographe, consentit néanmoins à être photographiée alors qu'elle étreignait les enfants. L'objectif parvint également à saisir l'instant précis où elle remit à Harry les documents dûment complétés.
En réponse à la demande timide du garçon, Harry laissa un autographe sur son dessin, songeant que la situation n'était pas si déplaisante. La modeste demeure villageoise, baignée de lumière et empreinte de confort, évoquait subtilement le « Terrier ». On y retrouvait cette même atmosphère familiale et chaleureuse, et la tarte rivalisait aisément avec celles de Molly Weasley. Harry se prit à espérer que ses futures missions de recenseur se dérouleraient avec autant de facilité.
***
La famille Mason comptait cinq enfants d'une exubérance remarquable - leur enthousiasme à l'arrivée de Harry était tel qu'il peinait parfois à saisir les propos de leurs parents. La jeune génération l'assaillait de questions, lui affirmant avec ferveur qu'ils aspiraient tous à suivre son exemple et qu'ils accompliraient assurément un exploit dans les années à venir. Ils s'enquirent auprès de Harry s'il pouvait leur prodiguer quelques recommandations sur la voie à emprunter pour débuter leur quête.
***
Le vieux Monsieur Saint-Clair, les accueillit au cœur de la cour négligée, une baguette magique à la main et s'appuyant sur un bâton noueux, ne semblait guère enclin à la cordialité. Posant un regard sardonique sur leur assemblée, il déclara d'un ton mordant :
— La situation du pays doit être bien critique pour que Harry Potter en personne soit dépêché pour de telles futilités. Ou serait-ce plutôt que tout va si bien que les héros se trouvent désœuvrés ?
Il s'opposa fermement à l'entrée du photographe et du journaliste dans sa demeure, et ces derniers n'insistèrent guère, préférant éviter toute confrontation avec le sorcier au tempérament irascible et transplanèrent promptement. Harry, quant à lui, ne pouvait se permettre le luxe d'une telle dérobade et parvint même à persuader Monsieur Saint-Clair de ne pas s'opposer à la décision du ministère de la Magie et de participer au recensement.
Il apparut, d'après les réponses au questionnaire, que Monsieur Saint-Clair exerçait la profession de fabricant d'objets d'art. Veuf depuis de nombreuses années, il n'avait pas de descendance. Désormais retraité, il percevait une pension modique.
Le salon, qui nécessitait manifestement un bon nettoyage, était jonché de bouteilles de whisky pur feu vides, témoignant sans équivoque de la principale affectation de ses ressources financières.
Harry lui-même n'eut guère le loisir de saisir comment il en était arrivé là, qu'il levait déjà son troisième verre et entonnait « le triste héros chevauchant un dragon… ». Au final, les circonstances de son retour au domicile demeurèrent obscures, mais les remontrances d'Hermione concernant le « déshonneur infligé au titre de recenseur » et la « transformation d'un événement national en une pitoyable comédie d'ivrogne » resteraient gravées dans sa mémoire pour longtemps.
Après avoir ingurgité l'élixir anti-gueule-de-bois accompagné d'une tasse de café corsé, Harry se fit la promesse solennelle de ne plus consommer d'alcool pendant ses heures de service. Il n'aspirait désormais qu'à une seule chose : que son amie cesse ses vociférations, ou mieux encore, qu'elle quitte promptement son domicile.
***
Fort heureusement, tout se déroula à merveille chez les jeunes époux éperdument épris l'un de l'autre, les Richards - un cliché de ce couple séduisant ornera sans nul doute les colonnes du Journal, au grand contentement d'Hermione. Il fut également réconfortant de savoir qu'il s'agissait de la dernière demeure que Potter visitait en compagnie de l'équipe journalistique. Encore quelques instants, et cette épreuve toucherait à sa fin !
***
L'entonnoir de transplanage déposa Harry aux abords d'une demeure modeste, pour ne pas dire délabrée, à la lisière de la cité industrielle de Cokeworth.
« Par Merlin ! Un sorcier pourrait-il réellement résider dans un tel endroit ? » - cette pensée lui traversa la tête tel un éclair. Il était ardu d'imaginer un lieu moins propice à l'existence d'un mage. De part et d'autre de la rue s'alignaient des habitations mornes à deux niveaux, d'une similitude frappante, qui semblaient désertes en cette heure matinale.
À proximité, à en juger par le murmure à peine perceptible de l'eau et les effluves déplaisants, serpentait une rivière qui n'était certainement pas la plus propre de Grande-Bretagne. Le tableau de désolation générale était parachevé par une imposante cheminée d'usine surplombant la ville.
Regrettant par trois fois son implication dans cette entreprise inconsidérée, Harry s'avança. « Évidemment ! Des sortilèges de protection ! »
Il était naïf de croire qu'un sorcier, qui pour quelque obscure raison, avait élu domicile dans un tel bidonville, n'aurait pas entouré sa demeure de tous les sorts possibles pour repousser les visiteurs importuns. Et Potter était précisément l'un de ces intrus, ayant pénétré sans autorisation sur une propriété privée. Il allait sans doute recevoir un accueil pour le moins « chaleureux ». Il semblait peu probable que le propriétaire d'une habitation aussi lugubre fût une personne avenante et cordiale, disposée non seulement à répondre aux nombreuses questions du formulaire méticuleusement élaboré par l'assistante junior de Shacklebolt, Hermione, bientôt Weasley, mais aussi à convier le héros national à partager une tasse de thé et une part de tarte.
Harry jeta à nouveau un regard circulaire sur la demeure où sa présence n'était manifestement pas souhaitée. Fort heureusement, tous les agents du ministère impliqués dans le recensement de la population magique s'étaient vus confier des artefacts, conçus par le Département des Mystères quelques années auparavant. Ces objets permettaient de franchir librement la barrière magique pendant trois minutes. Dans la plupart des cas, ce laps de temps devait suffire pour frapper ou sonner à la porte. Les recenseurs étaient ensuite tenus de quitter le périmètre protégé et d'attendre patiemment l'autorisation d’entrer. Cette situation était certes embarrassante, mais comment aurait-on pu forcer la porte des demeures de sorciers, dont la majorité s'opposait déjà au recensement ? De surcroît, plus la résistance était vive, plus les boucliers contre les visiteurs indésirables se renforçaient.
Potter n'eut donc d'autre alternative que d'activer l'artefact suspendu à son cou. S'étant assuré de son bon fonctionnement, Harry raffermit sa prise sur sa baguette, se concentra comme s'il s'apprêtait à pénétrer dans l'antre d'un dragon cracheur de feu, et s'avança hardiment.
