L'EFFET MOUSTIQUE
Chapitre 1 : L'effet Moustique
3008 mots, Catégorie: T
Dernière mise à jour 26/08/2025 11:19
Cette fanfiction participe en seconde chance au défi Un petit détail anodin (août-septembre 2020)
À la forge, il a manqué un clou.
Un clou a manqué, le fer est tombé
Le fer est tombé, le cheval a trébuché
Le cheval a trébuché, le général a chuté
La cavalerie prend fuite
La bataille est perdue
L'ennemi pénètre en ville
Sans pitié il tue
Tout cela parce que
À la forge, il a manqué un clou.
(Inspiré par la poésie de Marchak « Le clou et le fer à cheval », elle-même inspirée par la comptine anglaise « For want of a nail the shoe was lost».)
***
Misses Annabelle Smith, veuve sexagénaire d'un caporal victime de l'explosion d'un fusil mal entretenu, endurait depuis plusieurs nuits une insomnie tenace. Dès que sa tête se posait sur l'oreiller, un bourdonnement agaçant de moustique venait lui tourmenter les oreilles. Cette situation lui était particulièrement insupportable car on était fin octobre et la saison des moustiques était censée être terminée.
L'insecte tenace excellait à se cacher et refusait catégoriquement de disparaître. Durant les journées, Misses Smith patrouillait dans sa demeure, un journal soigneusement replié à la main, prête à frapper.
« Ose seulement te montrer, et tu verras ! » murmurait-elle avec détermination, claquant régulièrement son arme improvisée contre sa paume pour s'exercer. Comme par magie, le perturbateur ne se manifestait jamais pendant les heures diurnes.
Mais dès que la pauvre Annabelle éteignait les lumières et s'installait sous ses couvertures, l'inévitable « Zzzz » faisait son apparition. Ce bourdonnement, d'abord subtil, gagnait progressivement en intensité jusqu'à devenir, après une dizaine de minutes, aussi assourdissant qu'un gong tibétain – du moins dans l'esprit tourmenté de Misses Smith. Chaque nuit se transformait ainsi par cette sérénade infernale en torture acoustique , et le sommeil devenait un luxe inaccessible.
Le 31 octobre, la respectable Misses Smith, en véritable épouse de militaire, résolut de passer à l'offensive : elle se rendit au supermarché du quartier pour acheter une tapette à mouche et se procura une bombe aérosol chez le droguiste. Cette dernière acquisition s'avéra particulièrement laborieuse. Au supermarché, l'employé réagit à sa demande de produit antimoustique par ce geste universel - un doigt tournoyant près de la tempe - signifiant clairement « Ma pauvre dame, vous êtes cinglée ». Quelle idée, en effet, de s'adonner à la lutte contre les moustiques en cette fin octobre, plutôt que de se consacrer à la recherche des présents de Noël pour ses petits-enfants chéris, comme le faisaient toutes les grands-mères en cette période de l'année ! Chez le droguiste du quartier, le vendeur s'abstint de ce geste désobligeant - le client restant roi - mais non sans ronchonner, il finit par extraire des profondeurs de ses rayonnages une antique bombe aérosol verte ornée d'une étiquette montrant un moustique agonisant.
En rentrant chez elle, Misses Smith inspecta méticuleusement chaque pièce, dîna avec sa tapette à mouche à portée de main et prête à l'emploi au moindre bourdonnement suspect. Elle éconduit ensuite sans ménagement les enfants importuns venus quémander des friandises en scandant « Un bonbon ou un sort ! ». Elle leur claqua presque la porte au nez tout en maugréant « Les parasites, pires que les moustiques ! ».
Une fois dans sa chambre, elle pulvérisa l'insecticide dans chaque recoin, derrière les tentures, sous le lit et, avec le sentiment du devoir accompli, se glissa entre les draps. Bien que périmé, le produit antimoustique s'avéra efficace : le dernier survivant de la horde moustiquienne prit les pattes à son cou et s'enfuit à tire d'aile diaphane hors de sa demeure.
Annabelle s'endormit enfin, emportée par des rêves merveilleux de jardins paisibles et de nuits silencieuses. Sur les ailes de ce sommeil réparateur, elle quitta définitivement cette histoire.
