Le Prix à payer - Highlander Fanfiction
Après cette nuit sous les étoiles, une barrière invisible s’effondra entre Marie et Darius. Leur relation prit un tournant nouveau, intime et profondément sincère, bien qu’elle ne puisse s’exprimer pleinement qu’à l’abri des regards.
Darius, fidèle à sa vocation de prêtre, continua à guider les âmes perdues, à offrir réconfort et sagesse à ceux qui frappaient à la porte de son église. Pourtant, derrière son calme imperturbable, il portait en lui un conflit silencieux. Sa foi, autrefois un pilier inébranlable, s’était érodée au fil des siècles, minée par les horreurs qu’il avait vues et vécues. Mais il n’abandonnait pas son rôle. Si sa foi en Dieu avait vacillé, sa foi en l’humanité, elle, persistait. Il portait encore l’habit ecclésiastique, un symbole qu’il jugeait nécessaire pour maintenir son rôle de guide.
Marie comprenait cette tension en lui et respectait son choix. Leur relation, aussi pure et sincère soit-elle, ne pouvait être affichée au grand jour. La nuit, lorsque le silence envahissait le village et que les derniers fidèles s’endormaient, ils se retrouvaient en secret. Ces moments volés étaient empreints d’une intensité presque douloureuse, comme si chaque seconde comptait plus que mille jours.
Dans la pénombre de leurs appartements, leur amour s’exprimait dans des étreintes passionnées, des murmures échangés à voix basse, des regards où se lisaient mille promesses. Ils savaient que ces instants étaient fugitifs, que leur lien ne pouvait s’épanouir librement, mais cela ne faisait qu’amplifier la profondeur de leurs sentiments.
Cependant, cette clandestinité pesait sur eux. Marie, consciente des contraintes que leur relation imposait à Darius, choisissait de ne jamais s’attarder trop longtemps. Ses séjours devinrent plus courts, mais chaque rencontre gagnait en intensité. Lorsqu’ils se retrouvaient, c’était avec une passion renouvelée, comme si le temps et la distance ne faisaient que raviver la flamme.
Depuis des siècles, la vie de Darius s’écrivait en chapitres courts, scandés par des départs successifs. Tous les dix ou quinze ans, parfois moins, parfois plus, il lui fallait quitter l’église où il s’était enraciné, le monastère qu’il avait servi ou la paroisse qu’il avait guidée. Toujours les mêmes raisons : ne pas éveiller les soupçons, ne pas laisser à ceux qui l’entouraient le temps de remarquer que son visage et son corps ne changeaient jamais. Chaque départ était une rupture douce-amère, une habitude douloureuse devenue une seconde nature.
Marie connaissait bien ce rythme. Elle avait choisi, de son plein gré, de l’accompagner dans ces passages incertains, quand il se mettait en route vers un nouveau refuge. Ce n’était pas lui qui l’avait demandée – il ne le faisait jamais – mais elle refusait de l’imaginer seul sur les routes, désarmé, exposé à d’autres immortels.
En ce début du XVIIᵉ siècle, c’était encore une fois le temps du départ. Il avait quitté le Sud-Ouest de la France, où il s’était tenu discret quelques années, pour remonter vers le Nord, vers ces terres flamandes où il songeait à s’installer. La route était longue, faite de chemins boueux, de villages poussiéreux, de haltes dans des presbytères amis ou des abbayes isolées. Mais à mesure qu’ils approchaient du Poitou, Darius gardait en lui une certitude réconfortante : cette étape serait différente.
Il y avait des semaines, il avait écrit à Ramirez. Leur amitié traversait les âges, fondée sur des affinités profondes et une estime mutuelle, que ni la distance ni le temps n’avaient émoussée. Son ami, toujours courtois, lui avait répondu qu’il serait absent lors de son passage, mais qu’il laissait à sa disposition sa maison de campagne. Une demeure noble, sobre mais élégante, entourée de champs et de bois. Les clefs se trouvaient à l’endroit convenu, dissimulées dans la pierre d’un vieux portail. Une hospitalité silencieuse, mais précieuse.
En lisant ces mots, Darius avait ressenti un trouble particulier. L’absence de Ramirez, la certitude que la demeure serait vide, sans domestiques, sans témoins… Tout cela ouvrait une possibilité rare. Il n’en dit rien à Marie, mais il sut aussitôt qu’il voulait transformer cette halte en autre chose qu’un simple repos de voyageurs. Il voulait lui offrir une parenthèse hors du temps, un instant qui ne ressemblerait pas aux auberges impersonnelles ni aux presbytères prêtés par charité. En son for intérieur, il caressait déjà cette idée avec une gravité tendre : lui qui ne voulait renoncer à sa vocation, qui leur imposait le poids du secret et de la retenue, pouvait au moins lui offrir cela. Quelques nuits, rien qu’eux, dans un lieu sûr, confortable, à l’abri des regards et des contraintes. Une normalité qu’ils ne connaissaient jamais, un espace où il pouvait être simplement un homme auprès de la femme qu’il aimait.
Et, tandis qu’il avançait sur la route en silence, il préparait déjà ce qu’il ferait de ce havre vide : le feu qu’il allumerait, l’eau qu’il ferait chauffer, le repas qu’il prendrait soin de dresser, les chambres qu’il mettrait en ordre. Non par calcul, mais comme une offrande. Une manière de lui dire ce qu’il ne pouvait formuler autrement : qu’il tenait à elle plus que tout, et qu’il voulait que cette nuit-là, au moins, ils puissent oublier le monde et n’être que deux êtres enfin réunis.
La bâtisse de Ramirez se dressait à la lisière des bois, à demi dissimulée derrière de hauts chênes dont les branches filtraient la lumière du soir. Vue de l’extérieur, elle avait moins l’aspect austère d’une forteresse que celui d’une demeure noble, sobre et harmonieuse. Les pierres claires de sa façade prenaient une teinte dorée sous les derniers rayons, et les hautes fenêtres à meneaux donnaient l’impression d’un lieu à la fois ancien et accueillant.