Néanmoins, à peine eut-il franchi le périmètre du bouclier protecteur, qui enveloppait la demeure, la cour attenante et le jardin potager tel un dôme imperceptible, que l'artefact, dont Hermione avait garanti à Potter l'infaillibilité, émit un gémissement plaintif avant de rendre l'âme. En dépit de tous les efforts pour ranimer l'invention brevetée du Département des Mystères, Harry ne parvint guère à la remettre en marche.
« Par Merlin, quel esprit tortueux aurait pu concevoir un tel sortilège pour sa maison ? », songea Harry avec exaspération. Après avoir déposé l'artefact prématurément décédé dans le sac contenant les questionnaires (au cas où Hermione insisterait pour que cette chose désormais inutile soit retournée au Département des Mystères pour examen), il entreprit de tester les charmes de protection afin d'évaluer la nature de l'obstacle auquel il était confronté.
— Ah !
Harry fut brutalement projeté au sol, tandis que son visage et ses bras se couvraient à vue d'œil d'une éruption cutanée lancinante, comme s'il s'était aventuré avec témérité dans un buisson d'orties.
***
Harry surgit sur le seuil du bureau d'Hermione, visiblement courroucé. Il s'apprêtait à interpeller son amie lorsque celle-ci, sans relever la tête, lui intima d'un murmure :
— Un instant, Harry. Je dois vérifier le décompte des questionnaires avant de les transmettre au troisième bureau de recensement…
Assurément ! Comment pourrions-nous nous en passer ? Un sac et un chapeau reposaient soigneusement pliés sur une chaise à proximité. Il ne serait guère étonnant qu'Hermione, qui s'attelait à des questions d'organisation, parvienne également à recenser quelques centaines de sorciers au passage - son portrait figurait aussi dans le journal, tout comme ceux de Ron, Neville et Luna…
D'un geste élégant de la main, faisant voler les parchemins vers la porte, Hermione consentit enfin à poser son regard sur lui :
— Harry ! Que t'est-il donc arrivé ?!
Hermione se transforma instantanément en amie fidèle, tendit la main vers le visage meurtri de Harry, avant de s'interrompre à mi-parcours, visiblement soucieuse de ne pas aggraver ses blessures.
— C'est plutôt à moi de te poser cette question ! À présent, récupère cet objet !
Harry plongea sa main dans sa sacoche, en extirpa l'artefact endommagé et le tendit à Hermione, qui l'observait d'un air préoccupé.
— Qu'est-ce que tu as, encore, fait ?
— Bien sûr, si quelque chose s’est mal passé, c’est certainement ma faute ! Mais non ! Imagine-toi cette fois-ci je n’y suis pour rien. Je ne sais pas quel genre de paranoïaque habite dans ce trou sinistre de Cokeworth, mais à l'instant où je me suis approché de la masure qui lui tient lieu de demeure, ton artefact tant vanté s'est transformé en épave, et moi en monstre !
Harry ne put s'empêcher de remarquer l'embarras manifeste d'Hermione tandis qu'elle s'écartait légèrement :
— Soit… Tu finiras par le découvrir de toute manière… Il s'agit de la maison de Rogue, et…
— QUOI? Harry ne la laissa pas finir. Et tu m'as envoyé à... ce... ce...
— Qui d'autre, Harry ? Réfléchis-y… Il ne t'avait pas protégé durant toutes ces années simplement pour te tuer lui-même. Ce serait quelque peu absurde. À tout autre, il aurait infligé des sorts bien plus cruels.
— Félicitations ! Je suis ce quelqu'un d'autre ! Et si tu ne l'as pas remarqué, il m’a infligé les sorts cruels aussi sans même me laisser le temps d’arriver jusqu’à sa maison !
Harry saisit une tasse décorée des emblèmes du recensement - comment aurait-il pu en être autrement ? - sur le bureau d'Hermione. D'un geste de baguette, il fit apparaître de l'eau qu'il but à grandes gorgées.
Rogue ! Harry eut l'impression de voir défiler devant ses yeux, en formation impeccable, tous les points ôtés à Gryffondor, les chaudrons récurés jusqu'à la brillance, les montagnes de vers de terre finement hachés... Le tout ponctué de commentaires acerbes sur ses aptitudes intellectuelles de ce bon à rien de Potter ! Et voilà que le Ministère décidait soudain qu'il était pressé de s'entretenir à nouveau avec Rogue ?! Il aurait préféré recenser l'intégralité des créatures magiques abritées par Hagrid !
Oui, naturellement, après avoir vu les souvenirs de Rogue, prétendument sur le point de mourir, Harry nuança quelque peu son jugement sur le professeur mal-aimé. Il concéda que ce dernier avait des motifs légitimes d'être amer et, par extension, grossier et intransigeant. Néanmoins, pas au point d’agresser des recenseurs involontaires et innocents !
Harry, certes, n'était pas exempt de torts envers Rogue. Au lendemain de la victoire, des pensées avaient traversé son esprit, sinon de s'excuser, du moins d'évoquer le passé avec son ancien professeur. Pour clarifier les choses, en quelque sorte. Cependant, les circonstances ne s'y étaient pas prêtées. Durant tout l'été, Potter contribua à la restauration de Poudlard, tandis que Rogue suivait un traitement puis une longue rééducation à l'hôpital Sainte-Mangouste, le venin de Nagini n'étant pas à prendre à la légère. Par la suite, Harry intégra l'Académie des Aurors. Rogue fut nommé de manière inattendue à la direction du Département des Mystères. À l'annonce de cette nouvelle, Harry se demanda combien d'employés se verraient contraints de rester après les heures de travail, effectuant des heures supplémentaires non rémunérées… à récurer les chaudrons !
— Hermione, ne pourrais-tu pas simplement remplir toi-même le questionnaire ? Rogue est véritablement unique en son genre. État civil : célibataire (qui, jouissant de toutes ses facultés mentales, pourrait s'accorder avec un individu tel que lui ?). Sa situation financière est relativement confortable (ses besoins étant fort modestes). Son niveau de magie est, à proprement parler, tuant. Plus précisément, il serait capable de tuer n'importe quel adversaire. Voilà tout ! À moins que tu ne préfères te charger toi-même de le recenser. Il ne te jettera certainement pas de maléfice, après tout, tu occupes le poste d'assistante junior du ministre de la Magie, ce qui n'est pas une mince affaire !
Harry s'installa sur le siège réservé aux visiteurs, signifiant ainsi à son amie qu'il ne quitterait pas les lieux avant que le problème ne soit résolue, son problème personnel, et non celui de la communauté magique non répertoriée !
