Le Chameau

Chapitre 6 : VI

Catégorie: G

Dernière mise à jour 10/11/2016 02:09

Le Chameau

 

Disclaimer : Harry Potter, noms et lieux sont la propriété de J. K. Rowling et Warner Bros Corp. en leurs titres respectifs.

 


 

VI

 

Hermione était resté coite et immobile à peine entrée dans la pièce. Quant à Ron, il avait sorti sa baguette et menaçait le vieil homme qui ressemblait, trait pour trait, à ce qu’avait été Lord Voldemort au temps de sa grandeur.

 

« Baisse ta baguette, Ron, pria Harry. Il n’est pas dangereux.

 

- Pas question ! se défendit Ron en maintenant sa baguette pointée sur Voldemort.

 

- Ah, ah, ah ! se gaussa ce dernier. Ridicule ! Décidément, les Weasley me feront toujours rire, depuis leur chevelure rousse jusqu’à leur prédilection pour les causes perdues… Vous êtes à l’image de votre famille, monsieur Ronald Weasley, grotesque à souhait quant aux moyens et inefficace quant aux fins. »

 

Ron ne sut que dire, et il se passa un instant pendant lequel on n’entendit que le rire aigrelet de Lord Voldemort.

 

« C’est amusant que vous pensiez cela, insinua doucement Harry. Inefficaces vraiment ? N’est-ce pas pourtant Bill Weasley qui subtilisa l’anneau de Serdaigle que votre dévouée servante Bellatrix Black avait caché dans la banque Gringotts…

 

- Et à propos de Ron, intervint brutalement Hermione. N’est-ce pas lui qui a mis fin aux jours de votre reptile de compagnie ?

 

- Toujours aussi prompte et acérée, mademoiselle Granger, fit Voldemort, dont le sourire moqueur flottait encore sur la face hideuse. Je me rassure que vous ne soyez pas entièrement une sorcière, sans quoi je vous accorderais peut-être davantage de crédit.

 

- Hermione est autant une sorcière que vous et moi, trancha Harry. Inutile que je vous rappelle votre ascendance, Tom Jedusor. »

 

Voldemort ne répondit rien, mais une grimace rageuse enlaidit encore davantage son visage, si c’était possible. Ron avait fini par baisser sa garde, convaincu que le mage noir, s’il avait été en possession de ses pouvoirs, n’aurait jamais permis à quiconque et surtout pas à Harry de l’appeler par son vrai nom.

 

« Comme vous le voyez, commenta Harry comme s’il avait été guide de musée devant une œuvre particulièrement intéressante, Lord Voldemort n’a plus rien d’un esprit errant. Il a bel et bien une enveloppe corporelle solide, et est en tout point semblable – du moins physiquement – à ce qu’il était autrefois. Mais – il se tourna vers l’homme assis dans le fauteuil et s’adressa à lui – je vais vous laisser raconter vous-même votre histoire, ainsi vous ne pourrez pas vous plaindre que j’en donne une version biaisée. »

 

Il fit apparaître deux confortables fauteuils d’un geste négligeant de la main. Il prit place sur un troisième avant de faire asseoir Ron et Hermione.

 

« Ce n’est pas tous les jours que j’ai le plaisir de parler à d’autres personnes que mon si charitable hébergeur, commença Voldemort. D’un autre côté, ce serait lui faire trop plaisir que d’accéder à sa requête…

 

- Si vous préférez que je le fasse moi-même… suggéra l’intéressé.

 

- Non, non, non. Très bien. Tu as gagné, Potter. Dois-je vous narrer l’ensemble de mon glorieux périple, ou une partie seulement ?

 

- J’ai déjà raconté en grande partie votre histoire, mais je voudrais que vous évoquiez les souvenirs postérieurs à votre capture dans les égouts de Londres.

 

- J’aurais dû m’y attendre, s’exclama Voldemort d’un ton hargneux. Tu ne crois pas que c’est suffisamment humiliant de me présenter à tes amis faible, fragile et désarmé ? Faut-il vraiment que j’évoque des souvenirs plus dégradants encore ?

 

- Je vous l’ai déjà dit, fit Harry dans un geste exaspéré. Si vous ne voulez pas le raconter, je m’en chargerai. »

 

Celui qui avait été le Seigneur des Ténèbres croisa les bras et défia Harry du regard, la mâchoire crispée et le regard furieux.

 

« Bon, commença Harry en tournant la tête vers Ron et Hermione dans un soupir las. Je crois que nous ne pourrons pas compter sur sa collaboration. Je vais moi-même vous raconter la suite de l’histoire, il n’aura qu’à me corriger s’il l’estime nécessaire.

 

« Après sa capture, l’esprit de Voldemort fut longtemps cloîtré dans le flacon aussi sûrement que dans une prison de verre incassable. Je l’ai enfermé dans la salle aux horcruxes que nous avons visitée tout à l’heure.

 

- Tout cela pour m’obliger à subir l’affront perpétuel de les contempler, commenta le vieil homme d’une voix rogue.