Darius poussa le portail de fer forgé et guida sa monture dans la cour pavée. L’air portait encore l’odeur des foins coupés et de la terre humide. Tout semblait paisible, presque irréel après les semaines de route. Marie descendit de cheval en silence, ses yeux parcourant les lignes simples mais élégantes de la demeure. Elle n’était pas habituée à ce genre de confort, et elle sentit une curiosité mêlée d’appréhension à l’idée d’entrer dans ce lieu réservé d’ordinaire à des hôtes de marque.
La grande porte céda après que Darius eut trouvé la clé, dissimulée comme promis dans la pierre creuse du portail. L’intérieur les accueillit avec une odeur mêlée de bois ciré et de pierre fraîche. La grande salle, au rez-de-chaussée, s’ouvrit devant eux : vastes poutres sombres au plafond, grande cheminée de pierre, meubles massifs mais soignés, tapisserie un peu passée représentant une scène de chasse. Le silence y était épais, presque sacré. Marie s’arrêta un instant, laissant courir sa main sur le dossier d’une chaise sculptée. Elle souffla doucement, avec un demi-sourire.
— Cela change des auberges bruyantes… ou des cellules froides des presbytères.
Un sourire imperceptible plissa les traits de Darius, mais il ne répondit pas. Il la guida ensuite vers l’escalier en colimaçon qui menait à l’étage. Là, les chambres s’ouvraient les unes après les autres, chacune sobre mais accueillante. Ils en choisirent une : un vaste lit à baldaquin, tendu de lourdes étoffes, trônait au centre. Un coffre placé près du mur contenait des draps soigneusement pliés. La pièce attenante abritait une petite salle d’eau : une cuve en cuivre, des brocs et des carafes, tout ce qu’il fallait pour un bain.
Marie s’arrêta au seuil du lit et le contempla avec une sorte d’amusement incrédule.
— Voilà qui semble plus confortable que nos couchages de fortune, dit-elle à mi-voix.
Darius, lui, ne semblait pas surpris. Son regard s’attarda un instant sur elle, plus que sur le lit lui-même. Puis, d’un ton posé, il reprit :
— Repose-toi un moment. Tu as assez veillé ces derniers jours. Laisse-moi m’occuper du reste.
Elle tourna vers lui un regard interrogateur.
— Du reste ?
Il resta impassible, ses yeux clairs apaisés d’une sérénité tranquille.
— Oui. La maison a besoin d’un peu d’ordre, et nous aussi. Je préparerai le repas.
Marie hésita, comme si elle voulait protester, puis se contenta de hocher la tête. Elle choisit alors de mettre sa propre énergie ailleurs : dans la petite salle attenante, elle commença à chauffer de l’eau dans la cuve de cuivre, allumant quelques chandelles dont la flamme fit danser des reflets dorés sur les parois de métal.
Pendant ce temps, Darius descendit à la grande salle. Il dégagea la table, l’essuya soigneusement, puis y disposa ce qu’il trouva dans les réserves : du pain, du fromage, un peu de vin et quelques fruits. Avec une minutie tranquille, il alluma un feu dans la cheminée, dont les premières flammes emplirent la pièce d’une chaleur douce et réconfortante.
À l’étage, l’eau commençait à frémir dans la cuve de cuivre, envoyant de minces volutes de vapeur qui s’accrochaient aux murs de pierre. Marie s’agenouilla près de la cuve et plongea la main dans l’eau, ajustant la température avec un broc plus froid. Elle releva ensuite ses cheveux, les fixant d’un geste rapide, puis glissa un linge plié sur le rebord pour s’y appuyer lorsqu’elle prendrait enfin son bain. Elle goûtait déjà au réconfort d’un moment de propreté et de chaleur, luxe rare dans leurs voyages.
Non loin de là, Darius évoluait maintenant dans la chambre attenante. Ses gestes étaient lents, mesurés, comme s’il composait une liturgie silencieuse. Il alluma une à une les chandelles qu’il avait trouvées dans une cassette de bois, les disposant avec soin sur les rebords des meubles, sur la cheminée, au chevet du lit. Chaque flamme venait adoucir l’austérité des lourdes tentures, transformant la pièce en un écrin doré. Puis il souleva le couvercle du coffre pour en tirer les draps soigneusement pliés, dont il étendit la toile fraîche sur le lit à baldaquin, veillant à chaque pli comme à un rite discret.
Dans la salle d’eau, Marie défit son corsage et laissa tomber ses vêtements avec une lenteur inconsciente, savourant le soulagement de se libérer enfin des étoffes de voyage. Sa peau accueillit avec gratitude la chaleur humide qui montait de la cuve, et lorsqu’elle s’y immergea, l’eau lui arracha un soupir d’aise. Elle ferma un instant les yeux, abandonnant ses muscles fatigués, ses pensées se brouillant dans la brume parfumée de cire.
Darius, lui, poursuivait sa préparation en silence. Il disposa près du lit un linge doux, qu’il avait retrouvé plié dans un coffre voisin, destiné à la couvrir à sa sortie du bain. Puis, son regard s’attarda un instant sur la chambre désormais transformée : les flammes mêlées à la pénombre, le lit prêt. Un calme profond se déposa sur lui. Tout était en place.
À cet instant, Marie, ignorante de ce qui se tramait à quelques pas, laissait glisser ses doigts dans l’eau tiède et se perdait dans la banalité douce d’un bain bienvenu. Darius, lui, préparait en silence bien plus qu’une halte : il mettait en scène un moment qu’il voulait unique, hors du temps.
L'immortelle s’était presque assoupie dans la chaleur du bain. La vapeur enveloppait ses épaules nues d’un voile de brume, et ses cheveux relevés à la hâte laissaient s’échapper des mèches châtaines qui collaient à sa peau ou flottaient dans l’eau tiède. Sa respiration s’était faite lente, presque paisible, comme si les fatigues du voyage se dissolvaient peu à peu dans la cuve de cuivre.
C’est alors qu’une présence se glissa dans l’encadrement de la porte. Darius. Entièrement nu, sans voile, sans pudeur, comme si c’était la chose la plus naturelle au monde.