— Harry, tu as vu les questionnaires toi-même, tu ne peux pas simplement les remplir. Tu dois aller le voir et lui poser les questions. Il est possible que tu aies simplement été confronté à un sortilège visant à décourager les visiteurs importuns. Certes, le professeur Rogue n'est pas réputé pour son caractère avenant. Néanmoins, tu as les ressources nécessaires pour gérer cette situation ! Tu as affronté Voldemort, alors cette entrevue avec notre professeur Rogue ne devrait pas te poser de difficultés insurmontables.
— Oui, mais contre Voldemort tu m'aidais ! Et maintenant tu m'envoies vers une mort certaine !
— N'exagère pas. « Une mort certaine ! » Hermione balaya l'air d'un geste nonchalant. Et tu penses être le seul à endurer des difficultés ? Le malheureux agent recenseur chargé des Malefoy séjourne actuellement à Sainte-Mangouste, passant ses journées à murmurer : « Un, deux, trois… », tout cela parce qu'il tentait de dénombrer les pièces du Manoir Malefoy. Les propriétaires eux-mêmes ignorent l'étendue de leur demeure, et récemment, des scarabées ont fait irruption au service du cadastre, dévorant les parchemins contenant trois siècles de données ! De surcroît, lorsque le recenseur s'est enquis des revenus de Lucius Malefoy et sa famille, ce dernier s'est emparé de sa canne et s'est mis à le pourchasser dans la cour, au milieu des paons ! Cesse donc de t'apitoyer sur ton sort, soigne-toi et retourne voir le professeur Rogue.
Harry exhala profondément, serrant avec peine ses doigts enflés par l'éruption cutanée. Par moments, il éprouvait réellement l'envie de lancer un sortilège sur Hermione, ne serait-ce que celui du silence ! De surcroît, il ressentait un besoin impérieux de boire un verre. Sans délai, faute de quoi il risquait d'exploser et de réduire tout ce qui l'entourait en miettes. Et personne ne le comprendrait mieux que son meilleur ami.
— Où est Ron ? demanda Harry d'un ton morose en ouvrant la porte.
— Il…, Hermione détourna le regard, ne se sent pas bien et a pris quelques jours de congé.
***
Harry consacra une semaine entière à tenter, en vain, de se défaire de cette foutue éruption cutanée. Il se procura à l'officine de Mulpepper un onguent breveté qui, d'après le vendeur, ferait disparaître toutes les boutons, cloques et rougeurs en l'espace de quelques heures. Néanmoins, cette pommade tant louée et acquise, soit dit en passant, à prix fort, s'avéra totalement inefficace. Pire encore : dès la première application, les vésicules qui ne recouvraient auparavant que ses bras jusqu'aux coudes se propagèrent jusqu'aux épaules, occasionnant des douleurs à chaque mouvement, tandis que celles du visage s'étendirent jusqu'au cou.
Exaspéré par la douleur lancinante et l'inconfort persistant, Harry se rendit à l'hôpital Sainte-Mangouste. Le guérisseur de garde au département des maladies par malédictions examina méticuleusement le héros national. Passant sa baguette sur le corps de Potter avec une précision experte, il parvint à une conclusion des plus déconcertantes : le rash cutané résultait d'un sortilège qui ne pouvait être levé que par son auteur.
C'est à cet instant que Potter prit conscience de la gravité de sa situation. Avec ou sans les formulaires de recensement, il se voyait désormais contraint de se rendre chez Rogue, sous peine de compromettre non seulement sa carrière d'Auror, mais aussi toute possibilité d'une existence normale.
Cette sombre perspective plongea Harry dans un profond découragement. Non seulement il devrait se rendre chez Rogue, questionnaires en main, pour lui poser des questions insipides, mais il se verrait également contraint de le supplier de façon humiliante de le délivrer de cette maudite dermatose. Affection que Potter avait d'ailleurs contractée non lors d'une mission périlleuse, mais en effectuant un simple diagnostic du circuit magique de sécurité de la demeure même de Rogue.
Rien qu'en s'imaginant sur le seuil de sa porte, à condition bien sûr de parvenir à déjouer les sortilèges de protection sans s'attirer d'autres désagréments, balbutiant : « Bonjour, Monsieur, je suis votre recenseur. Auriez-vous un remède contre l'éruption cutanée ? », Potter conclut qu'un Avada en plein front serait préférable. Ne serait-ce que pour abréger ses souffrances.
Le jour suivant, lorsque le hibou apporta une nouvelle missive d'Hermione ne comportant qu'un gros point d'interrogation, Harry, gémissant sous la douleur de ses doigts tuméfiés et pleinement conscient qu'il n'avait guère d'autre recours, que d'aller consulter Rogue, et ce dans les plus brefs délais, néanmoins, dans un élan de rébellion, griffonna en retour une unique ligne vengeresse :
« Je n'irai pas ! »
***
La veille de sa seconde entrevue avec Rogue, Harry passa une nuit blanche. Les zones affectées par l'éruption le faisaient souffrir et le démangeaient intensément, tandis que des idées plus sombres les unes que les autres envahissaient son esprit. Ces pensées s'avéraient peut-être plus pénibles encore que les démangeaisons. L'imagination débordante d'Harry lui présentait des scènes où Rogue le démembrait à l'aide du Sectumsempra, le soumettait au supplice du Doloris, ou même l'accueillait d'un Avada fatal. Pour que Potter ne souffre plus lui-même et ne fasse pas souffrir son entourage.
Aux premières lueurs de l'aube, Harry prit conscience qu'il ne pouvait plus demeurer au lit. En soupirant et se frottant les yeux, il se dirigea pieds nus vers la cuisine, engloutit la dernière part de tarte que Molly Weasley lui avait fait parvenir la veille, et entreprit de se préparer pour ce qui s'apparentait à une peine capitale, ou plus précisément, à des travaux d'intérêt général au service de la communauté magique.
« Je transplanerai le plus près possible de contour protecteur et j'essaierai d'appréhender Rogue lorsqu'il quittera la maison pour se rendre au Ministère. »
Harry avait déjà été informé par Granger que la cheminée du prétendu cottage de Rogue n'avait jamais été reliée au réseau de cheminette.
— La demeure est trop ancienne. Le ministère des Transports a estimé qu'elle ne pouvait tout bonnement pas supporter la charge et risquait de s'effondrer, expliqua Hermione. - Tâches simplement d'être sur place au plus tôt. Selon mes renseignements, Rogue arrive à son poste vers sept heures…
Harry laissa échapper un large bâillement et jeta un regard à l'horloge murale, qui indiquait quatre heures quinze.