 

- Ce n’est que quelque mois après la capture que m’est venu une idée, poursuivit Harry sans tenir compte de l’intervention. Une idée saugrenue que j’ai d’abord immédiatement rejetée mais qui résonnait en moi comme l’air d’une chansonnette qu’on n’arrive pas à chasser de son esprit : ressusciter moi-même Voldemort. Bien sûr cela paraît absurde : pourquoi aurais-je fait renaître Voldemort alors que j’avais eu tant de mal à en débarrasser le monde sorcier ? Pourtant, cette idée ne me quittait pas. Le flacon de verre était certes une prison à toutes épreuves, mais je ne pouvais rien faire de la fumée rouge qui l’habitait. Alors que d’une personne vivante, je pouvais tirer de précieux renseignements, vérifier mes hypothèses, savoir le comment, le pourquoi… J’espérais… Oui, je dois vous le dire : je voulais surtout savoir où étais Rogue. Je croyais qu’il le savait.

 

- Et tu croyais qu’il te le dirait ? questionna Hermione, faisant naître un nouveau sourire sur le visage de Voldemort.

 

- Je l’espérais. A vrai dire, je n’avais pas grand-chose à perdre. Ce flacon de fumée m’était inutile, tandis qu’un Voldemort bien vivant, mais contrôlé, enfermé, dépossédé de sa baguette magique et de ses pouvoirs, était extrêmement intéressant.

 

- Mais c’était extraordinairement risqué ! fit Ron, interloqué. Son corps retrouvé, il redevenait très dangereux !

 

- J’en étais totalement conscient. Je ne tenais vraiment pas à être tenu responsable de la seconde renaissance de Voldemort… Mais le jeu en valait la chandelle. Quelle mine d’informations aurait-il pu être ! J’étais cependant bien trop conscient de sa dangerosité pour oser le ressusciter sans m’assurer auparavant qu’il ait été rendu inoffensif. J’aurais pu tenter d’utiliser immédiatement la même potion que Pettigrow fabriqua pour ramener son maître à la vie, mais c’était beaucoup trop risqué. Il me fallait chercher dans une autre direction.

 

« J’ai cherché. J’ai étudié des livres entiers de magie noire et de magie blanche, j’ai créé des sortilèges et des potions, j’ai lu et j’ai testé. Ma persévérance a fini par payer : je suis tombé sur un livre de magie vaudoue ancienne – une magie très noire, aussi noire que les esclaves qui la pratiquaient dans la haine de leurs geôliers. Il s’agit de pratiques si effrayantes, si ancrées dans la rancune et dans le désir de vengeance, que j’ai voulu renoncer. Les pratiquants de cette branche de la magie vaudoue ne rigolaient vraiment pas, je puis vous l’assurer. C’est une magie noire et sale, emprunte de mort et de souffrance, c’est – il frissonna – c’est… abominable. Il est question de sacrifices humains, de poupées sanglantes, de malédictions…

 

« C’est pourtant paradoxalement la magie la plus noire qui me permit de contenir le pouvoir du mage le plus noir. J’ai modelé une petite statuette de cire, vaguement à l’effigie de Voldemort tel qu’il était avant sa destruction. J’ai effectué les incantations nécessaires pour lier l’esprit à la cire, puis j’ai pris une aiguille très effilée, préalablement trempée dans une solution liquide à base de coquilles d’œufs d’hydres broyées mêlées à une goutte de mon propre sang, et je l’ai plantée dans la cire. »

 

Ron et Hermione étaient à la fois effrayés et dégoûtés. Ron particulièrement exécrait ces magies saturées de malveillance et de ressentiment. Tous deux constatèrent cependant que leur répugnance, si forte soit-elle, ne semblait pas être à la hauteur de celle du Lord déchu qui se trouvait dans la pièce. Il se tortillait sur son séant, portant une main cadavérique sur son flanc, comme si à elles seules, les paroles de Harry avaient ravivé la douleur exercée par la pointe d’acier fichée dans la cire qui se réfléchissait sur lui.

 

« Le sang de l’ennemi, murmura-t-il d’une voix plaintive. »

 

Il n’ajouta rien. Soudain, dans les yeux de Hermione, Harry crut lire une étrange compassion. Quand le regard de la jeune femme croisa celui de Harry, ce dernier baissa la tête.

 

« Ton sang lui fait mal ? demanda-t-elle.

 

- Il inhibe ses pouvoirs, éluda Harry.

 

- Il se venge, gémit Voldemort. Oui ! Le bon, le grand Harry Potter est un martyre vengeur !

 

- Il ne s’agissait pas d’infliger une douleur quelconque, dit Harry après un instant de silence. Je voulais paralyser la magie de Voldemort. Cela fait, il ne serait plus dangereux de le réanimer, de lui rendre une existence physique.

 

- Mais comment pouvais-tu savoir que ça allait marcher ? demanda Ron. Tu ne pouvais pas le savoir avant de l’avoir réveillé…

 

- Il fallait que je prenne ce risque, répondit Harry, un peu gêné. Mais a priori, il n’y avait pas de raisons pour que cela ne fonctionne pas… J’avais suivi à la lettre les instructions de mon livre, et puis, même si cela n’avait pas marché, j’avais sa baguette magique en plus de la mienne, il était désarmé, et moi prêt à l’accueillir au cas où… »

 

Hermione haussa les épaules en levant les yeux au ciel.

 

« Enfin… poursuivit Harry, un peu désemparé. Finalement, j’ai réussi. J’ai utilisé une potion plus ou moins similaire à celle que Peter Pettigrow fabriqua pour ressusciter son maître. Les ingrédients que je n’avais pas, je les remplaçais par du sang de licorne, qui, comme vous le savez, entre dans la composition de la majorité des potions destinées à agir sur la vie. Peu m’importait d’obtenir un Voldemort au mieux de sa forme, de prendre les ingrédients les plus efficaces. Tout ce que je voulais, c’était qu’il soit en mesure de me dire ce qu’il savait. J’ai dû inventer, combler, créer... Il a fallu m’y reprendre plusieurs fois pour aboutir à un résultat probant.