Il s’immobilisa, observant la scène, et laissa son regard s’attarder sur elle. Ce qu’il voyait, ce n’était pas seulement une femme dans un bain, mais une vision suspendue dans le temps. La vapeur dorée par les chandelles enveloppait son corps comme un écrin fragile, révélant la courbe de ses épaules, la naissance de ses seins effleurant la surface de l’eau, la douceur de sa peau luisante. Ses mèches humides collaient à sa nuque et dessinaient des lignes délicates sur sa clavicule. Elle paraissait à la fois forte et vulnérable. Dans ses yeux à lui, elle n’était plus seulement la compagne qui soignait les blessés, ni l’alliée qui veillait sur lui sur les routes, mais la femme qu'il aimait, intacte dans sa beauté simple, chaque détail réanimant un désir qu’il contenait depuis trop longtemps. Son cœur battit plus vite, non d’impatience mais d’une tendresse profonde. Il serra dans une main le linge de toile qu’il avait préparé pour elle, puis fit un pas dans sa direction. Le plancher grinça légèrement, et Marie, tirée de sa torpeur, tourna la tête. Leurs regards se croisèrent. Elle resta figée.
Elle l’avait déjà vu entièrement nu, autrefois, lorsqu’il était encore chef de guerre, drapé dans l’arrogance de la jeunesse et du sang ; plus récemment aussi, lors de leurs étreintes secrètes, volées dans la hâte ou le silence. Mais jamais ainsi. Jamais comme une offrande. Ce soir, il n’était ni prêtre, ni mentor, ni conquérant : il se tenait devant elle dépouillé de tout rôle, de tout masque. Fort dans sa stature d’homme, et pourtant fragile dans ce don de lui-même.
Ébahie, Marie le contemplait comme si elle le découvrait pour la première fois. Dans ses yeux, aucune hâte, aucun trouble apparent, seulement une tendresse silencieuse, grave, qui contrastait avec la force tranquille de son corps. La lumière des chandelles se jouait de ses traits, soulignant la carrure encore sculptée par des siècles de batailles, ses muscles longs et souples, les lignes de ses cicatrices qui marquaient son torse et ses flancs comme autant de souvenirs gravés dans la chair. Son corps n’était pas celui d’un ascète, mais celui d’un guerrier pacifié, d’un homme qui avait renoncé à la violence mais en portait encore l’empreinte. Chaque cicatrice, chaque relief de muscle, chaque ligne de sa silhouette lui apparaissait sous un jour nouveau. Elle voyait l’homme qu’elle aimait, humble, vrai, entier. Et ce contraste la troubla profondément : elle sentit son cœur battre plus vite, son souffle se suspendre, comme si elle était une jeune femme à sa première rencontre, non une immortelle qui l’avait connu des siècles durant.
Elle cligna des yeux, reprenant difficilement contenance, et sa voix s’échappa dans un murmure presque naïf :
— Je… je pensais que tu préparais le repas.
Un sourire discret vint adoucir les lèvres de Darius. Il s’avança lentement, sans brusquerie, et posa le linge au bord de la cuve, à portée de ses mains. Puis il se pencha, et ses lèvres effleurèrent la peau humide de son cou. Sa voix, grave et basse, vibra contre elle :
— C’est à toi que j’ai envie de goûter.
Marie ferma les yeux. Une chaleur soudaine se diffusa dans son ventre, plus brûlante que l’eau du bain. Elle inclina légèrement la tête, laissant le souffle de Darius glisser contre sa nuque. Tout en elle hésitait entre stupeur et abandon, mais son corps, déjà, répondait à ce geste simple et irrévocable.
— Toute ma vie, je t’ai offert des détours… des silences, des retenues, reprit-il. Mais ce soir, je n’ai plus envie de détourner les yeux. Je n’ai envie que de toi. Pas comme une consolation, ni comme une faute… mais comme la seule vérité qui compte.
Cette fois, ses doigts glissèrent avec assurance le long de son cou, descendirent sur sa clavicule puis s’aventurèrent dans l’eau tiède, caressant la rondeur de son épaule avant de suivre la courbe de son bras. Marie frémit sous ce contact affirmé, troublée par la force contenue dans ses gestes. Le contraste entre la douceur des gestes et la virilité nue de son corps l’électrisait ; elle sentait son propre souffle s’accélérer, son ventre s’embraser au contact de ses mots autant qu’à celui de ses mains. Il se redressa légèrement, et sa bouche remonta jusqu’à son oreille. Sa voix rauque, presque brisée par l’intensité de son désir, se glissa contre sa peau :
— Je veux t’entendre crier mon nom, Marie. Que le monde entier sache que je t’aime, que je te veux. Plus de silence, plus de secret… ce soir, je veux te posséder comme je n’ai jamais osé.
Sa main, désormais plus audacieuse, s’attarda sur sa hanche, puis descendit avec lenteur le long de sa cuisse, caressant sa peau sous l’eau avant de revenir saisir fermement sa taille, l’attirant vers lui. Ses lèvres mordillèrent alors la courbe tendre de son épaule, laissant une empreinte brève mais brûlante.
— Ton corps me hante depuis des siècles… souffla-t-il contre elle. J’ai prié pour t’oublier, j’ai lutté pour me retenir… et ce soir je ne veux plus rien retenir. Je veux te goûter partout, t’arracher chaque soupir, te prendre jusqu’à ce que tu trembles, jusqu’à ce que tu n’aies plus de souffle.
Ses mots, crus dans leur simplicité, vibraient d’une sincérité désarmante. Marie frissonna de la tête aux pieds. L’homme qui la tenait n’était plus l’ombre de l’ancien chef de guerre, ni le prêtre au regard sage : c’était son amant, entier, ardent, abandonné.
Darius l’aida à se lever hors de la cuve ; l’eau ruissela le long de ses jambes, gouttes brillantes à la lumière des chandelles. Il la couvrit aussitôt du linge, mais ses mains glissèrent sous l’étoffe, pressant sa taille, caressant sa peau encore tiède. Il la contempla un instant, et son regard brûlait d’une promesse qu’aucune prière n’aurait pu contenir.