***
Le malheureux moustique, privé de son refuge où il trouvait gîte et couvert, voletait dans la nuit glaciale. Ses ailes s'engourdissaient tandis que son frêle corps se figeait sous l'emprise du froid. Au seuil de l'hypothermie fatale, il perçut soudain un courant d'air tiède et distingua une lueur. Suivant son instinct d'insecte, il se dirigea prestement vers cette source salvatrice. Il découvrit bientôt une embouchure de conduit chromée et incandescente. Avec un soulagement ineffable, le moustique s'y engouffra et se consuma instantanément, se transformant en infime particule carbonisée qui retomba dans le mécanisme de propulsion. Hélas pour le détenteur de l'appareil, ce système n'était pas uniquement mécanique, mais également doté de propriétés magiques. Le microscopique charbon causa des dommages considérables à cette délicate alliance entre la sorcellerie et l'ingénierie.
***
Hagrid traversait la nuit sur la moto volante. Il essuyait fréquemment ses yeux à l'aide d'un mouchoir à carreaux aux dimensions d'une nappe, partagé entre l'affliction d'avoir perdu des êtres aussi admirables que les époux Potter et un sentiment de fierté. En effet, il éprouvait une immense satisfaction que Dumbledore, ce Grand Homme, lui ait confié le transport du petit Harry, le Garçon Qui A Survécu.
Il survola un fleuve, puis une forêt, et achevait presque la traversée d'une bourgade lorsque le moteur de son fidèle destrier mecano-magique commença à vibrer, à crachoter, puis s'éteignit. La Triumph Bonneville, jusqu'alors irréprochable, entama une descente en vol plané vers une ruelle située quasiment à la sortie du bourg. Elle se posa dans un chuintement de pneus, libéra une gerbe d'étincelles dorées et refusa catégoriquement de redémarrer malgré tous les efforts de son gigantesque conducteur.
Hagrid vérifia d'abord que le petit garçon dormait toujours profondément, puis descendit de la moto et entreprit d'identifier la panne, ce qu'il réussit relativement rapidement, en deux ou trois heures tout au plus. L'avarie n'était pas irrémédiable, simplement un minuscule circuit magique grillé qui pouvait être remplacé par un petit clou en fer. Ce genre de réparation de fortune ne tiendrait pas longtemps, mais cela suffirait puisque Hagrid était presque arrivé à destination.
Il jeta un nouveau regard vers Harry, s'assura qu'il était toujours plongé dans un profond sommeil et partit à la recherche d'une station-service ouverte. Par chance, il en découvrit une à peine dix mètres plus loin, mais l'établissement ne proposait pas de clous à la vente. Néanmoins, le pompiste, d'abord maussade et mal éveillé, retrouva promptement ses esprits à la vue d'une pièce d'or et conseilla à Hagrid de se rendre dans la quincaillerie, cinquante mètres plus loin. Il lui suggéra même de frapper à la devanture si la boutique était fermée, car la propriétaire, une « vieille bique » selon les termes du pompiste, avait le sommeil léger et descendrait certainement vérifier l'origine du tapage.
Hagrid remercia chaleureusement son interlocuteur, retourna voir si Harry allait bien, constata que celui-ci demeurait toujours dans les bras de Morphée et cœur léger se dirigea vers ce qui représentait son salut, la quincaillerie. Contrairement aux dires du pompiste sur la légèreté du sommeil de la vieille bique, Hagrid dut frapper pendant une bonne demi-heure avant qu'une fenêtre ne s'éclairât enfin au premier étage, juste au-dessus de la boutique. Il entendit ensuite des pas traînants, puis distingua entre les barreaux de la grille protégeant la devanture le canon d'une antique pétoire, tandis qu'une voix agacée l'interpellait :
— Qui donc erre dans les ténèbres et prive d'honnêtes travailleurs de leur repos ? Quel diable vous amène ?
— Je suis en panne ! Ma moto refuse de démarrer, j'ai besoin d'un clou...
— Et c'est pour des clous, non UN clou qu'on m'arrache à mon sommeil ! Vous pensez vraiment que je vais ouvrir en pleine nuit pour un simple clou ?
Hagrid perçut le bruit de la serrure qui tournait, contredisant totalement les paroles précédentes. Puis la grille protégeant la devanture s'ouvrit également et il distingua une dame d'âge mûr, qu'il n'aurait certainement pas qualifiée de vieille bique, se tenant sur le pas de la porte, tenant fermement dans sa main droite un fusil de chasse qu'elle, Merlin soit loué, ne dirigeait plus sur son visiteur importun.
La dame observa avec une certaine méfiance le géant qui se dressait devant elle, remarquant à la fois sa barbe négligée, ses vêtements froissés et sa chevelure hirsute. Mais ce furent surtout ses yeux, rougis par les larmes et empreints d'une certaine candeur, qui retinrent son attention. Ce regard fit pencher la balance. Elle recula d'un pas et dit :
— Eh bien, entrez. Je vais voir ce que je peux faire pour vous.