 

« L’essentiel est qu’à la fin, j’y sois parvenu. Il ressuscita au troisième essai conformément à mes espérances, et il jaillit des vapeurs d’un grand chaudron. Entre parenthèses, je ne vous souhaite pas d’assister à l’affligeant spectacle de la nudité d’un mage noir dépossédé de six septièmes de son âme.

 

- Assez ! éructa Voldemort, les yeux brûlant de fureur.

 

- Excusez-moi, pria Harry avec un sourire mauvais aux lèvres, puis il se tourna à nouveau vers Ron et Hermione : Je ne résiste pas à vous suggérer d’imaginer la tête que fit notre hôte lorsqu’il me vit, une baguette dans chaque main, le tenant en joue. Assurément, il fut très surpris. Malgré le fait qu’il était désarmé, il tenta de m'agresser, mais il s’aperçut vite qu’il était incapable de lancer le moindre maléfice. Il se rendit. Depuis lors, il est resté ici, au Douze. Il a fallu plusieurs semaines avant qu’il s’habitue à l’idée qu’il était mon prisonnier, qu’il devait m’obéir, se plier à mes exigences. Au début, de rage, il tenta même de m’attaquer comme un vulgaire moldu, avec ses poings et ses pieds, mais moi, je n’étais pas privé de mes pouvoirs : je l’ai envoyé valdinguer à l’autre bout de la pièce. »

 

Voldemort grimaça au douloureux souvenir de son violent télescopage contre les murs de la pièce. Harry se leva brusquement.

 

« Venez, dit-il. Allons poursuivre cette conversation ailleurs. Cela ne vous dérange pas, très cher hôte ?

 

- Faites, mon jeune ami, faites, fit Voldemort d’une voix cérémonieuse contrefaite. Vous savez bien qu’aucune attitude de votre part, même la plus insultante, ne saurait ternir la brillante idée que je me fais de vous. »

 

Harry ne se fit pas prier et tourna les talons vers la sortie. Ron et Hermione lui emboîtèrent le pas. Dès qu’il eut refermé la porte, il prit la parole d’un ton péremptoire :

 

« Allons dehors. »

 

Ron ne semblait pas enchanté par l’idée, et jeta un coup d’œil mitigé vers une lucarne qui affichait un temps neigeux et obscur. La sortie vespérale était tellement ancrée dans les habitudes de Harry qu’il ressentait, à cette heure de la journée, un besoin presque physique de son errance quotidienne. Ils s’emmitouflèrent dans de longs manteaux et sortirent dans la nuit. La neige tombait doucement et sans bruit sur le square abandonné. Personne ne troublait le silence, et le square neigeux était si vierge de toute trace de pas que Harry eut des remords à troubler sa surface immaculée. Ils s’éloignèrent de quelques pas crissants, Ron à sa droite et Hermione à sa gauche.

 

« Jedusor n’a plus réessayé de m’attaquer physiquement, poursuivit-il en marchant au hasard. Il s’est montré plus courtois. Il a découvert qu’il lui restait encore un pouvoir : celui de son esprit, la légilimancie. Quand il s’en est aperçu, il a tenté de le mettre à profit, mais j’ai résisté. Il avait presque réussi à me mettre en danger, alors je ne suis plus allé à sa rencontre pendant quelques jours. Par la suite, j’ai pris encore plus de précautions, et j’ai revu les leçons d’occlumencie que ce bon vieux Rogue avait tenté de m’apprendre. J’ai pu aller à nouveau le voir.

 

« Deux mois après, j’ai commencé à entreprendre ce pourquoi j’avais ranimé Voldemort : j’ai tenté de lui soutirer des informations. Malheureusement l’homme n’est pas idiot et certainement pas disposé à m’aider gratuitement : il se doutait bien que je ne lui avais pas rendu la vie pour le plaisir. J’ai commencé par tenter d’utiliser le Veritasérum, mais il s’est avéré inefficace, parce qu’un occlumens accompli peut y résister.

 

- Alors tu l’as ressuscité pour rien ? Il ne t’a donné aucune information ?

 

- Si. Quelques informations, que nous négociions âprement. Vous n’avez pas lu dans la presse cette vieille histoire du délateur masqué ? C’était moi. Oh ! Ce n’étaient que des bribes d’informations : contre l’autorisation de vivre dans cette pièce plutôt confortable, il accepta de me dire dans quelle région s’était retranché Goyle père, pour l’abonnement à la Gazette, j’ai obtenu le nom du traître dans le Département des Jeux et Sports magiques, etc. Bien entendu, ce qui était réellement important, il refusait de me le dire. Il ne m’a jamais donné des informations que sur des Mangemorts de seconde zone, des larbins inutiles.

 

« Vous me direz peut-être que ce n’est pas d’une importance capitale, mais c’est grâce à lui que j’ai finalement pu reconstituer avec certitude l’histoire des horcruxes, de leur création jusqu’à leur destruction. Ce qui jusque là n’était qu’hypothèses non vérifiées put enfin devenir des certitudes. Ce n’est certes pas d’un intérêt majeur.