— Ce soir, tu n’es pas mon interdiction… tu es ma vérité. Et je vais te la dire avec mes lèvres, mes mains, tout mon corps.
Marie ferma les yeux une seconde, comme pour se protéger de la fulgurance de ce qu’elle lisait dans ses pupilles. Mais quand il la guida doucement vers la chambre, elle se laissa porter, le cœur battant comme à sa première nuit.
Lorsqu’ils franchirent le seuil, elle s’arrêta un instant, ébahie. La pièce baignait dans une clarté chaude : des dizaines de bougies posées sur les coffres, la cheminée et les rebords de fenêtres diffusaient une lumière presque irréelle. Le lit, préparé avec soin, était recouvert de draps tirés du coffre, d’une propreté rare, et les lourdes tentures fermaient l’espace sur une intimité parfaite. Elle se tourna vers Darius, bouleversée. Lui qui vivait toujours dans le dépouillement, qui se contentait de chambres d’auberges ou de cellules monacales, avait façonné ici un écrin pour elle.
Il l’allongea doucement sur le lit, puis prit une fiole d’huile aromatisée qu’il avait posée à portée. Sa voix vibra, basse, contre elle :
— Laisse-moi prendre soin de toi. Rien d’autre n’existe, ce soir.
Il commença par ses chevilles, ses mains chaudes enduites d’huile glissant avec lenteur sur sa peau. Ses pouces traçaient des cercles fermes, ses doigts pressaient juste assez pour arracher à Marie un soupir. Il remonta ainsi le long de ses mollets, ses lèvres se penchant parfois pour déposer un baiser brûlant sur la courbe tendre de sa jambe. Du point de vue de l'immortelle, chaque geste avait quelque chose de nouveau : il ne se contentait pas d’effleurer ou de retenir ses élans, il assumait son désir. Ses mains étaient à la fois celles d’un guerrier, puissantes et fermes, et celles d’un prêtre, attentives et patientes. Elle sentait la dualité se fondre en lui, et cette union la bouleversait.
Arrivé à ses cuisses, il s’attarda. Ses mains les massaient avec une intensité presque possessive, ses doigts caressant la chair sensible de l’intérieur. Ses lèvres suivirent, effleurant sa peau, y laissant une traînée de baisers, parfois un mordillement. Entre deux, il murmurait, sa voix grave emplie d’un désir cru et assumé :
— J’ai rêvé de ton corps des centaines de nuits… de t’entendre soupirer, gémir… Je veux t’arracher chaque son, Marie, jusqu’à ce que tu n’aies plus la force de prononcer autre chose que mon nom.
Elle frémit, ses mains se crispant dans les draps, son souffle court. Puis les lèvres de Darius atteignirent enfin l’endroit le plus intime d’elle. Il s’y attarda sans hâte, le regard levé parfois vers elle, comme pour s’assurer qu’elle lui offrait tout son abandon. Ses caresses se firent plus précises, plus intenses, alternant douceur et fermeté, jusqu’à ce qu’il sente son corps se cambrer, sa voix s’échapper en un cri qu’elle ne chercha pas à retenir. Elle jouit violemment, surprise elle-même par la puissance de la vague qui la traversa. Elle le regarda, bouleversée. Mais Darius ne s’arrêta pas. Il remonta lentement sur elle, embrassant son ventre, son sternum, ses seins, chaque parcelle de sa peau comme un territoire à vénérer. Ses mains huilées continuaient leurs caresses, glissant le long de ses fesses, de ses flancs, de ses hanches, rallumant en elle, peu à peu, une chaleur sourde. Ses lèvres suivaient le même chemin, redessinant son corps avec patience, jusqu’à faire renaître le désir dans ses tremblements et ses soupirs. Quand son corps lourd se pressa au-dessus du sien, elle sentit sa virilité dure contre son ventre. Il ne se hâta pas. Ses reins ondulaient légèrement, juste assez pour la frôler, la caresser, entre deux baisers et murmures déposés sur sa bouche, son cou, son oreille.
Dans le regard de Darius brûlait une intensité qui la fit frissonner. Il la contemplait comme on contemple une offrande, mêlant une tendresse infinie à un désir âpre et assumé. Ses yeux disaient ce que ses lèvres ne pouvaient pas toujours prononcer : tu es mienne, ce soir, et je suis tien. En elle, il voyait tout ce qu’il avait désiré, tout ce qu’il avait refusé si longtemps, et le fait d’avoir enfin cédé lui donnait une ivresse presque violente.
Marie se tordait sous lui, impatiente, les reins cherchant déjà à l’attirer plus près, jusqu’à ce qu’elle laisse échapper, presque suppliante :
— Darius… prends-moi… je t’en supplie.
Alors seulement il la regarda dans les yeux, cherchant la confirmation dans ses prunelles dilatées. Et quand elle hocha imperceptiblement la tête, il s’enfonça en elle, lentement, profondément, sans la quitter du regard. Elle poussa un gémissement rauque, mélange de douleur douce et de plaisir.
Leurs corps se lièrent dans un rythme d’abord mesuré, chaque coup de rein accompagné d’un baiser, d’un murmure, puis plus vif, plus pressant. Ses mains à lui serraient ses hanches, ses cuisses, ses épaules, comme pour graver en lui ce moment unique. Elle l’accueillait avec une intensité nouvelle, sentant qu’il n’avait plus peur de se donner, ni de la posséder. Et quand enfin l’orgasme les prit ensemble, ce fut comme une déflagration partagée. Marie cria son nom, exactement comme il l’avait voulu, et Darius, brisé par la vague de plaisir, la serra contre lui avec une force presque sauvage, comme s’il ne voulait plus jamais la lâcher.
