Le Livre des Ombres

Chapitre 6 : L'épée dans la main droite

Catégorie: T

Dernière mise à jour 10/12/2009 13:11

 « On trouve des sociétés qui n'ont ni science, ni art, ni philosophie. Mais il n'y a jamais eu de sociétés sans religion. » 

- Henri Bergson


 « Une société sans religion est comme un vaisseau sans boussole. »

- Napoléon Bonaparte

 « Il y en a pour croire que sans religion l'homme ne peut que ramper, que seule la religion peut faire se relever l'homme. »

- André Gide


[Quatre ans avant l’Infestation]

Angelo Giuseppe Roncalli était à la fois très heureux- et très fatigué. Il fallait dire que l'homme n'était plus de la toute première jeunesse, il était né au siècle dernier et avait traversé deux guerres mondiales qui le répugnait avant d'accéder au trône papal. Même cette accession ne s'était pas faite dans les formes traditionnelles, ou plutôt, elle avait été mouvementée.
Le règne de Pie XII avait été bien long (bien trop ?) (19 ans), et marqué par une centralisation progressive du pouvoir. Les cardinaux souhaitaient donc à la fois une rupture avec le style de gouvernement imposé par feu Pie XII au long règne, et prendre le temps de la réflexion face aux changements de l'Église contemporaine.
Après trois jours de conclave et dix tours de scrutin infructueux, il était apparut comme un « pape de transition » idéal. Habile diplomate (car il était francophile ?), d'origine modeste, il  chérissait son activité pastorale et était rempli de bonhomie. Il fut donc élu pape le 28 octobre 1958. Il choisit le nom de « Jean XXIII » , succédant en cela à Jean XXII du Moyen-Age, devenu pape en 1316, lui aussi à l'issue d'une élection mouvementée et chez qui on avait également vu un « pape de transition » en raison de son grand âge (72 ans), mais qui régna 18 ans. Courte leçon d'histoire papale terminée pour votre plus grand soulagement, et le mien aussi, à vrai dire.
Angelo ne pourrait se targuer d'une telle longévité de régence. La maladie le guettait, sournoise et insidieuse, depuis plusieurs mois déjà – le Seigneur, sûrement, avait jugé qu'il avait fait son temps, qu’il en avait bien assez fait, d’ailleurs, et qu’il pourrait se reposer en haut avec les autres souverains pontifes des temps passés. Il doutait de pouvoir voir l'aube de son quatre-vingt quatrième anniversaire, et même si c'était le cas, il n'aurait aucun regret, mais, quand même, s'Il avait pu choisir une autre fin pour lui, moins douloureuse, cela n'aurait pas été plus mal. Sans offense pour le Seigneur, toutefois/
Il avait le sentiment d'avoir donné le meilleur de lui-même pour l'Église, et pour la paix dans le monde. En ce 11 Mai de l'an de grâce 1963, il avait reçu le prix Balzan pour récompenser ses actions en faveur de la paix, juste un mois après qu'il ai promulgué son encyclique 'Pacem Terris', qu'il espérait voir apporter un peu de raison chez les hommes- du moins, ceux qui voudraient bien faire preuve de bonne volonté. Et il était tout à fait navrant de constater que cette tranche-là de la population était de plus en plus réduite. Ou de moins en moins nombreuse, cela dépend du point de vue duquel on se place. Au final, cela aboutissait à la même chose : des bains de sang et des souffrances physiques et spirituelles innombrables.
Et quelque soit leur religion. Il avait rompu avec une certaine rigidité du dogme pour adopter plus de tolérance face aux autres fois, particulièrement envers les Juifs- il avait soulevé l'épineuse question de la responsabilité de ces derniers et des chrétiens dans la mort de Jésus. Après tout, le Dieu du Premier Testament dans la Bible est le Dieu des Juifs, reprit d’après la Torah, Dieu jaloux et de colère (et un peu pernicieux lorsqu’on repense objectivement à la façon dont il endurcissait le cœur du pauvre Pharaon pour l’obliger à maltraiter les Juifs, et ainsi recevoir les Plaies d’Egypte). Celui des catholiques était censé apporter des messages d’amour et de paix. C’était la théorie : l’Histoire montre en de nombreux points et avec une éloquence impartiale, celle des faits, que cela n’avait pas toujours été le cas (Inquisitions et bûchers, croisades et carnages, guerres de religions…).  

Pour l'Islam, c'était encore une autre histoire, et il ne pouvait qu'espérer qu'eux également ne verseraient pas dans la notion de 'guerre juste', ou pire encore, celle de guerre sainte. Espoir assez réduit puisque les factions les plus extrémistes, qui interprétaient le Coran de manière à justifier leurs exactions guerrières, n’auraient de cesse que le monde serait rempli « d’infidèles ». Leur dogme était bien trop partial sur ce point, il pouvait y avoir trêve et installation de mosquée en terre étrangère, mais jamais trêve ET autorisation de membres d’autres cultes à s’installer en Islam. Le terrorisme flamberait dans les années prochaines, il en avait la conviction. Il était bien triste que l’humanité, après tant de millénaires de violence, ne puisse pas rentrer dans une ère de fraternité, une ère d’oekoumène. Il fallait espérer que cela change…
Malheureusement, il n'avait plus que cela : l'espoir, la dernière chose qui reste à tout homme impuissant à changer le cours des événements, petite chose qui restait au fond de la Boîte. Il ne verrait guère si l'humanité allait faire preuve de bon sens, car il était au crépuscule de sa vie bien remplie. Sans le savoir, il aurait au moins la paix de l’âme de ne pas voir le monde rempli de zombies.
Avec des pensées bien peu orthodoxes, il se demanda s'il ne pouvait pas en profiter pour accomplir des vœux qu'il n'avait jamais eu le temps de réaliser.
Et comme pour le punir de ne serait-ce que songer à de telles choses, il fut pris d'une nouvelle crise. Le peu de force qui l'habitait encore le quitta, ses jambes mollirent, sa vue devint cotonneuse alors qu’il quittait la lieu om il avait reçu son prix. Autour de lui, il entendait les exclamations inquiètes comme si elles lui parvenaient à travers un mur d'ouate. Dans un tourbillon de formes et de couleurs, il distingua des personnes qui venaient le supporter avant qu'il ne défaille. Ils ne faisaient pas partie de son entourage, il en aurait mis sa main à couper. Il sentit vaguement qu'on l'emmenait vers une ambulance, mais comment se faisait-il qu'elle soit déjà là ? Où étaient ses gardes suisses ?
Sans réponse, il sombra dans l'inconscience tandis qu'on l'étendait sur un brancard avec tout le respect qui lui était dû.

" Votre Sainteté ?"
Jean XXIII ouvrit péniblement les yeux. Il se sentait tout engourdi, la gorge sèche, atteint d'une faiblesse désolante.
Un homme en complet gris, cravate rouge et lunettes noires lui faisait face, debout, la chevelure coiffée au cheveu près. En essayant de bouger ses muscles, il se rendit compte qu'il y trouvait peu de succès et qu'on ne l'avait pas emmené dans une chambre d'hôpital, plutôt dans celle d'un luxueux hôtel. Il était assit dans un confortable fauteuil qui soulageait agréablement ses douleurs dorsales.

