Tsuigeki-hen - Chapitre de la chasse

Chapitre 1 : Tsuigeki-hen - Chapitre de la chasse

Catégorie: T

Dernière mise à jour 08/11/2016 16:31

Un silence de mort régnait dans la pièce.

Pas un bruit ne s’élevait au sein de cette ambiance que d’aucun jugerait de glauque, pas un son ne résonnait contre les murs au papier-peint usé, arraché par endroits ou simplement pourri par l’œuvre du temps, pas un souffle de vie ne semblait émaner de cette salle de classe à la décoration à peine plus réfléchie que celle d’une cellule de prison… et pourtant…

… Oui, pourtant… il subsistait bien un résidu de vie entre ces murs inhospitaliers, une ombre errante, une trace furtive prise au piège entre ces quatre murs, emprisonnée…

C’est dans cette atmosphère sinistre et froide, dans cette tension lugubre à couper au couteau, dans cette inquiétante avant-garde de la perdition, grise, isolée, oubliée…

… qu’une voix s’éleva, glaciale et menaçante :

_ Ton tour… est venu…

Puis une autre, non moins obscurcie de sentiments vindicatifs :

_ Tu ne peux plus y échapper…

Une troisième, plus aiguë, plus sadique :

_ Je vais m’assurer que tu n’oublis jamais la souffrance que je vais t’infliger…

Une dernière enfin, sans doute celle qui dégageait l’aura la plus ténébreuses, emplie de cruauté, semblait se délecter de la vision abjecte que représentait sa victime se débattant vainement dans cette fange qui lui servirait de dernière demeure…

_Tout ce que tu as vécu jusqu’ici n’était qu’un avant-goût de l’enfer qui t’attend. Abandonne, car tenter de survivre ne t’apportera plus rien…

Cette insatiable soif de sang émanant du quatuor de voix machiavéliques ne cessait de mettre à rude épreuve la détermination du pauvre supplicié, voyant ses maigres espoirs d’en sortir indemne s’égrainer à mesure qu’approchait la fin de sa torture… fin qu’il savait tragique.

L’heure était désormais venue, et malgré ses efforts, sa volonté et son courage dont il avait mainte fois fait preuve… il savait que cette fois-ci…

… il n’en réchapperait pas.

 

_ HAHAAA ! Deux pairs ! As par les dames !

Un sourire en coin générale parcouru le reste de la table.

_ Deux pairs aussi… as par les rois ! déclara Mion en se délectant de la mine décomposée que lui lança son voisin malchanceux.

_ Qu… mais ! Je… ! balbutia Keiichi en tentant de se persuader qu’il était en train de cauchemarder.

_ Pas de chance, Keiichi. A moi la mise, exulta Mion en s’apprêtant à rafler de ses bras avides la masse conséquente de jetons multicolores qui jonchait la table de jeu, … et à vous le gage !

_ Euh, je suis désolée, Mion, mais…

_ Hm ?

A l’opposé de l’énergique jeune fille et de son compagnon mortifié, une jolie rousse agitait sous leur nez deux cartes identiques par le petit symbole trônant en leur centre.

_ Avec les deux as sur la table et les deux que j’ai… ça fait un carré, non ? demanda innocemment Rena avec un grand sourire.

Keiichi profita de cette occasion inespérée justifiant un suicide en règle pour essayer de se couper les veines avec le bord des cartes…

 

Une fois qu’il fut entendu que Keiichi n’arriverait jamais à entamer la surface de sa peau avec des cartes portant derrière elles le poids de quinze années de bons et loyaux services, la partie de poker organisée après la classe par le club de jeux de l’école d’Hinamizawa pu reprendre un cours normal… en partant du principe qu’elle en ait jamais eu un.

Y allant de son petit rire caustique reconnaissable entre mille, Satoko prit soin de remettre un coup de couteau dans la plaie béante qu’était devenue la fierté de Keiichi, depuis le début saigné à blanc par la chance insolente de ses partenaires de jeux.

_ Une fois de plus, Keiichi n’a rien pu faire contre l’expérience et la maîtrise de Rena, assena-t-elle non sans un certain sadisme.

_ C’est une blague ?! s’emporta Keiichi, Rena ne sait pas jouer au poker ! Si Rika n’avait pas regardé son jeu elle n’aurait jamais réagi !

A côté de la jeune fille qui s’était vue dotée sans comprendre comment de la plus importante masse de jeton de la table, une certaine mini-prêtresse arborait un visage d’ange, la rendant hermétique à tout soupçon. Rena sembla cependant un peu vexée par le peu de crédit qu’accordait Keiichi à ses capacités en matière de poker… fussent-elles inexistantes.

_ Pour en venir à accuser Rika, il faut vraiment que tu sois désespéré, mon petit Keiichi, susurra Mion en jetant un coup d’œil malicieux aux quelques malheureux jetons formant les ultimes économies de son adversaire.

Ressuscitant un semblant de fierté dissimulé dans les bas-fonds de son être, Keiichi s’intéressa de même à la pile de jetons de Mion, pas franchement plus colossal.

_ Plutôt que de me donner des leçons, tu ferais mieux de t’inquiéter du sort qui t’attend, lorsque j’aurais pris soin de t’expulser de cette partie…, rétorqua Keiichi non sans une lueur lubrique au fond de la rétine.

Mion éclata d’un rire provocateur, tout en faisant tournoyer entre ses doigts une paire de menottes étincelantes au cliquetis métallique dont la petite particularité était d’avoir un petit « Y » de gravé sur un des bracelets.

_ Je pensais bien titiller ta fibre masculine avec ce gage : le premier exclu de la partie devra se laisser menotter dans la tenue et l’endroit choisie par celui qui l’aura éliminé, rappela Mion non sans exploiter le ton aguicheur que lui offrait sa condition de jeune fille en pleine forme.

Le regard brillant, l’air digne et la mine arrogante, Keiichi croisa ses bras et bomba le torse :

_ Et sache que je l’assume pleinement, en tant qu’homme, je ferais tout pour être celui qui vous éliminera l’une après l’autre ! Prenez garde à vous! déclara hautement Keiichi en pointant du doigt les quatre joueuses… un peu moins impressionnées que prévue.

Après un court silence, la petite Rika crut bon de rappeler avec innocence, mais non sans réalisme :

_ Miii… si tu réussi à éliminer Mion, ce sera déjà miraculeux.

Résistant à la tentation d’aller se pendre avec ses lacets de chaussures, Keiichi préféra se murer dans un silence boudeur.

_ Quoi qu’il en soit, reprit Mion avec d’avantage de sérieux, il semble évident que nous arrivons au dernier round… durant lequel sera décidé l’identité du malheureux perdant.

Keiichi esquissa un sourire confiant, défiant du regard sa voisine tout aussi sûre d’elle. Ramassant prestement les cartes, Keiichi vit comme un signe du destin que son tour de distribuer les jeux arrive à cet instant précis. Et rien ne pourrait lui faire plus plaisir que d’infliger une cuisante défaite à Mion sur un jeu qu’elle avait elle-même proposée.

_ Le poker n’est pas un jeu de hasard. C’est un art alliant une maîtrise totale des probabilités, de la psychologie et des mécanismes du jeu… aussi, il est grand temps que je dévoile toute l’étendue de mes capacités en la matière…, déclara Keiichi avec un flegme impressionnant.

Autour de lui, les quatre filles reçurent non sans impatience les cartes que leur distribuait l’unique garçon de la petite bande.

Chacun se plongea alors dans leurs mains nouvellement acquises, pour ce qui s’annonçait être le tour le plus intéressant de cette partie…

 

_ Faut-il que je me répète, mon petit Keiichi, ta résistance est vaine et toutes tes petites tentatives puériles de bluff sont vouées à l’échec.

Keiichi préféra conserver le silence, rôdé qu’il était à ne rien laisser paraître de ce qu’il pensait de son jeu, par ailleurs déterminé à ne pas répondre aux provocations de Mion. Autour de la table, un schéma maintenant bien connu des cinq joueurs était en train de se répéter : Rena, Mion et Keiichi se livraient à un combat psychologique de grande ampleur, tandis que Rika et Satoko discutaient, tout en gardant un œil sur la partie, de l’état déplorable du papier peint de la salle de classe qu’il faudrait décidemment songer à remplacer.

Affichant une confiance à toute épreuve, Mion tenait ses cartes avec indolence, bien calée contre le dossier de sa chaise, ses jambes croisées, son regard amusé dirigé vers Keiichi.

_ Voyons ce que tu peux faire contre ça, avança Mion en déposant quelques jetons de plus sur le tas conséquent qui s’était formé au centre de la table.

_ Je suis, déclara Rena avec le sourire sur les conseils discrets de Rika en ajoutant elle-même un nombre identique de jetons.

_Humpf…

Keiichi ne semblait pas particulièrement ravis de la tournure des évènements, sa propre réserve diminuant à un rythme alarmant. Cependant il consentit à se séparer de quelques pièces multicolores supplémentaires afin de voir la dernière carte.

Comme il en était coutume dans ce style de poker, chaque joueur se voyait attribuer deux cartes en début de tour, misant ensuite sur les trois cartes distribuées par le croupier à la vue de tous pour se constituer la combinaison la plus puissante possible. Deux cartes étaient déjà étalées sur la table : le 9 de cœur et la dame de cœur.

Responsable de la distribution pour ce tour, Keiichi tira une nouvelle carte du paquet, puis, dans un climat de suspens intense, il consentit à révéler  la dernière pièce de ce puzzle aux conséquences décisives…

… le verdict tomba : valet de cœur.

L’instant d’après, un claquement sonore retentit dans la salle. Keiichi venait de frapper la table de sa main, les dents serrées, ses lèvres esquissant un sourire tordu :

_ Cette fois…

De son autre main, le garçon repoussa la totalité de ses ultimes économies vers le tas centrale :

_ TAPIS ! cria-t-il avec un léger excès de vitalité.

Un long silence suivit… le moment était finalement venu : Keiichi jouait le tout pour le tout, et pour les deux autres participantes encore en lice, même pour Rena qui venait tout juste d’apprendre de la bouche de Rika ce que « tapis » signifiait, ça ne voulait dire qu’une chose : si elle voulait éliminer Keiichi et lui faire subir les pires humiliations, c’était maintenant.

_ Je vois…, murmura Mion.

D’un geste vif et dénué d’hésitations, Mion attrapa sans même regarder une grosse poignée de jeton qu’elle balança avec la rage de vaincre sur l’ensemble des gains potentiels, plus intéressée qu’elle était par le gage à l’encontre de Keiichi que de son argent de poche hebdomadaire convertit en jetons.

_ C’est le moment de voir ce que tu as dans le pantalon, mon petit Keiichi, acheva Mion avec un ton de prédateur prêt à dépecer sa proie.

Mais Keiichi semblait loin d’être impressionné par l’entrain que démontrait son adversaire à l’idée de le plumer dans les règles de l’art. De son côté, Rena ajoutait patiemment et pièce par pièce la mise attendue qui lui permettrait de poursuivre la partie.

Désormais, chacun des trois joueurs se trouvait sur un pied d’égalité, sur la même marche d’un podium… et seules les deux cartes gardées secrètes par chacun des opposants permettraient de désigner un unique vainqueur… et un perdant.

_ Très bien, Kei…, provoqua Mion, à toi l’honneur…

Keiichi sourit de plus belle.

_ Ne soit pas si pressée de tester la solidité de tes menottes, répliqua Keiichi.

D’un geste d’une intense théâtralité, Keiichi abattit ses cartes avec une conviction et une fougue éclatante, révélant aux yeux de ses adversaires les symboles de pique et de carreau, tous deux accompagnés de la lettre V.

_ Avec mes deux valets et celui sur la table… ça me donne un brelan ! cru bon de préciser Keiichi.

Persuadé de l’infaillibilité de son jeu, la puissance raisonnable de sa combinaison le confortant dans cette pensée, Keiichi éclata d’un rire sonore, n’ayant pas pu s’empêcher de se lever de sa chaise pour surplomber ses amies de sa démesure.

C’est alors qu’un léger grain de sable vint enrailler cette jolie mécanique…

A côté de lui… Mion souriait toujours.

_ Je te trouve bien présomptueux, Keiichi…

Le ton lugubre de la jeune fille cassa net la joie prématurée de Keiichi… qui observait maintenant Mion avec une certaine inquiétude.

_ Parce qu’avec ce que j’ai ici…

Avec nettement plus de sobriété que son prédécesseur, Mion dévoila enfin ses deux cartes en main…

10 de trèfle… et roi de carreau.

Keiichi devint livide, se mettant à murmurer comme un condamné à qui on annoncerait la date de sa mise à mort :

_ …9, 10, valet, dame, roi…

_ Une suite, acheva Mion comme on achève un animal blessé.

Toute souriante, Mion regarda Keiichi dans toute son impuissance, incapable qu’il était devenu de prononcer un mot.

Se désintéressant complètement de la masse de jeton au milieu de la table, Mion agita à nouveau les menottes sous le nez de son malheureux ami :

_ Alooors... en quoi vais-je bien pouvoir te déguiser…

Keiichi déglutit.

 

_ Euh, excusez-moi ?

Dans l’indifférence générale, Rena venait de révéler son jeu.

7 de cœur… et as de cœur.

Mion cligna plusieurs fois des yeux, comme sil elle pensait avoir mal vu, Keiichi en fit de même.

Grattant légèrement sa tempe avec sa main, Rena demanda :

_ Je ne suis pas sûr, mais quand on a cinq cartes avec le même symbole, ça fait quelque chose de particulier ?

Mion semblait hésiter sérieusement entre lui dire la vérité ou lui répondre un « non » concret et définitif, mais Rika la devança :

_ C’est une couleur… la couleur l’emporte sur la suite, donc c’est Rena qui gagne.

Le visage de Keiichi retrouva quelques couleurs, légèrement soulagé que ce soit Rena et non plus Mion qui se retrouve en charge des modalités de son gage… même si à bien choisir, il aurait préféré gagner.

_ Tant pis, finit par déclarer Mion, je vais devoir me passer du plaisir d’humilier Kei sur la place publique avec une bouée en canard.

Elle semblait très déçue… au contraire de Keiichi qui paraissait de plus en plus heureux de la chance agaçante de Rena.

C’est alors que Satoko, banquière autoproclamée de la partie, jeta un œil vers la zone de la table occupée par Mion.

_ Mion… tu n’as plus de jetons ?

La jeune fille parut surprise de la question, comme les trois autres joueurs qui, prient dans le feu de l’action, n’avaient tout simplement pas remarqué.

_ Oups…, se contenta de dire Mion.

En effet, lors de la toute dernière phase de mise du tour, la jeune fille emportée dans son élan n’avait tout simplement pas vu qu’elle s’était délestée de toute sa réserve de pièces multicolores…

_ Mais alors… Mion a perdu aussi ? demanda Keiichi.

_ Le joueur est responsable de sa mise, s’il commet une erreur… il ne peut émettre d’objections, décréta Satoko.

Rika sembla un peu étonnée :

_ Je ne me souvenais pas de cette règle…

_ C’est normale, je viens de l’inventer, précisa Satoko d’un ton sans réplique.

Mion ne savait plus très bien où se mettre.

_ Dans ce cas… on fait quoi ? insista Keiichi.

Satoko sembla extrêmement pensive. Autour d’elle, un silence religieux démontrait à quel point ses camarades étaient pendus à ses lèvres, attendant le verdict. Mais comme la sentence tardait à venir, Rika prit une nouvelle fois les devants :

_ Mion et Keiichi ont perdu tous les deux… ils doivent donc subir le gage tous les deux, non ?

Rena et Satoko semblait en accord avec cette vision des choses, Keiichi et Mion en revanche…

_ Mais… nous n’avons qu’une seule paire de menottes, rappela Keiichi, comment voulez-vous que…

_ Moi, je sais !

Levant la main au ciel et sautant sur sa chaise avec entrain, Rena ressemblait à une petite fille qui aurait trouvé une réponse à un problème de mathématiques. Passant sur la surprise que pouvait provoquer ce genre de comportement, pourtant familier à l’entourage de Rena, Mion se sentit obligée de lui donner officiellement la parole :

_ Hé bien… nous t’écoutons, tu es la gagnante après tout.

Un sourire jusqu’aux oreilles, Rena ne se fit pas prier…

 

A l’extérieur, les derniers nuages grisonnant d’un printemps sur le déclin s’éloignaient mollement, laissant place à un ciel d’un bleu rayonnant. Le soleil, à son zénith, ramena alors une confortable luminosité à l’intérieur de la pièce, théâtre de la plus importante partie de poker que le village isolé d’Hinamizawa n’ait jamais connu.