« J'ose espérer que c'est suffisamment tôt ! »
Poussant un profond soupir, Harry s'habilla et hissa sur son épaule endolorie le sac renfermant les documents et les fournitures d'écriture. La douleur lancinante lui arracha une grimace. « Par Merlin, quelle souffrance ! », songea-t-il. Il coiffa à contrecœur la stupide casquette ornée de l'insigne, puis transplana vers l'adresse tristement célèbre et redoutée.
Potter s'attendait à tout : de nouveaux charmes de sécurité encore plus complexes, une clôture en fil de fer barbelé enchantée capable de réduire en cendres tout intrus qui oserait s'approcher à portée de canon de la maison du chef du Département des Mystères, ou, tout autre piège issu de l'esprit ingénieux de Rogue. Il n'y avait qu'une seule éventualité que Harry n'avait pas envisagée : que les enchantements le laisseraient passer sans la moindre velléité de résistance. Pourtant, ils s'écartèrent simplement, dégageant un passage sûr, et ce fut tout.
Habitué à toujours chercher un attrape-nigaud dans chaque geste de Rogue, Harry s'avança avec précaution vers la demeure qui se dressait devant lui. Il perçut alors la barrière protectrice se refermer dans son dos. Se sentant telle une souris prise au piège, Potter tenta de rebrousser chemin, mais comme lors de sa précédente visite, il se heurta à une paroi invisible.
« Me voilà dans les beaux draps », songea Harry, s'efforçant de maîtriser la panique qui le gagnait. À cet instant, un faisceau lumineux jaillit d'une des fenêtres de la maison, éblouissant momentanément Potter. La porte d'entrée émit un grincement sinistre. Harry eut la sensation qu'une créature malveillante se tapissait derrière le battant, prête à surgir et à le réduire en lambeaux.
— Comptez-vous rester encore longtemps dans la cours ? s'enquit une voix terriblement familière. Ou avez-vous l'intention d'aggraver votre état en y ajoutant un rhume ?
— Ainsi, vous étiez au courant..., marmonna Harry, le visage empourpré de honte.
— Évidemment. Je vous ai aperçu à l'hôpital Sainte-Mangouste.
— Et vous pourriez... Cette fois-ci, la voix de Potter était empreinte d'espoir.
— Nous verrons... cela dépendra de votre conduite, répondit Rogue avec un sourire mélancolique, tout en invitant Harry à pénétrer dans sa demeure.
Il s'interrompit, songeur, lorsque le visage de Potter fut baigné de lumière.
— La situation s'avère encore pire que je ne l'avais envisagé. Quelle idée vous a donc traversé l'esprit pour que vous appliquiez cette mixture douteuse de chez Mulpepper ? Elle n'est guère appropriée que pour traiter l'acné juvénile.
Harry se sentait comme un élève en première année qui aurait accidentellement fait fondre un chaudron.
— Je pensais…
— J'ignorais que vous en étiez capable, observa Rogue d'un ton caustique. Ôtez votre robe, relevez vos manches et demeurez immobile un instant.
Il dégaina sa baguette, ce qui fit instinctivement reculer Harry d'un pas.
— Voyez-vous cela, dit Rogue d'une voix traînante, le vainqueur de Voldemort redoute un simple fonctionnaire du Ministère.
— Vous n'êtes guère un fonctionnaire ordinaire, murmura Harry, et je ne vous crains pas du tout.
— Et vous ne savez toujours pas mentir convenablement, Potter, sourit à nouveau Rogue. Cessez donc de trembler. Je ne vais pas vous métamorphoser en crapaud cornu pour vous utiliser comme ingrédient de potions, bien que j'avoue avoir été tenté de le faire à maintes reprises par le passé. Je vais simplement lever mon propre sortilège.
Rogue saisit délicatement la main de Harry dans la sienne et passa sa baguette au-dessus avec précision. L'éruption cutanée s'évanouit comme si elle n'avait jamais existé. Il répéta le geste avec l'autre main, puis effleura le visage de Harry. La sensation de brûlure s'estompa instantanément.
— Eh bien, vous voilà de nouveau semblable à votre portrait dans La Gazette du Sorcier. Celui sur lequel vous avez les questionnaires à la main, commenta Rogue, sa main s'attardant sur le visage de Harry.
— Oh, effectivement ! Les questionnaires ! s'exclama Potter, reprenant ses esprits. En réalité, je suis votre recenseur, mais vous ne souhaiterez probablement pas…
— Pourquoi donc ? prononça Rogue d'une voix étonnamment joviale. Il me reste encore amplement le temps avant de me rendre au travail. Puisque vous m'avez privé de sommeil, autant en profiter. Allez-y, posez vos questions.
Ils se dirigèrent vers la cuisine. D'un geste de sa baguette, Rogue alluma la lampe, fit également apparaître un second tabouret, puis disposa une cafetière entièrement moldue sur la cuisinière.
— Souhaitez-vous un café ? demanda-t-il avec une cordialité inattendue.
— Oui…, acquiesça Harry. Si cela ne vous dérange pas.
— Eh bien, puisque je l'ai moi-même proposé…
Harry, les doigts encore engourdis, extirpa de son sac le parchemin contenant le questionnaire ainsi qu'une plume. Ses gestes maladroits n'échappèrent point à l'œil vigilant de Rogue.
— Attendez ! Déposez votre plume ! intima ce dernier.
Harry obtempéra sans mot dire. Rogue s'éclipsa de la cuisine, pour réapparaître quelques instants plus tard, un petit récipient à la main.
— Donnez-moi votre main, enjoignit-il.
Rogue défit le couvercle du pot, préleva une noisette d'onguent au parfum délicat et entreprit d'en enduire doucement les doigts de Harry. Ses attouchements, d'une légèreté presque tendre, contrastaient si fortement avec l'apparence et le tempérament habituels de Rogue que Harry en fut quelque peu décontenancé. Il éprouva soudain le désir que Rogue prolongeât ce contact...
— Voilà qui est fait. Cela devrait vous soulager rapidement.
L'opération achevée, le charme semblait s'être évanoui. Pourquoi Harry s'était-il senti si troublé ? Rogue éprouvait probablement quelques remords de lui avoir infligé tant d'inconfort. Quoique l'association de Rogue et du sentiment de culpabilité…
— Vous sembliez vouloir m'interroger, lui rappela Rogue en s'asseyant en face de Harry, qui semblait pris d'une soudaine agitation.
— Oui bien sûr ! Quel est votre nom complet ? s'enquit Harry.
— Rogue. Severus Rogue, répondit-il.