Idiot ! Ce n’est pas le moment d’être à l’aise !
Tout Pape qu'il fut, ne pouvant échapper à la Loi Universelle Mystérieuse qui régit ce genre de situation, il demanda :
" Où suis-je ?"
Et après un instant de réflexion intense :
" Qui êtes-vous ? "
L'inconnu produisit un sourire aimable, quoique dénué de toute chaleur humaine.
" Votre Sainteté, l'une comme l'autre de ces informations ne présentent aucune espèce d'importance pour vous, et n’influeront pas sur la suite de notre entretien. Ne vous inquiétez pas. Vous êtes en sécurité, ici. Vous regagnerez bientôt le palais pontifical si c'est ce que vous souhaitez. Pour l'instant, je désirerai avoir un entretien privé avec vous. Vous allez m'objecter avec raison qu'il y aurait toute logique de se méfier d'avoir une discussion dans ces conditions, avec une personne que vous ne connaissez pas et qui vous a fait transporter sans demander votre avis préalable. Néanmoins, je suis au regret de vous dire qu'il aurait été difficile d'organiser notre rencontre de façon plus explicite. Je fais partie d'une organisation qui apprécie la couverture de l'anonymat et la discrétion. Je suis sincèrement navré d'avoir du utiliser cette mise en scène pour ce faire, et d'avoir trompé pour un soir votre entourage."
Le Pape lui adressa un sourire aussi cynique que possible, bien qu'il ne fut d'ordinaire pas le genre d'homme à adopter ce genre de sentiment.
" C'est une façon assez inhabituelle d'avoir une entrevue avec un Pape, je le reconnais, dit-il, la voix faible. Et quoi que vous puissiez vouloir, une telle façon de procéder ne me laisse rien présager de bon venant de votre 'organisation'.
- Ne soyez pas si sévère en parlant sans en être en connaissance de cause, votre Sainteté. Je peux vous certifier qu'il aurait bien été impossible d'avoir une entrevue dans un cadre sain et neutre d'une autre manière. Ne seriez-vous pas même curieux de savoir pourquoi nous avons déployé autant d'efforts pour organiser cette rencontre ?
- La curiosité mal placée est un péché, mon fils."
Puis il rajouta :
" Vous n'êtes pas italien.
- Très perspicace de votre part, souverain pontife. Je pensais pourtant avoir soigné mon accent autant qu'il est possible pour quelqu'un n'étant pas natif du territoire qui vit autrefois émerger un grand conquérant. La roue tourne, pour les humains et pour les empires… Mais notre temps est précieux à tous deux, et je ne voudrais pas gâcher le vôtre par des mondanités déplacées. Consentez-vous à écouter ce que j'ai à vous révéler ?"
Jean XXIII releva la tête et dévisagea son ravisseur, tentant de distinguer les yeux derrière les lunettes noires, froides et impersonnelles, sans rien voir de plus que le propre reflet de ses yeux fatigués. Seul aux mains d'inconnus, sans protection et sans échappatoire, il se voyait mal répondre par la négative.
" Je suppose que je n'ai pas tellement le choix.
- Au contraire. Nous n'avons pas pour habitude de forcer la main aux personnes avec qui nous traitons, sauf pour la première phase de rencontre. Et nous choisissons soigneusement ces personnes. Votre Sainteté, vous êtes un Pape remarquable, comme le Vatican n'en a pas connu depuis longtemps. Nulle flagornerie, je vous rassure. Un simple constat. Vous avez su faire avancer l'Église et la rendre plus adéquate à l'époque dans laquelle nous vivons. Vous bannissez l'obscurantisme d'esprit, et votre engagement en faveur de la paix est une noble entreprise.
- Vous me voyez ravi de mériter vos éloges, répondit le Pape avec une pointe de sarcasme.
- Nous sommes également très attachés à la paix dans le monde, votre Sainteté. C'est pourquoi nous avons pensé que vous seriez intéressé par le dossier contenu dans cette mallette. Seules quelques personnes en-dehors de notre corporation sont au courant de par le monde entier, aussi vous pouvez voir l'estime que nous vous portons en vous mettant dans la confidence. Nous avons initié un Programme qui saura éveiller votre extrême attention, j'en suis certain."
L'homme à la cravate rouge ouvrit son porte-documents et en sortit un dossier qu'il tendit avec respect à Angelo, qui le réceptionna, les mains tremblantes, agitées par une certaine appréhension, il fallait bien l'avouer. Il ouvrit le dossier, et consulta les documents divers qu'ils contenaient. Chaque page le pressait d'aller voir la suivante, et malgré son grand âge, il se mit à lire de plus en plus vite les papiers rédigés en anglais. A la fin, il ne posait son regard qu'en de rapides diagonales. Finalement, il referma le dossier et le rendit à l'inconnu, qui le rangea aussitôt.
Jean XXIII mit quelques instants à accuser le choc, ses yeux papillotant.
" Et quel serait mon rôle dans ce... Programme ? finit-il par dire.
- Allons, votre Sainteté, je pense qu'un homme de votre intelligence n'aura pas la naïveté d'ignorer ce que cela recèle d'avantages pour vous. Pensez à tous les bienfaits qu'en récoltera la chrétienté. La foi est puissante telle quelle, elle l'est encore plus si vous agréiez à ce que nous rendions public, de façon irréfutable, ces phénomènes. Je suis au regret de ne pas pouvoir vous le démontrer ici-même, cela prendrait bien trop de temps. Veuillez bien croire que ce ne sont pas les extravagances d'un groupe d'illuminés : nous ne engageons jamais sans de solides garanties. Tout cela est réel, et ne demande qu'à aboutir. Imaginez comment votre dogme pourrait trouver une force nouvelle... L'unité de toutes les Églises catholiques, rien de moins, je le pense. Une chrétienté forte dans un monde qui connaîtra à terme une paix véritable et durable.
- Vous parlez comme le Diable, la voix remplie de promesses pécheresses et futiles. Même si vous n'essayiez pas de me tromper, je vois mal comment vous avez pu penser un seul instant que j'aurai pu donner mon aval à un projet aussi insensé. Cela implique bien trop de mauvaises choses... C'est pure folie ! Blasphème.
- Au contraire, contesta l'autre sans s'émouvoir de cette bravade. C'est pure logique. Laisser ce Programme au stade théorique serait une grande perte, encore plus pour vous que pour nous, n'en doutez pas.
- Je ne sais pas qui vous êtes ni pour qui vous travaillez, monsieur, par contre, je n'ai pas besoin que le Seigneur m'avertisse pour voir que vos intentions ne sont pas pures. Jamais je ne donnerai mon accord à ce... Ce que vous me proposez avec tant de générosité. Ce serait aller autant contre les voies divines que contre celles de la nature. Si Dieu avait voulu que nous…
