Darius

Chapitre 1 : Prélude

1224 mots, Catégorie: K+

Dernière mise à jour 13/08/2018 20:47

L’éclair d’un flash projeta la silhouette du mort sur les dalles marbrées du presbytère. En son centre, gisait au sol un corps immobile et sans tête, que les enquêteurs avaient cherchée en vain dans chaque recoin. A mesure que le photographe tournait autour de la victime en appuyant sur le déclencheur de son appareil, la furtive mais éblouissante lumière éclaboussait successivement des tableaux aux sujets austères, des vitrines chargées de porcelaine fine, des rayons de livres anciens, des rideaux ouverts sur de grandes fenêtres, derrière lesquelles tombaient une pluie rageuse et obstinée.

L’inspectrice de police était jeune, une femme d’une certaine beauté qui attirait tout de suite le regard, avec son teint de pêche, sa crinière auburn, ses yeux d’un bleu perçant, ses pommettes hautes, son long cou gracile et son corps svelte. Pas un kilo de trop, ni même un gramme de trop. Carla Valenti courait tous les jours, suivait un programme draconien d’exercices physiques, mangeait des repas équilibrés et buvait de l’eau minérale, s’adonnait au Yoga. En bref, dans le jargon populaire, Carla était une bombe. Et chaque homme rêvait de l’avoir au lit.  

Mais elle était autant connue pour sa froideur professionnelle, car depuis deux ans, elle enquêtait sur des meurtres dont les victimes avaient eu la tête fauchée et ces enquêtes non résolues lui pourrissent son avancement, au point que Paris commençait à plonger dans une psychose sans nom. Après les attentats à la bombe, et les fusillades dans les quartiers populaires et théâtres, le faucheur devenait la nouvelle terreur, mais cette fois, sa dernière victime était un obscur prêtre du nom de Darius.

Carla Valenti était agenouillée devant la victime, procédant à un rapide examen qui lui permit de découvrir que l’homme avait un curieux tatouage circulaire à l’intérieur du poignet. Sortant son carnet, elle en fit un croquis fidèle, avant de continuer son inspection dans la chambre. Bien que les lieux eussent déjà été photographiés, Carla préférait conserver un maximum de détails dans sa mémoire visuelle.

Une potiche brisée gisait à terre, de même qu’un livre ouvert dont une page était soulignée au crayon rouge. C’était un vieil exemplaire du Vicomte de Bragelonne, une très vieille édition.

Carla se pencha par-dessus l’épaule d’un agent de police qui prenait des notes sur son calepin, et jeta un coup d’œil sur le texte souligné :

« – Oh ! Je suis trahi, murmura-t-il : on sait tout.

— On sait toujours tout, répliqua Porthos qui ne savait rien. »

Elle pencha la tête de côté, puis regarda les notes de l’agent de police. Un homme petit de taille, aux grandes oreilles et aux yeux écartés répondant au nom d’Etienne.  

— Plutôt curieux, ce passage ! commenta-t-elle gravement.

Ce dernier leva les yeux de ses notes et sourit en apercevant Carla.

— Je lis peu m’dame, répondit-il. Mais ce Porthos était bien un de ces personnages, n’est-ce pas ?... Athos, Porthos, Aramis et d’Artagnan – il compta sur ses doigts, puis s’arrêta, pensif. C’est quand même bizarre. Je me suis toujours demandé pourquoi on les appelle les trois mousquetaires, alors qu’ils sont quatre.

— Une des bizarreries de Dumas, déclara-t-elle avec dédain. Un vrai salaud de première ce type.

— Non, ne me dites pas que vous avez profilé Alexandre Dumas, quand même ? s’écria-t-il à la fois amusé et horrifié.

— Mon cher Etienne, je profile tout le monde dans une affaire criminelle, même un gars mort le 5 décembre 1870. Et son vrai nom est Alexandre Davy de La Pailleterie, né le 24 juillet 1802. Fils de Thomas Alexandre Dumas, général de la République. Auteur de 257 volumes de romans, mémoires et autres récits. 25 volumes de pièces de théâtre. Portrait physique : haute taille, cou puissant, cheveux crépus, lèvres charnues, longues jambes, grande force physique. Caractère : viveur, volage, tyrannique, fourbe, déloyal, populaire. Il eut vingt-sept maîtresses connues, deux fils légitimes et quatre illégitimes. Il gagna des fortunes et les dilapida en plaisirs, voyages, vins fins et bouquets de fleurs. Il se ruinait en cadeaux pour ses maîtresses, amis et parasites qui assiégeaient son château de Montecristo. Lorsqu’il se vit forcé de fuir Paris, ce fut pour échapper à ses créanciers. Amis : Hugo, Lamartine, Michelet, Gérard de Nerval, Nodier, George Sand, Berlioz, Théophile Gautier, Alfred de Vigny, etc. Ennemis : Balzac, Badère et d’autres.

— Wo putain de merde ! s’écria Etienne admiratif. Vous aviez tout cela en tête ? Comment vous faites ? C’est incroyable !

— La mémoire, dit-elle en tapotant son front. J’enregistre tout dans le disque dur, rien ne m’échappe. Que sait-on sur le prêtre ?

— Un homme sans histoire, très apprécié dans le quartier, et dans certaines organisations humanitaires. Et il parait que des médecins de renom viennent le consulter, car à ce qu’on dit, c’est un adepte de la médecine traditionnelle. Comment peut-on tuer un gars pareil ?

— Si je te disais que l’homme sans tête n’est pas Darius, tu me croirais ?

L’agent examina Carla ébahi, elle regardait toujours le passage souligné au crayon.

— Qu’est ce qui vous fait croire cela, inspectrice ?

— Tu t’es demandé tout à l’heur pourquoi on les appelait les trois mousquetaires alors qu’ils étaient quatre. Moi j’y vois un message caché nous révélant que quatre personnes auraient pu s’attaquer au prêtre : l’un d’eux a été tué, les autres ont lâché l’affaire. Ensuite le prêtre a maquillé sa mort et s’est enfui.

— Impossible, s’écria Etienne choqué. Et puis un message caché pour qui ?

— Je n’en sais rien, mais les traces ne mentent pas. Il y a eu une bagarre, et je suis persuadée que l’homme sans tête n’est pas le prêtre, mais l’un des assaillants car ses mains sentaient la poudre. En plus, d’après sa physionomie, je dirais qu’il s’agit d’un type âgé d’une vingtaine d’années à peine. En clair, nous avons un suspect en liberté qu’il faut trouver au plus vite. Continue de photographier tout cela ! Ajouta-t-elle d’un ton sans réplique.

Elle tourna les talons et se retira, laissant Etienne seul avec son incrédulité. Quelque chose n’allait pas. Darius n’était pas violent, il devait donc y avoir une autre explication.

Tandis qu’il décrochait son téléphone portable, il jeta un coup d’œil au tatouage identique qu’il avait lui-même au poignet – le même que celui du mort. Celui d’un Guetteur qui n’aurait jamais dû se trouver là. Pour une raison inconnue, quelqu’un avait tenté d’assassiner Darius et ce dernier ne s’était pas laissé faire… Il fallait le retrouver avant l’inspectrice.   



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