« Il se présente presque à la manière de James Bond, » songea Harry. « Je me demande si Rogue a déjà été au cinéma ? Par Merlin, à quoi suis-je en train de penser ? »
— Année de naissance ? poursuivit-il à voix haute.
— Mille neuf cent soixante.
— Âge ?
— N'avez-vous donc pas appris à compter à Poudlard ? rétorqua Rogue.
— Vous savez pertinemment que non, les mathématiques ne font pas partie du programme de Poudlard ! répliqua Harry avec véhémence.
— Trente-neuf ans, concéda finalement Rogue.
Harry réalisa alors : « J'avais oublié que Rogue avait le même âge que mes parents, qui auraient aujourd'hui quarante ans. »
— État civil... Je veux dire... Veuillez m'excuser..., balbutia Harry, sentant à nouveau le rouge de la honte lui monter aux joues. « Tu me le paieras, Hermione ! », pensa-t-il avec amertume.
— Un questionnaire est un questionnaire, répondit calmement Rogue. « Célibataire ».
Quelque chose de très étrange apparut dans son regard dirigé sur Harry. Une lueur fugace de mélancolie adoucit ses traits austères l'espace d'un instant.
« Évidemment », songea Harry, s'en voulant amèrement, « j'ai vu de mes propres yeux que Rogue était amoureux de ma mère ! Il l'aime probablement encore, et me voilà, à lui poser ces questions. »
— Lieu de naissance.
— Cokeworth.
« Par Merlin ! Je préférerais me pendre plutôt que de vivre dans un tel trou ! »
— Parents ?
— Mère - Eileen Rogue. Née Prince, sorcière de sang pur, décédée en 1976. Père - Tobias Rogue. Moldu de sang pur. Décédé en 1976.
« Alors Rogue a perdu ses deux parents quand il avait seize ans… »
— Enseignement primaire.
— École Saint-Basile. À Cokeworth .
« Je peux imaginer que Rogue se faisait harceler à cause de ses vêtements miteux, des nippes trouvées Dieu sait où », songea Harry, tandis que défilaient dans son esprit les images de la jeunesse de Rogue, entrevues lors des séances de l'Occlumancie.
— La première manifestation de la magie...
— Vous voulez dire comment cela s'était manifesté exactement ?
Le sourcil de Rogue s'arqua tandis que les muscles de sa mâchoire se crispèrent imperceptiblement. Harry s'agita sur son siège, conscient d'avoir franchi une limite en posant une question trop intime. Dans un silence pesant, Rogue se leva et se dirigea vers la cuisinière. Quelques instants plus tard, le parfum envoûtant du café fraîchement moulu envahit la pièce, dissipant quelque peu la tension ambiante.
— Juste, à quel âge précisément cela s'était-il produit, demanda Harry, s'adressant au dos de son interlocuteur couvert d'un simple pull domestique.
Ce ne fut qu'à cet instant que Potter prit conscience que c'était la première fois qu'il voyait Rogue ainsi, dépourvu de sa redingote boutonnée et de sa robe de sorcier noire coutumière. Et, aussi surprenant que cela puisse paraître, il commença à éprouver une certaine affection pour cette version de Rogue.
— À l'âge de quatre ans, répondit-il, sans se retourner mais manifestement plus décontracté.
« Cela a probablement un rapport avec ses parents. Je les ai vus se disputer dans les souvenirs de Rogue. »
— La première baguette magique...
— Et sans doute la dernière, répliqua Rogue avec un rire empreint de mélancolie. Ébène, cœur en crin de licorne.
Il semblait que Rogue, à l'instar de Harry, pensait en cet instant à la Baguette de Sureau, dont le Seigneur des Ténèbres avait attribué par erreur la possession à Rogue, une méprise qui avait failli coûter la vie à ce dernier.
— Année d'entrée à Poudlard ?
— Mille neuf cent soixante et onze.
— Faculté ?
— Vous le savez parfaitement, Potter.
Rogue plaça une tasse fumante devant Harry, puis en transforma une autre à partir d'une serviette et se versa du café.
« Il ne possède qu'un tabouret et une tasse. Est-il possible que personne ne lui rende jamais visite ? »
— Je regrette, mais je ne suis pas en mesure de compléter le questionnaire en me basant sur mes propres connaissances ou suppositions, expliqua Harry d'un ton contrit.
— Bien sûr, vous avez raison. Serpentard !
« Ça aurait facilement pu être Gryffondor, du moins c'est ce qu'avait dit Dumbledore. »
— Le parcours académique et le niveau d'études ?
— Cursus complet d'études magiques. Maître de potions. Maîtrise en sciences mentales. Maître de la magie de combat.
« Expelliarmus ! Qui aurait imaginé que ce serait Rogue qui m'enseignerait le sortilège grâce auquel j'ai pu triompher de Voldemort ! »
Harry prit une petite gorgée de café et toussa. L'élément suivant, heureusement barré par Shacklebolt, était « Loyauté envers Voldemort ».
(- Nous ne voulons pas que nos recenseurs soient renvoyés ou pire ! plaida Kingsley en faveur de la suppression de ce point du questionnaire).
— Lieu de travail ?
— Poudlard. De mille neuf cent quatre-vingt-un à mille neuf cent quatre-vingt-dix-huit. De 1998 à ce jour - le Ministère de la Magie.
— Emplois occupés ?
— Depuis 1981, professeur de potions et doyen de la maison Serpentard.
« Il est devenu doyen à vingt et un ans. Je ne peux m'empêcher d'imaginer l'accueil que lui ont réservé les enfants de sang pur, dont les pères étaient soit incarcérés à Azkaban, soit déchus de leurs fonctions suite à la défaite de Voldemort ! »
— De 1996 à 1997, professeur de Défense contre les Forces du Mal.
« Je me rappelle que Ron avait espéré la mort de Rogue dans cette maudite fonction ! Il a bien failli voir son souhait se réaliser ! Et c'était Rogue qui m'a parlé – ou plutôt, à toute la classe - des Inferis. Peut-être que, sans ça, je serais mort d'horreur dans cette grotte, maudite par Mordred, après les avoir rencontrés pour la première fois. »
— De 1997 à 1998 — Directeur de Poudlard.
Harry se rappela les mots suppliants : « Severus, s'il te plaît ! » suivis d'un glacial « Avada Kedavra ! » prononcé avec haine.
À l'époque, il pensait que Rogue haïssait Dumbledore et l'avait tué volontiers. Plus tard, il découvrit qu'il s'agissait en réalité d'un plan secret entre deux alliés, visant à protéger au mieux les professeurs et les élèves.