- Un refus aussi rapide ne peut être dicté que par l'émotion, j'ose l'espérer, votre Sainteté. Je vous prie de bien peser le pour et le contre sans vous laisser aveugler par des considérations de second ordre. Si vous y réfléchissez bien, il ne pourrait pas y avoir meilleure solution pour l'humanité, pas seulement la chrétienté. Je sais à quel point vous êtes attaché à la tolérance religieuse.
- Mon fils, si Dieu avait voulu nous faire don de cela, reprit le Pape, il n'aurait pas attendu que Ses enfants s'entre-déchirent avec une violence telle. Et Il n'aurait pas inspiré cette idée chez des gens tels que vous.
- Votre Sainteté, ce n'est pas Dieu qui nous a légué ce nouveau savoir, c'est notre science qui l'a mis à jour. Notre science, et l’héritage de nos ancêtres, comme vous avez pu le lire A notre époque, nous essayons de concilier les deux.
- Cette science-là ne sera jamais bonne pour personne, trancha Jean XXIII avec toute la fermeté qu'il pouvait mettre dans son ton. Et cet héritage n’est qu’une mauvaise farce. Je ne ferais pas partie de votre mascarade."
L'inconnu laissa transparaître, l'espace d'une seconde, une subtile pointe de frustration.
" C'est votre réponse définitive ? demanda-t-il très doucement.
- Elle est ainsi, confirma le saint vieillard. Vous ne pourrez me convaincre d’aucune façon.
- Je suis très déçu, lâcha son interlocuteur sans montrer une seule once de regret. J'avais espéré que vous seriez le mieux à même de profiter du don que nous voulions offrir à l'humanité. Je ne pense pas pouvoir vous convaincre. Peut-être votre successeur saura-t-il faire preuve de plus de lucidité et de bon sens ? Notre entretien est terminé. Un dernier détail : n'essayez pas de chercher des informations sur ceux que je représente, ou d’avertir qui que ce soit de vous venez d’apprendre. C'est tout à fait inutile... D'autant plus que nous avons des hommes partout. Vraiment partout. Je vous souhaite une agréable fin de vie."
Avant que le Pape ne puisse répliquer quoi que ce soit, il sentit une fine aiguille se planter à la base de sa nuque- puis, à nouveau, les ténèbres.
Sans besoin qu'un ordre soit donné, l'agent, ombre silencieuse, qui s'était tenu derrière Angelo durant la brève conversation, prit celui-ci avec toute la déférence requise, et l'amena aux mains de l'équipe chargée du retour de Sa Sainteté là où il le fallait.
Un autre homme, resté caché pendant l'échange, sortit de l'ombre pour interroger son supérieur qui reprenait sa mallette.
" Que faisons-nous, maintenant ?
- Nos plans restent pratiquement inchangés. Un je-ne-sais-quoi avait fait canaliser ma préférence vers le catholicisme, mais ce n'est que ça, une préférence. Peu importe à la Corporation l'origine du culte qui remportera les fruits de la victoire pour l'aube nouvelle que nous préparons.
- J'avais cru comprendre que vous souhaitiez...
- ... négocier avec le prochain Pape ? Cela n'aurait pas été une mauvaise idée. Angelo Giuseppe Roncalli ira bientôt rejoindre son Créateur, sans retour possible. Tu feras en sorte que cette ascension ne soit pas éloignée dans le temps, bien que le cancer le guette. Cela serait trop long de traiter avec le prochain Pape, nous n'avons pas jugé nécessaire d'étendre notre influence jusqu'à pouvoir installer sur le trône Papal quelqu'un qui sympathiserait plus aisément avec notre cause.
Non, pour l'heure, nous repartons en voyage. J'ai dans l'idée que les ayatollahs se montreront plus réceptifs au Programme. Ils feront certainement moins de manière, et nous avons déjà des relations influentes avec les émirats."
Son second sourit, et ils repartirent tous deux dans la nuit d'où ils étaient venus.
Lorsque le Pape Jean XXIII revint à lui, tout paraissait normal- autant que la situation pouvait l'être après une de ses crises de plus en plus fréquentes. Il se trouvait dans une chambre d'hôpital, un entourage de personnes accommodantes à ses côtés, soulagées de le voir sortir de son inconscience. Personne ne paraissait soupçonner le moins du monde que pendant à peine plus d'une heure et demie, il avait été détenu par un groupe non identifié. Bien sûr, se dit-il, des gens pouvant se permettre d'enlever le Pape ne devaient pas être des amateurs.
L'anxiété se lisait sur son visage, et on eut tôt fait de le rassurer sur son état- ce qui ne lui fit aucun effet. Il essayait de discerner laquelle de ces personnes aux sourires lénifiants pouvait être une de celles qui avaient organisé cette opération secrète.
Il ne le su jamais, pas plus qu'il ne su de qui émanait cette tentative. Contrairement à l'avertissement de l'homme à la cravate rouge, il avait tenté de mettre en branle de façon discrète une investigation, mais il n'avait aucun indice, si ce n'était le souvenir incomplet de ce qu'il avait vu dans le dossier. Et cela ne fit que le mener à des impasses.
Il passa ses derniers jours dans la peur, la peur de son impuissance face à cette organisation, qui, si elle réussissait dans sa folle entreprise comme son ravisseur en avait semblé si sûr, allait changer la face du globe durablement. Peut-être même pour le restant de l'Histoire.
Il ne pouvait s'en ouvrir à personne, bien entendu. On lui aurait accordé peu de crédit même s'il avait encore été jeune et sain, maintenant vieux, rongé par la sénescence et la maladie, ses chances d'être écouté atteignaient un point situé dans les abysses. Même simplement évoquer son enlèvement, quelques jours après les faits, n'amènerait rien de bon.
Plus le temps passait, plus il se perdait en heures passées à tenter de communier avec Dieu, le suppliant avec toute la ferveur qui l'habitait encore de ne point laisser Ses sujets succomber à une telle horreur.
Mais Dieu devait sûrement avoir un planning chargé ces temps-là, et ne lui fit pas l'honneur d'une quelconque réponse explicite, alors même que la situation l'exigeait, et que, tout de même, il était son représentant divin, son vicaire.
Une seule 'consolation' vint dans son malheur, cette affreuse solitude : son calvaire ne dura pas longtemps. Jean XXIII, Souverain Pontife, mourut le 3 Juin 1963. La cause attribuée était une hémorragie létale. Il était bien décédé d'une hémorragie... Qui avait reçu quelques prédispositions.
Au cas où.
Lorsque la lumière divine le submergea (en esprit, cela va de soi) pour le soulager de son agonie et le rappeler à Son créateur, il crut distinguer un sourire mauvaise s'inscrire sur le visage d'une personnes proches de lui, et la phrase murmurée :
" Il n'y aura pas de Paradis pour vous, votre Sainteté. Et il n'y en aura plus pour ceux qui vont contre notre volonté."
Puis, sa dernière attache terrestre s'était rompue.