 

A tout point de vue… la fin de cette journée de juin 1983 s’annonçait superbe…

 

 

 

L’homme reposa le combiné du téléphone avec énervement. S’enfonçant dans sa chaise, ressassant sans répits les derniers évènements qui lui avaient été rapportés, l’inspecteur Oishi semblait quelque peu fatigué… la faute à plusieurs nuits d’un sommeil très relatif qui s’étaient succédées dernièrement.

Sur son bureau, disposé au sein de la grande salle commune aux inspecteurs du poste de police, une masse informe de documents et de photos recouvrait la totalité de la paillasse, bien que ce désordre sans nom ne semblait pas déranger l’inspecteur outre mesure. Se grattant l’arrière de son crâne sans conviction, Oishi se décida à reprendre une pose plus propice à la réflexion, commençant à se remémorer pour la énième fois les maigres éléments qu’il avait en main.

 

18 mai 1983, le premier cadavre est retrouvé dans la rivière, toujours aucune trace de la tête, proprement sectionnée…

Quelques jours plus tard, le 26 mai, le second cadavre s’écrase du haut de la falaise sur la route de montagne menant au village d’Hinamizawa, il lui manque un bras mais il semblerait que le deuxième ait suffit à la victime pour s’égorger elle-même, comme en témoignent les résidus de chairs incrustés dans les ongles…

Hinamizawa… un village maudit.

L’inspecteur Oishi n’aimait pas ce village, cela incluait ses habitants et les croyances macabres qui y semaient le trouble… la malédiction d’Oyashiro.

Oishi eut un petit rictus de mépris. Depuis 4 ans, cette prétendue malédiction et ce prétendu dieu protecteur profitaient du festival du Watanagashi pour commettre ses atrocités : lors des festivités, une personne était tuée, puis une autre disparaissait mystérieusement « dévorée par les démons ». Tout le monde à Hinamizawa était persuadé de la véracité de cette légende… ou serait-il plus pertinent d’affirmer que chaque personne vivant dans ce village depuis plus de 4 ans semblait parfaitement satisfait des retombées de cette « malédiction ». Car depuis le projet avorté de construction du barrage et l’incident qui suivit, une partie des partisans du projet avaient subis le courroux de ce pseudo dieu protecteur.

Oishi n’y avait jamais cru, et il continuait de soupçonner que quelque chose, ou en tout cas quelqu’un de parfaitement humain se dissimulait derrière l’avatar de ce dieu excessivement susceptible. Il en était persuadé : la malédiction d’Oyashiro n’avait jamais été qu’une vaste blague, une excuse, un plan fomenté par un personnage malveillant trop lâche pour prendre la responsabilité de ses actes odieux… depuis 4 ans déjà ce manège recommençait inlassablement, et il était de même cette année.

Pourtant, un détail pour le moins dérangeant venait inquiéter le coriace inspecteur : les années précédentes, les crimes étaient commis durant la courte période que durait le festival du coton.

 

Cette année, les festivités n’avaient pas encore démarrées… mais deux personnes étaient déjà mortes.

 

 

 

Pour tout dire, Keiishi ne se sentait pas vraiment à l’aise.

La fin de l’après-midi approchait, et le jeune garçon ne comprenait toujours pas ce qu’il faisait là, dans cette rue déserte, et qui plus est vêtu d’une manière aussi peu… traditionnelle.

Une fois venue la fin de la partie, Rena les avait renvoyé lui et Mion dans leurs foyers respectifs, avec pour ordre de revenir une heure plus tard à cet endroit très précis. La petite subtilité résidait dans la dernière consigne que leur avait soufflé la jeune fille à l’un et à l’autre, en privé…

Pour sa part, il devait venir habillé de ce qu’il pouvait trouver de plus proche d’un costume de soirée, nœud papillon inclus. Par chance, enfin façon de parler, son père avait pu lui fournir quelque chose d’approchant et de relativement à sa taille, suite à quoi sa mère lui avait improvisé un nœud papillon avec le premier bout de ruban noir qui lui était passé sous la main. Fort heureusement, aucun de ses parents n’eut l’indélicatesse de lui demander ce qu’il comptait faire dehors par cette chaleur, se contentant de le regarder partir ainsi accoutré non sans un léger sourire en coin.

Le temps passait, et Keiichi commençait franchement à s’inquiéter de la tournure des évènements… tout en se demandant quelles consignes avait bien pu donner Rena à l’autre perdante de la partie…

 

Un bruit suspect se fit entendre à quelques mètres du garçon. Tournant la tête par réflexe, Keiichi aperçut un furtif éclat blanc qui disparut presque aussitôt derrière un coin de mur. Intrigué, Keiichi fit un pas dans cette direction, observant plus en détail ce fameux coin…

Avec un peu d’attention, Keiichi remarqua que le précédent éclat provenait d’un bout de tissu… bout de tissu formant un vêtement… vêtement porté par quelqu’un… et quelqu’un d’apparemment très timide qui ne semblait pas pressé de se dévoiler.

Un vêtement pas banal porté par quelqu’un de timide…

Pris d’un doute raisonnable, Keiishi demanda tout haut :

_ … Shion ? C’est toi ?

La personne sembla prise d’un violent frisson. Quelques secondes passèrent dans un silence uniquement troublé par les cris perpétuels de quelques cigales… jusqu’à ce que la personne ne prenne son courage à deux mains.

D’un pas maladroit que les talons hauts n’aidaient pas, l’éclatante blancheur d’une robe de mariée apparut soudainement aux yeux de Keiichi, qui resta un instant bouche-bée devant cet impromptu spectacle.

_ M… mais…. Shion ?!

La couleur rouge qu’arborait son visage embarrassé tranchant radicalement avec la teinte immaculée de sa robe, la jeune fille venant d’apparaître, ses cheveux longs flottant au rythme de ses pas, ne paraissait pas vraiment disposée à répondre de son état. D’une conception relativement simple lui épargnant une surdose de dentelles et de froufrous encombrants, laissant ses épaules dénudées, la robe en question n’en restait pas moins aussi élégante que pouvait paraître une vraie robe de mariée.

_ Shion, qu’est-ce que tu fais ici ? Je croyais que tu devais repartir à Tokyo avec Sakaï pour…

D’un geste crispé, la jeune fille interrompit Keiichi tout en désignant ses cheveux.

_ Elle ne voulait pas que je garde ma queue de cheval…, murmura-t-elle d’une voix dégoutée.

Keiichi ne comprit pas tout de suite ce qu’elle voulait dire… puis, à bien y regarder, en rassemblant quelques détails, la lumière se fit dans son esprit :

_ … Mi… Mion ?!

La jeune fille acquiesça à contrecœur, comme si elle aurait voulu à cet instant se trouver à Tokyo à la place de sa sœur jumelle.

_ Mais… mais qu’est-ce que… Mion, tu… on dirais…

Avalant sa salive avec difficulté, Keiichi parvint à lâcher :

_ … Une fille ?!

Il s’agissait bien de la dernière chose que Mion aurait voulut entendre de la bouche de Keiichi.

Se tortillant sur place en jetant des regards autour d’elle comme si elle craignait que quelqu’un d’autre ne la voit ainsi accoutrée, ses yeux croisèrent ceux de Keiichi.

La jeune fille réagit au quart de tour.

_ … Qu… qu’est-ce que tu regardes comme ça ?! cria-t-elle en cachant sa poitrine avec ses mains.

En tant que pervers pleinement assumé, et quand bien même la situation initiale ne se prêtait pas spécialement à ce genre d’exercice, le regard du garçon avait malencontreusement glissé du visage honteux de la jeune fille vers son décolleté pour le moins…

_ Regardes ailleurs ! ordonna-t-elle au summum de l’embarras.

Keiichi obéit immédiatement, lui-même un peu gêné de surprendre la jeune fille en pareilles circonstances.

Un instant de flottement suivit… une mouche passa… puis un ange… et tout un régiment de Valkyries en vacances… puis plus rien… et ce durant plusieurs minutes pendant lesquelles Mion semblait à deux doigts de s’enfuir en courant.

Néanmoins, Keiichi jugea opportun de démontrer toute l’étendue de sa dignité et de son tact en tant que mâle, et cela en tentant d’entamer un semblant de conversation :

_ Hem… je…

_ C’est Rena qui m’a obligé ! se défendit de suite la jeune fille.

_ Mais…

_ J’ai pourtant protesté…

_ Où est-ce que tu as trouvé cette…

_ REGARDE AILLEURS !

Résigné à passer les prochaines minutes à admirer le mur d’en face, Keiichi n’arrivait pas à déterminer ce qui était le plus surprenant : que Mion puisse paraître aussi pudique ou que Rena puisse trouver un quelconque plaisir à la déguiser de cette façon.

Une nouvelle poignée de minutes passèrent alors entre les deux camarades, dans une ambiance de gêne réciproque.

C’est alors que, pendant que Keiichi comptait les briques d’une maison et que Mion continuait de subir la dure épreuve des talons hauts, une voix enjouée se fit entendre à quelques mètres de leur position.

_ Ils sont arrivés !

Avec une synchronisation parfaite, les deux perdants de la partie de poker regardèrent dans la direction où Mion avait fait son entrée pour le moins hésitante. Cette fois-ci, bien au contraire, Rena, Satoko et Rika s’avançaient d’un pas guilleret, chacune portant un objet dans ses mains : les fameuses menottes pour Satoko, un imposant bouquet de fleurs blanches pour Rika et… ce qui ressemblait de loin à…

_ Un… couperet ? articula Keiichi.

 

_ Votre attention s’il vous plaît.

Du haut de sa caisse en bois récupérée on ne sait où, Rena surplombait une scène atypique : sous le grand arbre planté à la limite du champ d’à côté, Keiichi et Mion, disposés l’un à côté de l’autre, semblaient tantôt atterrés, tantôt épuisés pendant que Satoko ricanait et que Rika respectait un silence religieux.

D’une voix forte et solennelle, Rena repris, agitant son hachoir non sans provoquer quelques craintes chez l’assistance :

_ Nous sommes réunis en ce lieu, afin de…

_ Euh, Rena ? tenta Keiichi.

Courroucée d’avoir été ainsi interrompue dans son inspiration, Rena répondit en exécutant un effrayant moulinet avec sa lame.

_ Quoi ?

_ Hé bien… je t’avouerais que j’ai un peu de mal à cerner ce que tu attends de nous.

Rena balança sa tête de gauche à droite :

_ Comment ça ?

_ Hmm… nous déguiser est une chose, mais…

Keiichi attendait que Mion se décide à le soutenir, mais celle-ci semblait décidée à ne pas quitter le sol des yeux. Mettant de côté toute l’improbabilité de la situation, Keiichi acheva d’une voix un peu tordue :

_ … Ce que je veux dire c’est que… pourquoi un mariage ? Un mariage occidental ?

A côté de lui, Mion semblait prête à s’évanouir.

A peine le mot prononcé, l’expression de la jeune rousse changea radicalement :

_ Mais c’est trooop mignoooon un mariage occidental… uuuuh, Mion en robe blanche et Keiichi en costume… je veux vous emmener tous les deux à la maison ! ronronna Rena comme une petite fille devant une poupée, enfin… deux poupées.

Keiichi eut une mine abattue, tandis que Mion se décidait à relever la tête.

_ Mais, et le couperet, c’est pour… ? voulut-elle savoir.

_ Ah, j’ai pas trouvé de baguettes… pour diriger la cérémonie.

Keiichi remarqua alors un petit détail qui ne l’aida pas à se sentir plus serein :

_ Et… ce rouge sur la tranche, qu’est-ce que c’est ?

_ Oh…

Rena observa la lame quelques secondes durant.

_ Je l’ai trouvé comme ça, j’imagine que papa s’en est servit pour ouvrir une boîte de conserve.

Un léger blanc suivit cette réponse. Keiichi sentait qu’une petite subtilité lui échappait, sans parvenir à mettre le doigt dessus…

_ Bon, on reprend ! ordonna Rena avec sa baguette drôlement aiguisée, Mion tu devrais tenir les fleurs mieux que ça.

Comme si elle recevait un électrochoc, Mion redressa le bouquet de fleurs blanches, s’accordant à merveille avec sa robe, que lui avait préalablement confié Rika.

S’éclaircissant la voix, Rena déclara :

_ Mes amis, nous sommes réunis ici, pour unir ensemble cet homme et cette femme dans le mariage…

_ Si ma famille me voit prendre part à un mariage occidental…, murmura pour elle-même une Mion à bout de nerfs.

 

Pendant que Rena déclamait son texte scrupuleusement appris dans un livre quelconque avec la passion de quelqu’un qui avait toujours rêvé de célébrer un mariage, fut-il factice, Keiichi nota que cela faisait un moment qu’il n’avait vu qui que ce soit, hormis ses amies, passer à proximité de cette rue. Légèrement curieux, Keiichi se pencha vers son infortunée camarade de jeu désignée comme sa compagne temporaire :

_ Pourquoi est-ce qu’on ne voit personne d’autre, il se passe quelque chose ? chuchota-t-il.

_ Les villageois sont en train de préparer les festivités de ce soir, répondit Mion d’un ton envieux.

_ Qu’est-ce qu’il se passe ce soir ?

Mion eut un air irrité :

_ Je te l’ai déjà répété cinquante fois : ce soir tout Hinamizawa fête Watanagashi, le festival du coton…

 

 

_ Maebara Keiichi, veux-tu avoir cette femme pour ton épouse ? Veux-tu l’aimer, la chérir, l’honorer, et la garder, en temps de maladie et en temps de santé ; et, renonçant à toute autre femme, veux-tu t’attacher à elle seule, tant que vous vivrez tous deux ?

Interrompus en plein milieux de son observation assidue d'une étrange tâche rosée apparue sur la manche de l'uniforme de la jeune rousse, Keiichi fut déstabilisé par la précision et le ton direct de la question. Il eut alors besoin de se remémorer tout le caractère artificiel de cette cérémonie pour trouver le courage de répondre :

_ … Hé bien…

_ Et toi, Sonozaki Mion, veux-tu…

_ Hey, tu pourrais attendre mon avis ! protesta Keiichi.

_ … Avoir cet homme pour ton mari, l’honorer, le… non, vivre avec lui et…

Rena sembla s’être momentanément emmêlé les pinceaux.

_ Euh… même question !

Mion haussa timidement les épaules et, sans oser regarder Keiichi, elle murmura :

_ Je…

_ Parfait ! acheva Rena avec un inégalable entrain.

Puis, se tournant vers les deux jeunes filles en retrait, elle s’adressa à Satoko :

_ Maintenant… nous pouvons passer à l’échange des alliances !

L’expression moqueuse arborée par Satoko jusqu’à ce point de la petite célébration improvisée se transforma en un sourire carnassier, tandis qu’elle rejoignait la maîtresse de cérémonie postée sur son perchoir en bois.

_ Tous les deux, fit Rena en désignant les heureux mariés, tendez moi vos mains.

Dépassant leur mauvaise volonté commune, les deux perdants jouèrent le jeu : Keiichi tendit son bras droit, et Mion son bras gauche. Rena parut aux anges

_ Ainsi, par ce lien indéfectible je vous déclare…

 

Un cliquetis inquiétant retentit. Au même instant, Keiichi et Mion sentirent sur leurs poignets la morsure d’un froid métallique qui se resserra. Sans qu’il ne s’en soient vraiment rendus compte, Rena venait tout juste de relier solidement leurs bras par le biais de la paire de menottes. Un silence de cimetière tomba comme un couperet, en même temps que la sentence de Rena :

 

_ … Mari et Femme, pour le meilleur et pour le pire. Votre gage est de rester menottés ensemble dans ces vêtements jusqu’à demain, au lever du soleil !

 

 

 

_ Inspecteur.

Oishi ouvrit un œil somnolent. Sans s’en rendre compte, il s’était à moitié assoupi sur son bureau. Devant lui, un jeune subalterne agitait une feuille de papier sous son nez :

_ Les résultats sont arrivés, inspecteur, indiqua-t-il d’une voix suffisamment forte.

Comme par magie, Oishi retrouva un dynamisme de jeune homme à l’écoute de cette nouvelle. Arrachant le papier des mains de l’individu en uniforme, Oishi parcourut le document d’une traite. L’homme fronça alors les sourcils :

_ Yoshiyama… ces renseignements sont fiables ?