Le silence qui suivit leur union était habité, vibrant encore de leurs souffles haletants, des battements désordonnés de leurs cœurs. Le feu crépitait doucement dans l’âtre, projetant sur les murs les ombres de leurs corps encore enlacés. Marie, étendue contre lui, sentait la chaleur de sa peau et le poids rassurant de son bras autour de ses épaules. Elle avait l’impression de flotter, comme suspendue dans un espace hors du temps, où ni leur immortalité ni les interdits n’avaient de prise. Darius la contempla longuement, ses doigts glissant paresseusement le long de son bras, de ses hanches, comme s’il voulait graver une fois encore la réalité de ce corps qu’il aimait. Puis il se redressa lentement, la couvant d’un regard où brillait encore le désir, mais teinté désormais d’une douceur grave. Sans un mot, il quitta un instant le lit. Marie le suivit des yeux, surprise, et le vit fouiller dans un petit sac de cuir qu’il avait posé plus tôt sur un coffre.
Quand il revint, il tenait dans ses mains une étoffe repliée avec soin. Il s’assit près d’elle et la déplia doucement, révélant une chemise de nuit en soie d’une finesse rare, presque transparente, qui miroitait sous la lumière des bougies comme une eau immobile. Marie écarquilla les yeux, incapable de cacher son étonnement. Elle savait la valeur d’un tel vêtement : un luxe réservé aux grandes dames, et d’une intimité telle qu’il n’avait de sens que s’il était offert par un amant.
Darius ne dit rien d’abord, se contentant de poser l’étoffe sur ses épaules nues. Ses doigts remontèrent ensuite le long du tissu, effleurant sa peau avec une infinie délicatesse. Ce geste n’avait rien de possessif : c’était une caresse prolongée, une promesse silencieuse. La soie se plaqua contre ses formes, révélant plus qu’elle ne cachait, mais sous son regard ce n’était pas une provocation, c’était une adoration.
Enfin, sa voix basse rompit le silence, chargée d’émotion contenue :
— Je voulais que tu aies quelque chose qui vienne de moi… un signe que je t’ai pensée, désirée, choisie. Tu es belle, toujours. Mais te couvrir de ce vêtement, c’est comme te dire avec mes mains ce que je n’ai pas toujours su dire avec mes mots.
Marie baissa les yeux vers l’étoffe, émue. Elle avait connu tant d’hommes qui l’avaient déshabillée dans la hâte ou le désir, mais jamais un qui ait songé à la couvrir ainsi, après l’amour, comme pour magnifier ce qu’il venait de recevoir d’elle. Elle leva la main, caressa le tissu puis ses doigts à lui, et murmura presque malgré elle :
— Tu m’offres un écrin, alors que c’est moi qui voudrais être le tien.
Darius sourit doucement, et posa ses lèvres sur son front. Le geste était tendre, presque solennel, à mille lieues de la fougue qui les avait emportés un instant plus tôt. Pourtant, Marie comprit que cette chemise de soie, plus encore que son corps nu offert dans la lumière des chandelles, était sa véritable déclaration : l’aveu d’un homme qui, pour une nuit, avait choisi de rompre ses vœux, et qui, au lieu de cacher ce geste, avait voulu le célébrer.
Elle se rallongea contre lui, la soie fraîche effleurant sa peau encore sensible. Elle avait l’impression que chaque fibre de l’étoffe retenait la chaleur de ses mains, comme si Darius l’enveloppait deux fois : de son corps et de son choix. Elle effleura du bout des doigts la trame légère qui dessinait ses formes, puis leva les yeux vers lui. Dans la pénombre, ses traits se fondaient dans l’ombre, mais ses yeux, eux, brillaient d’une intensité douce qui la troubla presque autant que sa fougue de tout à l’heure.
Il resta silencieux un long moment, simplement à la regarder, comme si ce silence suffisait à dire ce qu’il portait en lui. Puis, d’une voix basse, il confia :
— Si je pouvais, je voudrais t’offrir un monde entier où nous n’aurions pas à nous cacher. Mais ce monde n’existe pas… alors ce soir, je voulais au moins t’offrir une nuit où rien ne pèse. Où tu n’as pas besoin d’être forte, ni de lutter. Seulement être toi.
Marie sentit sa gorge se serrer. Elle serra doucement sa main entre les siennes, et répondit d’un souffle :
— Et toi ? Quand t’accordes-tu le droit d’être toi, sans masque, sans croix à porter ?
Un mince sourire se dessina sur ses lèvres. Il caressa une mèche de ses cheveux, la fit glisser derrière son oreille, et dit simplement :
— Quand je suis nu devant toi… comme ce soir.
Elle ne sut quoi répondre. Son souffle s’était suspendu, et un trouble étrange lui serrait la poitrine, comme si ses émotions cherchaient à jaillir sans qu’elle puisse les nommer. Darius, fidèle à lui-même, détourna la gravité de ce moment pour la ramener vers la tendresse. Il l’attira doucement contre lui, l’enveloppant de son bras, et déposa sur son front un baiser long et apaisé.
Dans ce silence nouveau, Marie sentit qu’il n’y avait rien à ajouter. Elle s’abandonna à son souffle régulier, au battement calme de son cœur contre sa joue. Pour la première fois depuis longtemps, elle se sentit non pas immortelle, mais simplement vivante, aimée, désirée, choisie. Et tandis que les flammes s’apaisaient dans l’âtre, les bougies achevaient lentement de se consumer, le monde extérieur s’effaçait entièrement. Il ne restait que deux êtres, après des siècles de retenue, enfin réunis, dans la lumière fragile d’une nuit qu’ils savaient unique.
Un long moment s’écoula, bercé par ce silence apaisé. Puis Marie finit par briser l’immobilité. Elle se pencha légèrement vers lui, et d’une voix presque timide, comme si elle craignait de gâcher la perfection de l’instant, elle chuchota :
— J’ai faim…
Un sourire malin effleura les lèvres de Darius.
— Encore ? Je croyais pourtant t’avoir rassasiée, glissa-t-il, avec ce double sens qui lui arracha un rire discret.
Elle se leva et se dirigea vers la porte, vêtue seulement de la fine soie qu’il lui avait offerte plus tôt. Ses pieds nus effleuraient les lattes du parquet, et Darius, resté allongé contre les oreillers, la suivit des yeux, fasciné par la grâce tranquille de ses gestes.