[Back to present : Camp Darwin]

Cette justice expéditive avait demandé relativement peu de temps- auparavant, on avait déjà assisté à des enquêtes rondement menées par les militaires, sans être sûr à chaque fois si celui qui se retrouvait banni, puni ou la corde au cou était le réellement le bon coupable. Si vous aviez interrogé le colonel à ce sujet il y a quelques semaines (ce qui aurait été difficile car il recevait rarement les civils), il vous aurait répondu que ce n'était pas tellement l'important (de retrouver le vrai responsable). Ce qui était primordial, c'était bien la scène publique du bannissement (marquage au fer rouge), de la punition (méthodes diverses et humiliantes le plus souvent), ou de la pendaison (toujours un grand moment de soulagement dans la communauté).
Il fallait que tout le monde puisse voir que personne ne saurait s'opposer à son pouvoir sur le camp.
Après son petit coup monté (ou pas ?) Ash comptait le faire changer d'opinion sur ce point. Pour l'heure, il participait, comme tout un chacun, à la grande fête qui avait été mise en place juste après le jugement rapide perpétré en fin d'après-midi. Une fête à Camp Darwin !
Toutes les personnes, malgré le contre-ordre, avaient peu bougé de leur habitation durant le temps de l'investigation. Peu en tout cas avaient trouvé cœur à l'ouvrage, surveillant son voisin ou sa voisine, qui sait, peut-être cachait-il le cœur d'un criminel ? Quelqu’un d’assez détraqué pour vous couper un morceau de bidoche en pleine nuit…
Il y avait cette méfiance, au fond, avant que la révélation ne soit faite et que ce déchet de Dubois ne soit évacué, on n'en voulait pas autant au coupable- du côté des civils, cela va de soi. Certains militaires arrivaient à se faire apprécier de la population, ou tout du moins, ne pas s'en attirer les foudres silencieuses et insidieuses. Josh n'avait pas été de ceux-là, et pour parler crûment, n'avait été qu'un pauvre connard. Son émasculation risquait de ne pas le rendre beaucoup plus sociable, cependant, il y aurait un soulagement indéniable du côté de la gent féminine, avec en tête de liste, la jeune et rafraîchissante Pauline.
Et lorsque l'on su, ou se laissa convaincre, que Arthur avait tout fait... C'était encore mieux. Non seulement l'un de ces mâles en uniformes prenait ce qu'il méritait, en plus, l'instrument de cette vengeance était jetable et ne causerait pas de soucis à qui que ce soit d'autre. Les habitants de Camp Darwin avaient été ravis de la décision aussi soudaine qu'inattendue du colonel. On soupçonnait ce nouveau un peu étrange, là, le grand blond, d'y être pour quelque chose, et on ne s'y trompait pas tellement.
Bien sûr, il y en avait toujours pour grogner, tels les vieux du pays. Une petite note d'information sur cette espèce particulière de personnes du troisième âge ne serait peut-être pas superflue.
Les vieux du pays sont partout, dans toutes les sociétés qui laisse vivre ses vieux assez longtemps, quel que soit le Plan. Ce n'est pas partout le cas. Tenez, les Esquimaux, par exemple. Lorsqu'on a une balance démographique très juste à faire tenir, on ne peut pas s'embarrasser de bouches devenues inutiles à la communauté. Cela aurait du être normalement le cas aussi à Camp Darwin, en fait, tout le monde avait de quoi manger, seul le rationnement des militaires faisait qu'on avait une alimentation encore plus malingre qu'elle n'aurait du l'être.
Les vieux du pays existent depuis très, très longtemps. On en retrouve la trace dès l'époque du Roi Arthur, notamment par des témoignages de Perceval le Gallois, et de Sire Pellinore.
Les vieux du pays sont plus résistants que les rats et les cafards face aux grandes catastrophes. On ne sait même pas si la vieillesse peut venir à bout d'eux, ils semblent figés dans un état cellulaire avancé sans que les années y fassent grand-chose. Alors, ce n'est pas une petite apocalypse qui allait tous les avoir.
Les vieux du pays se baladent généralement par groupes de trois, et il est bien rare de ne pas les voir près d'un banc, ou de quoi que ce soit qui puisse servir de reposoir à leurs honorables séants. Le facteur de corrélation de Pearson entre les bancs et les vieux du pays approche de 0,97. Attention, ça ne veut pas dire qu'à chaque banc on trouvera un vieux du pays, mais bien le contraire. Si fait qu'on les considère souvent comme faisant partie des meubles et/ou du paysage.
Venons-en maintenant à la caractéristique principale des vieux du pays : marmonner sombrement dans leur barbe, interprétant les signes et annonçant toujours de mauvaises choses, en ressassant les vieilles histoires et se plaignant en fait de tout un tas de choses. Et aussi, de ne prêter aucune attention à ce que vous dites lorsque vous essayez de les raisonner et de leur dire que la vie n'est pas toujours si noire. Bon, bien sûr, depuis que le monde a vu sa surface habitable réduite au tiers, et sa population réduite au quart, voire moins, on n’était pas follement optimiste. Mais ce n'était pas encourageant pour autant de se retrouver avec ces vieux du pays qui passaient leur temps à prédire des événements obscurs, aussi, au bout d'un moment, on se contentait de les dépoussiérer de temps à autre sans tenir compte de leur avertissement. En leur faveur, on pouvait dire qu’ils étaient très économes en eau et en nourriture.
Ainsi, pendant que tout le monde déversait son énergie de la journée à mettre en place cette fête surprise, tandis qu'ils restaient soudés à leur banc, personne ne prêtait attention à leur marmottement.
" Trop rapide, c'est un coup fourré, marmonnait le premier vieux dans sa barbe. Celui-là n'aurait pas fait ça. Un crime si tôt après l'arrivée d'un étranger, c'est un signe maléfique, pas d'erreur.
- Regardez-le, ce grand dadais, avec sa voix charmeuse et ses manières, qui ne prétend avoir aucune mémoire précise de ce qui lui est arrivé, continua le second vieux. Ce n'est pas normal. Il lit dans le cœur des gens trop facilement. C'est un sombre présage, pas d'erreur.
- Les zombies ont hurlé plus longtemps que d'habitude, hier. Ils ont essayé d'attaquer avec beaucoup plus de violence que de coutume. C'est un mauvais augure, pas d'erreur.", conclut le troisième vieux en hochant sombrement la tête.
Ash Twilight, tout comme les autres, n'entendit rien de ces avertissements tirés par les cheveux. Il se savait innocent dans l'affaire qui s'était déroulée, et il avait proposé Dubois comme bouc-émissaire, sans le dire explicitement, cela va de soi. Il était un parfait suspect, et vu son état de démence avancée, il n'avait pas été très difficile de l'amener à réagir comme il l'avait souhaité. Qu'il fauche si facilement le pistolet de cet imbécile de Josh n'avait pas été au programme, mais avait ajouté une intensité dramatique délectable. Et maintenant, la fête. Bon colonel. Aussi saugrenue que l'idée puisse paraître, c'était exactement ce qu'il convenait de faire pour détendre encore plus l'atmosphère après l'élimination d'un membre nuisible de la communauté, et pour briser définitivement la glace entre civils et militaires, après plusieurs mois de cohabitation tendue.
Les seconds, sur sa suggestion, avaient troqué leurs uniformes usés (bien qu'une telle abondance d'eau permit un lavage sommaire des habits) pour se vêtir de façon beaucoup moins guindée. Les habits étaient un des indicateurs les plus évidents et les plus immédiatement visibles du statut de quelqu'un, et le statut militaire survivait à la catastrophe, bien que leur groupe y ait prit une part active dans la grande guerre qui avait suivie l'Infestation.
Avec cette mutation vestimentaire temporaire, le mélange pourrait se faire sans heurt. Il était presque étonnant de constater que la scission avait été si profonde que militaires et civils en savaient si peu les uns sur les autres. Il était bien temps de quitter ce mode de vie, sans quoi la survie du groupe serait mise en péril. Il était bon que Maverick en prenne conscience, et il ne désespérait pas de lui faire démolir la palissade qui entourait le camp militaire, pour utiliser le bois ainsi récupéré au renforcement de la muraille d'enceinte, à la réfection des bâtiments et l'amélioration des bâtiments des citoyens. L'unité, la solidarité... Oui, il allait y venir.
Plus important encore que de savoir décoder l'image des autres pour s'adapter à elle, il fallait soigner sa propre image. Après avoir joué l'homme de bien et de justice, il mit toute son énergie à préparer les festivités. Le mot était peut-être un peu fort, le concept, totalement farfelu alors qu'ils ne composaient qu'une insignifiante poche de résistance acariâtre au milieu de créatures infernales de plus en plus nombreuses. Mais quoi de mieux pour se connaître, pour laisser s'exprimer les émotions humaines, développer les liens, remonter le moral, faire un pied de nez au destin ?
C'était vraiment l'esprit, car il fallut tout de même quelques bonnes heures pour finir les préparatifs, et on ne comptait pas du tout s'arrêter lorsque le soleil se coucherait, puis lorsque les putrides allaient se rassembler encore une fois sans succès près des douves. Bon, ce ne serait pas non plus une fête peace and love, ce serait toujours mieux que rien.
Le colonel fit généreuse distribution des réserves que lui et ses hommes se constituaient depuis le début, et ce seul geste suffit à faire progresser de haute façon son capital sympathie. Il venait d'extraire l'un des principaux griefs qui lui avait été épinglé dessus. Et il se joignait lui-même aux travaux de mise en préparation, chose qu'il n'aurait jamais imaginé faire auparavant. Ce soir, il n'y aurait pas de grade, de statut, de rôles sociaux. Ils seraient égaux dans l'amusement.
Les tables avaient été dressées de la manière la plus chatoyante possible et garnie de gâteaux cuisinés grâce au four de pierre terminé il y a quelques semaines. Les portions des autres plats étaient généreuses, et on avait même ouvert quelques précieuses conserves. Des bouteilles de liqueur et d'eau-de-vie artisanale trônaient à côté d'assiettes contenant quelques trésors, comme des chewing-gum presque frais et des paquets de cigarette.
Pour la musique, on avait pioché dans les réserves pour en retirer quelques instruments, emportés quand bien même dans le désert en dépit de la présence d'objets plus importants. Surtout les plus légers, tels des harmonicas ou des flûtes, et pas toujours les bonnes personnes pour en jouer, l'important, c'était d'essayer. On avait allumé un peu partout des torchères pour rajouter à l'ambiance et ne pas se laisser guider à la seule lueur des étoiles de la lune qui pointait le bout de ses cratères.
Tout avait été décidé rapidement, mais les citoyens y mettaient tellement de cœur et d'énergie que cela réussit parfaitement. Exit la survie du plus fort : ce soir, cette nuit, nous sommes tous en vie, et on compte le reste avec plus de bonne humeur qu'auparavant. Tout cela n'aurait probablement pas été possible si on n'avait pas pu compter sur l'invulnérabilité des défenses de la 'ville'. N'empêche que cela restait un peu fantasmagorique, mais c'était l'un des buts recherchés.
Dispersés sur la grande place et ailleurs en raison du nombre important des fêtards, les gens discutaient gaiement, dansaient, faisaient de la musique, tentaient des cabrioles divertissantes, se laissaient aller à des concours de boisson, d'autres encore prenaient en otage les jeux de cartes et les paires de dés pour s'engager dans des parties endiablées. Ash participa à l'une d'elle, et, cette fois-ci, se fit plumer sans faire exprès. On lui rendit amicalement sa montre à laquelle il tenait beaucoup.
Des couples se formaient à la faveur de coins d'ombres isolés, des joutes amicales commençaient, des paris stupides prenaient place. On mangeait, buvait, à qui mieux-mieux, et lorsque les zombies vinrent, ponctuel, pousser leur chant cacophonique à minuit, on ne les entendit presque pas. Cette activité inhabituelle chez des survivants les troubla tellement qu'ils repartirent d'où ils venaient, tout penauds, et toujours aussi frustrés de ne pas pouvoir se mettre sous la dent ne serait-ce qu'une petite main ou deux, gigotantes. Ils mangèrent de bon appétit Arthur Dubois, qui servit à quelque chose pour cette fois. Peut-être était-ce exagéré de leur attribuer un sentiment humain, en tout cas, bien qu'ils échouaient à chaque fois à mettre fin à cette tumeur de vivants plantée dans une zone qui devenait désert et leur appartiendrait, ils n'avaient pas le choix. Ils devraient continuer, continuer... Ils n'étaient pas leur propre maître.
Camp Darwin comptait également des enfants (même si c’était étonnant au vu des critères du colonel), qui ne goûtaient pas forcément aux plaisirs des adultes. Ils s'étaient habitués tant bien que mal à cette nouvelle vie, et espérait Ash, resteraient vivants pour un jour former le renouveau du monde. En tout cas, il estimait qu'eux aussi, même s'ils ne travaillaient pas autant que leurs aînés, avaient droit de s'amuser un peu. La plupart avaient perdus leurs parents et leurs proches comme Pauline, ne trouvaient pas toujours une nouvelle 'famille', alors même que la situation de Camp Darwin était favorable. Il faudrait leur transmettre le savoir et la mémoire de toutes les personnes de le communauté : cela s'inscrivait dans son programme. Programme ? Programme, programme, Programme...