— De 1998 à aujourd'hui — directeur du Département des Mystères.
La liste comprenait des questions sur l'immobilier et les revenus. Harry se souvint, avec un certain amusement, de la réaction excessive de Lucius Malefoy. Ce dernier avait failli jeter un sort au recenseur qui lui demandait le nombre de pièces dans son manoir et la source de ses revenus confortables. Hermione tentait de le dissimuler, mais l'absence prolongée de Ron laissait penser qu'il était probablement ce malheureux recenseur.
Néanmoins, Rogue répondit avec une tranquillité surprenante à l'ensemble des interrogations. N'eût été ce regard singulier, Harry se serait entièrement détendu.
— Quelles propriétés immobilières possédez-vous ?
— Vous avez le privilège d'y séjourner présentement, gloussa Rogue.
« En effet, quel privilège. De toute évidence, Rogue lui-même est parfaitement conscient qu'il réside dans une masure à la périphérie d'une cité misérable. »
— Combien de pièces compte cette demeure ?
— Trois, si l'on considère le laboratoire comme une pièce à part entière.
« Guère spacieux ! », faillit s'exclamer Harry. Pour masquer son embarras, il aborda prestement la question des revenus, espérant ne pas se voir poursuivi à travers le jardin par le maître des lieux, une canne à la main - bien que l'absence manifeste de ces deux éléments chez Rogue rendît cette éventualité peu probable.
— Le salaire du chef du Département des Mystères et les revenus tirés des commandes privées de potions.
Le professeur Rogue s'exprimait avec une sérénité inhabituelle, dénuée de toute trace d'agacement. Harry avait même l'impression que son hôte éprouvait une certaine satisfaction à l'accueillir dans sa cuisine et à répondre à ces interrogations, souvent d'ordre intime. Seule demeurait obscure la raison d'une attitude si singulière. Rogue ressentait-il une solitude telle qu'il considérait la venue inopinée de Potter comme une distraction bienvenue, susceptible d'égayer, ne serait-ce que brièvement, la monotonie de son existence ?
En réfléchissant à cette énigme, Harry réalisa qu'il ne lui restait plus que remplir un seul point dans l'enquête. Une fois cette tâche accomplie, il pourrait exprimer sa gratitude envers Rogue pour avoir levé la malédiction, pour l'excellent café et pour sa coopération. Il pourrait ensuite, tel un héros vainqueur d'un dragon, se rendre auprès d'Hermione. Néanmoins, à sa grande surprise, Harry éprouva une réticence à quitter Rogue et le laisser seul dans cette demeure que nul ne semblait jamais visiter. Bien qu'il craignît d'exagérer, Harry ne put s'empêcher de remarquer que l'absence d'un second tabouret et d'une seconde tasse semblait témoigner de manière criante de la solitude du maître des lieux.
— Monsieur Rogue, je suis vraiment gêné de vous dire ça, mais tous ceux qui ont souffert à cause de Voldemort peuvent recevoir une compensation, s'entendit-il dire.
— J'en prends note, répondit Rogue en réchauffant ses doigts sur la tasse. Je n'ai rien à reprocher à notre ministère.
— Très bien, dit Harry sans trop savoir pourquoi. Merci pour le café et pour m'avoir aidé avec cette éruption.
— Je vous en prie, répondit Rogue d'un ton neutre.
Pour une raison incompréhensible, son calme glacial blessait Harry, qui compatissait tellement en voyant à quel point Rogue était malheureux et seul. Cependant, ce dernier paraissait relativement à l'aise dans cet univers qu'il avait façonné, où nul ne cherchait à percer ses sentiments. Ou bien était-il en réalité mal à l'aise, mais s'efforçait-il de le dissimuler ?
— Et pour la coopération !
— À votre service, répliqua Rogue d'un ton manifestement agacé.
Harry se leva prestement, enroula le parchemin contenant les réponses, rangea sa plume et son encrier dans la sacoche, puis se dirigea d'un pas vif vers la sortie.
***
Bien que Harry souhaitât s'abstenir de rendre visite à Hermione, il se devait de conclure l'odyssée des derniers jours par son aboutissement logique : la remise du questionnaire de Rogue, dans l'espoir de ne plus jamais entendre l'expression « recensement de la population » de toute son existence ! Ce vœu semblait d'ailleurs tout à fait réalisable, car il était peu probable que le Ministère s'aventurerait à réitérer une telle entreprise avant au moins un siècle !
Hermione, fidèle à ses habitudes, se trouvait confinée dans son bureau, environnée d'une multitude de petits avions en papier et de dossiers qui semblaient fondre sur elle de toutes parts. Quelques beuglantes ajoutaient à la cacophonie ambiante, leurs cris se mêlant en un vacarme indistinct. Au cœur de cette effervescence, Hermione incarnait le calme et la sérénité absolus. Elle parvint même à repérer Harry instantanément, se redressant avec célérité :
— Harry ! Visiblement, tu vas bien. Je t'avais dit que ce serait ainsi !
Harry perçut dans le sourire de son amie une expression suspecte, empreinte d'une signification profonde et habilement dissimulée. Préparait-elle encore quelque stratagème ? Le recensement ne s'achèverait que dans deux semaines au minimum, et son attitude était pour le moins inquiétante…
Dans une manœuvre de diversion, Harry extirpa promptement le parchemin enroulé contenant le questionnaire de Rogue, puis déposa ostensiblement le sac arborant le badge sur la chaise, manifestant son intention de l'y abandonner. Son expression disait sans équivoque « Ça y est, j'en ai ma claque de ce recensement ! ».
— Comment s'est passé votre entretien ? Tout s'est bien déroulé ?
Harry remarqua une certaine prudence, pour ne pas dire une certaine circonspection, chez Hermione, et s'empressa de satisfaire sa curiosité pas encore tout à fait en éveil :
— C'était bien, tu sais. Rogue peut parler normalement quand il le souhaite. Et son café est excellent...
Harry prit soudainement conscience qu'il éprouvait une réticence profonde à l'idée d'évoquer avec son amie sa visite à Cokeworth, la demeure vétuste et l'unique tasse qui s'y trouvait. Une certaine confusion régnait en lui, comme si un événement significatif s'était produit, dont la nature exacte lui échappait. Cette situation suscitait en lui un mélange de chaleur et d'appréhension. Il se sentit soulagé qu'Hermione se soit contentée de parcourir le formulaire sans poser davantage de questions.
— Oui, tout est correctement rempli et maintenant...
Le vacarme dans le corridor vint opportunément interrompre leur échange. Hermione, après avoir prêté l'oreille un instant, fit un geste désinvolte de la main avant de regagner son bureau, où elle ajouta le questionnaire du professeur Rogue à sa pile de parchemins.