_ Affirmatif répondit le jeune policier, pour le premier ce n’était pas tellement compliqué, même sans sa tête il avait toujours son portefeuille dans une poche de ses vêtements. Mais le deuxième était franchement amoché, on a dû demander à plusieurs familles de venir identifier le corps… c’était d’un morbide. Le décapité s’appelle Yasuo Sato, 29 ans, originaire de Tokyo, pas de famille, apparemment venu en touriste. Le simili-suicidé s’appelle James Patoshik, originaire des Etats-Unis, 37 ans, installé à Tokyo depuis 7 années, marié depuis quatre mois… il était dans la région pour passer un weekend à la campagne.

Ces explications ne semblaient pas satisfaire l’inspecteur, qui lisait et relisait la feuille plusieurs fois d’affilées. Au bout d’un moment, le jeune homme réagit :

_ Un soucis, inspecteur ?

Oishi ne répondit pas immédiatement. Se retournant vers la masse de photos sur son bureau, il se décida à parler :

_ Ça ne colle pas…

_ A quel propos ?

_ Les Sonozaki ! s’emporta soudainement Oishi en faisant sursauter la totalité du personnel présent dans la grande salle du poste de police, c’est ça qui ne colle pas !

Yoshiyama ne comprit pas vraiment où il voulait en venir.

_ Mais… les Sonozaki sont…

_ Cette famille dégénérée à la tête d’Hinamizawa.

_ Je connais leur réputation chez les policiers de la région, mais… vous croyez qu’ils sont liés à cette histoire ?

Oishi eut un petit ricanement :

_ Tu apprendras pour ta gouverne que les Sonozaki sont liés de près ou de loin à tout ce qui peut se magouiller de tordu dans les 50 km à la ronde.

L’inspecteur fit craquer ses cervicales avant de reprendre :

_Sans compter que depuis l’incident avec la jumelle de l’héritière à Tokyo, ils se tiennent plutôt tranquille…

_ Alors… qu’est-ce qui ne « colle pas » ? insista le policier.

L’inspecteur parut encore plus contrarié.

_ Ce qui ne colle pas c’est que j’ai beau cherché dans tous les recoins de ces feuilles… pas une rencontre, pas de relations d’entreprises, pas de liens familiaux, sans parler de cette manière d’exposer les cadavres de manière aussi peu discrète… il n’y a aucun élément valable qui puisse relier les deux victimes aux Sonozaki, que ce soit au niveau des identités que de la méthode. Il n’y a même pas de liens probants entre les deux victimes, ce ne sont que des meurtres hasardeux.

Yoshiyama cligna des yeux, incertain du raisonnement obstiné que suivait Oishi.

_ Il serait donc logique, tenta le jeune homme avec prudence, de penser que les Sonozaki n’ont…

_ … rien à voir avec tout ça, le devança Oishi avec lucidité.

L’idée que cette famille qu’il savait responsable d’un grand nombre d’arrangements douteux et d’actes fortement répréhensibles puisse se trouver à l’écart d’un double meurtre était en un sens extrêmement frustrant aux yeux de l’inspecteur.

_ Au fait, voulut savoir Oishi, vous avez bien prit les dispositions que je vous ai indiqué concernant le village ?

_ Absolument, les meurtres ont pu être étouffés et les quelques personnes qui ont découverts les cadavres sont tenus au secret… mais si je peux me permettre un avis, j’aurais tendance à trouver cela…

_ Dangereux ? devina Oishi.

Le subalterne approuva d’un signe de tête.

L’inspecteur haussa les épaules.

_ Si le meurtrier fait partie du village, le mieux à faire est de garder profile bas… au moins jusqu’à ce que Watanagashi soit passé, nos hommes sont-ils en place ?

_ Nous avons plusieurs agents en civile qui se feront passer pour des touristes venus assister au festival, et je me joindrais moi-même aux cinq équipes qui patrouilleront dans les alentours du village durant toute la nuit.

_ Hmm…

Malgré le dispositif plutôt impressionnant déployé par la police locale, Oishi n’était pas tranquille. Prendre le risque d’informer la population et les coupables que la soirée allait se passer sous haute surveillance risquerait de les dissuader de tenter un nouveau crime. D’un autre côté, cette tactique pouvait dégénérer en un troisième meurtre si les policiers n’étaient pas suffisamment prudents.

Soupirant bruyamment, Oishi décida de se pencher une fois de plus sur les rapports d’enquêtes, répétant à voix haute :

_ Un touriste, pas de famille. Un deuxième touriste…

 Oishi ne termina pas sa phrase, occupé qu’il était à fixé un point précis de la fiche concernant la deuxième victime, le dénommé James...

_ Il venait tout juste de se marier…, murmura l’inspecteur.

_ Inspecteur ?

Se tournant vers son subalterne, les sourcils froncés, Oishi arborait le visage caractéristique d’une personne se posant une question existentielle :

 

_ A votre avis, un homme marié depuis seulement quatre mois, est-ce qu’il va passer un weekend à la campagne… tout seul ?

 

 

 

_ Et maintenant… on fait quoi ?

La question, si basique fut-elle, méritait amplement d’être posée.

Installés côte à côte sur un banc aux abords du village, leur condition rendant compliquée une éventuelle séparation, Mion et Keiichi observaient un silence remarquable, du moins si l’on ne tenait pas compte des bruits des festivités qui venaient de débuter à l’autre bout d’Hinamizawa, près du temple Furude, tandis que le ciel avait délaissé sa belle teinte bleue pour un dégradé orangé du plus bel effet.

Après avoir pris une dose conséquente de photos au moyen de l’appareil de son père, Rena avait mis fin à la cérémonie de mariage en invitant tout le monde à passer l’habituelle fête suivant l’union au temple Furude, avec le reste du village. Cependant, Mion avait formellement refusé de se montrer ainsi accoutrée devant sa famille, sous peine de finir selon ses mots : « écartelée sur la place publique », sans toutefois préciser s’il s’agissait ou non d’une blague. Bien que cela lui brisait le cœur, Rena avait accepté d’ôter les menottes et de laisser Mion se changer le temps de la cérémonie… ce fut juste avant que Mion ne s’aperçoive qu’elle avait malencontreusement oublié les clés au domicile des Sonozaki.

Autant durant l’après-midi, elle avait pu se changer sans risquer d’être surprise par un membre de sa famille occupée aux préparatifs du festival, autant ce soir, il y aurait de nombreux va-et-vient autour de la demeure… à vrai dire, trop pour espérer entrer discrètement.

De fait, le petit groupe avait beau retourner le problème dans tous les sens, il semblait inévitable que Keiichi et Mion ne puissent pas assister à la fête du coton.

_ Mion ? Ça va ?

Juste en dessous du 36ème sous-sol, Mion paraissait très absorbée par la contemplation d’un caillou.

_ Regarde ailleurs, se contenta-t-elle de répéter d’un ton sombre.

Par réflexe, Keiichi reporta son attention dans la direction des festivités.

Dans son malheur, Mion avait insisté pour que Rena, Satoko et Rika se rendent sans eux à la fête, vu que c’était de sa faute si elle n’avait pas les clés et que de toute façon, Rika était attendue afin d’exécuter son rôle de prêtresse.

Keiichi était maintenant occupé à lorgner le métal entravant son poignet.

_ En tout cas, je ne pensais pas que le gage de Rena te mettrait dans un tel état, avoua Keiichi pour combler le vide la conversation.

A peine cette phrase prononcée, Keiichi sentit que sa voisine remuait un peu… et tout à coup, Mion se leva brusquement, emportant avec elle son camarade qui étouffa un cri de douleur lorsque le bracelet métallique scia la peau de sa main.

_ Tu pourrais prévenir ! protesta Keiichi en se massant le bras.

L’ignorant en beauté, Mion avait maintenant un tout autre visage : lumineux, dynamique et entrainant, tel que Keiichi avait l’habitude le voir. Esquissant un sourire et serrant le poing avec détermination, Mion déclara :

_ C’est vrai, je ne dois pas me laisser aller !

_ Tout de même, constata Keiichi un brin surpris par ce revirement.

Se tournant vers son camarade auquel elle était encore menottée pour les prochaines heures, Mion semblait avoir complètement retrouvé sa nature de chef de groupe, momentanément volatilisée.

_ Après tout, ce soir c’est la fête ! Alors amusons-nous !

Même si Keiichi ne pouvait s’empêcher de se dire que les perspectives d’amusement dans ce contexte semblaient un peu limitées, il joua le jeu :

_ Tout à fait d’accord ! Qu’est-ce que tu propo…

Keiichi s’interrompis immédiatement en se rendant compte que son regard avait à nouveau glissé…

Le garçon détourna rapidement les yeux avant que Mion ne se trouve à nouveau gênée… ce qui eu pour effet inattendu de faire sourire la jeune fille :

_ Ooh… tu rougis, Kei ? fit-elle malicieusement en jouant avec le bord du haut de sa robe.

A la fois satisfait et un peu embarrassé que Mion ait retrouvé le ton légèrement enjôleur qu’il lui arrivait d’adopter, Keiichi haussa les épaules, comme s’il se désintéressait de la question.

_ Bon ! On y va !

_ On y va où ? demanda Keiichi.

Adressant un clin d’œil au garçon, Mion répondit :

_ Je connais un bon point de vue sur le flanc de la montagne, on pourra voir la démonstration de Rika là-bas.

_ D’accord mais… c’est loin ?

_ Non non, mais il ne faut pas traîner, c’est dans une petite clairière, à l’entrée de la forêt.

 

 

 

Au loin, le soleil avait déjà disparu derrière le relief abrupt de la région, ne laissant qu’une vive lueur rouge sang en guise de lumière, de quoi offrir un teint rougeoyant au paysage rurale qui s’étendait sous les yeux des deux spectateurs.

En contrebas, on pouvait distinguer précisément le temple Furude, et autour les stands et les animations qui constitueraient le festival du Watanagashi pour la soirée. D’après le fond sonore leur parvenant de la place envahie par les habitants et les quelques touristes, l’ambiance était à la fête...

... Et malgré cela, Keiichi trouva tout de même le moyen de glisser sur une parcelle de terre trop lisse.

_ Fait attention, le réprimanda Mion, tu as failli me faire tomber.

Cela sembla un moindre mal à Keiichi qui lui tait bel et bien tombé.

Se redressant tant bien que mal, tout en prenant garde de ne pas déséquilibrer Mion dans la manœuvre, Keiichi massa son dos endoloris.

_ J’espère que je ne me suis rien cassé, avec le docteur Irie qui est partit en vacances on ne sait où il faudrait faire plusieurs kilomètres avant de trouver un vrai médecin.

Mion fit la moue :

_ Si tu étais plus dégourdi, tu n’aurais pas besoin de médecin.

Sur ce terrain légèrement en pente, même une bonne connaissance des pièges naturels ne dispensait pas d’une certaine prudence… c’est en tout cas ce qu’appris Mion en dérapant à son tour, peu habituée à se balader en forêt avec une tenue et des chaussures aussi peu adaptées.

Bien que ce mouvement rapide et imprévue lui occasionna une nouvelle douleur au poignet, Keiichi eut du mal à contenir un petit rire devant le spectacle immanquable que constituait Mion étalée sur le sol, l’air fatiguée.

_ Je hais ces chaussures…, crut-elle bon de préciser à voix haute.

De son côté, le garçon préféra ne rien ajouter et se contenta de venir s’asseoir à côté de Mion, conscient que rajouter une remarque moqueuse serait dangereux pour son espérance de vie.

 

La température baissa graduellement, passant de la chaleur de l’après-midi à la douceur du soir, en même temps que la lumière du ciel ne déclinait, délaissant le rouge vif pour l’ombre d’une nuit sans nuages. Au-dessus du village, une lune blanche et brillante aux trois quarts pleine apparut rapidement.

S’autorisant un petit soupir de contentement après toutes ces émotions, Mion se laissa aller à la contemplation des étoiles, vu qu’il restait au moins encore une heure avant que la danse rituelle de Rika ne commence. De son côté des menottes, Keiichi ne pu réprimer plus longtemps sa curiosité :

_ Mais j’aimerais bien savoir… où est-ce que tu as trouvé cette robe ? C’est tout de même étonnant que ta famille possède une telle…

_ Keiichi, si je répondais à ta question il faudrait que je te tue ensuite, répliqua Mion sur le ton de la plaisanterie.

Un silence apaisant suivit alors, durant lequel Keiichi observa le village en aval. Depuis son arrivée, le garçon avait plutôt bien réussi à s’intégrer dans ce décor totalement différent de ce qu’il avait connu jusque là, il s’était fait des amis précieux, était plutôt bien vu par la plupart des autres habitants. Ce n’était pas quelque chose que Keiichi aurait cru possible il y a quelques mois encore… si l’on tenait compte des raisons qui l’avait amené à quitter la ville pour venir se réfugier à Hinamizawa…

_ Tu es bien silencieux, Kei, fit remarquer Mion.

Cela suffit à ramener Keiichi au temps présent.

_ Oh… je pensais juste à…

Mais il ne parvint pas à finir sa phrase.

_ Je te sens un peu soucieux, constata Mion avec un sourire compatissant, tu as besoin de parler un peu ?

Keiichi hésita. L’offre était tentante, l’occasion idéale… peut-être pouvait-il se permettre de soulager un peu sa conscience.

_ Non… ça ira, merci.

Pour rien au monde, Keiichi n’aurait gâché cette soirée avec de vieux problèmes personnels, problèmes qu’il considérait de toute façon comme réglés. Plus tard…

Oui, il racontera tout plus tard…

_ C’est un village bien tranquille, murmura Keiichi.

Mion acquiesça d’un léger signe de tête. Keiichi détourna son regard du village pour le reporter sur le visage de Mion, dont la robe opaline et la clarté de sa peau se trouvaient mise en valeur par un pâle rayon de lune. Un sourire se dessina sur ses lèvres.

Soudain, Mion croisa son regard. Ça ne dura qu’une fraction de seconde, jusqu’à ce que tous deux, conscients de cette soudaine proximité, ne détournent leur visages. Fort heureusement, la nuit tombante ne laissait pas apparaître les rougeurs sur leurs joues. L’espace d’un instant, Keiichi chercha ses mots… puis il reprit d’une voix plus tranquille :

_ J’avoue qu’en arrivant ici, j’étais un peu inquiet… je ne m’attendais pas à trouver cet endroit si…

Le garçon marqua une courte pause… avant d’achever :

_ … si calme.

 

Un silence… qui précéda le cliquetis caractéristique de la chaîne des menottes. Plus rien ne bougea pendant une seconde entière, à un point que même les cigales avaient cessé de chanter.

Mion se retourna d’un geste vif, approchant son visage de celui de Keiichi, si proche que le garçon ne voyait plus que le regard émeraude la jeune fille rivé sur lui, Keiichi n’eut pas le temps de réagir, ce regard…

 

… ce regard désormais habité d’une révulsante lueur malsaine.

Un sourire disgracieux planté sur son visage devenu subitement crispé, Mion chuchota avec un plaisir mauvais :

_ Tu devrais savoir… que rien n’est jamais aussi calme qu’il n’y paraît.

 

C’est à cet instant que plus loin, dans les ténèbres de la forêt, un hurlement retentit.

 

 

 

_ Rika, il y a un problème ?

Satoko commençait à s’inquiéter du silence de son amie, qui depuis plusieurs secondes déjà fixait un point reculé de la montagne.

L’absence de réponse que lui offrit son amie ne rassura pas la spécialiste des pièges.

_ Rika… tu as vu quelque chose ?

La jeune prêtresse baissa finalement les yeux, l’air oppressée, impuissante...

_ Non… il n’y a rien…

_ Ah bon, murmura Satoko sans comprendre les raisons de ce comportement.

Dans le but de trouver un nouveau sujet de conversation, Satoko s’intéressa au sort de l’autre personne sensée l’accompagner au festival :

_ Pff, Rena en met un temps ! Je croyais qu’elle devait juste récupérer un truc qu’elle avait oublié chez elle !

Cette dernière remarque ne fit qu’assombrir encore plus le visage de Rika.

Le désespoir enserrant sa voix, la jeune prêtresse parvint tout juste à murmurer pour elle-même :

 

_ C’est… inutile.

 

 

 

Mion se releva d’un bond, forçant Keiichi à l’imiter, ses yeux aux aguets, dénués de toute trace d’agressivité.

Un effet de lumière provoqué par la lune, en déduisit Keiichi…

_ Nous devons y aller, il y a quelqu’un qui a besoin d’aide, déclara la jeune fille.

Malgré le fait qu’une excursion en forêt en pleine nuit ne l’enchantait pas, Keiichi se devait de reconnaître que le choix ne leur était pas offert : si quelqu’un était en danger, ils devaient se porter à son secours.

_ Ne t’inquiète pas, ajouta Mion d’une voix qui se voulait rassurante, je connais la forêt comme ma poche, aucun risque de se perdre.