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Des tas d'enfants rassemblés devant lui... Était-il vraiment devant eux ? Il ne savait plus tellement. Il n'était même pas tellement sûr que ces souvenirs lui appartenaient en propre.
Ils avaient peur. Tous. Certains pleuraient, d'autres tentaient de ce consoler avec des paroles douce on en s'entre-serrant les uns les autres.
Bruit de porte qui s'ouvre lentement.
Une silhouette s'avance. Elle s'avance, à petit pas, en s'aidant d'une canne finement ouvragée, dont le pommeau en or est sculpté en forme d'un oiseau de proie miniature.
" Bonjour, mes enfants."
Pas de réponse de la part du groupe infantile. On le fixe avec des yeux pleins de frayeur et de doute, malgré son air inoffensif et paisible.
" Je sais qu'on vous a fait du mal, mes enfants. Beaucoup de mal. Je vous promets qu'on ne vous en fera plus. Vous avez été sauvé du dangereux Dehors. Vous savez pourquoi il est dangereux ?
- Parce que il est plein de choses toutes pourries qui grognent et veulent nous manger ? tenta un marmot.
- Parfaitement. Il est plein de mauvaise choses, qui vous ont enlevé ce que vous aviez de plus important. Il ne faut pas retourner dans le Dehors. Ici, au Centre, vous serez en sécurité.
- Et ma maman ? gémit une fillette. Elle était Dehors.
- Je suis désolé, dit sincèrement l'homme à la canne. Mais nous ne pouvons plus rien pour ta maman. Elle a été pris par les monstres du dehors."
S'ensuivit une longue litanie de complaintes dans le même registre. L'homme répondit à chacune d'elle patiemment et avec une douceur infinie. Ses paroles bercèrent le groupe d'enfant et les calma un peu.
" Je sais ce que vous ressentez, mes enfants, reprit l'homme. Tout ce que vous connaissiez a été réduit en miettes. Mais vous avez de la chance. Beaucoup de chance. Vous avez été sauvés. Bientôt, vous aurez une nouvelle famille qui s'occupera de vous. Une famille si belle qu’elle vous fera oublier toutes les douleurs du passé. Ici, personne n'a jamais froid, jamais trop chaud, jamais faim. Les monstres ne viennent jamais ici. On y dort tranquillement, et il y a tout pour s'amuser. Par contre, il faudra travailler aussi, d'accord ? Vous êtes le futur, mes enfants. Chacun d'entre vous a été choisi, chacun d'entre vous est quelqu'un d'important. Plus vous grandirez, et mieux vous comprendrez. Pour l'instant, vous devez être tous affamés, n'est-ce pas ? Suivez-moi. Une grande table a été préparée, avec tout ce que vous aimez."
Ils montrèrent quelque réticence au début- l'inconnu dégageait une telle aura de douceur, et la pièce était si froide, sombre et petite, que le choix se fit rapidement. Une petite fille prit l'initiative, et rapidement, ils sortirent en file indienne à la suite de l'homme à la canne. Le dernier parti, la porte se referma avec un claquement définitif.
" Triste futur pour l'humanité", fit une voix, dans le silence.
C'était peut-être la sienne.