***
Harry s'éveilla, et eut très peur, car il ne se trouvait pas dans son lit. Il avait froid, la faim commençait à se faire sentir, mais par-dessus tout, il était seul. Il se souvenait vaguement avoir joué avec sa maman, puis un homme avait produit une lumière verte qui immédiatement fascina Harry, mais pas sa maman, qui préféra tomber au lieu de s'en amuser. L'homme créa encore une magnifique lumière verte avant d'accomplir un extraordinaire tour de magie en se désintégrant en poussière sur le tapis. Harry pleura ensuite, car sa maman ne voulait plus jouer, puis il s'endormit.
Maintenant, il se retrouvait dans la nacelle attachée à la moto de Siri, et qui plus est, en pleine rue ! Son papa lui avait pourtant strictement défendu de sortir, à cause du méchant Sorcier qui rôdait dans les parages. Harry, un enfant plutôt obéissant malgré son tempérament aventureux, décida de rentrer chez lui avant que son papa ne découvre sa méconduite.
Quiconque imaginerait qu'un enfant d'un an et trois mois serait incapable de s'extraire seul d'un side-car risquerait être véritablement surpris : le petit garçon se redressa d'abord sur ses jambes en s'agrippant au rebord, puis se pencha par-dessus et finit par basculer tête la première à l'extérieur. Possédant un front avadarésistant mais sensible aux autres contusions, il récolta dans l'aventure une imposante bosse sur le front, juste à côté de sa blessure en zigzag, plus précisément en forme de la rune de chance - sowilo. Peut-être c'était justement grâce à cette rune qu'il s'en tira à si bon compte.
Harry se redressa, frotta son front et s'apprêta à verser quelques larmes, mais constatant l'absence de toute personne susceptible de compatir à sa peine, de le réconforter ou de lui offrir une friandise, il y renonça. Il examina les environs à la recherche de sa maison, mais ne distingua que des édifices grisâtres et lugubres. Aucun ne dégageait la luminosité particulière que Harry connaissait si bien sans savoir la nommer. C'était une aura magique qu'il recherchait, cet halo qui enveloppait toutes les résidences des sorciers et dont les habitations des moldus étaient totalement dépourvues.
Il longea la rue de cette démarche incertaine et dandinante propre aux très jeunes enfants. Aucune des demeures ne lui paraissait accueillante. Il s'engagea dans une ruelle, puis une autre et encore une, se retourna, ne distingua plus la moto de Siri et fut saisi d'effroi. Il se trouvait égaré, tel Le Petit Poucet du conte que sa maman lui avait lu. Il eut l'impression que les édifices alentour se paraient de crocs et de griffes, et s'apprêtaient à le dévorer.
Il hurla et courut aussi vite que ses petites jambes le permettaient vers une maison qui lui parut moins horrible que les autres. C'était une maisonnette en rondins qui se dressait légèrement à l'écart des bâtisses, et Harry aurait été fort surpris d'apprendre qu'il était le seul à la voir dans cette ville peuplée uniquement des moldus. Il grimpa difficilement à quatre pattes les deux marches menant à une porte en bois peinte en rouge, qui s'ouvrit presque immédiatement. Il entendit alors une voix féminine marmonner :
— Voyons voir qui vient dans mon Isba... Ah ! Un petit ensorceleur ! Et qui donc a laissé sans surveillance une telle petite merveille ? Tant pis pour cet imbécile ! Trouvé, c'est trouvé - reprendre c'est voler ! Viens ma petite trouvaille !
Elle se pencha pour soulever le garçonnet tout en murmurant :
— Qui l'aurait imaginé que le voyage touristique chez les Rosbifs serait si profitable.
Harry sentit qu'on le levait, le serrait contre une douce poitrine et le portait au chaud à l'intérieur. Il se détendit, maintenant il était rassuré, tout irait bien.
— Ma, prononça Harry en bâillant, tout en se blottissant dans ces bras accueillants.
— Pas Ma, mais plutôt Ba, ou mieux encore Baba, et Baba Yaga (2) serait vraiment parfait, entendit-il ronchonner en réponse.
Dès que la porte se referma sur eux, la petite maison, répondant aux souhaits de la sorcière - car il fallait bien se rendre à l'évidence, c'en était une - se dressa sur des pattes semblables à celles d'un poulet géant, auparavant repliés et dissimulés sous la véranda, pivota sur elle-même et s'évanouit de la modeste bourgade anglaise.