— Tu comptes aller manger dans cette tenue ? lança-t-il, faussement réprobateur, avant d’ajouter d’un ton plus bas, où perçait l’amusement : C’est risqué. Je pourrais bien avoir encore envie de te faire l’amour entre deux bouchées de pain.
— J’espère bien, répondit-elle d’un air espiègle.
Darius se redressa lentement et, par réflexe plus que par pudeur, attrapa ses vêtements de prêtre laissés sur une chaise. Mais Marie revint vers lui d’un pas décidé, lui retira les habits des mains et les reposa soigneusement sur la chaise.
— Non. Pas ce soir. Tu ne les remettras pas avant que nous ne reprenions la route, dit-elle d’un ton ferme, presque impératif, mais avec un sourire qui en adoucissait l’autorité.
Darius la regarda un instant, surpris, puis ses traits s’adoucirent. Un léger sourire étira ses lèvres tandis qu’il inclinait la tête, acceptant sans discuter.
— Alors ce soir… ce sera comme tu veux, souffla-t-il simplement.
Il resta nu, docile à sa fantaisie, et la suivit du regard tandis qu’elle quittait la chambre. La soie épousait ses mouvements, laissant deviner sous la transparence des éclats de peau que les jeux d’ombre et de lumière sculptaient comme une apparition. Il la suivit, ralentissant volontairement sa marche, savourant cette vision fragile et magnifique, conscient que ce moment n’appartenait qu’à eux.
Marie s’assit directement sur la table, ses jambes se balançant légèrement dans le vide. Elle attrapa un morceau de pain et le grignota avec un petit sourire gourmand, tandis que Darius, resté debout, servait deux verres de vin. Il s’approcha et lui tendit l’un des verres. Mais au moment où elle l’attrapait, elle referma ses jambes autour de lui, l’attirant tout contre elle. Leurs regards se croisèrent, mêlant la douceur à une malice nouvelle.
Il feignit de vouloir se dérober, un sourire espiègle au coin des lèvres.
— Si je ne peux même plus servir un verre sans risquer d’être fait prisonnier…
Elle resserra son étreinte, ses yeux brillant d’un éclat malicieux.
— Tu ne partiras pas d’ici, dit-elle à mi-voix, tant que tu ne m’auras pas fait jouir à nouveau.
Le sourire qui naquit sur le visage de Darius avait quelque chose d’à la fois amusé et troublé.
— Voilà donc ma condition pour accéder au repas ? Très bien… je ne suis pas contre un amuse-bouche avant le plat principal, répondit-il en la frôlant de ses mains, faussement sérieux. Et as-tu une préférence… sur la manière ?
Marie se pencha légèrement, ses lèvres tout près de son oreille.
— Surprends-moi.
Il se redressa, le regard brillant d’un éclat singulier.
— Dans certaines contrées, dit-il doucement, on prétend qu’une femme peut être menée jusqu’au ravissement par les seules mains d’un homme… si elles savent écouter son corps. Pas seulement pour caresser, mais pour éveiller, presser, retenir et libérer tour à tour.
Le sous-entendu la fit sourire, et elle le fixa un instant, à la fois intriguée et amusée par cette confidence.
— Montre-moi, souffla-t-elle.
Alors Darius s’exécuta, laissant le jeu s’installer. Le vin resta oublié, le pain abandonné : ce fut un autre festin qu’il lui offrit, plus ancien que tous les banquets et pourtant toujours nouveau. Le temps se brouilla dans la chaleur de leurs corps, et lorsque enfin ils se retrouvèrent l’un contre l’autre, haletants et riants, Darius s’assit sur la table. Marie se plaça à califourchon sur lui, ses bras glissèrent autour de son cou, elle posa son front contre le sien, et dans un souffle lui demanda :
— Tu sais de quoi j’aurais envie ?
Darius pencha la tête, feignant une ignorance amusée. Il émit un léger « hm ? » interrogatif, puis secoua la tête avec lenteur. Marie sourit, mais son regard devint plus sérieux, presque timide.
— J’aimerais… une journée normale, dit-elle enfin. Pas avec le prêtre. Avec l’homme.
Il haussa un sourcil, intrigué, et elle poursuivit, sa voix se faisant plus assurée :
— Aller en ville avec toi. Flâner dans une foire, goûter aux fruits et aux épices qu’on vend sur les étals. Écouter les musiciens ambulants sur les places, regarder les jongleurs et les acrobates. M’asseoir à une taverne pour partager un repas sans avoir à nous cacher, sans avoir peur des regards. Marcher dans un jardin, sentir l’herbe humide sous nos pas, te prendre le bras comme une femme le fait avec son compagnon… Juste ça. Une journée où je n’ai pas l’impression de vivre une vie d’ombre.
Elle baissa un instant les yeux, consciente de la fragilité de son aveu.
— Ce soir, tu m’offres quelque chose qui ressemble à une normalité… et je me rends compte à quel point cela me manque. Je sais que notre lien ne peut exister qu’à l’abri des regards, et je l’accepte. Mais ici, loin des visages qui nous connaissent… nous pourrions le faire, ne serait-ce qu’une fois.
Darius l’écouta en silence, ses doigts jouant doucement avec une mèche de ses cheveux. Un sourire tendre se dessina sur son visage.
— Je ne suis pas contre l’idée, dit-il enfin. Mais… tu te rappelles que tu m’as interdit de remettre mon habit de prêtre avant que nous ne reprenions la route. Il me faudrait donc aller nu dans cette foire… Je ne suis pas certain que cela passe inaperçu.
Elle éclata de rire, et, avec une lueur espiègle dans les yeux, elle répliqua :
— Alors il faudra bien trouver une solution… Peut-être que ton ami Ramirez a quelques affaires en trop dans ses armoires.
Leurs sourires complices ne s’effacèrent pas tandis qu’ils se mirent à fouiller les lourdes armoires de bois sombre qui bordaient la pièce. Ramirez avait laissé derrière lui un véritable capharnaüm de tissus et de parures, souvenirs de voyages lointains et de modes déjà passées.