— Tu ne souhaites pas aller voir ce qui se trame dehors ? s'étonna Harry.
— Je suis parfaitement au fait de ce qui s’y passe. Il s'agit de Lucius Malefoy en personne, revenu pour exprimer son mécontentement, très probablement à mon égard. Nous sommes parvenus à obtenir des informations concernant le nombre de pièces de son manoir. Évidemment, les documents cadastraux des Malefoy n'ont pas été dévorés par des insectes - les pauvres créatures se seraient simplement étouffées avec - et Lucius s'est vu contraint de fournir les données exactes dans le formulaire. Cependant, il s'est mis à vociférer plus fort que des Beuglantes au sujet d'une prétendue atteinte à sa vie privée, particulièrement lorsque je lui ai rappelé que le recensement est une obligation légale pour chaque sorcier. Je lui ai fait remarquer que s'il n'appréciait guère les lois de la Grande-Bretagne magique, nul ne le retenait ici. À présent, Lord Malefoy s'évertue à convaincre son entourage que j'aurais tenté de l'expulser illégalement du pays !
Harry laissa échapper un rire, nullement étonné par l'attitude de Malefoy. Il était convaincu que si l'occasion se présentait, ce dernier s'empresserait d'imposer ses propres règles partout. Cependant, il considérait comme une aubaine que l'attention d'Hermione soit accaparée par Malefoy. Le moment était venu de prendre la poudre d'escampette, avant qu'elle ne lui confie une nouvelle tâche en évoquant un « recensement de la population ». Peut-être parviendrait-il à se tenir un moment à l'écart du ministère ? S'il souhaitait agir, c'était maintenant ou jamais !
— Je m'apprête à partir… Je rendrai visite à Ron. Cela fait un moment que je ne l'ai pas vu.
Harry présuma que Ron devait sans doute se trouver dans les parages, lui aussi, œuvrant pour la cause sous la supervision attentive de sa future épouse.
— Ron n'est pas ici, répondit Hermione d'une voix posée, tout en classant une imposante pile de documents. Il est au théâtre. Ils répètent actuellement la pièce intitulée « Les secrets de Lady Audley, ou le recenseur dissimulé dans les bosquets ».
Si Harry avait récemment estimé qu'après sa visite chez Rogue, plus rien ne saurait l'étonner, il réalisait à présent qu'il s'était manifestement fourvoyé. Il s'avérait d'ailleurs qu'il n'était pas le seul à pâtir du projet ambitieux d'Hermione. Le recensement, maudit soit-il, affectait Ron presque plus durement que lui-même. Malefoy et sa canne constituaient déjà une épreuve hors du commun ! Et voilà que s'y ajoutait le théâtre.
— Participe-t-il à la représentation ? s'enquit prudemment Harry, conscient que l'enthousiasme de la future Mme Weasley aurait tout aussi bien pu entraîner le docile Ron dans cette « galère ».
— Allons donc, quel genre d'acteur Ron pourrait-il faire !
Harry, à l'insu de son amie, exhala un soupir de soulagement.
— Alors... il ne fait qu’assurer la communication, prendre des clichés, lancer les invitations pour la première. L'article du Prophète relatant cet événement figurera en deuxième page.
— Mais pourquoi faire ? s'exclama Harry, consterné.
Il comprit avec effroi que l'effervescence autour de ce recensement absurde ne semblait pas près de s'estomper, et qu'il serait vraisemblablement impossible de faire un pas sans croiser un agent recenseur pendant un bon moment.
— Harry, nous promouvons le recensement par tous les moyens à notre disposition ! Nous nous efforçons de toucher l'ensemble des couches de la population. Au théâtre, ils ont notamment sollicité Célestine Warlock pour interpréter le rôle secondaire de la mère du protagoniste ; elle y chantera son célèbre « Chaudron plein d'amour ». Madame Weasley s'est empressée de réserver des places pour la première représentation, et ce pour tout son entourage. Alors prépare-toi, Harry, car tu en fais partie !
Harry éprouva subitement la sensation d'avoir pénétré dans un univers parallèle, incapable de discerner une sortie. Son expression devait trahir un tel désarroi qu'Hermione, soucieuse de préserver sa santé mentale, s'empressa d'orienter la conversation vers un autre sujet.
— Es-tu sûr d’avoir eu une conversation normale avec Rogue ?
Hermione parut soudainement, aux yeux de Harry, se métamorphoser en une élève typique de Poudlard, avide de colporter les derniers commérages sur les amourettes naissantes et les rendez-vous galants prévus à Pré-au-Lard. Cette attitude, si éloignée de celle de son amie habituellement si posée, poussa Harry à s'enquérir d'un ton empreint d'étonnement :
— Eh bien, oui... C'était mieux que ce à quoi je m'attendais... Des centaines de millions de fois mieux.
— Mais j'étais sûr que cela se passerait ainsi. C'est juste que... J'ai longtemps réfléchi à la question de savoir si je devais te le dire ou non, et j'ai finalement décidé... Tu ferais mieux de t'asseoir, Harry...
Intrigué au plus haut point, Harry s'affaissa sur un siège près de l'entrée, sans même réaliser qu'il s'était installé sur son détestable sac de recenseur. Hermione, comme si elle ne percevait pas son trouble, poursuivit :
— Un jour, je me suis rendue auprès de Rogue. J'avais des documents qu'il devait parapher sans délai afin que je puisse les remettre à Kingsley. Cependant, le professeur était absent de son bureau. En m'approchant de sa table de travail, j'ai remarqué que sous les parchemins dépassait ta photographie. Celle qui me plaît particulièrement, prise lors de la réception de Noël au Ministère. Je soupçonne que tu ne le laisses pas indifférent... Du moins, je ne vois guère d'autre explication...
Harry ressentit une curieuse émotion l'envahir à nouveau, ardente et inédite, menaçant de le submerger. Il lui était impossible de la contenir...
— Et... et ensuite ?
— Et puis il est venu, apparemment, il s'est rendu compte à mon embarras que j'avais tout vu. Il a relevé des erreurs dans les documents et m'a grondé, comme si j'étais encore une écolière ! Je comprends bien pourquoi... Je pensais vraiment qu'il allait même effacer la mémoire ! Et puis j'ai réalisé avec certitude que je ne m'étais pas trompé... Sinon, pourquoi aurait-il besoin de ta photo ?
— Pour qu’il y ait sur quoi cracher !