 

« Ce n’est pas tout ce que notre hôte m’a “apporté”. Un homme sans magie n’est pas forcément un homme sans savoir, et, cela me fait mal de le dire mais c’est la vérité : notre homme est une sorte de spécialiste. Il en sait plus que quiconque dans certaines branches de la magie.

 

- Il t’a enseigné son savoir ? demanda Ron dont les cheveux roux étaient recouverts d’une fine pellicule blanche qui lui donnait l’air d’un pape de l’Eglise catholique.

 

- Ce n’est pas à proprement parler ce que j’appellerais un enseignement. Un enseignement suppose quand même que l’élève soit plus ou moins disposé à apprendre. Ce n’était pas mon cas. Son savoir ne m’intéressait pas. Je n’en avais rien à foutre de savoir les mille et unes manières de torturer son prochain avec trois allumettes et un compas ! Cependant, manifestement, il m’apparut vite que Voldemort n’avait pas l’intention de me laisser échapper à son enseignement. Il tenta de m’appâter avec des connaissances véritablement utiles, bénéfiques, mais je n’étais pas assez fou pour ne pas deviner qu’il y avait un piège, là-dessous. J’étais certain qu’il voulait me pousser à faire une bévue, à me faire faire quelque chose d’illégal qui forcerait les autorités à me jeter en prison pour le restant de mes jours, tout Harry Potter que je sois, ou pire, qu’il voulait me pousser à réaliser une potion soi-disant miraculeuse mais qui n’était au fond qu’une bombe à retardement, etc. Bref, je me méfiais.

 

« Ce n’était certainement pas à tort. Il a alors pris son mal en patience, et, très progressivement et très habilement, je dois le reconnaître, il s’est ingénié à disperser les semences de son savoir en moi. C’était assez bien joué : il comptait sur ma curiosité. Dès lors que je savais qu’une telle chose était possible, il devenait difficile d’y renoncer. J’avais beaucoup de mal à ne pas tomber dans le panneau et à ne pas faire moi-même quelques recherches dans les grimoires de la famille Black. Souvent, j’ai cédé. J’ai plusieurs fois ouvert la boîte de Pandore, et, malgré mes soupçons, elle s’avérait toujours merveilleuse, toujours propice à de nouvelles découvertes et à de nouveau apprentissages.

 

« Je ne comprenais pas où Voldemort voulait en venir. A quoi rimait cette politique de vouloir me faire apprendre le plus de choses possibles ? Pourquoi avait-il entamé mon apprentissage ? Ma méfiance s’est progressivement atténuée, et souvent, Voldemort me donnait des leçons magistrales de sortilèges avancés, ou de potions délicates. Au début, tout n’était qu’innocence et légalité, mais peu à peu, sans que je m’en rende compte, il m’emmenait dans des sentiers moins battus et plus épineux, à l’abri des regards inquisiteurs de la loi.

 

« Je ne m’apercevais de rien sinon des nets progrès que je faisais dans la pratique de la magie dans son sens le plus large. J’étais très enthousiaste, mais ma méfiance ne s’était pas tout à fait endormie. Je n’oubliais pas à qui j’avais affaire. Cependant, j’ai choisi – un peu par facilité, un peu par ruse – d’essayer de jouer au plus fin. J’ai pris le parti de faire croire à Voldemort que ma méfiance s’estompait totalement. Je voulais le contraindre à me montrer quels étaient ses desseins, ce qu’il ambitionnait de me faire faire.

 

« Cela a duré, car il se méfiait de moi autant que je me méfiais de lui. Néanmoins ses desseins me sont apparus au détour d’une journée de travail. Nous étions dans la même pièce et il discourait de magie avancée, et, à un moment précis, il a abordé un sujet bien particulier, en amenant habilement la chose par mille détails. Comme un professeur à son élève, il m’a parlé des méthodes que les sorciers employaient pour priver leurs semblables de leurs pouvoirs magiques. En effet, jusqu’alors, il ne savait pas quelle était la méthode que j’avais employée pour inhiber sa puissance.

 

« Comme je vous le présente, le piège vous paraît peut-être gros. Cependant, il avait été longuement préparé et réfléchi. Il n’a pas brusquement lâché le morceau entre le fromage et le dessert comme un cadavre à la mer. Au contraire, il a usé de mille ruses et tactiques pour me guider vers le sujet qu’il voulait aborder, tout en me faisant croire que c’était moi qui avais commencé la discussion.

 

« Je suis bêtement tombé dans le panneau. Il m’a interrogé pour – soi-disant – tester mes connaissances. Je lui ai dit fièrement que je savais comment procéder, et je lui ai expliqué la méthode que j’avais employée. Si ça peut vous consoler, sachez au moins que bien que j’aie eu la bêtise de lui dire comment j’avais procédé, je n’ai pas eu celle de ne pas me rendre compte qu’il m’avait berné. J’ai compris. Toute son entreprise de fraternisation n’avait eu pour fin que de me soutirer cette information, dans le but évident d’être en mesure de briser l’enchantement et, un jour, recouvrir ses pouvoirs. Je me suis rendu compte que je venais de lui fournir le seul moyen de retrouver son ancienne grandeur : retirer cette épingle d’acier de la statuette de cire qui le représentait.