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... des tas d'enfants rassemblés devant lui. Ils avaient joué sous la surveillance attentive de quelques chaperons, puis, fatigués sans être désireux d'aller se coucher dans le noir sans les personnes habituelles à côté d'eux, ils n'avaient pas dit non lorsque ce grand homme blond au regard pur avait proposé de leur raconter une histoire.
Il avait choisi d'en sortir une qu'aucun d'entre eux n'avaient jamais entendue- pour la bonne raison que c'était la première fois qu'elle allait être relatée. Il aurait pu leur débiter un classique, car les enfants ont certaines histoires favorites, considérant que cela pourrait réveiller des affects douloureux liés à leurs parents, il avait préféré s'abstenir.
Le héros de l'histoire arpentait les différentes sections d'un château royal qu'il avait atteint après avoir traversé un fleuve de larmes, jusqu'à aboutir devant une grande double-porte en bois nobles et garnitures impériales, gardée par deux armures. Quel que soit (ou fut) ce roi Merenas, il ne manquait pas de moyens. Sentant par instinct que c'était la bonne pioche, il poussa fermement les deux battants.
Qui ne bougèrent pas d'un pouce. Quelque peu frustrant. Ne vous êtes jamais sentit stupide, vous l'aventurier chevronné, de vous faire arrêter par une bête porte qui refuse de s'ouvrir ?
Devant un tel obstacle, il y a deux solutions : la réflexion ou la force. Après mûre réflexion, Mévirack opta pour la force et déclencha un orage noir canalisé sur l'objectif.
Les portes restèrent de bois devant cet assaut de violence.
Excédé, il leva les yeux au plafond.
Et vit que des ouvertures avait été pratiquées dans le mur en face de lui. Sûrement d'anciens emplacements autrefois occupés par des vitraux.
Il calcula rapidement la distance entre ces dernières et les épaules des armures. Difficile à faire en portant son éternel imperméable, mais pas infaisable. Il grimpa assez adroitement sur l'armure de gauche, qui ne vacilla pas du tout sous son poids, prépara une inflexion des jambes, et avec presque autant d'agilité qu'un certain Prince de Perse, bondit jusqu'à l'ouverture. Il s'y agrippa de justesse d'une de ses mains gantées, pédala quelques instants dans le vide, puis s'engouffra finalement dans le trou.
De l'autre côté, la situation était plus problématique. La nouvelle pièce était grande, richement décorée de colonnes de marbre veiné d'or, de draperies et de tapisseries sur les côtes, un lustre de cristal pendant du plafond, immobile. Une grande table ovale trônait au milieu, cerclé de douze sièges finement ouvragés, et d'un trône en son extrémité nord. Toutes les places étaient occupées par des squelettes richement habillés, confortablement installés, comme si la mort les avait surpris en pleine réunion festive.
Et derrière eux, une immense horloge contre le mur- dont le cadran comportait 18 chiffres et nombres, inconnus de Mévirack. Lorsqu'il passa une jambe en-dehors de l'ouverture, il crut entendre un faible «tic». Les aiguilles restaient pointées sur ce qui devait être le minuit de cette horloge, et donc le nombre 18.
Le problème était de trouver un moyen de descendre. Non, rectification : le problème était de savoir pourquoi les squelettes se mettaient à tressauter, se levaient d'un coup et marchaient vers lui mécaniquement. Si Maverick avait lu un peu plus dans sa jeunesse, il aurait certainement prévu cet événement. C'est une règle : dans une pièce où attendent des squelettes qui sont là pour une raison douteuse, dès qu'un vivant approche, ils se mettent à prendre morte-vie.
Les mort-vivants se mirent à cliqueter de partout, de leur voix sépulcrale.
« Un vivant ! Un vivant !
- Enfin, enfin ! Quelqu'un a trouvé le chemin de Perdide !
- Tellement longtemps que nous attendions qu'une personne vienne ici...
- Et si longtemps qu'une coupe de bon vin n'a touché mes lèvres sèches ! Vous, amenez-vous du bon vin ?
- Gartrick, nous sommes coincés ici depuis plusieurs lustres, et tu ne trouves rien de bien que de demander à boire ?
- Justement, toutes ces années d'inaction m'ont donné une sacrée soif.
- Notre calvaire va enfin prendre fin, après toutes ces décennies !
- Attendez, mes compagnons, ne nous emballons point. Nous ne savons pas qui est ce sire qui ne connaît pas l'usage élémentaire d'une porte.
- Paix, Philibert, paix ! Il ne peut s'agir que d'une bonne âme pour être arrivé jusqu'ici. Une âme généreuse qui saura nous délivrer de cette farce macabre.
- Prends garde, Guillôme, prends garde ! N'oublierais-pas tous les marauds qui sont venus ici, et ayant ouï-dire du trésor, nous ont délaissé pour tenter de le dérober ?
- Que nenni, ils sont vifs dans ma mémoire, et je sais fort bien que leurs ossements doivent être quelque part dans les jardins, pour prix de leur impudence. Tais-toi donc maintenant, avant de planter les graines de la convoitise en son cœur.
- Ah ! Que ne parles-tu de cœur ? Comme j'aimerai pouvoir mirer le mien et en finir avec toute cette forfanterie...
- Tous unis, tous maudits.
- Tu radotes, Isalion, la poussière à l'intérieur de ton crâne doit être définitivement éventée. Union ? Pfa ! Quelle vilenie ! Si pour prix de ma libération vous étiez tous damnés, mes côtes flottantes danseraient de joie devant ma liberté retrouvée.
- Et toi tu ne fais que montrer ton mauvais fond, espèce de troufion. Tu as toujours été un troufion. Je me souviens que tu piquais dans les caisses alors même que tu avais les poches pleines, et qu'oncque trois belles feïzarin ne suffisaient pas à chauffer ton lit au matelas rembourré de plumes de pégases...
- Ne décroche donc point ta mâchoire pour sortir pareilles inepties. Des feïzarins, quoi ! Ai-je une tête à fricoter avec les Naïeps ?
- Non, juste une tête de troufion. Même décharnée, c'est indélébile.
-Tu m'accuses, moi, alors qu'il est de notoriété publique que je faisais tout pour la prospérité de notre bon roi. Je ne souffrirai point pareille injure, viens donc par là que je joue aux osselets avec tes métacarpes !
- SI-LENCE ! » rugit le squelette habillé comme un roi.

Les autres occupants au langage châtié gardèrent la mâchoire tombante pendant un bref instant, puis retrouvèrent leur sourire macabre, dépités.
« Aucunement étonnant que nous perdions toute chance de partir d'ici si vous vous mettez à caqueter comme des jouvencelles le soir de leur premier amour ! Là, ne parlez plus, et laissez-moi l'affaire. Même dans la mort, je reste Merenas, le roi magnifique, et je ne souffrirai point une autre de vos indolences.
- Bah, pfff, qu'est-ce qu'il pourrait nous faire de plus, nous sommes déjà morts... Nous chanter un opéra, peut-être ?
- Guillôme...
- Je soliloquais, Majesté, tout simplement. Il est évident que de nous tous vous êtes le meilleur, et que votre verbe n'a nul pareil en ces lieux.
- J'entends bien.
- En même temps, nous ne sommes que treize...
- Hm, hm... Or ça, étranger au manteau noir comme la nuit ! »
Mévirack orienta son regard vers Merenas, quelque peu désorienté par la tournure des événements. Il se sentait de plus en plus pressé de sortir d'ici, pour aller où que ce soit ailleurs.
« Votre Majesté ? dit-il, le plus courtoisement possible.
- Qui es-tu, et que viens-tu faire en Perdide la mouvante, au château d'icelui, le splendide palace de Merenas le Magnifique ?
- Je suis Mévirack... (Il chercha rapidement un adjectif accrocheur) Mévirack d'Outre-Mort, à votre service. Je ne viens rien faire de spécial, ici, je le crains, à part vouloir trouver la sortie.
- Par mes radius et mes cubitus ! On ne vient point en Perdide comme on va à un bal galant. Comment et par quels moyens es-tu arrivé ici ? »
Il lui conta brièvement sa traversée.
« Bien étrange, bien étrange ! commenta le roi. Mais l'on a déjà vu plus étrange, et il existe moultes façons de s'égarer jusqu'à Perdide. Mais baste. Mévirack d'Outre-Mort, tout comme toi, nous n'avons qu'un souhait : sortir de cette île maudite et oubliée des dieux. Nous pouvons t'y aider, toutefois...
- Toutefois ?
- Toutefois, un sérieux handicap nous empêche de nous mouvoir pleinement : nous sommes condamnés à rester en ma royale salle de la Table Ovale. Tant que nous ne récupérons pas nos cœurs emprisonnés dans des vases canopes, disséminés à travers le reste du château, nous ne pouvons rien faire.
- Et vous voulez évidemment que j'aille les chercher pour vous ? Je crois que je suis en train de prendre le coup avec toutes ces histoires... Ce ne serait d'ailleurs pas un peu déjà-vu ?
- Déjà-vu ? Je ne comprends pas ce que vous voulez dire, ne pensons pas à ça. Si vous ne voulez pas finir tout comme nous, ou tout comme les pillards morts, aidez- nous ! Quelle est votre réponse ? »