_ Mais je ne m’inquiète pas, répliqua Keiichi avec fierté, et puis…

Relevant son bras menotté à hauteur des yeux de Mion, il ajouta :

_ …Ce n’est pas comme si tu pouvais me distancer.

Mion lui adressa un petit sourire de défi, avant de trancher :

_ On y va !

_ Oui !

 

S’enfonçant à travers les arbres, la lune rayonnante permettant à Mion de distinguer sommairement le chemin le plus sûr, elle et Keiichi coururent rapidement vers l’endroit d’où était parti le cri, du moins aussi vite que la robe et les chaussures de Mion ne le permettaient. Manquant de trébucher toutes les trois enjambées, Mion ne due sont salut qu’aux réflexes de Keiichi, celui-ci s’appliquant à rattraper la jeune fille chaque fois qu’elle menaçait de tomber.

_ Tu es certaine que c’est la bonne direction ? demanda Keiichi par prudence.

_ Je crois que oui.

_ Tu « crois que oui » ?!

_ Il y a une autre clairière un peu plus loin, je pense que la voix venait de là, expliqua Mion.

Keiichi se laissa guider, sans pour autant s’empêcher de se demander combien de temps il passerait dans cette forêt s’ils venaient à se trouver perdu. Après plusieurs minutes de cette course quelque peu hasardeuse, un espace à la concentration d’arbre moins dense que le reste du bois s’ouvrit devant eux… vide de toute trace de vie.

Jetant des regards tout autour d’eux, Mion et Keiichi ne virent rien de suspect.

_ Il y a quelqu’un ? appela Keiichi.

Un bruissement dans la cime des arbres fut sa seule réponse. Sensiblement découragé par cette découverte, ou plutôt cette absence de découverte, Keiichi ne comprit pas tout de suite ce qu’il lui arriva lorsque Mion tira sur les menottes pour avancer.

_ Ouah ! lâcha Keiichi à deux doigts de tomber, tu pourrais prévenir !

Mion ne semblait pas l’écouter, cherchant du regard le moindre signe pouvant les aiguiller sur l’origine de ce cri déchirant. Faisant de même, Keiichi scruta les abords de la lisière, dans laquelle s’engouffrait la lueur pâle de la lune, mais sans rien trouver à redire sur l’aspect tout à fait banal de cette clairière. Suivant de près Mion qui effectuait quelques pas en avant, Keiichi commençait sérieusement à se demander si il y avait jamais eu qui que ce soit pour crier en pleine nuit au milieu de nulle part… peut-être était-ce simplement un animal… bien que Keiichi n’arrivait définitivement pas à savoir quel genre d’animal pouvait posséder un tel cri.

Perdu dans ses pensées, Keiichi fut une fois de plus déstabilisé, lorsque son pied buta sur quelque chose au sol. S’écrasant lamentablement  en entrainant Mion dans sa chute, Keiichi envisagea le fait que tout cela n'était qu’une vaste blague orchestrée spécialement pour lui gâcher sa soirée.

_ Aah… mais fait attention, à la fin ! le rabroua une Mion excédée.

Cherchant à tâtons ce qui avait bien pu lui occasionner cette douloureuse chute au milieu des ronces, Keiichi finit par toucher quelque chose de plus gros que les habituels monceaux de terre jonchant le sol… et sa première constatation fut de remarquer à quel point cette chose était poilue.

Trouvant le moyen de s’asseoir convenablement, Keiichi porta à son regard le responsable de ses écorchures toutes fraîches, forçant sur ses yeux pour discerner le moindre détail dans l’obscurité…

Au début, il ne comprenait pas vraiment ce qu’il était en train de regarder. C’était froid, c’était humide, c’était…

Keiichi fronça les sourcils. Ce n’était pas…

Ce n’était pas des poils…

 

C’était des cheveux.

 

_ Mi… Mion…

Près de lui, Mion tentait de se relever, empêtrée qu’elle était dans sa robe.

Des cheveux… une forme arrondie… symétrique… un liquide visqueux…

Ce n’était pas… ça ne pouvait pas…

_ Mion !

_ Mais qu’est-ce que tu as à crier comme ça ?

La jeune fille aperçut ce que Keiichi avait dans ses mains…

_ Mais… c’est…

Malgré la terre, malgré le sang… et cette expression mortifiée à jamais figée sur ce visage…

… Les deux jeunes gens reconnurent rapidement les traits à la fois sérieux et juvéniles de celui qui fut autrefois…

 

_ Doc… docteur… Irie ?! parvint tout juste à articuler Keiichi.

Par réflexe, Mion poussa un cri d’horreur.

Pris d’une irrépressible crise d’angoisse, Keiichi lâcha la tête séparée du reste de son corps qui roula mollement sur le sol avant de s’immobiliser, le regard vitreux de ses yeux injectés de sang apparaissant au garçon aussi clairement que l’éclat de la lune. Ne trouvant même pas la force de se relever, Keiichi se traina maladroitement vers l’arrière, sans parvenir à détacher son regard du morceau de chair morte qu’il avait tenu dans ses mains quelques secondes auparavant.

_ Il… il est… Irie est…

Son rythme cardiaque atteignant une cadence alarmante, Keiichi n’arrivait pas à formuler clairement la vérité, les mots restant coincé dans sa gorge sèche, la réalité ne parvenant pas à se faire une place dans son esprit.

Tourmenté par cette vision répugnante, Keiichi n’entendit même pas le bruissement soudain à quelques mètres de leur position, derrière les arbres…

_ Keiichi, relève-toi ! ordonna Mion d’une voix forte bien que prise de tremblements incontrôlables

_ Qu… quoi ?

_Keiichi !

Attrapant le garçon par les épaules, Mion le secoua brutalement pour le ramener à la réalité :

_ Keiichi, répéta-t-elle comme pour se rappeler qu’elle n’était pas toute seule, le type, celui qui a fait ça à Irie… il est encore ici !

Keiichi sentit un courant électrique parcourir son corps. Derrière eux, un nouveau bruissement, plus proche, se fit entendre. Une idée, une pensée claire et indiscutable apparut alors enfin à ses yeux : ils devaient fuir… maintenant !

Prenant un appui précipité sur ses jambes, Keiichi s’élança en même temps que Mion, droit devant eux, courant de toutes leurs forces, aussi vite que possible. Quittant la clairière, s’engouffrant dans la mâchoire béante de la sombre forêt, les deux amis devaient lutter contre un terrain abrupt, jonché d’obstacle et l’éternel souci posé par la tenue de Mion, tout à fait inadaptée à une course en forêt. L’inévitable arriva lorsque Mion trébucha, crochant un pan de sa robe sur un tas de ronce.

_ Merde, cracha-t-elle en tirant sur le vêtement.

Au même moment, une plainte aiguë résonna à une distance très proche de leur position… trop proche.

_ C’est… une fille ? se demanda Keiichi d’une voix absente.

Mais l’ambiance n’était pas aux déductions, il fallait faire vite.

_ Mion, il faut se dépêcher ! rappela inutilement Keiichi.

_ Merde ! répéta Mion en déchirant brutalement un morceau de sa robe et en délaissant ses maudites chaussures pour lui permettre de courir convenablement.

Leur course reprit, Keiichi se laissant emmener par une Mion réprimant une grimace de douleur chaque fois que ses pieds nus subissaient la morsure du sol forestier. Le garçon aurait bien demandé à son amie si elle était certaine de la route à suivre, au vu des nombreux détours et virages qu’ils avaient déjà effectué, mais cette manière qu’elle avait de tracer son chemin dans l’obscurité avec une telle résolution le laissa croire qu’elle savait parfaitement ce qu’elle faisait.

Oui, Keiichi devait également réussir à ne pas s’emporter, il devait rester lucide…

Veillant à conserver la même hauteur afin de ne pas se gêner dans leurs mouvements, Keiichi et Mion poursuivirent leur course folle à travers les arbres plusieurs minutes durant, espérant échapper à l’ombre furtive qu’ils supposaient responsables de la mort atroce du docteur Irie.

Peu à peu, leur marche ralentit, leurs pas se firent moins empressés. Un début de fatigue et le pressentiment d’avoir semé leur poursuivant les autorisa à stopper leur fuite, le temps de récupérer un peu de leur souffle.

S’appuyant tous deux contre un arbre, Keiichi jeta un regard vers la jeune fille. Mion semblait plus pâle encore qu’à son habitude, et cette fois les rayons de la lune n'y étaient pour rien…

_ Tu crois qu’on l’a semé ? demanda-t-il en se doutant que Mion n’aurait pas de réponse satisfaisante à lui offrir.

Scrutant l’obscurité qu’ils venaient de traverser à la recherche d’une présence menaçante, Keiichi fut heureux de ne rien apercevoir de ce genre. Néanmoins, une autre interrogation occupait l’esprit déjà bien accablé de Keiichi :

_ Est-ce que tu as vu qui c’était ?

Il lui apparut alors que Mion semblait avoir particulièrement mal encaissé cette soudaine course-poursuite, se tenant à l’arbre pour ne pas s’effondrer sur elle-même, ses yeux hagards cherchant ceux de Keiichi.

_ Mion ? Est-ce que ça va ?

_ Je… c’était…, murmura-t-elle d’un air tourmenté.

Le sang de Keiichi ne fit qu’un tour :

_ Tu l’as vu ? Tu as vu qui c’était ? Tu sais qui c’est ?!

Mion lui lança alors un regard dénué de vie, désespéré… c’était bien la première fois que Keiichi voyait son amie avec un air aussi terrorisé.

Mais quoi qu’elle ait vu, quoi qu’elle s’apprêtait à dire, elle fut interrompue par un son bref et incisif, reconnaissable entre mille…

Le son d’un coup de feu.

S’accroupissant par réflexe, son cœur ratant plusieurs battements d’affilé, Keiichi s’affaissa rapidement vers le sol, plaqué à l’arbre sans la moindre idée de l’endroit d’où pouvait bien provenir le sinistre bruit. Un deuxième tir retentit alors.

_ Mion, baisse-toi ! Il va nous…

Soudainement, il sentit qu’un poids inhabituel venait tirer sur la chaîne des menottes. Se retournant prestement, Keiichi mit quelques secondes à chercher des yeux Mion qui semblait s’être volatilisée… avant de finalement la retrouver.

Elle venait tout juste de s’écrouler sur le sol, face contre terre.

_ Mion ?

Fébrile, inquiet, incertain, Keiichi s’approcha prudemment de son amie, inerte…

_ Mion… tu vas bien ? Mion !

Conservant un minimum de lucidité lui permettant de rester accroupit afin d’échapper à d’éventuels nouveaux coups de feu, Keiichi prit la jeune fille dans ses bras. A peine avait-il posé ses mains sur le corps que, prit d’un réflexe subit, il les retira aussitôt, avant de les contempler…

Couvertes de sang…

_ Oh non… non non non… Mion ! Répond-moi ! s’affola Keiichi.

Retournant le corps de la jeune fille, il vit son visage, livide et froid. Néanmoins, Keiichi aperçut les lèvres de la jeune fille remuer très légèrement…

_ Kei…

_ Mion ! Reste avec moi, Mion, tu m’entends ? répéta inlassablement Keiichi en lui tapotant le visage.

Une tache de sang énorme près de son cœur…

Un mince filet de sang commença à couler de la commissure de ses lèvres. Dans un douloureux effort, la jeune fille articula :

_ …sortir de la forêt…tu dois… tout droit…toujours… vers la lune… toujours… surtout…

_ Mion, attend, ne… Mion ! cria un Keiichi complètement désarmé devant l’urgence de la situation, on va trouver de l’aide… Mion !

Le liquide rouge continue de couler…

 

Un dernier spasme secoua le corps de Mion… puis un dernier souffle…

Leurs regards se croisèrent une dernière fois :

_ … ne te perds pas… Kei…

Lourdement, la tête de Mion retomba contre le sol, les yeux clos, les lèvres entrouvertes…

 

 

 

Morte…

Ce mot résonna dans l’esprit de Keiichi, se cognant contre la paroi de son crâne pour mieux lui revenir à l’esprit, dans une boucle sans fin.

_ Mion ? appela-t-il d’un ton dénué d’espoir.

Personne ne lui répondit… pas un bruissement, pas un coup de feu, pas un animal sauvage, pas même l’ambiance festive du village qu’il n’entendait plus depuis longtemps.

_ Non…

Cette nuit… à cet instant, dans ce coin de forêt plongé dans les ténèbres qu’il ne connaissait pas…

Non…

… Il était seul.

 

 

 

_ MIOOON ! hurla Keiichi avec la force du désespoir, tandis que la réalité lui arrivait en pleine figure, le giflant brutalement : Mion était morte, son guide et surtout sa précieuse amie était morte… dans ses bras.

Keiichi ne parvint pas à retenir ses larmes, tandis qu’il serrait contre lui le corps de Mion, désormais réduit à un simple cadavre sanguinolent. Il était pétrifié, incapable de faire le moindre geste, comme si il craignait lui-même de s’éteindre, de disparaître en ne laissant derrière lui qu’un lambeau de chaire inerte…

Il aurait voulu ne plus bouger, rester là, à guetter son réveil, à l’attendre, jusqu’au lever du jour, et plus longtemps encore s’il le fallait…

… Mais quelqu’un ne lui laissa pas l’occasion de faire son deuil.

Une nouvelle plainte, identique à celle qu’il avait déjà entendu, tout aussi stridente et lugubre, lui rappela que Mion n’était pas morte par accident… elle avait été tuée.

Mion avait été assassinée sous ses yeux…

… et lui pouvait l’être à tout moment.

La première pensée de Keiichi fut de s’élancer, trouver le responsable de ce drame et lui faire payer au centuple son crime atroce… mais cette frénétique intention fut balayé en un instant, lorsque le cliquetis maudis le ramena à cette infernale réalité : il était toujours solidement entravé par ces liens de métal.

Mais il n’était plus menotté à Mion, son amie autoritaire et dynamique qui l’avait accueillit à bras ouverts lors de son arrivée à Hinamizawa, celle-là même qui devait partager son gage après une partie de poker qu’ils avaient tout deux perdus et devenir ainsi son épouse temporaire… désormais, Keiichi était menotté à un cadavre qui se vidait de son sang, au milieux d’une forêt plongée dans l’obscurité… sous les yeux d’un tueur sadique, vraisemblablement fou à lier, et qui plus est tout à fait en mesure de l’abattre en appuyant sur une simple détente.

Keiichi ne le savait que trop bien… si il restait ici, il allait mourir.

Fuir…

Pour le moment, il devait juste survivre…

Passant son bras sous le corps ensanglanté de son amie, ses mains tremblantes ne lui obéissant qu’à moitié, Keiichi la chargea tant bien que mal sur son épaule, répandant malencontreusement de son sang encore tiède sur ses vêtements et son visage.

A l’instant où le bruissement d’un tas de feuille se fit entendre derrière lui, Keiichi s’élança aussi vite que sa macabre situation le lui permettait. Il courut, courut et courut encore, aussi rapidement que possible, dans la seule direction possible :

Droit devant lui, en suivant la lune… il s’agissait là de sa seule carte, de son seul espoir, de son ultime indice…

 

A cet instant, au milieu des tourments et son incontrôlable peur panique, Keiichi se rendait pourtant parfaitement compte que sa seule chance de survie résidait dans sa capacité à suivre le dernier conseil que Mion avait pu lui offrir… avant de mourir…

 

 

 

Les branches hirsutes lui griffaient le visage, le sol meuble manquait de le faire trébucher au moindre faux pas, les ronces malmenaient ses vêtements et éraflaient sa peau…

Il n’avait aucune idée de l’endroit où il se rendait, il se contentait d’avancer en suivant aveuglément la directive de son amie morte, qu’il portait désormais sur son dos et dont le poids ne faisait que le ralentir. Keiichi avait peur. Tout autour de lui paraissait menaçant, que ce soit la nuit prête à l’engloutir, les arbres se penchant sur sa route ou la certitude que derrière lui, peut-être tout proche, le meurtrier attendait simplement que sa future victime soit suffisamment rongée par la peur pour l’achever de la pire façon qui soit.

Son esprit s’embuait, sa vue se troublait et bien que la fatigue se fasse cruellement ressentir, Keiichi avait complètement perdu toute notion de temps. Il ne savait pas depuis combien de temps il courait ainsi, se cognant contre des troncs d’arbres surgissant des ténèbres et se déchirant le poignet à porter le cadavre auquel il était menotté. Car malgré le physique élancé de la jeune fille froidement abattue, un corps humain ne se porte pas sur si longue distance dans un environnement aussi inhospitalier sans en subir les conséquences.