Marie tira d’abord une tunique d’un rouge éclatant, brodée d’or et manifestement taillée pour un dignitaire ottoman.
— Tu pourrais faire fureur avec ça, lança-t-elle, les yeux pétillants.
Darius enfila la pièce par-dessus ses épaules nues, et dans le grand miroir, il se redressa comme un prince oriental, prenant une expression grave et solennelle. Marie éclata de rire, incapable de garder son sérieux.
Puis vinrent une veste espagnole richement brodée, trop ajustée pour lui, qui le faisait paraître raide comme un paon ; un manteau vénitien couvert de motifs extravagants, dans lequel il ressemblait davantage à un comédien qu’à un homme de foi ; et même un chapeau à plume si démesuré que Marie dut se cacher le visage pour ne pas hurler de rire.
— Non, non, celui-là est parfait, se moqua-t-elle, en lui tournant autour comme pour l’admirer. Avec ça, tu n’auras même pas besoin de prêcher : tout le monde t’écoutera par curiosité.
Darius, lui, jouait le jeu, changeant de voix, d’attitude, imitant un courtisan italien, un marchand espagnol, un noble trop fier de sa fortune. Le grand miroir renvoyait leurs éclats de rire, leurs regards complices, et un instant, ils oublièrent la gravité qui pesait toujours sur leurs vies.
Enfin, au milieu de toutes ces excentricités, Darius finit par sortir une tenue bien plus sobre : une chemise de lin écru, légèrement ouverte sur le col, un pantalon de toile sombre, et une veste simple en laine brune, suffisamment ample pour ne pas paraître raide. À côté, un bonnet de feutre sombre, tel qu’en portaient les hommes du peuple pour se protéger du froid.
Il s’habilla ainsi et se tourna vers Marie, qui s’était assise sur le rebord du lit, les jambes croisées, observant chaque transformation avec une attention amusée.
— Voilà qui me semble plus sûr, dit-il avec un sourire. Ni trop bourgeois, ni trop voyant. Simplement… un homme parmi d’autres.
Elle s’approcha, remit en place le col de sa chemise, et le contempla dans le miroir. L’image qui s’y reflétait lui arracha un sourire doux : Darius n’était plus le prêtre, ni le guerrier qu’il avait été jadis, mais simplement un homme, son homme.
— Tu es parfait ainsi, murmura-t-elle.
Un silence complice passa entre eux, avant qu’elle n’ajoute avec une lueur malicieuse :
— Tu crois que Ramirez se doute de ce qu’on est en train de faire, dans ses armoires ?
Darius rit doucement, secouant la tête.
— Je lui écrirai pour le remercier de son hospitalité. Mais je suis certain qu’il aurait adoré être présent… rien que pour me voir enfiler ces accoutrements.
Le rire de l’immortelle emplit la pièce, léger et clair. Pour la première fois depuis longtemps, ils avaient partagé un moment qui n’appartenait qu’à eux, fait de rires, de jeux et d’une normalité fragile mais précieuse.
Le lendemain matin, l’air avait la fraîcheur d’un jour clair d’automne. Les chevaux frappaient le sol humide d’un trot régulier, soulevant par instants de petites gerbes de brume. Le trajet jusqu’à Chauvigny leur prit deux heures paisibles, au rythme tranquille de la campagne qui s’éveillait. Marie jetait parfois des regards discrets vers Darius : il montait droit, la silhouette solide, mais son visage paraissait plus détendu que de coutume. Comme s’il avait laissé, pour un temps, ses fardeaux derrière lui.
Lorsqu’ils franchirent les premières maisons de la petite cité, le bruit de la vie urbaine les enveloppa aussitôt : cris des marchands, claquements de sabots, rires d’enfants, odeurs mêlées de pain chaud, de fumée et d’animaux. Chauvigny, accrochée à ses coteaux, respirait cette vitalité populaire que les deux immortels connaissaient peu dans leur vie d’ombres.
Dès qu’ils mirent pied à terre, Darius s’approcha d’elle. Son geste fut d’abord discret : une main posée au creux de son dos pour la guider à travers la foule. Marie se raidit un instant, par réflexe — jamais ils n’avaient osé de tels contacts en public. Mais le regard de Darius, tranquille, lui donna la réponse qu’elle n’osait demander : ici, personne ne les connaissait. Ici, ils pouvaient être simplement un homme et une femme. Un peu hésitante, elle se laissa faire. La pression de sa main dans son dos n’était pas pesante, seulement rassurante. Et bientôt, il glissa son bras sous le sien, comme le faisaient les couples mariés ou fiancés. Elle sentit sa gorge se serrer d’émotion. Geste simple, banal pour d’autres, mais pour eux d’une audace presque vertigineuse.
Ils se laissèrent porter par la foule, au milieu des étals colorés. Fromages alignés sur des planches, pommes et poires encore couvertes de rosée, tissus rugueux ou délicatement brodés, poteries vernissées… Darius choisit du pain noir, quelques fruits secs, un quartier de fromage. Marie, amusée, marchanda pour un bouquet d’herbes aromatiques, prétextant que cela donnerait meilleur goût à leurs repas de route. Le marchand plaisanta, disant qu’une femme qui savait marchander ainsi ferait le bonheur de son mari. Marie sentit ses joues rosir, mais Darius, impassible, serra doucement son bras contre le sien, comme pour dire : laisse-le croire ce qu’il veut.
Peu à peu, la timidité s’effaça. Elle osait enfin s’appuyer légèrement contre lui, sans crainte. À chaque regard échangé, il y avait dans les yeux de Darius une patience rassurante, une tendresse muette qui la désarmait.
Plus loin, une troupe de musiciens ambulants occupait un angle de la place. Vièle, flûtes et tambourins donnaient à la foule un air de fête. Darius s’arrêta, et Marie, surprise, le vit presque sourire. Ils écoutèrent un moment, portés par la gaieté du rythme. Quand un couple de jeunes gens se mit à danser, elle baissa les yeux, un peu gênée par l’idée que Darius puisse l’inviter. Mais il ne fit rien, se contentant de lui prendre la main un instant, la pressant doucement. Ce simple geste la fit frissonner davantage que n’importe quelle danse.