Tous les squelettes le fixait maintenant avec une attente perceptible. C'était plutôt ignoble. Maverick fit mine de réfléchir, et faute de mieux pour le moment, donna son assentiment.
« D'accord. »
Un concert de soupirs de soulagement, semblables à des chuintements, s'éleva de la petite cohorte en contrebas.
« Voudriez-vous bien me faire la courte échelle ? J'ai peur de me casser les chevilles en sautant d'ici.
- Tout de suite, tout de suite ! fit Merenas avec un enthousiasme débordant pour un mort-vivant. Isalion, Philibert, faites donc. Pas la peine de me rétorquer 'Pourquoi nous ?' ou 'Nous ne sommes point des domestiques !' d'une voix si bien plaintive que geignarde, exécutez-vous, sinon, je vous dévisse le crâne et le balance aux oubliettes. »
Les intéressés grognèrent, puis obéirent tant bien que mal. Maverick put redescendre tout en douceur le long de cette échelle improvisée.
« Bien, bien ! Maintenant, reposez-vous, vous avez l'air exténué. Nous allons vous dire comment procéder pour... »
Merenas n'alla pas plus loin dans ses paroles, le noir envahit brusquement la salle, suivi d'un cône de lumière braqué sur le trône, l'entourant d'un cercle lumineux.
« Cesse donc d'écouter les piaillements cliquetant de ces imbéciles, Maverick, dit la Voix chaleureusement. Et que je ne vous entende par prononcer une parole, vous autres. Quant à toi, 'Mévirack d'Outre-Mort', prend donc place sur le siège prétentieux de ce roi déchu.
- Ne serait-pas une sorte de piège ?
- Ah, Mévirack, tu m'enchantes, réellement ! Tu ne perds pas le nord dans toute cette affaire, n'est-ce pas ? Rêve ou réalité ? Qui sait... Tant de méfiance me blesse ! rajouta la Voix d'un ton qui n'était pas blessé le moins de l'univers.
- Vous n'êtes pas réellement dans mes petits papiers depuis que votre sbire m'a fait traverser ce fleuve de larmes, Voix, et m'a fait perdre ici alors que j'ai d'autres choses à faitre.
- Il a fait ça, cette vieille baudruche masquée ? Ce n'est pas une mauvaise chose. Je lui laisse toute latitude pour décider en la matière. Ne te laisse pas influencer parce qu'il a pu te raconter. Il ne sort presque jamais de ses Lymbes chéries, alors, quand c'est le cas, il est d'une exubérance qui sied mal à un Régisseur de l'au-delà. Bha batasta ! Je ne suis pas là pour parler de ces choses. Installe-toi, Mévirack. Je dois t'entretenir de ta nouvelle épreuve.
- Épreuve ? Excusez-moi, mais tout cela me semble un peu relever du cliché... »
La Voix laissa échapper un de ses rires joyeux.
« Merveilleux ! Bien entendu, cela peut sembler ainsi. Je n'ai rien à faire de quelqu'un qui peut pas surmonter ces quelques caprices introductifs. Je te promet que ta patience ne sera pas échaudée pour rien, Maverick.
- J'en jugerai par moi-même. » répliqua Maverick, impavide.
Et il s'assit sur le trône de Merenas, éclairé par cette lumière venue de nulle part, attendant ce qu'allait bien pouvoir lui débiter la Voix cette fois-ci.


Ash avait craint que parler de mort-vivant n'effraie inutilement son jeune auditoire, mais il faisait les voix et narrait avant tant de conviction qu'ils restèrent attentifs. Il continua donc.
« Tu es confortablement installé ? Bien, écoute attentivement, si tu ne veux pas que ce siège devienne ton reposoir pour les décennies à venir.
D'abord, n'écoute rien de ce que ces vieux os pourront te raconter. Ils ont été maudits, certes, et par les dieux, rien n'est plus vrai. Mais ils ne sont pas du tout innocents et ne mérite en aucun cas d'être sauvés- et encore moins que ce soit toi, Maverick le solitaire, qui le fasse pour eux. Utiliser les gens pour survivre, et être utilisé pour faire survivre, tel est l'un de tes axiomes, n'est-ce pas ?
Ceux-là ne te serviront de rien.
Je vais conter leur histoire, qui aussi est celle de Perdide. Une histoire assez banale, tu m'en excuseras. »
La Voix fit une pause, puis modula son timbre pour qu'il soit plus seyant.
« Il y a longtemps pour eux, et il y a une poignée de secondes à l'échelle de l'Univers, vivait un roi majestueux et prospère, qui régnait sur un calme territoire situé dans les terres du centre, en Aznhurolys la lointaine. Ce roi, Merenas, était d'ascendance divine de manière assez floue. Non, il n'était ni demi, tiers ou même quart-dieu. Quelque chose de difficilement quantifiable, qui le rendait tout à peine supérieur au commun des mortels, mais qui suffit pour qu'il se nomme lui-même «le Magnifique.» Force était de reconnaître qu'il avait la figure belle et le corps bien fait.
Merenas, se croyant investi de pouvoirs extraordinaires et élu par les cieux, sillonna longtemps l'Aventurie, récoltant exploit sur exploit.
En Aznhurolys, la noblesse ne s'acquiert point par le sang, mais par les actes. N'importe qui peut être anobli, du moment que ses hauts faits et ses contributions au monde ont été établis. Merenas atteint son pinacle lorsqu'il défit par la ruse le roi-brigand du royaume dont il allait devenir par là-même le souverain. Délivré de l'oppresseur, le peuple l'acclama et l'Empereur Xonoar le fit accéder à son titre, que Merenas considérait comme tout naturel maintenant. N'est-ce pas, canaille ?
Il fallait le voir parader aux ovations de la foule ! On eut dit qu'il avait sauvé le monde entier comme doit si souvent le faire le Gardien de la Planète. Mais qu'était-ce que ces milliers et milliers acres de terres, sinon un fragment du Wnov ? Suffisant en tout cas pour faire germer son orgueil.
Le peuple se mit à l'aimer, car Merenas se montra bon et juste au début de son règne. Mais un sentiment d'insatisfaction ne cessait de le tarauder, il voyait bien plus grand pour sa destinée. Après tout, il était le descendant d'un dieu ! Lequel ? Peu importait. Au nom de ce parent inconnu, il promulgua la sacralisation de son royaume et décréta que guerre devait être menée à tous les croyants dont la foi était faible. Il ne prenait pas de risques en ne déclarant pas l'hallali à qui que ce soit en particulier, et il était facile de désigner le peu pieux, du moment que cela n'engageait pas de conflit ouvert avec une autre faction.
Merenas se montra aussi bon chef de guerre qu'il avait belle prestance, et le trésor royal se trouva bientôt empli de richesses, et les manufactures remplies de travailleurs étrangers forcés au travail. Merenas fit construire la Table Ovale à laquelle tu es assis et rassembla douze prélats, des gens très polyvalents qui avaient entre leurs mains la gestion fractionnée du royaume, ils étaient tous intendants d'un secteur, chevaliers et ministre de quelque chose. Le royaume connaissait une ère de prospérité que jamais nul autre royaume de cette taille n'avait jamais connu, du moins pas depuis le temps des Précurseurs. Son charisme était tel, et sa langue si agile, que ses voisins ne cherchaient point la guerre avec lui, et qu'en plus de se faire aimer de son peuple, bien gouverné par les Douze, il avait fait de potentiels ennemis des alliés, ou au pire, de courtois vis-à-vis. Il avait la grâce de l'Empereur qui pointait son royaume en exemple à suivre pour les sociétés humaines.
Merenas se couvrit même de gloire en infligeant une raclée mémorable aux Naïeps, ces horribles barbares qui commettent le plus horrible des crimes : refuser de croire en une des 21 déités d'Aznhurolys.
Merenas se trouvait donc bon en tout, et rien ne venait porter d'ombre à sa réussite.
Toutefois, les scientifiques s'accordent à dire que tout ce qui monte finit par redescendre, non ?
Et la chute de Merenas ne fut causée que par la plus dangereuse des sources : lui-même. Tout son prestige et ses succès lui avaient donné l'impression qu'il était réellement devenu une créature semi-divine.
Alors, les richesses de son royaume furent canalisées pour bâtir le château dans lequel tu te trouves, Mévirack. Un véritable palace, qui tentait une fois de plus ce vieux rêve d'être le plus opulent du monde. Les meilleurs matériaux utilisés, les plus grands architectes engagés.
Le peuple ne grogna même pas devant la ponction, tellement la construction imposait de par sa magnificence, sa grandeur. Il n'y eut même que de légères plaintes lorsque Merenas fit augmenter la taille de son domaine royal pour l'agrémenter avec toutes les folies vaniteuses que l'argent peut offrir- monuments, tombeau, pyramides, tours de crystal, jardins garni des plus rares espèces, allées de statues, fontaines de platine, etc, etc. Rien ne comptait plus pour lui à cette époque que d'améliorer sans cesse son domaine réservé, pour qu'il égale la splendeur qu'il croyait celle du cosmos des dieux. L'Empereur en prit un peu ombrage, mais ce fut surtout le peuple qui commença à gronder pendant que son roi continuait à s'abîmer dans la contemplation obscène de son précieux écrin, alors que les Douze ne faisaient plus que bombance et se croyaient arrivés au Paradis.
Mais cette folie aurait encore aurait pu passer, et lui aurait pu être pardonné.
Seulement, il commis un des pires blasphèmes : se croire assez puissant pour réclamer un culte à sa personne. Le culte n'eut jamais le temps d'exister, en fait, mais le temple qu'il fit construire, avec une statue géante à sa gloire, ne passa pas inaperçus à ceux qui regardent d'en-haut pour se divertir.
Alors, parce que Merenas se prenait pour un petit dieu, le fou, à cause des quelques gouttes de sang divin qui couraient dans ses veines, et puisqu'il aimait tant ce paradis artificiel qu'il avait fait bâtir, les dieux décidèrent de l'y emprisonner pour l'éternité avec ses douze prélats.