Il ne parvenait même plus à s’en rendre compte, mais Keiichi était épuisé, physiquement et mentalement. Sa course se faisait de plus en plus lourde, ses quelques réflexes dont il usait à l’excès pour éviter les nombreux obstacles dressés sur sa route s’évanouissaient dans l’obscurité, l’entrainant dans un cercle vicieux déterminé à pomper jusqu’à la dernière goutte de son énergie.

Keiichi avait peur, et c’était un euphémisme…

Chaque pas le rendait plus terrifié, chaque seconde passée en vie semblait le rapprocher de sa mort, pouvant intervenir n’importe quand, n’importe comment…

Soudain, le garçon dans sa course désordonnée frappa ses deux jambes l’une contre l’autre. Il lui sembla alors que le temps se ralentit à l’extrême, lui permettant de constater impuissamment tout ce qu’il lui arrivait en une fraction de seconde. Emporté par son élan, Keiichi tomba vers l’avant. Sur son dos, le corps de Mion bascula… mais pas du bon côté. Tandis que Keiichi avait été menotté au bras droit, le cadavre tomba vers le côté gauche de son corps. Une tension insupportable se fit ressentir dans son bras, jusqu’à ce qu’un craquement inquiétant ne se fasse entendre au niveau de son omoplate… son épaule venait de se déboiter.

Keiichi hurla.

 

 

 

_ Yoshiyama ? Vous venez ?

Le jeune policier répondit seulement après avoir pris une nouvelle bouffée de sa cigarette.

_ J’ai entendue un cri.

Derrière lui, sur la route de montagne où les deux hommes s’étaient postés, l’inspecteur Oishi parut un peu sceptique.

_ Vous m’avez déjà dit ça il y a une heure, nous avons déjà envoyé deux équipes dans la zone indiquée.

_ Mais ce cri là ne venait pas du même endroit, répondit très sobrement le subalterne, vos deux équipes peuvent chercher encore longtemps.

Oishi sembla de plus en plus irrité :

_ Je ne peux pas diviser nos forces quand on m’a déjà signalé la découverte d’un cadavre sur le bord de la route à l’opposé de l’endroit que vous désignés. Sachant que sur la totalité de nos hommes, vous êtes le seul jusqu’à qui ces fameux cris sont parvenus.

Yoshiyama haussa les épaules, sans détacher ses yeux du coin de forêt d’où il pensait que le cri était venu.

_ J’ai l’ouïe fine.

Cette réponse ne sembla pas satisfaire son supérieur.

Un grésillement désagréable informa les deux hommes que quelqu’un cherchait à les joindre. Oishi s’empara de son talkie-walkie :

_ Vous avez des nouvel sur ce cadavre?

Ce à quoi la voix parasitée d’un de ses hommes lui répondit :

_ Affirmatif, d’après les premières analyses du médecin, le type est mort en s’ouvrant la gorge avec ses ongles.

_ Et son identité ?

_ Un de nos hommes qui connaît du monde semble l’avoir reconnu, il pense que ce soit un photographe qui se baladait dans la région ces derniers temps. Son nom est Tomitake… quelque chose, notre homme ne se souvient plus de son prénom. Enfin le type serait mort il y a moins d’une heure.

_ Très bien, restez sur vos gardes et trouvez-moi qui a fait ça, conclut Oishi en rangeant l’appareil dans sa poche.

_Moins d’une heure, répéta Yoshiyama dans un murmure.

_ Vous pensez à quelque chose ? demanda Oishi.

Une fois de plus, le jeune policier haussa les épaules :

_ J’imagine que ça veut tout simplement dire que le responsable du cri que j’ai entendu il y a une heure dans la forêt et le responsable de la mort de ce photographe à l’autre bout du village… sont deux personnes différentes.

L’inspecteur parut peu enclin à jouer aux devinettes :

_ Encore une fois, je doute que ce que vous avez entendu…

_ Mais vous l’avez dit vous-même, inspecteur, l’interrompis Yoshiyama d’un ton calme.

Devant le regard interrogatif de Oishi, le jeune homme développa :

_ Le festival du Watanagashi n’est pas terminé et nous avons déjà trois morts, dont deux sont survenues bien avant que le festival ne commence. Partant du fait que ce schéma est le premier du genre depuis quatre ans, ne serait-il pas prudent d’envisager que les deux premiers meurtres, ainsi que celui que nous venons tout juste de découvrir… soient d’instigations et de motivations totalement différentes ?

Cette hypothèse sembla faire beaucoup réfléchir l’inspecteur qui, après un long silence, lança d’un air mauvais :

_ Tss… comme si ce n’était pas suffisant.

Yoshiyama reporta son attention sur ce fameux secteur forestier, une lueur déterminée dans le regard. Comme si une réponse pouvait l’y attendre…

_ J’envoie une de nos deux équipes restantes sur les lieux, concéda oishi.

_ Nous somme plus proche, murmura Yoshiyama.

Se retournant vers l’inspecteur, il déclara simplement :

_ J’y vais.

Oishi fronça les sourcils.

Son grade de supérieur en charge de cette opération lui dictait de dissuader son subalterne d’une telle entreprise, de lui ordonner de rester afin de l’appuyer dans la coordination des équipes de recherche. Sans compter qu’il faudrait être un parfait crétin pour s’aventurer seul en forêt, de nuit, avec un le risque de tomber sur un tueur en série dont personne ne savait rien.

Cependant…

_ On reste en contact, répondit simplement Oishi en tapotant sa poche.

_ Cela va de soi, confirma le jeune homme.

Vissant sa casquette de policier sur sa tête, jetant sa cigarette, allumant son talkie-walkie à sa ceinture et se munissant d’une lampe torche, Yoshiyama commença à descendre la pente menant de la route vers la forêt en contrebas.

_ Vous saurez vous repérer ? appela Oishi en le regardant dévaler le versant avec habileté.

_ Pas de souci, assura le jeune homme en jetant un bref regard vers le ciel sans nuages.

Peu à peu, Oishi le regarda disparaître dans les arbres, la lumière de sa torche déclinant jusqu’à s’évanouir dans le noir.

Un calme quelque peu stressant suivit la disparition de Yoshiyama. Oishi chercha alors à s’allumer une cigarette. Un bruit parasite se fit alors à nouveau entendre.

_ Qu’est-ce que c’est ?

Ce ne fut pas une voix qui lui répondit, mais ce même son, grinçant, strident, parasité, qui se poursuivit plusieurs secondes durant.

_ Il y a quelqu’un ? demanda Oishi non sans agacement.

_ …

Toujours aucune réponse.

_ Si quelqu’un a allumé son talkie-walkie, qu’il l’éteigne non d’un chien ! s’emporta Oishi

L’inspecteur pensait que l’un de ses hommes avait malencontreusement allumé le communicateur… mais tout de même, cela faisait suffisamment de boucan pour qu’il le remarque et le coupe. Oishi allait réitérer son appel, mais quelque chose lui coupa la parole :

_ … soir…

Au milieu de la friture parcourant la ligne… c’était bien une voix humaine que l’inspecteur entendait :

_ Est-ce qu’il y a quelqu’un ? Yoshiyama, c’est vous ?

_ … ce soir…

C’était un chuchotement, comme une plainte, impossible à déterminer avec précision. De plus en plus intrigué, voir inquiété par cette voix semblant sortir d’outre-tombe, Oishi se laissa aller à un court instant d’agitation. Il prit le talkie-walkie et cria :

_ Mais qui est là, bon sang ?!

 

_ … ce soir… j’emmène tout le monde… à la maison…

 

 

 

_ Qui…

_ … eiichi…

Remettant de l’ordre dans ses idées, ouvrant péniblement les yeux après avoir sombré dans l’inconscience, Keiishi ne comprenait pas vraiment ce qu’il lui arrivait.

Le sol était sal, inconfortable… il se sentait mal, comme si…

Le teint blême du cadavre de Mion lui sauta aux yeux. Keiichi sursauta à la vue putride du sang séché recouvrant sa robe blanche, il tenta de se soustraire à cette vision dégoutante… mais son corps ne l’entendit pas de cette oreille. Une douleur fulgurante lui traversa l’épaule le laissant échapper un râle plaintif. Se recroquevillant sur lui-même, Keiichi se mordit la lèvre pour essayer de résister à la douleur… mais rien à faire, son épaule semblait en flamme, une lente et pénible combustion qui le rongeait de l’intérieur.

_ … Keiichi…

Le garçon fut pris d’un nouveau sursaut terrifié, ainsi que d’un nouvel éclair de douleur.

Mion, c’est Mion…

Mais le cadavre n’avait pas remué d’un cil… Mion était belle et bien morte.

Le souvenir de son meurtre revint en un éclair à Keiichi qui, prit de court par le flot intense d’horreur et d’émotions survenues ces dernières heures, ne put réprimer une irrépressible envie de vomir.

Ayant craché tout ce que pouvait encore contenir son estomac, Keiichi en avait presque oublié cette voix…

_ Keiichi !

Se plaquant contre un arbre pour soutenir sa douleur, Keiichi jeta des regards frénétiques tout autour de lui, mais rien ne sembla lui indiquer la présence d’une tierce personne… comme cela avait été le cas la dernière fois que le tueur avait été proche de lui…

_ Qu… qui êtes-vous ?! cria Keiichi, montrez-vous ! Je sais que vous êtes là !

Un bruit de pas résonna à sa gauche.

Il est tout près…

_ Keiichi…

Le garçon fut tétanisé.

Une voix de fille…

_ Keiichi…

Perturbé, effrayé, Keiichi ne savait plus où donner de la tête, il lui semblait que la voix désincarnée provenait de partout à la fois.

Cette voix…

_ Keiiiichi, répéta la voix d’un ton doucereux, tu es si mignon… quand tu t’obstines…

Un bruit précipité…

A gauche, non… à droite !

Désorienté, malmené par la douleur et la fatigue, Keiichi ne parvenait pas à repérer la source de cette voix machinale, dénuée d’humanité… si l’on exceptait cette impression de sadisme qui suintait de ces mots innocents prononcés dans un tel contexte.

_ Mais qu’est-ce que tu me veux ?! finit par hurler le garçon à bout de nerf.

_ Keiichi…

Cette façon qu’elle avait de répéter son prénom… inlassablement…

_ Pourquoi tu fais ça…

Folle…

_ Qu’est-ce qui te prend…

_ Keiichi…

Devant, non… derrière…

_ Pourquoi tu as tué le docteur Irie… et Mion !

_ Kei…

_ MAIS QU’EST-CE QUI TE PREND…

Pris d’un élan soudain, motivé par ce sentiment de rage et d’incompréhension qui venait s’ajouter au désordre innommable qu’était son esprit torturé par la peur et la douleur, Keiichi parvint par miracle à se remettre debout, criant de toute ses forces :

 

_ … RENA !!

 

La voix se tut, longuement… à tel point que durant une minute entière, on n’entendait plus que le souffle rauque de Keiichi dans le silence de la nuit.

_ Tu n’es pas gentil, Keiichi.

La voix étrangement ravagée de Rena fit frissonner Keiichi.

_ Rena… est-ce que c’est toi qui…

_ Je l’ai fait…

La voix sembla se rapprocher…

_ Je l’ai fait, répéta-t-elle.

_ Rena, pourquoi… pourquoi est-ce que… ?

Un rire… un petit rire, celui d’une jeune fille, ce genre de petits rire qui ferait fondre n’importe qui… ce petit rire si mignon qui allait si bien à Rena…

_ Keiichi…

Elle est tout près, maintenant…

 

_ Je veux t’emmener à la maison !

 

Un coup de feu retentit, faisant s’envoler une nuée de chauve-souris vers le ciel étoilé.

Keiichi réagit au quart de tour, délaissant son appuis, il attrapa le bras de Mion avec sa main gauche et d’un pas chancelant il traina le cadavre avec toutes les forces qu’il lui restait.

Elle veut me tuer…

Le sol escarpé rendant son avancée plus laborieuse que jamais, Keiichi n’eut pas le loisir de se maudire pour le sort qu’il faisait subir au corps de Mion, la panique prenant progressivement le dessus sur sa personnalité , lui dictant une attitude qui ne lui était pas coutumière.

Fuir…

Un nouveau coup de feu au loin ne fit qu’accentuer sa folie naissante, l’obligeant à accélérer encore le pas, tirant le cadavre de son amie comme si il ne s’agissait que d’un vulgaire sac lourd et encombrant.

De l’aide…

Il en avait presque oublié la consigne de Mion… tout droit, en suivant la lune. Dans un court instant de lucidité, Keiichi constata avec soulagement qu’il suivait bien la bonne direction…

C’est alors que le sol se déroba sous ses pieds…

Sans prévenir, le terrain criblé d’obstacles mais relativement plat avait précédé une pente abrupt que Keiichi n’eut pas le temps de voir venir. Ne trouvant aucun appuie dans un rayon proche, Keiichi comprit rapidement qu’il ne pourrait pas échapper à de nouvelles souffrances.

Il tomba, lourdement, entraînant avec lui le cadavre de son amie, sachant pertinemment qu’une pente, si longue et abrupte fut-elle, ne suffirait pas à le mettre à l’abri de Rena…

 

… Ainsi que de la folie meurtrière qui l’habitait désormais.

 

 

 

Une douleur… dans sa tête…

Mion…

Une douleur… sans son corps…

Mon épaule… si mal…

Une douleur… dans son âme…

Rena… pourquoi…

Keiichi était allongé, par terre. Incapable de remuer un muscle. Le temps passait… beaucoup de temps…

Keiichi était à bout de force… il n’en pouvait plus. Autour de lui, les ténèbres se faisaient plus imposantes, plus avides…

Il était fatigué, meurtris, détruis… ce meurtre, cette course, cette pression… c’était bien plus qu’il ne pouvait en supporter. Il voulait en finir, il voulait que cela cesse.

Des pas dans la nuit…

Le garçon n’eut cependant pas assez de force pour tenter une nouvelle fois de s’enfuir… plus que tout au monde maintenant, il voulait en finir.

_ Tue-moi…, murmura-t-il

Après tout…

Je ne veux pas…

Être tué par Rena…

Je ne veux pas !

Peut-être…

Non…

… Que ça aurait pu être pire…

 

Les pas… se rapprochent…

 

_ Il y a quelqu’un ?

Cette voix…

Un éclair de lumière éblouit soudainement Keiichi.

Qui est-ce ?

Les pas s’accélérèrent.

Ce n’est pas Rena…

_Garçon, tu m’entends ?

_ Qui…

_ Brigadier Yoshiyama, police, se présenta très brièvement le jeune homme, garçon, tu m’entends ? Et ton amie ?

_ Po… lice ?

La seconde question du brigadier retarda le soulagement qu’il aurait naturellement dû ressentir à cette annonce.

_ Mion… morte, parvint-il tout juste à articuler.

Le policier jeta alors un regard déçu vers le corps sévèrement éraflé de la jeune fille, jusqu’à ce qu’un cliquetis métallique ne détourne les yeux de Yoshiyama.

_ Des menottes ? Garçon, raconte-moi ce qu’il t’est arrivé, comment tu t’appelles ?

La police… il était sauvé. Il n’avait plus rien à craindre maintenant, tout allait bien se passer, maintenant…

_ Maebara… Keiichi.

_ Ok, Maebara, je vais te retirer ces menottes, ne bouge pas…

Tandis que le policier fouillait dans sa poche à la recherche de la petite clé qu’il gardait avec ses propres menottes, Keiichi remarqua le pistolet qu’il tenait dans sa main. Un instinct d’autodéfense basique fit naître en lui la tentation de s’en emparer…

Rena en a un aussi… Rena est armé…

Il devait le prévenir, prévenir le policier que Rena avait un pistolet, que Rena avait tu…

 Rena…

_ Ça y est, déclara Yoshiyama en extrayant la petite clé métallique de son uniforme.

S’emparant du poignet de Keiichi, un râle de douleur de la part du garçon l’informa de l’état peu enviable de son épaule. Avec d’autant plus de douceur, le policier s’appliqua à libérer le prisonnier de son entrave. Cependant…

… Les secondes s’écoulaient… et la morsure du métal glacé sur sa peau ne disparut pas.

L’incompréhension se lisant sur son regard, Yoshiyama ramena la petite clé jusqu’à lui, comme si quelque chose clochait.

_ Qu’est-ce que… ?

Mais la détonation caractéristique du chien d’un revolver percutant une cartouche mortelle interrompit brusquement le policier dans sa surprise.

 

Elle est là...