À l’heure du repas, ils s’attablèrent dans une taverne modeste. On leur servit un ragoût fumant, accompagné d’un pichet de vin. Assis l’un en face de l’autre, ils ressemblaient à n’importe quel couple du peuple venu partager un repas de marché. Marie avait l’impression de vivre un rêve fragile, et chaque instant lui paraissait précieux. L’après-midi s’écoula entre flânerie et découvertes : ils goûtèrent des fruits confits vendus à la criée, regardèrent des enfants jongler maladroitement avec des pommes, s’arrêtèrent devant un artisan qui polissait des lames de couteaux. L’immortelle, au fil des heures, cessa de se raidir au moindre contact. Elle finit même par glisser d’elle-même son bras sous celui de Darius, comme une femme qui marche au bras de son compagnon.
Quand le soleil commença à décliner, ils reprirent la route, les sacoches remplies de provisions, mais surtout le cœur plus léger qu’ils ne l’avaient espéré.
Le retour se fit dans le silence tranquille du crépuscule. Leurs chevaux trottaient d’un pas régulier sur les chemins encore tièdes du soleil couchant, tandis qu’autour d’eux les champs s’assoupissaient dans la lumière dorée. Marie respirait l’air frais, songeuse, les sacoches pleines à ses côtés, et Darius, chevauchant un peu en avant, se retournait parfois vers elle, son profil se découpant sur l’horizon assombri. Il n’y avait pas besoin de mots : le simple fait de partager ce retour, côte à côte, suffisait à emplir leur cœur d’une sérénité rare.
Quand ils retrouvèrent la bâtisse de Ramirez, la grande salle résonna à nouveau de leurs pas et du crépitement du feu qu’ils rallumèrent ensemble. Marie vida les sacoches sur la lourde table, riant doucement de la variété de leurs achats. Darius, déjà occupé à découper le pain et le fromage, lui lança un regard malicieux.
— Avoue-le, tu as pris ces herbes uniquement pour avoir prétexte à marchander.
— Je plaide coupable, répondit-elle avec un sourire. Mais elles donneront un goût meilleur à ton ragoût, tu verras.
Ils préparèrent le repas côte à côte, leurs gestes se mêlant comme une danse tranquille. Darius alluma le feu sous une marmite de cuivre, Marie y ajouta légumes et morceaux de viande. À plusieurs reprises, leurs mains se frôlèrent, l’un passant un couteau, l’autre une cuillère de bois. Chaque contact arrachait un sourire discret, une complicité muette qui n’avait pas besoin d’être nommée. Quand enfin le repas fut prêt, ils s’assirent côte à côte, partageant le vin acheté le matin même. La chaleur du foyer emplissait la salle, et le simple fait de manger ensemble, sans hâte, sans contrainte, leur parut être le plus grand des luxes.
Plus tard, dans la chambre qu’ils avaient faite leur refuge, Marie s’allongea contre Darius. Elle caressa distraitement son torse du bout des doigts, suivant les lignes de ses muscles, de ses cicatrices anciennes. Le silence s’étira un moment, doux et apaisant. Puis, d’une voix presque timide, elle souffla :
— Merci… pour aujourd’hui.
Darius ne répondit pas. Il glissa simplement un bras autour d’elle, l’attira contre lui et la laissa fermer les yeux, le souffle paisible, bercée par sa chaleur. Il resta éveillé encore un instant, à l’admirer dans le halo des chandelles, avant de s’abandonner au sommeil à son tour.
Les jours qui suivirent eurent la saveur d’une parenthèse. Ils vécurent comme un couple ordinaire : cuisinant ensemble, partageant le lit chaque nuit, écoutant le vent dans les poutres, riant de petits riens. Ils s’aimaient sans hâte, quand l’envie les prenait, avec cette liberté nouvelle de ne plus se cacher. Leur passion n’avait plus la fièvre de l’urgence, mais la chaleur profonde d’un désir assumé, offert comme une évidence. Marie goûtait à une normalité qu’elle n’avait jamais imaginé possible, et Darius, lui, se laissait apprivoiser à ces instants simples, loin de son rôle de prêtre et de ses devoirs.
Mais toute parenthèse finit par se refermer. Un matin, ils changèrent les draps, nettoyèrent la salle, rangèrent les provisions. Peu à peu, la bâtisse retrouva son calme figé, comme si leur passage n’avait été qu’un souffle discret.
Devant le coffre, Darius reprit son habit de prêtre. Le tissu sombre retomba sur ses épaules, ramenant sur lui le poids silencieux de son rôle. Marie l’observa en silence. Son regard portait une pointe de nostalgie, mais aussi une tendresse profonde, une fierté tranquille. Quand il se tourna vers elle, comme s’il craignait qu’elle le voie différemment, il n’eut pas besoin de parler. Le doute était déjà dans ses yeux.
Elle s’approcha, posa une main douce contre sa joue.
— Ne crois pas que tu doives t’excuser, dit-elle simplement. C’est ainsi que je t’aime. Homme de paix. Prêtre, guerrier, amant… tu es tout cela à la fois. Et je n’ai jamais voulu que tu changes.
Il resta immobile, les lèvres entrouvertes comme s’il cherchait ses mots. Mais elle poursuivit, son sourire mêlant douceur et gravité :
— Merci pour ces jours, Darius. Pour cette part de toi que tu m’as offerte. Elle est précieuse… mais ce que j’aime, c’est l’ensemble. L’homme que tu es, entier. Celui que je connais, celui que tu caches, celui que tu luttes à être. Tout cela est toi, et c’est toi que je choisis.
Darius ferma les yeux un instant, comme pour sceller ces paroles en lui. Puis il l’attira contre son torse et la serra dans une étreinte silencieuse, lourde de promesse et de paix retrouvée.