Harry prononça la première pensée qui lui traversa l'esprit, bondissant de son siège, abandonnant son sac et s'élançant hors du bureau. Il ne souhaitait pas prolonger cet échange ; son amie n'avait nul besoin de connaître le tumulte qui agitait son âme.
— Harry, où vas-tu ? l'atteignit le cri alarmé d'Hermione.
— Acheter une robe de cérémonie pour la première ! Et si les stocks étaient épuisés, je devrais me résoudre à emprunter l'ancienne de Ron !
Harry lui-même ne comprenait pas comment il s’était retrouvé dans un couloir isolé et rarement fréquenté. Il se laissa glisser le long du mur, s'effondra sur le sol et serra sa tête dans les mains.
« Ce n'est pas possible », pensa Harry, le cœur palpitant tel un oiseau captif, « Severus Rogue ne peut tout simplement pas éprouver des sentiments pour moi ! »
Mais comment expliquer autrement la présence de sa photo sur le bureau de Rogue, ou ces regards énigmatiques et secrètement tristes que l'ancien professeur lançait à Harry pendant que ce dernier posait les questions idiotes, ou la tendresse avec laquelle Rogue appliquait la pommade sur les doigts qu'il avait blessés ? Et surtout, que penser du fait que Rogue, apparemment, commençait également à susciter l'intérêt de Harry ?
***
Plus d'un mois s'était écoulé depuis cet événement mémorable. Le recensement, achevé depuis longtemps, avait permis aux bénévoles, nommés d'office, assistants du ministère, de recevoir des badges commémoratifs « Le Recenseur honoraire » ainsi que de modestes gratifications pécuniaires. La vie avait repris son cours habituel. Hermione s'investit dans un nouveau projet : l'organisation de ses propres noces. Ron, désormais remis du traumatisme moral (et physique) infligé par Malefoy, s'impliqua également dans les préparatifs de la cérémonie prévue pour la fin du printemps.
Harry peinait à trouver sa place. L'échange dans la cuisine de Rogue et les révélations ultérieures d'Hermione l'avaient profondément troublé. Ses pensées étaient constamment tournées vers Rogue, l'imaginant dans sa modeste cuisine, son laboratoire, ou même sa salle de bains... Toutefois, se représenter Rogue dans un tel lieu intime s'avérait lourd de conséquences, aussi Harry ne s'accordait ces libertés que lorsqu'il était chez lui. Outre ces rêveries diurnes, Rogue s'immisçait dans les songes nocturnes d'Harry, y accomplissant des actes si troublants qu'au réveil, le jeune homme se précipitait tel un ouragan sous la douche, tentant de juguler son excitation à grand renfort d'eau glacée.
À l'approche des fêtes de Noël, Harry prit conscience qu'il était tombé complètement et irrévocablement amoureux. Il ne pouvait pas s'expliquer comment cela s'était produit, il savait néanmoins que s'il ne se confiait pas à Rogue... à Severus, il risquait de perdre la raison, submergé par les émotions qui l'envahissaient. Certes, il pouvait envisager de tendre une embuscade à Rogue au Ministère, mais Harry était convaincu que d'aborder un sujet si délicat sur leur lieu de travail, où les oreilles indiscrètes ne manquaient pas, serait irrespectueux envers Severus.
« Je transplanterai à Cokeworth la veille de Noël », décida Harry. « Si le périmètre de sécurité magique me laisse passer, j'avouerai mes sentiments à Severus. Dans le cas contraire... je réfléchirai plus tard à ce que je vais faire. »
***
Le mois écoulé depuis la visite de Potter s'était avéré peut-être le plus mouvementé de l'existence de Rogue. Lui qui commençait à peine à s'accoutumer à la quiétude et à la routine. Certes, cette tranquillité s'accompagnait d'une solitude pesante, mais comme Rogue l'avait si justement énoncé, la vie n'était guère un parangon d'équité. Était-il équitable, par exemple, que parmi toutes les personnes qui l'entouraient, son cœur eût choisi précisément Potter ? Son ancien élève, qui plus était de vingt ans son cadet ?
Avant l'irruption de Potter dans son existence, Rogue était parvenu, tant bien que mal, à maîtriser ses sentiments non réciproques. Cependant, après cet événement, tout bascula. Harry occupait désormais ses pensées de façon quasi permanente. Il se surprenait à rêver de contacts physiques, d'étreintes passionnées, voire d'enlever le jeune Auror pour le séquestrer dans une demeure transformée en citadelle par des sortilèges de protection, afin de l'aimer éperdument. Pour Rogue, peu accoutumé à de telles ardeurs, cette situation s'apparentait à un véritable cataclysme émotionnel. Absorbé par ses réflexions obsessionnelles concernant Potter, il se trouvait dans l'incapacité totale de se concentrer sur ses obligations professionnelles, au point de devoir prendre un congé. Néanmoins, cette surabondance de temps libre eut un effet encore plus délétère sur l'état psychologique de Severus. Il passait des journées entières dans son fauteuil de prédilection au salon, manipulant machinalement le couvre-chef extravagant oublié par Potter, sans bien savoir ce qu'il attendait.
Plus précisément, en le sachant que très bien. Après tout, il n'avait pas modifié le sortilège de protection entourant sa demeure pour permettre à Potter de le franchir aisément.
Ce dernier aurait pu le traverser, mais il ne s'y était jamais résolu.
La veille de Noël, Rogue décida qu'il était temps de mettre un terme à cette situation absurde. Le soir, après avoir consommé son repas habituel sans enthousiasme - il n'allait certainement pas cuisiner un festin pour lui tout seul - tenant fermement sa baguette d'une main et, pour une raison obscure, le chapeau de recenseur de Potter de l'autre, Rogue s'aventura dans la rue, fermement résolu à reconfigurer les sorts protecteurs de manière à interdire aux intrus toute approche de la maison à portée de canon.
À cet instant, la barrière protectrice vacilla, laissant passer Harry.
— Tu m'attendais ? demanda-t-il avec hésitation.
Mais lorsqu'il vit Severus acquiescer silencieusement, son visage s'illumina d'un sourire radieux, comme s'il venait de recevoir le plus merveilleux des présents de Noël.
— Tu as oublié ton chapeau chez moi, dit Severus, comme s'ils ne s'étaient quittés que la veille.
Il tendit l'objet en question à Potter, leurs doigts s'effleurèrent et l'instant d'après, ils s'embrassèrent, incapables de se détacher l'un de l'autre.
— J'espère que tu n'avais pas prévu de remplir des formulaires aujourd'hui ? demanda Rogue lorsqu'ils parvinrent à reprendre leur souffle. Car je crois que nous avons une occupation bien plus captivante en perspective.
FIN