 

Au moyen d'un sang-froid et de réflexes impressionnants, Yoshiyama agrippa Keiichi ainsi que le corps de Mion et les installa à couvert derrière l'arbre le plus proche. Deux autres tirs succédèrent alors au premier. Yoshiyama, prêt à user de son propre pistolet, scruta d'un œil vif le voile nocturne qui s'étendait tout autour d'eux.

_ Ils sont plusieurs ou quoi? interrogea-t-il à voix haute.

Attendant trois secondes une réponse de Keiichi qui ne vint pas, Yoshiyama prit les devants. Se mettant partiellement à découvert, il pointa le canon de son arme droit vers l'origine supposée des coups de feu. D'un geste vif et parfaitement calculé, le policier tira deux fois, avant de se remettre à l’abri derrière le tronc. S’attendant au mieux à un cri de douleur, au pire à un nouveau coup de feu, le policier fut déçu de constater que ni l’un ni l’autre ne se produit, laissant tout le loisir au silence de s’étendre une fois de plus entre eux et le meurtrier fantôme…

Yoshiyama analysa rapidement la situation : il était indubitablement en position de faiblesse, avec un blessé, un cadavre et une incapacité à déterminer la position exacte du tueur tandis que celui-ci semblait n’avoir aucun mal à le localiser dans cette obscurité.

Jetant un rapide coup d’œil au garçon recroquevillé sur lui-même, qui semblait s’être endormi. Le policier envisagea d’appeler des renforts immédiats… cependant, il était parfaitement conscient qu’une éventuelle cavalerie n’arriverait pas sur les lieux avant une bonne demi-heure, en partant du principe qu’elle ne parvienne à localiser leur position en un temps record, sans compter qu’ils étaient déjà tous suffisamment occupés … hypothèses à écarter si Yoshiyama souhaitait capturer le tueur dans perdre plus de temps. Après tout… n’était-ce pas ce risque et cet isolement qui faisaient tout son charme à cette escapade improvisée ? Yoshiyama s’autorisa un de ses rares sourires… sans parler des honneurs qu’il pourrait retirer de cette capture…

Oui, il n’y avait définitivement pas besoin de déranger Oishi pour si peu.

Son arme bien en main, l’œil aux aguets, tous ses en en éveils, Yoshiyama guetta le premier signe de mouvement chez son assaillant pour foncer droit sur lui, comptant majoritairement sur ses réflexes et son gilet pare-balle pour éviter de trépasser malencontreusement d’un tir mal placé.

Un craquement sur la gauche… maintenant !

Mettant à profit ses longues heures d’entraînement quotidiennes, Yoshiyama bondit tel un sprinteur courant un cent mètre, fonçant droit devant lui vers l’endroit d’où était venu le bruit traitre. Aucun coup de feu ne retentit sur sa route, c’était bon signe. Peut-être le tueur était-il à court de munitions. Plus que deux ou trois mètre…

Se plantant derrière le premier arbre venu, le policier regarda à 360 degrés autour de lui, près à abattre la première ombre suspecte qu’il verrait, pourtant…

Il n’y avait rien.

Personne, pas plus de bruits de pas signalant une quelconque fuite du poursuivant, c’était comme si le tueur s’était volatilisé…

Yoshiyama ne comprenait pas. Il en était persuadé, jamais son instinct ne l’avait trompé, pas à ce point… et peut importe la façon dont il voyait ou analysait les choses…

…Il n’y avait personne.

 

… Un bruit… derrière !

 

Le jeune homme fit volte-face, mais tout ce qu’il aperçu à ce moment là, ce fut cette grosse branche de bois mort qui vint s’écraser contre son visage. Yoshiyama prit le coup de plein fouet, sa mâchoire laissant échapper un craquement sinistre tandis qu’une douleur insoutenable se fit sentir au niveau de sa tempe. Titubant sans pouvoir se rattraper, il s’effondra violemment contre un tronc d’arbre, s’éraflant une bonne partie du visage contre l’écorce. Sonné et désorienté, Yoshiyama ne remarqua pas immédiatement le vide béant qui venait de prendre place dans sa main… le pistolet !

A peine cette pensée lui vint-elle à l’esprit qu’il releva la tête, ne voyant qu’une ombre dressée contre lui, le surplombant de toute sa hauteur. Le policier le remarqua alors… l’éclat brillant de son pistolet dans la main de son agresseur.

 

L’ombre le mit en joue avec froideur… et sans sommation, elle tira.

 

 

 

Rena…

Le goût du sang dans sa bouche lui donna à nouveau envie de vomir… ce qu’il aurait sans doute fait s’il lui avait resté quoi que ce soit à vomir.

Pourquoi… Rena…

Son corps et son esprit lui faisaient mal, un mal tel qu’il n’en avait jamais ressenti. Même lorsqu’il avait prit toute la mesure de ses crimes passés avant sa venue à Hinamizawa, le poids des remords n’avait jamais égalé ses tourments présents.

Pourquoi est-ce que tu as tué ces gens ?

 

Keiichi ouvrit les yeux.

 

Il faisait toujours nuit… à moins que ce ne soit seulement ses pensées qui soient plongées dans l’obscurité, oui…

Au loin, dans les quelques parcelles de ciel que la cime des arbres ne dissimulait pas à ces yeux, il lui sembla apercevoir… les toutes premières lueurs du jour.

A cet instant, tel une multitude d’aiguilles plantées dans chacun de ses nerfs, le souvenir de la nuit passée lui revint en mémoire.

Mion, ce policier…

A côté de lui, el cadavre de la jeune fille  assassinée gisait dans une posture incongrue, le visage figé dans une mimique déformée. En revanche… aucune trace du policier.

Rena !

S’agrippant à l’écorce de l’arbre, se redressant du mieux qu’il pu quitte à éclater le peu d’ongles en bon état qu’il lui restait, Keiichi parvint finalement à se remettre debout… avant de s’écrouler de nouveau lorsque, le prenant par surprise, un bruissement de feuillage lui parvint de sa gauche.

_ Rena ! Tu… ! commença Keiichi.

Mais ce n’était pas Rena…

Avec horreur, Keiichi le regarda s’approcher en boitant misérablement…

… le policier.

Keiichi ne pu réprimer une grimace de dégout. Ses vêtements couverts de sang, son visage défiguré et gravement enflé au niveau de sa tempe, les trous béants dans son uniforme… l’homme semblait sortir d’un coma prolongé de plusieurs années, ce qui était sans doute le cas mais pour une plus courte période.

_ Qu… Que vous est-il arrivé ?

L’homme lui jeta un regard oblique… sa mâchoire brisée l’empêchait de parler. Se dirigeant vers Keiichi d’un pas claudiquant, le blessé jeta un regard au sol… avant d’y désigner quelque chose de sa main valide, l’autre semblant avoir reçu un tir de pistolet en plein milieux. Keiichi remarqua alors ce que le policier lui désignait … son talkie-walkie.

Keiichi n’en croyait pas ses yeux… un moyen de communication, un moyen de se sortir de ce cauchemar…

Sans doute le policier l’avait fait tomber lors de sa course. Celui-ci fit signe à Keiichi de l’utiliser, lui indiquant grossièrement quels boutons utiliser. Pendant que Keiichi tentait de démarre le communicateur, le policier jetait plusieurs regards autour d’eux… si le tueur, désormais armé de son pistolet, l’ayant laissé pour mort n’avait pas jugé bon de venir achever sa précédente victime, il serait naïf de croire qu’il n’était plus dans les parages…

Le son parasité caractéristique du talkie-walkie résonna soudainement dans le bois. Keiichi tenta de d’appeler :

_ Est-ce que… est-ce que quelqu’un m’entend ?

Un fracas strident retentit à l’autre bout de l’onde, suivit d’une voix bourrue et partiellement énervée :

_ Yoshiyama ! Nom de nom qu’est-ce que vous fichiez ?! Ça fait trois heures que je cherche à vous joindre ! On a trouvé un deuxième cadavre calciné… où êtes-vous ?!

_ Je… ne suis pas…, répondit Keiichi avec peu d’assurance, enfin, le policier avec moi…

_ Ce n’est pas Yoshiyama ? Mais qui êtes-vous ? Où est Yoshiyama ?!

_ Il est à côté de moi, je… je m’appelle Keiichi, Maebara Keiichi et…

_ Vous êtes toujours dans la forêt ? Est-ce que vous avez croisé le tueur ?

A cet instant… quelque chose dans l’esprit de Keiichi se brisa.

Le tueur… Rena !

Les lèvres entrouvertes, le regard dans le vague, Keiichi éloigna progressivement le talkie-walkie de son visage…

Rena…

Keiichi fut pris de tremblements, ses spasmes relançant sa blessure à l’épaule.

Rena

 

Elle a tué ces gens…

 

Elle avait sans doute une bonne raison.

 

Elle a tué le docteur Irie.

 

Elle n’avait sûrement pas le choix.

 

Elle a tué Mion !

 

Tu aurais dû pouvoir la protéger.

 

 

C’est une meurtrière !

 

C’EST RENA !

 

Keiichi cessa de trembler.

La tête baissée vers le sol, le communicateur serré dans sa main, l’iris de ses yeux dénuée de vie… tout cela n’était pas pour rassurer Yoshiyama.

_ Vous…

Jetant un regard mécanique et menaçant vers le policier, Keiichi lança :

_ Je ne peux pas… vous laisser capturer Rena.

Yoshiyama ne savait pas qui était Rena, mais ce qu’il comprenait parfaitement en revanche c’est que la situation achevait de lui échapper totalement… tandis que sa vue décroissait rapidement et que la blessure sur sa tempe devenait de plus en plus insupportable.

Fourrant le communicateur dans sa poche, Keiichi exécuta un pas un peu bancal vers l’arrière, pointant un doigt accusateur vers le policier agonisant :

_ Vous… allez l’enfermer… la traiter en folle…

Attrapant le cadavre de Mion par le bras, Keiichi recommença à la trainer avec lui, s’éloignant lentement mais sûrement du policier qui regardait avec horreur cette scène se dérouler sans qu’il ne puisse intervenir.

_ … Mais Rena ne mérite pas ça…

Le regard de Keiichi basculait d’une seconde à l’autre entre l’effroi et la haine.

Ce type…

Après tout, ce policier sortit d’on ne sait où, avec ce pistolet… les coups de feu qu’il avait entendu jusqu’ici… Rena ne savait pas se servir d’une telle arme.

Ce type…

Et ces blessures, peut-être qu’il s’était blessé volontairement… pour le tromper, pour qu’il ne se méfit pas.

C’est un piège !

Yoshiyama tenta de s’avancer, afin de retenir le garçon prit d’une panique maladive, et ce regard fou qu’il lui lançait… mais il ne parvint qu’à effrayé Keiichi plus qu’il ne l’était déjà.

 

Cette nuit dans cette forêt venait de lui faire perdre la raison.

 

_ Rena… EST MON AMIE !! hurla Keiichi.

 

Tournant les talons, Keiichi hissa le cadavre de Mion sur son épaule, galvanisé par sa soudaine détermination motivée par la folie. Il ne comprenait pas ce qu’il lui arrivait, il ne ressentait plus, il agissait simplement en suivant un instinct dénaturé, perverti par la peur et la paranoïa.

Sa seule intention était de s’éloigner le plus rapidement possible de cet homme maléfique.

Mais alors qu’il s’apprêtait à entamer sa course, Keiichi s’immobilisa. Le souffle rauque, le corps trempé de sueur, l’espace d’un instant il crut halluciner…

 

… lorsqu’il croisa le regard bleu encadré d’éclats orangés de Rena.

 

La jeune fille se tenait là, figée, impassible, ses yeux à peine visibles dans la semi-obscurité le fixant avec une froideur à glacer le sang. Il y eu un instant de flottement, durant lequel Keiichi ne sut pas comment réagir. Ses pensées se bousculaient en un mélange de peur et de soulagement, il voulut s’approcher… avant de remarquer ce que tenait la jeune rousse dans sa main.

La lame brillante, effilée, redoutable…

Un intense frisson parcourue le corps du garçon. Il ne saurait l’expliquer correctement… mais ce couperet le terrorisait. Il semblait empli de tant de douleur, le symbole de tellement de mal… et cette trace rouge subsistant sur le tranchant de la lame…

Keiichi eut un déclic, comme libéré d’un sort pétrificateur. Il se détourna de cette vue… et recommença à courir, encore…

Il ne pouvait pas affronter Rena, pas encore, mais peut-être… ne le pourrait-il jamais.

 

 

 

Le policier à bout de souffle s’écroula, se cognant une nouvelle fois le visage contre le sol rugueux. La fatigue et la douleur eurent raison de sa détermination…

Son arrivée, très récente, au poste de police de la région avait sonné pour lui comme une déception… avec la perspective de journées ennuyantes à ratisser la campagne en quête de bandits de bas étages. En un sens, cette annonce de malédiction et de meurtres en série l’avait quelque peu… enchanté.

Maintenant… un meurtrier lui avait pris son arme… avant de lui tirer plusieurs fois dessus. Même si une partie des balles avait été arrêtées par son gilet de protection, sa main, sa jambe et sa hanche n’avait pas résistés à la décharge mortelle.

Maintenant… un garçon fou furieux lui avait pris son seul moyen de communication…  son dernier œil valide venait de rendre l’âme… il ne parvenait plus à remuer un muscle...

Maintenant… cela faisait plusieurs heures qu’il se vidait lentement de son sang… et…

… cette bosse à la tempe qui ne cessait pas de grossir… l’empêchant de mener à bien la moindre pensée…

 

Maintenant… il allait passer encore un moment dans la douleur… en attendant…

 

 

 

Courir… courir encore et encore, avec la mort aux trousses, le suivant comme son ombre, le traquant sans répits comme une bête sauvage. Il semblait à Keiichi qu’il n’avait pas cessé de courir depuis qu’il était entré dans cette forêt maléfique, ce qui n’était pas loin de la vérité. Dans sa poche, le talkie-walkie menaçait de tomber au sol à chaque enjambée. Mais Keiichi ne parvenait pas à faire son choix. Plus que tout il voulait que ce cauchemar s’arrête, il voulait sortir de cette forêt pour oublier cet enfer d’une nuit. Mais en contrepartie, l’idée de traiter Rena, une amie aussi précieuse que Mion l’eut été, comme une vulgaire criminel folle à lier lui était insupportable. Néanmoins… dans sa course qui durait déjà depuis plusieurs minutes, la tension retomba légèrement… tandis que le poids du corps de Mion sur l’épaule de Keiichi lui pesait autant que sa mort sur sa conscience.

 

Elle l’a tué.

 

Rena est mon amie !

 

Et Mion ?

 

Elle avait une bonne raison…

 

Il existe une bonne raison pour tuer ?

 

_ KEIICHI !

La voix stridente de Rena retentissant juste à côté de lui le déséquilibra. Désorienté, le garçon se tordit la cheville dans un faux pas et ne remarqua pas le fossé béant devant lui. Il tomba lourdement avec le cadavre, son épaule déboitée frappant durement la terre. Poussant un nouveau cri de douleur, Keiichi se mordit les lèvres pour essayer d’oublier ses nerfs chauffés à blanc. Mais la voix déformée de Rena suffit à lui faire se désintéresser de sa seule épaule, désormais préoccupé pour la sécurité de sa vie toute entière. 

_ Rena ! appela-t-il, je veux te parler !

Un petit rire de jeune fille lui répondit :

_ Tu veux jouer avec moi ?

La voix semblait provenir de partout en même temps, tantôt à droite, puis à gauche…

_ Rena ! Pourquoi est-ce que tu fais tout ça ! Qu’est-ce que tu veux ?

Un instant de silence…

_ Je veux juste jouer avec vous !

A peine ces mots furent prononcées qu’un cri, non… un hurlement déchirant retentit, une dizaine de secondes durant, sans interruption ou diminution de l’intensité. La plainte était si assourdissante que Keiichi se boucha les oreilles. Finalement, la clameur s’arrêta.

Du fond du fossé, Keiichi guetta un signe de la jeune fille rousse.

_ Rena… qu’est-ce qu’il s’est passé ? Rena ?

_ Elle ne veut pas jouer…

La voix de Rena sembla déçue.

_ … Satoko ne veut pas jouer avec nous.

_ Satoko ?! s’écria Keiichi, Satoko est là ?!

Le hurlement torturé recommença de plus belle, étouffant les cris de Keiichi, suppliant Rena de s’arrêter, quoi qu’elle fût en train de faire à Satoko. Une fois de plus, la plainte cessa.

_ Satoko est une méchante fille…

… pour mieux recommencer.

_ Non ! s’efforça Keiichi de raisonner Rena tandis que la voix décharnée de Satoko résonnait par intermittence, laissant sous-entendre que Rena était en train de la supplicier d’une manière particulièrement horrible.