 

« A partir de là, nos relations se sont nettement refroidies. Il est redevenu Lord Voldemort et moi Harry Potter. Je suis de moins en moins allé le voir. J’ordonnais à Kréattur de lui porter ses repas, et nous ne nous voyions que le strict minimum. »

 

A partir de ce moment là le discours de Harry se fit plus hésitant.

 

« Je… C’est à partir de cette époque là que… je… j’avoue… Comment dire… J’ai eu une sorte d’impression de manque… Le savoir qu’il m’avait transmis n’était pas de la magie innocente, blanche et sereine, domestiquée et docile à l’image de ce qu’on nous apprend à Poudlard… C’était au contraire un savoir avide, glouton, puissant et sauvage. Pas mauvais en soi, mais instable, et j’irais presque jusqu’à dire : doué de sa propre volonté. »

 

Il s’interrompit pour observer Ron et Hermione, mais ceux-ci tenaient leurs visages résolument pointés vers l’horizon obscur de l’allée neigeuse qu’ils parcouraient. Ron, ses cheveux roux ridiculement recouverts d’une fine pellicule de neige, avançait les yeux presque fermés pour se protéger des flocons. Hermione au contraire ne paraissait pas s’en soucier tant son attention était grande. Elle marchait la tête baissée et peinait pour suivre le rythme que Harry, inconsciemment, avait imposé à la promenade. Ce dernier ralentit imperceptiblement pour que la jeune femme prît ses aises. Il revint à son récit comme on rentre de vacances.

 

« C’est à partir de cette période que je me suis rendu compte qu’il m’était doublement impossible, premièrement de rester dans l’inaction contrainte, et deuxièmement surtout de me passer de la pratique et de l’apprentissage régulier de la magie, de cette magie. Tout le monde n’a pas manqué de s’étonner de me voir laborieux, curieux, inventif, renfermé, alors que l’adolescent que j’étais ne semblait pas me destiner à cette voie. Hermione a été la seule à se rendre compte – ou plutôt : la seule à me dire – que j’exagérais, qu’un tel acharnement ne pouvait m’être que préjudiciable, et surtout, que la magie que j’étudiais n’était pas innocente. »

 

Harry hésitait à le prononcer, mais le mot « drogue » lui brûlait les lèvres. Cependant il évoquait à ses yeux les pauvres créatures décharnées qu’il croisait parfois dans les errances nocturnes qui le menaient dans les quartiers obscurs de Londres, les yeux vides et injectés de sang, les veines gonflées effroyablement apparentes, hagardes ou délirantes, qui l’agressaient parfois à coup d’insultes qui rebondissaient sur une feinte indifférence. Il ne voulait pas mettre ce mot sur le mal qu’il avait vécu, et pourtant c’en avait presque tous les symptômes. C’en avait presque la nuisibilité et c’en avait certainement la dépendance. Il ne le formula donc pas, mais il entendit résonner le mot dans les esprits de Ron et d’Hermione, sans même avoir eu conscience de pratiquer la légilimancie. Dès lors qu’il savait qu’ils savaient, il n’y avait plus de raison de le taire, mais le polichinelle tient à son costume bariolé de non dits. Le mot ne fut pas davantage prononcé :

 

« Cette… accoutumance, poursuivit-il d’une voix mal assurée, faisait assurément partie des plans de Voldemort. Il avait planifié tout cela. Son plan avait totalement réussi : il était parvenu à me faire dire comment j’étais parvenu à le maintenir enchaîné et il avait réussi à me rendre dépendant de lui. Alors qu’initialement j’étais le seul maître à bord, c’était lui qui désormais menait la barque. Les rares fois où je le voyais – et bientôt j’allais complètement arrêter de le voir –, il me regardait avec l’air de celui qui sait qu’il va triompher, l’air de dire : “bientôt, mon petit, bientôt tu vas ramper devant moi pour me réclamer mon savoir”. Clairement, il n’ambitionnait rien de moins que de faire de moi son esclave. Par peur de lui, par peur de moi, j’ai confié à Kréattur la tâche de lui porter systématiquement ses repas.

 

« Il faillit gagner. Il s’en fallu d’un cheveu. Je ne sais pas si j’ai été suffisamment explicite quant à l’état dans lequel je me trouvais : c’était réellement physique, j’étais nerveux, angoissé, malade au sens propre. Il me fallait ma dose. Bien sûr ma raison me criait de résister, bien sûr je savais que c’était une impasse où je ne pourrais trouver que ma perte – pas seulement la mienne –, bien sûr je soupçonnais que Voldemort voulait se rendre maître de ma personnalité, mais je ne pouvais pas résister, c’était trop dur. Quant à apprendre dans les livres, j’y ai pensé, mais cela ne me suffisait plus. J’avais dépassé le stade de la théorie. Il me fallait plus. Je vous l’avoue honteusement, j’ai été sur le point de me rendre chez mon hôte en rampant, de supplier, de retirer moi-même devant lui l’épingle de la cire, mais un dernier sursaut de raison, d’orgueil, m’a conduit à prendre la décision qui s’imposait.