***
Au terme d'une heure, après avoir savouré deux tasses de thé accompagnées de pâtisseries et d'un petit verre de cognac, Hagrid prit congé de la propriétaire de la quincaillerie, l'admirable Miss Lisy, muni d'une boîte complète de clous de dimensions variées et l'esprit empli d'anecdotes familiales, dont il avait été abreuvé en même temps que de thé.
En fredonnant, il s'approcha de sa motocyclette, anticipant déjà l'heureuse résolution de sa mésaventure : l'engin serait réparé, il déposerait Harry chez sa tante, puis il se procurerait un élégant bouquet et reviendrait rendre visite à la fort aimable, et nullement vieille bique, Miss Lisy.
Il jeta un regard dans le side-car, se frotta les yeux en se demandant ce que contenait le thé pour provoquer de telles hallucinations, car dans l'habitacle se trouvaient bien une couverture, un petit coussin et... rien d'autre, pas plus de Harry que du beurre en branche.
Il va sans dire que Hagrid parcourut frénétiquement la ville entière, tambourinant à chaque porte, réveillant tous les habitants et créant par la même occasion un travail colossal pour les Aurors et les spécialistes de l'effacement de mémoire.
Il alerta immédiatement Dumbledore, qui mobilisa l'intégralité de l'Ordre du Phénix, avant de se résoudre à contacter le Ministère et les médias, tant magiques que moldus. Dans son désespoir, il alla jusqu'à recourir à des rituels de recherche basés sur le sang, malgré la profonde répulsion que cela lui inspirait. Toutes ces tentatives restèrent vaines : Harry demeura introuvable et, plus troublant encore, tous les rituels indiquaient qu'un tel individu n'avait jamais existé dans ce monde.
EPILOGUE
Des années passent.
Dans l’Angleterre magique, Lord Voldemort réalise l’inimaginable : après sa résurrection, il gagne la guerre sans affronter une résistance significative de ses adversaires, profondément démoralisés par la perte du Garçon de la Prophétie et le refus catégorique de Augusta Londubat de positionner son petit-fils Neville dans le rôle vacant du héros. Puis il s’élève méthodiquement dans la hiérarchie du pouvoir, devenant d’abord Premier Ministre avant d’accéder au titre d’Empereur. Ses opposants sont emprisonnés à Azkaban, avant d’être graciés lors d’une célébration commémorant sa victoire.
Son règne se caractérise par la promulgation de lois d’une équité discutable. Pourtant, ces changements législatifs n’affectent guère le quotidien de la majorité des citoyens. Initialement terrifiés par ce nouveau régime, ils retrouvent progressivement leurs habitudes, se contentant de critiquer l’administration en place comme ils l’ont toujours fait avec les précédentes.
Et Harry dans cette histoire ? Il ne porte plus le nom de Potter. Désormais, il est Igor Gontcharov (3), étudiant brillant de Koldotvoretz, la prestigieuse école de magie slave, où il se spécialise en création d’artefacts magiques. Fils adoptif de Koschey Immortel (4), il est également le petit-fils chéri de Baba Yaga. Que pourrait-on ajouter ? Sa vie est emplie d’un bonheur parfait, sans la moindre pensée pour l’Angleterre. Et pourquoi s’en soucierait-il alors qu’il a accès à l’intégralité du Vingt-Septième Royaume (5), avec ses mythes fascinants, ses mystères insondables, ses connaissances ancestrales et ses trésors inestimables ? D’ailleurs, dès son arrivée dans cette contrée légendaire, Koschey lui a retiré l’horcruxe du corps pour le transférer dans une bague. Désormais, Igor, chaque fois qu’il a besoin d’un conseil, peut consulter ce fragment d’âme d’un puissant sorcier simplement en tournant l'anneau qu'il porte à son doigt.
***
C’est l’effet papillon
Petite cause, grande conséquence (1)
Et si moustique s’y met
Merlin, c’est pas de chance !
FIN
Notes :
- C’est l’effet papillon, Petite cause, grande conséquence - Strophe tirée de la chanson de Bénabar « L’effet papillon » (2008)
- Baba Yaga - Méchante sorcière des contes Russes.
- Igor Gontcharov - Russification du nom Harry Potter. Igor a un diminutif Garik et Gontcharov se traduit par Pottier.
- Koschey Immortel - Méchant sorcier des contes Russes
- Vingt-Septième Royaume - (trideviatoe tsarstvo) Un pays imaginaire de folklore russe. Se traduit littéralement - Royaume au-delà de trois fois neuf terres.