_ Rena ! Arrête ça ! hurla encore Keiichi sans succès.

Son cauchemar ne faisait que croître, la peur et la souffrance contenue dans ces cris achevaient d’anéantir le peu de lucidité que le garçon avait réussi à conserver au fond de son esprit. Les larmes lui montaient aux yeux, ses nombreuses blessures ne cessaient de le relancer, le corps de Mion l’empêchait de bouger…

Frappant de toutes ces forces contre la pente du fossé, Keiichi tenta une dernière fois de faire entendre raison à son amie méconnaissable, ses suppliques se perdant dans la tempête de cris retentissant au-dessus de sa tête.

_ PAR PITIE, RENA ! ARRÊTES ÇA !!

Mais elle n’entendait pas… et quand bien même… elle n’écoutait pas…

 

Elle est folle…

 

Non.

 

Elle est folle !

 

Non !

 

C’est une tueuse !

 

C’EST RENA !

 

C’est une MEURTRIERE !

 

Un courant électrique traversa la tête de Keiichi, sa main libre plongeant vers sa poche où était rangé… non. Il n’y était plus !

Le talkie-walkie avait disparu !

Pris de mouvements frénétiques, scrutant le fossé dans la désespérance la plus totale, Keiichi eut alors une inspiration, une illumination soudaine…

Levant les yeux au ciel, droit au dessus, vers la lune décroissante… il était là. Dépassant à moitié du rebord le séparant de la surface. Comme hypnotisé par cette vision, Keiichi s’agrippa à la pente pour tenter d’atteindre le communicateur qu’il venait de désigner comme sa toute dernière chance de survie, tandis que ses tympans se trouvaient vrillés par les cris ininterrompus qui se poursuivaient quelques mètres plus loin.

Mais, Keiichi crut que le monde s’effondrait lorsque parvenue aussi loin que lui permettait ses menottes et le corps de Mion, il lui restait quelques petits centimètres avant d’atteindre son objectif.

S’il voulait récupérer le communicateur, il devait soulever le corps de Mion tout en attrapant le talkie-walkie… impensable avec un seul bras et une cheville foulée.

Keiichi était en pleine crise de nerf, tirant comme un forcené sur son bras et son épaule qui lui arrachait d’insoutenables souffrances au moindre geste alors que le seul moyen de se réveiller de ce cauchemar lui tendait les bras.

_ Merde ! cracha Keiichi alors que les hurlements de Satoko continuaient de résonner dans son crâne.

Il avait le tournis, trébuchait, se relevait encore, tirait de toutes ses forces sur la chaîne métallique, mais il était à bout de force, le moindre geste lui coûtait une dose hallucinante de courage… ce dont il n’avait plus depuis plusieurs heures déjà, ne réussissant plus à bouger que par un instinct de survie insensé.

_ Mais merde, BOUGE ! cria-t-il à sa propre attention, dégoûté de son impuissance dans une telle situation.

C’était assez, assez, assez… il voulait… il ne voulait que ça…

… QUE ÇA S’ARRÊTE !

Plaquant son poignet menotté contre le sol, Keiichi prit une grande inspiration… et il donna un violent coup de pied sur sa main, occasionnant une série de craquement l’informant qu’il avait réussi à se broyer une bonne partie des os de la main.

Oubliant momentanément la douleur, luttant contre la menace constante de s’évanouir, Keiichi tira brutalement sur le lambeau de chair et d’os pilé qui lui servait de bras, devant s’y reprendre à plusieurs avant de finalement réussir à faire passer sa main à travers le bracelet métallique.

Sans perdre une seconde, se frappant le visage afin de garder un contrôle relatif de ses pensées, noyées dans la douleur, la colère et la peur d’arriver trop tard, Keiichi remonta la pente abrupt et s’empara immédiatement du talkie-walkie, enfonça un bouton qui fit résonner le son parasite tant espéré. A l’autre bout de l’onde, un inspecteur Oishi sur le qui-vive demanda directement :

_ Il y a quelqu’un ? Yoshiya…

_ ICI MAEBARA KEIICHI ! vociféra le garçon sans perdre un instant, je suis dans la forêt ! J’ai des problèmes ! Rena… Ryûgu Rena ! Elle…

Keiichi sentit quelque chose se coincer dans sa gorge… mais il se força à éructer, portant dans sa douleur le souvenir d’une nuit atroce passée dans la fatigue, à transporter le cadavre de sa propre amie sur plusieurs kilomètres escarpés et dangereux…

_ Elle a tuée le docteur Irie ! Et Mion Sonozaki ! Rena… l’a tué ! Venez me chercher ! Je suis dans la forêt ! Je vous en conjure… !

_ Calme-toi, mon garçon, essaye de trouver un point de repère pour me signaler plus précisément ta position.

Infiniment soulagé d’entendre la voix d’une personne saine d’esprit et méthodique, Keiichi allait tenter de répondre quelque chose…

 

… lorsqu’il le remarqua enfin.

 

 

Les cris… s’étaient finalement tus.

 

 

Mais il y avait autre chose…

_ Mon garçon, tu es là ?

Ce n’était pas seulement le silence…

_ Maebara ? Répondez !

 

C’était… cette présence…

… A peine un mètre derrière lui.

 

Mais surtout, c’était ce cliquetis maudis dont Keiichi avait dû supporter le tintement durant près de dix heures… qui n’aurait jamais dû résonner à cet instant.

 

Keiichi laissa tomber le talkie-walkie au sol, puis il leva les yeux.

 

Il n’y a personne

 

Assis sur le sol, il se retourna.

 

Ni Satoko…

 

Et devant ce qu’il vit…

 

… Ni Rena.

 

Son cœur s’arrêta.

 

 

 

Il n’y a jamais eu qu’elle.

 

 

 

La première chose que vit Keiichi fut l'éclat étincelant du bracelet métallique auquel il était encore menotté pas moins d'une minute auparavant, et en suivant chacun des maillons de la chaine le reliant au second bracelet... il y avait cette main, dont la peau blanche maculée de terre et de sang séché semblait appartenir à un mort-vivant.

La main prit soudainement vie, dans un geste en un sens empli d'une grâce surnaturelle pour une personne ayant momentanément oublié l'état désastreux de son propre bras. Avec légèreté et application, la main s'appliqua à arranger dans la mesure du possible la robe blanche ayant subi les affres d'une nuit mouvementée en forêt. Déchirée à de nombreux endroits, n'ayant plus de blanc que le souvenir que l'on en gardait, cette robe de mariée ne pourrait jamais plus servir qu'à habiller le corps décharné d'un revenant.

Ses bras, ses pieds et l'ensemble de son corps recouvert de contusions, son regard de jade émergeant progressivement d'une longue phase d'inaction, la jeune fille se tenait debout, sur ses deux jambes que les lambeaux de tissus de son vêtement ne couvraient plus qu'à moitié.

 

Prenant une ample inspiration, Mion Sonozaki venait d'achever son réveil... sous les yeux médusés de Keiichi.

 

A force d'être trainé sur le sol forestier, crasseux et parsemé de cailloux, son visage scarifié et anormalement blême tranchait avec le sourire ravie que dessinaient ses lèvres entaillées. Détournant son regard vers le garçon totalement abasourdit, Mion passa alors une main dans ses longs cheveux sales et emmêlés, avant d'adopter un ton faussement interrogatif :

_ Quoi? J'ai quelque chose sur le nez?

Ce sourire chaleureux que Mion affichait laissait un goût particulièrement glauque dans la gorge de Keiichi, dans l’incapacité de faire le moindre geste.

La joie qu’il aurait dû ressentir à la vue de son amie ayant survécu à ses blessures ne vit jamais le jour… à la place, il ne subsistait que la désagréable sensation d’avoir été dupé.

D’un geste fluide, Mion leva son bras, pas celui qui était encore menotté, l’autre…

… Celui qui tenait un pistolet entre ses doigts.

 

Mion tira une fois, Keiichi ferma les yeux… mais aucune douleur ne vint s’ajouter à celles qu’il ressentait déjà. En revanche, en rouvrant ses yeux il constata que le talkie-walkie délaissé venait tout juste de trépasser d’une balle dans ses circuits électroniques. Le rythme cardiaque de Keiichi s’amplifia lorsque la jeune fille pointa alors le canon de l’arme vers sa tête, le sourire de Mion quand à lui ne décroissait pas.

_ Kei ?

Keiichi sursauta à l’écoute de ce diminutif affectueux si décalé à la situation. Instinctivement, il recula de quelques centimètres en se trainant par le bras.

_ Tu ne me demandes pas pourquoi je fais tout ça ? demanda Mion non sans un certain second degré.

La jeune fille fit un pas en avant, conservant une distance constante entre elle et sa cible.

Keiichi déglutit.

_ Pourquoi tu fais quoi ? répondit Keiichi afin de ne pas rentrer dans son jeu.

Mion ne sembla pas lui tenir rigueur de cette fierté mal placée. Elle répliqua d’un ton doucereux :

_ Hé bien… pourquoi est-ce que je m’arrange pour désigner Rena comme responsable des meurtres que j’ai moi-même commis, par exemple.

Keiichi commença seulement alors à prendre toute la mesure des évènements passés…

_ Tu as… le docteur Irie…

« Des meurtres » ?

_ Lui et un autre type, corrigea Mion d’une voix grinçante.

Deux personnes… et combien d’autre ?

Il parut à Mion que Keiichi lui lançait un regard chargé de pitié, ce dont elle eut à cœur de mettre un terme définitif :

_ J’ai pris beaucoup de plaisir à les torturer, pour Irie ce fut rapide mais pour l’autre… il a réussi à m’échapper pendant un instant. Mais il était tellement mort de trouille qu’il s’est ouvert la gorge, ce crétin immonde…

Un frisson parcouru l’échine de Keiichi. Avec une assurance relative, il murmura :

_ Mais… qu’est-ce qu’ils t’avaient… ?

Il fut interrompu, lorsque Mion éclata de rire, un rire bestial, parfaitement inhumain.

_ Mais c’est vrai ! s’exclama la jeune fille démente, qu’est-ce qui pourrait bien pousser cette petite fille à papa de Mion Sonozaki à désobéir à sa sainte famille dans le but de déchiqueter convenablement une bande de porcs ! Qu’est-ce que ça pourrait bien être ?!

Keiichi recula encore, effrayé par la tournure aliénée que prenait l’attitude de Mion.

D’une seconde à l’autre, Mion cessa de rire, son visage s’assombrissant au point d’en devenir repoussant. D’une voix haineuse, elle reprit :

_ Il y a maintenant un mois, une organisation qui souhaitait faire main basse sur les affaires d’Hinamizawa s’en est pris aux Sonozaki. Dans le but de les soumettre à un chantage, ils ont pris Shion et son garde du corps en otage…

_ Shion ? ne pu s’empêcher de dire Keiichi en entendant le prénom de la jumelle de Mion arriver dans ce récit.

Ne tenant pas compte de l’interruption, Mion poursuivit :

_ Bien entendu… les Sonozaki n’avaient que faire d’une fille écartée de la succession et qui avait toujours démontré quelques tendances d’électron libre. Ils n’ont jamais eu l’intention de se plier au chantage.

Mion fit à nouveau un pas en avant.

_ La tension a progressivement augmenté, et pendant que les Sonozaki faisaient la sourde oreille aux menaces de cette organisation envers ses otages… et ce qui devait arriver se produisit : pour Shion, il était hors de question de ne rester qu’un outil tout juste bon à être jeté s’il ne s’avérait pas utile, alors elle a tenté de s’échapper…

Une seconde avant que Mion n’achève sa phrase, Keiichi avait d’ors et déjà deviné ce qu’elle s’apprêtait à lui révéler :

_ Elle a été abattue, froidement, et cela dans l’indifférence générale…

Portant sa main libre à son visage, Mion tortilla nerveusement une mèche de cheveux :

_ La police avait eu vent de la prise d’otage, mais les Sonozaki n’eurent aucun mal à faire croire que les prisonniers avaient été libérés sans coup férir et que Shion avait été renvoyée en pensionnat… moi-même je le croyais, et il ne restait plus personne pour se soucier du sort de Shion. Jusqu’à ce que…

A mesure qu’elle parlait, Mion semblai de plus en proche de l’explosion, ses gestes se faisant plus raides, sa voix plus mécanique…

_ Une nuit, peu de temps après, j’eu la surprise de voir arriver Sakaï, le garde du corps de Shion, mortellement blessé. Il eu simplement le temps de me dire ce qui était réellement arrivé à ma sœur avant de décéder sous mes yeux… ainsi que le nom par lequel cette organisation se faisait appeler…

Un sourire satisfait apparaissant de nouveau sur son visage, Mion termina :

_ … « Tokyo ».

 

_ … To… kyo ? répéta Keiichi.

_ Oui… je n’ai pas perdu de temps. Ivre de vengeance et de rancune envers cette organisation et envers ma propre famille pour leur mensonge éhonté, j’ai commencé à chercher qui avait été le médiateur entre les deux partis, celui qui, avec le traitement adéquat, m’aurait mené aux instances supérieures. Au moyen des informations détenues par ma famille, j’ai découvert son identité… et me suis chargé de lui délier la langue. Je ne te cacherai pas que ce fut un peu plus long que prévu, il semblait avoir reçu un entraînement adapté… néanmoins, la perte d’un bras sembla le motiver à me donner ce que je cherchais, il m’a alors donné l’identité d’un haut placé de cette organisation, en faction ici-même, à Hinamizawa.

Keiichi pensait ne pas comprendre ce que cela signifiait.

_ Mais… c’est…

_ Exactement, Kei… le très cher et si sympathique docteur Irie.

Prononcer ce nom sembla lui donner la nausée.

_ Bien entendu, au départ je n’y croyais pas, j’ai donc pris le temps d’espionner le bon docteur… je ne fus pas déçue. Malgré sa prétendue place de responsable, il ne se montrait pas très malin. Je n'eus aucun mal à l’entendre prononcer le nom de Tokyo de très nombreuses fois.

Le sourire de Mion doubla en un rictus sadique :

_ Si tu savais, Keiichi, si tu savais ce que j’ai bien pu entendre d’abracadabrant durant mon espionnage prolongé… il se passe des choses ici à Hinamizawa, des choses qui vont bien au-delà de la colère d’un petit dieu protecteur, des choses dangereuses… à vous en faire perdre la tête. En tout cas, c’est ce qui est arrivé au bon docteur.

Keiichi eut froid dans le dos en se remémorant la découverte de la tête coupé.

_ La disparition de Irie occasionna un certain dérangement dans les rangs de l’organisation… mais c’était bien loin d’être suffisant, en tout cas si j’en croyais le peu de panique visible chez sa plus proche collaboratrice… bref, il paraissait évident que mon travail de nettoyage ne faisait que commencer. Néanmoins, un grain de sable irritant vint enrayer la poursuite de mes projets, un grain de sable portant le nom de « police ».

Mion retrouva cette expression d’irritation qu’elle arborait un peu plus tôt.

_ Le corps d’Irie fut retrouvé plus rapidement que prévu, et la fuite du premier sous-fifre suivit de sa mort ne fit qu’augmenter les soupçons qu’avait la police concernant la présence d’un tueur en série dans les environs d’Hinamizawa, les rapprochant lentement mais sûrement du village, de Tokyo, des Sonozaki et de moi. Heureusement, j’avais pris soin de glisser un portefeuille volé offrant une fausse identité au cadavre dénué de tête, éloignant momentanément la police de la piste Sonozaki et m’offrant le temps nécessaire à l’élaboration de ce que j’aurais la prétention d’appeler… l’alibi ultime.

Keiichi comprit que le récit de Mion le menait peu à peu vers les évènements de cette nuit.

_ L’alibi… ultime ?

_ Oui…

Devant l’air menaçant de la jeune fille armée, Keiichi effectua un nouveau recul, parvenant au contact d’un buisson… c’est alors que sa main toucha quelque chose… quelque chose qui n’aurait jamais dû être dans cette forêt. Détournant le regard durant une seconde, Keiichi le vit alors… un fil électrique.

Apparemment réjouie que Keiichi ait fait cette découverte, elle pointa du doigt le fil qui disparaissait dans les buissons.

_ A cet instant même, tout autour de toi est disposée une panoplie de haut-parleurs commandés à distance et en toute simplicité…

Plongeant son bras dans un trou de sa robe, un bruit de scratch précéda la réapparition de sa main… contenant un petit dispositif noir.

_ … Grâce à cette télécommande, fit-elle en agitant le dispositif sous les yeux de Keiichi.

_ Des haut-parleurs ?