 

« Puisque je m’avérais manifestement incapable de résister à l’attrait que représentait le savoir de Voldemort, et étant donné qu’il était évident que si je me rendais à lui, il serait définitivement le maître, il fallait que je prenne les devants. Il fallait que j’attaque en premier, que je détruise la boîte de Pandore avant de n’être plus en mesure de m’empêcher de l’ouvrir. J’ai pensé à l’empoisonnement. Une goutte dans un plat, et tous mes problèmes définitivement réglés. Mais je ne pouvais pas m’y résoudre. Premièrement c’eût été un meurtre, mais deuxièmement surtout, c’eût été un lamentable échec : bon sang ! Je ne m’étais tout de même pas échiné à faire renaître Voldemort à grands coups de magie pour l’assassiner moi-même quelques mois après ! Cela aurait voulu dire que je renonçais à tout ce qu’il savait, à tous les secrets qu’il détenait encore, aussi bien les secrets militaires – la cachette des Mangemorts restants, etc. – que les secrets de son savoir. Et troisièmement, c’était impossible : impossible puisque Voldemort ne peut pas mourir. N’oubliez pas qu’un morceau de son âme a élu résidence en moi et le protège, tant que je vivrai – c’est-à-dire longtemps puisque je suis moi-même immortel.

 

« Je suis retourné à mes livres, plus décidé que jamais à prendre les devants, car le manque, à mesure que le temps passait, se faisait de plus en plus sentir. C’est encore dans les livres noirs de magie vaudoue que la solution de mon problème m’est apparue. C’est une solution qui, je l’avoue, n’était pas des plus courageuses. Un esprit réellement déterminé à écarter de lui ce danger aurait vidé la boîte de Pandore sans s’intéresser au contenu, j’ai eu la faiblesse de le conserver. »

 

Harry eut un soupir qui se perdit dans un nuage de fumée. Ils étaient parvenus aux abords de la Tamise qui hésitait à geler et Harry prit la direction de l’amont. Des blocs de glace dérivaient lentement le long du fleuve. Il maintint le silence pendant quelques secondes avant de reprendre la parole :

 

« La magie est un matière assez étrange. Il est difficile d’expliquer pourquoi certains sorciers ont plus d’aptitude que d’autres à la manier, et encore plus difficile d’expliquer pourquoi certains naissent parfois dans des familles de plusieurs générations de moldus. J’imagine que c’est… génétique. Ce doit être comme ces personnes qui, parfois, naissent avec six doigts à une main, ou avec des yeux vairons, bref, des choses rares, mais qui, parfois, surviennent. Toutefois, il ne s’agit pas de raretés qu’on détecte au premier coup d’œil : la magie se dissimule, elle ne se laisse pas facilement détecter. Elle est incrustée au cœur du magicien, aussi impalpable, aussi fluide, aussi immatérielle, que l’âme.

 

« Il existe cependant des méthodes pour détecter la substance de la magie. Vous savez peut-être qu’il y a à Poudlard une plume magique qui inscrit à sa naissance le nom de chaque sorcier sur un grand registre. Il existe également des méthodes moins inoffensives, dont le but n’est pas de détecter mais de matérialiser la substance de la magie. De même que les Détraqueurs sont capables d’aspirer l’âme de leurs victimes par un baiser, il est possible d'extraire de force la substance magique d’un sorcier.

 

« Ce que je voulais faire, en réalité, c’est m’approprier cette substance. J’espérais me libérer de ma dépendance en en tarissant la source. Ingérer tout en une fois, me disais-je, me délivrerait puisque je n’aurais plus rien à apprendre. »

 

Harry jeta un coup d’œil à Ron et Hermione à ses flancs. L’un comme l’autre le regardaient d’un air vaguement dubitatif. Harry eut un sourire :

 

« Vous avez raison de douter de cette théorie. Moi-même, je n’y croyais qu’à moitié, mais il ne faut pas oublier que j’étais dans un état qui supportait mal toute demi-mesure. En réalité, j’avais envie de cette magie comme un nouveau-né du lait maternel. J’ai effectué les préparatifs magiques : il s’agissait de faire fondre la statuette de cire représentant Voldemort, et de distiller la substance liquide pour en isoler la magie à l’état pur. Cette liquéfaction s’est faite sans douleur pour lui, parce que j’avais auparavant glissé un puissant somnifère dans son repas du soir. Voldemort anesthésié, je pouvais opérer. Le processus a duré toute la nuit. Il ne fallait pas seulement faire fondre la cire et isoler la substance, il fallait la purifier et la traiter. Au petit matin, c’était fini. J’avais rendu à la statuette son aspect initial, et de toute l’opération, il ne restait qu’une dizaine de centilitres de liquide argenté. Dès lors, il a suffi de prendre une seringue et… »

 

Il leva sa manche droite et exhiba aux yeux ébahis de Ron et d’Hermione une petite marque circulaire dans le creux de son coude. Ses veines et ses artères avaient toujours été plutôt apparentes, et on voyait, à partir du point de l’injection, un réseau veineux qui, au lieu de la couleur bleue verte normale, était grisâtre et, dans la nuit qui les entourait, légèrement phosphorescent. Le phénomène se diluait à mesure que les veines s’éloignaient de l’épicentre, mais il demeurait impressionnant.

 

« Ces traces, murmura Hermione, c’est définitif ? »

 

Harry opina du chef.

 

« Je le crois, fit-il. Ca n’a pas l’air de s’atténuer, en tous cas… Mais ce n’est pas douloureux. En tous cas ça a marché. Il n’y a pas eu de rejet. C’était à craindre, mais je pressentais que ma magie et celle de Voldemort n’étaient pas incompatibles puisque nos baguettes contiennent le même élément.

 

- Et cela a marché ? demanda Ron. Tu as été… libéré ?

 

- Je le crois, répéta-t-il. Je n’ai plus ressenti ce besoin imprescriptible et impérieux.