_ Exactement… après avoir enregistré durant plusieurs jours des échantillons de voix de nos chères amies Rena et Satoko, il me fut facile de confectionner quelques phrases simples, ainsi que des cris suffisamment persuasifs pour te mener correctement à la baguette. J’ai ensuite organisé un parcours simple ponctué de zones avec des haut-parleurs préalablement munis des enregistrements adéquats en fonction de ton avancée…

_ Je ne comprends rien, déclara soudainement Keiichi devant la dose d’informations révélée.

_ C’est pourtant simple, Kei… ces bruits suggérant la présence du tueur dans la clairière, ces coups de feu factices devant causer ma mort, la voix de Rena qui devait te mettre en condition et la torture finale, ici-même, mis en place pour achever de détruire la dernière once d’amitié que tu aurais pu conserver envers cette chère Rena… tout cela n’avait pour seul et unique objectif, que de te faire oublier tes stupides convictions d’ami fidèle et t’obliger à prendre ce foutu talkie-walkie… pour que tu désignes Rena comme la seule et unique responsable de cette série de meurtres cruels !

 

Le silence qui suivit cette révélation témoignait de toute la stupéfaction que pouvait ressentir Keiichi. Mion jubilait :

_ Si tu veux que je sois plus clair, afin de me disculper totalement de cette histoire auprès de la police et de ma famille… il me fallait un témoin !

 

Keiichi parut recevoir un coup de couteau dans le cœur.

Manipulé…

Ses cordes vocales nouées, il resta figé, anéanti… et trahi.

 

_ Je ne m’attendais pas à ce que tu sois si obéissant, si facilement manipulable… tu as une telle foi en tes amis que tu n’as jamais remis en question le chemin que je t’avais indiqué avant ma « mort », à tel point que même dans les situations les plus désespérées tu t’es efforcé de poursuivre ta route droit vers le prochain piège que je te tendais. Cette ténacité et cette loyauté étaient bien ce qui rendait ce plan difficile à mener à bien… mais en même temps, tu étais la seule personne à ma connaissance suffisamment têtu pour réussir à aller aussi loin… aussi loin dans l’accomplissement de la tâche que je t’avais assigné. En clair… tu étais le plus grand crétin dont je pouvais rêver pour me disculper en bonne et due forme, et cela même s’il a parfois fallu que je te fasse légèrement trébuché à un moment où tu t’éloignais de ton prochain point de passage. A ce sujet…

Plongeant une nouvelle fois sa main sous sa robe, Mion en décrocha une petite ceinture qu’elle avait sans doute préalablement installée autour de son ventre. Une série de seringues y étaient accrochées, dont la plupart étaient vides.

_ Tu te demandes sans doute comment j’ai pu rester inerte aussi longtemps sans réagir aux traitements indignes d’un gentleman que tu faisais subir à mon corps… cette solution, dit-elle en désignant le liquide encore contenue dans certaines seringues, est un composé de plusieurs bêtabloquants qui ont des effets chronotropes négatifs sur mon organisme… beaucoup de mots compliqués pour pas grand-chose, tu doit simplement savoir que c’est un mélange de médicaments qui ralentit progressivement mon rythme cardiaque, jusqu’aux limites de l’inconscience. Ainsi… je pouvais rester parfaitement immobile plusieurs heures durant, pour peu que je puisse me faire une piqure régulière sans que tu ne le remarques, plus une piqure d’anesthésiant pour éviter de trop ressentir de douleur. Je n’ai pas vraiment eu de mal à ça, tu étais si mouvementé que ça en devenait presque lassant. A te dire vrai, le seul véritable imprévu dans cette histoire… c’était ce satané flic.

Keiichi se remémora l’arrivée et l’état dans lequel il avait retrouvé le policier peu avant de le fuir à toute jambe…

Pauvre idiot, il était ta seule chance !

_ Heureusement, l’effet de ma précédente injection commençait à se dissiper, j’ai donc profité de ton état de totale perdition pour te faire à toi-même une injection...

Instinctivement, Keiichi posa sa main sur son corps comme si il venait tout juste de ressentir une vive piqûre.

_ ... Suite à quoi j’ai rejoins  ce cher policier, avant de m’appliquer à le mettre hors d’état de nuire. Puis je suis retourné me menotter à toi.

Keiichi eut une révélation :

_ Te menotter ? Mais alors…

_ Tout à fait, l’interrompit Mion, j’avais toujours sur moi un exemplaire des clés, révéla Mion, par contre, j’ai vraiment eu la trouille que ce crétin ne fiche tout en l’air lorsqu’il a voulu nous séparer… mais heureusement, il s’est arrêté lorsqu’il a remarqué l’inscription sur les menottes.

_ L’inscription ?

Un sourire jusqu’aux oreilles, Mion désigna le petit Y gravé sur le métal.

_ « Yoshiyama », un type qui adorait écrire son nom avec l’alphabet occidental, il devait se trouver très intelligent, murmura Mion d’un ton lugubre, je pense qu’il n’en a pas cru ses yeux lorsqu’il a retrouvé ses propres menottes mystérieusement égarées quelques jours plus tôt sur les poignets de deux adolescents perdus en forêt. Au final, j’ai récupéré son talkie-walkie et je l’ai disposé juste à côté de toi, pour être certaine que tu saurais où le trouver le moment venu…

Keiichi sentait que quelque chose sonnait dans ce raisonnement… mais Mion se chargea d’éclaircir un point crucial :

_ Bien entendu, malgré le fait que j’avais eu vent et que je comptais sur la présence des policiers le soir du Watanagashi, je ne pensais pas qu’un crétin isolé viendrait s’aventurer de ce côté de la forêt. Tu comprends donc que je ne comptais pas sur le communicateur de ce fouineur pour te permettre de transmettre mon message à qui de droit.

Pour appuyer ses dires, Mion tapota la surface de sa robe recouvrant sa hanche… là où était dissimulé un deuxième talkie-walkie, tout aussi « emprunté » à la police qu’avaient pu l’être les menottes.

_ Je comptais placer miraculeusement ce moyen de communication sur ton chemin dès que tu aurais eu le courage de le faire, même si je ne m’attendais pas à ce que tu sois si brutale dans ta manière de démontrer que tu étais enfin prêt à tout, susurra-t-elle en jetant un regard à la main difforme du garçon, car je me doutais bien qu’il me faudrait déployer des trésors de cruauté avant de te faire lâcher prise, toi et ton indécrottable loyauté envers tes fidèles amis… et envers la responsable désignée de ces meurtres.

Keiichi sentit une vague de colère l’envahir, ravivant sa douleur :

_ Ton plan ne fonctionnera jamais, des dizaines de gens ont dû voir Rena au festival de Watanagashi, malgré ce que j’ai bien pu dire, personne n’ira croire qu’elle est…

_ Qu’est-ce qui te fait croire que Rena est allé au festival ? demanda Mion avec un plaisir pervers.

_ De… quoi ? demanda Keiichi sans comprendre.

Mion jubilait :

_ C’est moi qui ait proposé une partie de poker, moi qui ait offert les menottes en guise de gage au perdant, moi qui ait fait exprès de perdre en même temps que toi, moi ait encensé la veille auprès de Rena tout le potentiel de "mignon" d’un mariage à l’occidental, sachant pertinemment que cette idée lui reviendrait comme un boomerang une fois que je me serais assuré que Rena soit la seule gagnante de la partie. C’est encore moi qui me suis coupée volontairement et ait répandu un peu de sang sur la lame de son couperet après l’avoir placé en évidence devant chez elle, afin de disséminer le doute dans ton esprit… alors tu penses vraiment que je n’ai pas envisagé à l’avance un détail aussi cruciale ? demanda-t-elle dans sa folie sans vraiment attendre de réponse.

Elle se pencha vers sa malheureuse victime, Keiichi n’osant pas remuer un muscle.

_ Suite à cette partie, j’ai raccompagné Rena et sur le chemin, et juste avant de la quitter pour aller me changer, je lui ai payé une boisson aux fruits pour se rafraîchir… mais avant de lui offrir je me suis assuré d’y glisser un autre médicament…  le genre de médicament à retardement qui peut se montrer fort déplaisant pour peu que l’on soit bien nourrit.

Keiichi commençait à percevoir où elle comptait en venir.

_ Je peux d’ors et déjà te dire que Rena a passé la nuit chez elle, seule, car son père est en déplacement hors de la région depuis déjà 2 jours et qu’il ne rentrera pas avant 24 heures, suite à quoi elle aura sans doute cherché un médicament adéquat à son état dans sa trousse à pharmacie, cette même trousse que j’aurais déjà modifiée bien avant, remplaçant ce qu’elle cherchait par un somnifère puissant. Oui… en ce moment, Rena dort profondément, à l’abri des regards, et ne se réveillera le moment venu que pour être accusée de quatre meurtres odieux, me laissant les mains libres suffisamment longtemps pour que ma vengeance soit complète. Cela, je le dois à ta magnifique prestation de cette nuit et au brillant stratagème que j’ai patiemment mis en place.

Se redressant de toute sa hauteur, Mion acheva avec fierté :

 

_ En toute modestie, je dois t’avouer que je suis absolument géniale.

 

La séance de révélation touchait à sa fin… mais la seule chose que voyait Keiichi, c’est qu’il était toujours incapable de s’échapper, que Mion avait toujours le pistolet braqué sur lui… et ces mots :

_ « Quatre meurtres »…, articula-t-il avec difficulté.

Mion eu un rictus :

_ Bien sûr… Le doc, le sous-fifre, moi…, énuméra-t-elle en comptant sur ses doigts.

Puis, elle plongea son regard dans celui de Keiichi :

_ … et toi.

La sentence tomba comme une guillotine, Keiichi réagit au quart de tour :

_ Mais si tu me tues, comment comptes-tu expliquer ta disparition ? Rika et Satoko t’ont vu menottée avec moi !

Keiichi eut alors une peur panique que Mion lui avoue s’être également occupée du cas des deux fillettes... mais sa réponse ne fut pas plus rassurante :

_ Ce n’est pas comme si il était écrit que quelqu’un allait retrouver ton corps, souffla-t-elle.

Keiichi se sentit défaillir.

_ Et quand bien même… « Abattant sans pitié le malheureux garçon, la fille psychopathe fait disparaître le corps de son amie, la police est toujours à la recherche du cadavre, afin de permettre à la famille de faire son deuil. »

L’évocation de sa famille occasionna une nouvelle grimace chez la jeune fille.

_ Quoi qu’il en soit.

Avec neutralité, Mion plaqua le canon de l’arme contre la figure du garçon apeuré. Le sang de Keiichi ne fit qu’un tour :

_ Attends ! Tu ne peux pas faire ça !

_ Tu veux qu’on parie ? ricana Mion.

_ Tu peux encore t’arrêter ! Tu peux encore stopper ce massacre avant qu’il ne soit trop tard ! tenta désespérément Keiichi.

_ Tu es complètement crétin, ma parole…

Mion commença à appuyer sur la gâchette...

_ Tu commets des meurtres, ils n’avaient pas mérités de… !

_ Et ma sœur ?s’emporta Mion, tu crois qu’elle avait le choix ?! Elle n’allait déjà pas très bien depuis la disparition de Satoshi, alors s’attaquer à elle…

_ C’étaient des êtres humains !

_ C’ETAIT MON UNIQUE SŒUR !

La rage de la jeune fille mis fin au débat, c’était terminé…

A bout de force, sentant le froid insupportable du pistolet contre son visage, Keiichi murmura, sur le point de fondre en sanglots :

_ Je… ne veux pas mourir…

Cette phrase retentit comme une petite cloche aux oreilles de Mion. Se penchant doucement au-dessus du garçon, elle chuchota :

_ Au fait… en toute sincérité, l’idée de la robe de mariée…ça t’a plût ?

Keiichi resta muet devant la légèreté de cette demande, tandis que le canon du pistolet était pointé entre ses deux yeux. Devant son silence, Mion fit une moue déçu, avant de lancer :

_ Adieu, Kei…

_ Mais je l’ai vu…

S’interrompant dans son geste, Mion relâcha légèrement la détente de l’arme ave un regard mauvais :

_ Quoi ?

Le regard vide, des larmes coulant toutes seules le long de son visage, Keiichi leva des yeux implorants vers son bourreau, comme si il ne cherchait plus qu’à se persuader qu’il ne s’était pas trompé :

_ Tout à l’heure… j’ai vu Rena.

Mion garda le silence, fixant Keiichi comme un déchet dont il valait mieux ne pas s’approcher.

_ Crétin détraqué.

Le coup de feu partit à quelques centimètres du front du garçon.

Keiichi s’écroula contre le sol, tué sur le coup.

 

 

 

_ Pff…

Se massant l’arrière de la tête, Mion se laissa aller à un instant de relâchement, observant le corps désormais sans vie du garçon qui gisait misérablement au sol. La jeune fille en profita pour se débarrasser d’un petit sac en plastique troué placé au niveau de sa poitrine, anciennement rempli de sang de porc frais. Une expression de dégoût sur le visage, Mion fit une boule avec le sachet, avant de l’accrocher à la ceinture placée sous sa robe.

A cet instant, un bruissement retentit dans les feuillages.

Mion fit claquer sa langue, elle avait sans doute appuyé par mégarde sur la télécommande des sons. Il fallait d’ailleurs qu’elle se dépêche de ramasser toute ses installations et de dissimuler le corps de Keiichi à l’abri des regards pour un temps…

C’est là que Mion l’aperçut : la télécommande… tombées sur le sol… à deux bons mètres de sa position.

Prise d’un doute inquiétant, Mion fit volte-face.

 

_ … R… Rena ?!

Se tenant entre deux troncs d’arbre imposants, l’air essoufflée comme si elle venait de parcourir une longue distance en courant, le regard de la jeune rousse se posa sur Mion… observant sa robe… l’état de son corps, puis ses jambes… jusqu’au cadavre de Keiichi.

La respiration de Rena se calma peu à peu.

Mion ne comprenait pas. Elle n’aurait pas dû être là, elle ne pouvait pas être là ! Sa main fébrile enserrant le pistolet, Mion agit par pure réflexe : elle mit la jeune fille en joue et tira. Peut-être était-ce à cause de ses tremblements soudains, de la frustration de voir intervenir cet élément imprévu, mais la balle rata sa cible. Etouffant un juron, constatant que Rena semblait toujours seulement préoccupée par le corps sans vie aux pieds de Mion, la jeune fille matraqua une nouvelle fois la détente de l’arme.

Un simple « clic » en résultat… le chargeur était vide.

Mion sembla se décomposer, le pistolet lui glissa des mains et tomba au sol dans un bruit mâte.

Une poignée de secondes incertaines se passèrent… sans que Mion ne puisse faire le moindre geste, complètement prise de court par cette apparition impromptue.

C’est alors que Rena leva à nouveau les yeux… mais elle n’avait plus le même regard. Ses yeux étaient vides, vides de vie, vides d’humanité…

_ … Je me suis sentie responsable…

Rena fit un pas en avant.

_ … Que vous ne puissiez pas venir au festival…

Dans sa main, le couperet brillant n’avait jamais parut aussi dangereux.

_ … J’ai voulu vous rejoindre… je vous ai vu partir vers la forêt, je n’ai pas réussi à vous rattraper…

Mion était tétanisée, elle ne comprenait pas, elle n’arrivait pas à comprendre…

_ J’ai trouvé cette tête… docteur Irie…

Elle avançait encore, se rapprochant d’avantage à chaque mot mort-né sortant de sa bouche.

_ Je suis allé chercher de quoi vous aider, j’ai suivis les cris, je voulais vous aider…

Tandis qu’à peine quelques mètres séparaient la jeune rousse de Mion, celle-ci la remarqua enfin… cette tâche rosée, sur la manche de son uniforme d’école.

_ J’ai vu Keiichi, il avait peur, et toi sur son dos, tu semblais ne plus exister…

Elle ne l’avait pas remarqué durant la cérémonie, trop occupée à jouer la fille timide…

_ Alors comment…

Un pas en plus…

_ Comment…

Cette tâche… c’était du jus de fruit.

Mion finit par deviner.

 

_ COMMENT EST-CE QUE TU AS PU EN ARRIVER LA!?

 

Rena brandit sa lame et l’abattit sur une Mion au visage déformé par l’horreur, alors que celle-ci venait tout juste de résoudre la dernière énigme…

Après qu’elle ait offert le jus de fruit à Rena… après qu’elle soit partie afin de mettre la robe…

 

… dans un élan de cette maladresse qui la rendait si sympathique…

 

 

…Rena avait sans doute renversé le jus de fruit avant d’avoir pu le boire.

 

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