 

- Est-ce que cela veut dire que…

 

- … que je possède tous les pouvoirs de Voldemort ? Non, Ron, rassure-toi. Ce n’est que la matière première, sans l’outil pour l’utiliser. Ce que j’avais volé à Voldemort n’était jamais que le matériau, cette magie n’était là qu’en puissance, je n’y ai pas accès, et je ne le souhaite pas. C’est comparable à la magie qu’un enfant sorcier fait parfois sans s’en rendre compte : avant d’avoir été scolarisé, l’enfant a déjà une partie des pouvoirs qu’il aura adulte, mais il ne sait pas comment les manier, ni comment les domestiquer. C’est de la magie à l’état sauvage.

 

- Tu ne peux pas du tout l’utiliser ? fit Ron, sans que Harry puisse déterminer s’il était déçu ou au contraire rassuré.

 

- Il arrive qu’elle se manifeste sans que je ne maîtrise quoi que ce soit et alors je déconseille à tous de se trouver à proximité, répondit Harry avec une moue mi-ironique mi-désabusée. Mais cela m’a guéri. »

 

Il interrompit là son monologue.

 

« Viens, Ron, dit Hermione après un moment. Il y a trop de moldus ici, on ne peut pas transplaner.

 

- Vous partez ? demanda Harry un peu désemparé.

 

- Ecoute, Harry, fit doucement Ron. Hermione travaille demain tôt, et moi, si je veux avoir une chance de trouver un emploi un jour, faut que je cherche. Tout le monde n’a pas le loisir de pouvoir se lever à l’heure qu’il veut tous les jours… »

 

Harry leva des yeux étonnés vers Ron et fut rassuré de comprendre qu’il plaisantait. Ces années de solitudes lui avaient appris beaucoup de choses, mené dans bien des degrés d’espoir ou de désespoir, mais jamais au grand jamais il ne s’était senti en vacances… Des années d’ascèse, d’inconfort, de perpétuel manque, de recherches infinies.

 

Hermione et Ron s’éloignèrent de quelques pas, vers une ruelle obscure qui leur permettraient de transplaner sans effrayer les moldus. A un moment précis, Hermione s’arrêta brusquement et planta Ron sur le trottoir pour rejoindre Harry.

 

« Harry… lui glissa-t-elle à l’oreille. Je veux que tu saches que je te trouve très courageux d’avoir eu la force de nous raconter toute cette histoire.

 

- J’aurais dû vous la raconter bien plus tôt…

 

- Cela t’aurait peut-être épargné de faire certaines bêtises, c’est vrai, mais ce qui est fait est fait. Tu as vécu le combat contre Voldemort comme tout le monde, mais à la différence de tout le monde, tu l’as vécu dans ta chair et dans ton esprit. Je ne parle pas simplement de ta cicatrice ou de ce morceau d’âme qui traîne dans ta boîte crânienne, ni même de cette force étrangère qui coule dans tes veines, je parle de toi. Je voudrais te dire que Dumbledore a eu raison de te faire confiance. Tu es bel et bien l’ « homme de Dumbledore ». C’est toi, et personne d’autre. Je sais que tous les autres titres t’indiffèrent, que ce soit « le Survivant » ou « médaillé de l’Ordre de Merlin, première classe ». Tu as gagné, Harry. Voldemort est réduit à néant. Il n’est plus que l’ombre de lui-même, il n’est plus qu’une montagne de rancune et de haine. Il ne lui reste plus rien, si ce n’est... Je ne suis pas légilimencienne comme toi, Harry, mais je sais qu’il n’a pas abandonné tout espoir. Il a certainement compris que tu avais trouvé la parade pour l’assuétude qu’il t’a savamment inoculée, mais j’ai vu clair en lui : il n’a pas encore renoncé.

 

« Tu as détruit ses rêves de grandeurs, mais il espère encore remonter sur le trône dont tu l’as délogé. Son espoir est ténu, et s’il y renonce, il fera tout pour que tu sombres avec lui. Je voudrais que tu gagnes cette dernière bataille, Harry. Je sais que ce sera dur, mais il faut que tu remontes à la surface. Il faut que tu abandonnes ces murailles de livres que tu as érigées autour de toi. Il faut que tu sortes à nouveau. Et je ne parle pas de tes errances nocturnes. Il faut que tu recommences à fréquenter des gens… que tu parles… voir du monde, des filles. Depuis combien de temps n’a-tu plus été amoureux ? Il faudrait que tu leur pardonnes, à ces gens, à ces beaux parleurs, à ceux qui n’ont pas voulu croire. A Scrimgeour, à Fudge…

 

- Tu ne te rends pas compte de ce que tu me demandes-là, Hermione…

 

- Harry, murmura gentiment Hermione en soulevant une mèche de son front pour la remettre derrière son oreille, tu n’as pas le choix. Tu as vécu les dernières années de ta vie comme un ermite, tu en sais davantage que quiconque dans certaines matières de la magie. Les raisons qui t’ont poussé à t’isoler étaient légitime : tu travaillais pour la sauvegarde de tous, tu voulais définitivement en terminer avec l’affaire Voldemort. Ces raisons ne sont plus. J’ai peur… j’ai peur que tu ais pris goût… une sorte de goût malsain… – je ne sais pas, artistique peut-être ? – pour ta belle solitude. Tu aimes à contempler ton œuvre, tu es tombé amoureux de l’idée de ton sacrifice.

 

- Non Hermione…

 

« Mais… Tu sais, poursuivit-elle, c’est comme dans les jeux vidéos de ton cousin Dudley, il arrive un moment ou le jeu s’achève sur une musique triomphante, et qu’un message s’affiche : “mission terminée”. Il est temps de commencer une autre partie d’un nouveau jeu, maintenant, tu ne crois pas ? Et ce jeu s’appellerait la vie ? »

 

Hermione avait une intonation presque suppliante. Il ne pouvait pas maintenir ses yeux plantés dans les siens comme il aurait voulu le faire, tant ces derniers brûlaient du feu ardent de la sincérité.

 

« Hermione, prononça-t-il à voix basse. Je crois que tu n’as pas compris tout à fait la situation : ce qui pour certains ne restera jamais qu’un passage pénible de leur vie, quelques années de fureur dont ils aimeront parler à leurs petits-enfants au coin du feu, tout cela pour moi ne passera jamais. Tu l’as dit toi-même : j’ai vécu ce combat dans ma chair et dans mon esprit. Cette cicatrice que tu vois sur mon front ne m’empêcherait pas de refaire ma vie parmi les mortels, Hermione, tout au plus, elle me forcerait à lever les yeux au ciel chaque fois qu’un inconnu reconnaît en elle le “grand Harry Potter”, mais celle qui est dans ma tête, elle, elle pourrait parvenir à m’en empêcher. J’ai trop en commun avec Jedusor – une baguette, un sang, une magie, une âme – pour que l’“affaire Voldemort” puisse faire un jour partie de l’Histoire avec un grand “h”, elle fera – elle fait – partie de mon histoire, mon histoire intime. »

 

Hermione allait objecter quelque chose, mais Harry ne lui en laissa pas le temps :

 

« Hermione… je t’en supplie… Tu n’as pas idée…

 

- Non, je n’ai pas idée, interrompit-elle violement. Comment pourrais-je ? Bien sûr que je ne sais pas ce que c’est de cohabiter aussi intimement que par l’âme avec Voldemort, mais tu le fais depuis toujours, n’est-ce pas ? Et tu y arrivais, avant, avant de le savoir… Tu étais avec nous, tu étais amoureux de Cho, de Ginny, tu gagnais au Quidditch, tu...

 

- Il n’y a pas que ça, Hermione.

 

- Je le sais, dit-elle – et sa voix se brisa. Ecoute, Harry… Peut-être que tu as raison, peut-être que ce sera à jamais impossible. Peut-être que tu vivras éternellement cloîtré dans ton maudit Douze…Peut-être que tu n’as pas le choix… Mais… Je te demande… Harry, promets-moi, promets-moi au moins d’essayer. »

 

Harry ne répondit pas immédiatement. Il contempla Hermione et la trouva belle dans sa ferveur. Il eut envie de la serrer dans ses bras, mais Ron… Ron se méprendrait. Elle avait froid. Il eut envie de générer magiquement une bulle de chaleur autour d’eux, mais il y avait des moldus. Il lui prit juste la main, qui était froide, et la réchauffa dans la sienne. Ron grelottait non loin de là et Harry le soupçonnait de n’avoir rien perdu de la conversation.

 

« Je te le promets, Hermione, murmura-t-il. »

 

Elle se détacha de l’emprise de sa main et s’éloigna. Il se faisait tard. Elle rejoignit Ron et se blottit contre lui. Harry les retint une dernière fois :

 

« J’ai une dernière chose à vous dire, prononça-t-il le moins solennellement que la situation le permettait. »

 

Il sortit de sa poche le médaillon de Serpentard, froid et dur comme la glace, toujours aussi inaltéré. Il passa la chaîne autour du cou d’Hermione. Il s’apprêta à dire quelque chose, mais il s’aperçu que son geste ne nécessitait pas d’explication.

 

« Le mage noir prévoyant… tenta-t-il de plaisanter – mais il ne parvint à arracher, et encore, avec peine, qu’à Ron son sourire.

 

Ron et Hermione traversèrent la rue et s’enfoncèrent dans une ruelle.

 

« Si vous le pouvez, détruisez-le ! dit Harry sans forcer la voix, mais, comme par magie, ils l’entendirent distinctement. »

 

Hermione transplana la première, parfaitement, comme en toute chose. Ron resta une seconde de plus, rencontra le regard de Harry et sourit légèrement en formant sur ses lèvres les mots « à bientôt », puis il transplana à son tour, plus lourdement qu’Hermione mais tout aussi efficacement.

 

Harry ne tarda pas à rentrer au Douze et à rejoindre sa chambre – qui avait été celle de Sirius.

 

Au matin, la neige avait fondu.

 

Note de l’auteur : Voici un chapitre plus court que les précédents (un peu moins de 7000 mots), qui aura tardé. Je n’ai pas d’excuses à vous fournir puisque, après tout, je n’ai pris aucun engagement auprès de vous, mais je suis quand même tenté de vous dire que je suis désolé de vous avoir fait tant attendre. Sans m’engager, je pense que l’attente pour le prochain chapitre sera moins longue que pour celui que vous venez de lire. N’hésitez pas une seule seconde à cliquer sur le petit bouton « go » à côté de « submit review » pour me dire ce que vous avez pensé de ce chapitre, ou pour me faire part de vos réflexions personnelles.

 

Merci à tous de me lire !

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