Le château de Merenas devint alors une île arrachée du royaume, où les treize fous étaient les seuls occupants. Pour que jamais ils n'oublient ce qu'est le pouvoir divin, les dieux condamnèrent l'île de Perdide à voyager de monde en monde sans cesse, ne restant jamais en place plus de 18 heures. Quiconque entre à Perdide enclenche ce compte à rebours avant que l'île ne reprenne son éternel vagabondage. Longtemps Merenas et ses suivants espérèrent qu'une âme noble les délivreraient, car dès que Perdide fit assez de voyage pour que chacun d'eux mourut, ils furent enchaînés par des liens invisibles à cette pièce, ne pouvant même plus profiter du reste de leur prison. Mais le repos de la mort ne leur était point accordé, leurs cœurs, magiquement traités et placés dans des vases canopes, continueraient à battre éternellement, alors même que leurs détenteurs deviendraient des squelettes jaunis aux vêtements usés par le temps.
Telle est le supplice donné par les dieux aux insensés qui crurent pouvoir mesurer leur grandeur à la leur. Morale : tout puissant que l'on est, il faut savoir rester à sa place et ne pas encourir la colère de ceux qui sont tellement plus puissants que vous.
- Un conte édifiant, commenta sobrement Mévirack. Si j'étais méfiant et tentait d'y voir un message subliminal, je dirais que vous me conseilleriez de ne jamais m'opposer à vous, Voix ? »
La Voix, comme à son habitude, rit jovialement aux frasques de Mévirack.
« Les humains ont tant le libre-arbitre que le libre-choix de l'interprétation des paroles d'autrui. Je ne suis pas un dieu, Maverick, je t'ai déjà dit que sur ce monde, vous êtes seuls, livrés à vous-même. Cela ne m'empêche pas de posséder une puissance que tu verras en temps voulu. Oui, je te vois pincer les lèvres, ton agacement est prévisible. C'est ça que d'être le maître du jeu, Mévirack !
Maintenant, il faut encore que je te dise deux dernières choses, Mévirack.
- Premièrement, mais tu l'auras déjà deviné, tu ne disposes que de 18 heures standards pour trouver le moyen de fuir Perdide avant qu'elle ne t'emmène avec elle dans son périple sans fin. Mais ce que tu ne pouvais deviner, c'est pour chaque heure égrenée ici, dix s'écoulent dans le monde réel. Fait-il encore plus te hâter ou prendre ton temps ? Je te laisse décider...
Secondement, il y a un trésor, ici. Je ne te mentirais pas : il a été placé là pour détourner les possibles visiteurs de se détourner de Merenas et des autres, pour que jamais leur punition ne prenne fin.
- Quel est ce genre de trésor ? Je ne veux pas m'encombrer de babiole dorée inutile. J'ai déjà assez à faire.
- Le trésor... fit le Voïvode, rêveur. Moi-même je ne sais pas ce qu'il est, Mévirack. Il est différent pour chacun. Ils te montreront à quoi il ressemble pour toi, tout à l'heure. Sache que si tu le trouves, tu seras automatiquement sauvé de Perdide.
- Cela me paraît être un trop beau plan pour qu'il n'y ai pas quelque traquenard derrière.
- Ah, ah ! En témoignent tous les morts qui jalonnent les jardins. Tu as deux autres solutions pour t'en sortir, Mévirack : perdre ton temps à ramasser les vases canopes en espérant que ces vieux os animés ne soient pas des menteurs et puissent tous vous faire sortir de là, ou bien il t'appartiendra de résoudre une énigme. Ne râle donc pas en me disant que c'est d'un convenu affligeant. Voici la première partie de cette énigme " Je suis la seule chose qui s'éloigne à mesure que l'on s'approche de moi." La bande de décharnés a sûrement trouvé la réponse depuis toutes ces années, mais comme de bien entendu, ils ne peuvent te la dire. Obligation de la malédiction.
Bonne chance, Mévirack ! "

Ash fit une pause. Les questions affluèrent de la bouche des enfants, certains curieux de savoir plus avant ce qu'était Aznhurolys, un drôle de monde, mais qui semblait plus drôle à vivre que le leur- même s'il ne fallait pas chatouiller l'orgueil des dieux. Les enfants le pressèrent de continuer,  il les rabroua gentiment en leur promettant de leur raconter la suite demain (s'ils étaient sages, comme de bien entendu).
Pauline essaya de l'intercepter au sortir de cette prestation oratoire, Eléonore Kuchta, qui ne l'avait pas vue, fut plus rapide qu'elle et se plaça près de lui alors qu'il s'asseyait près d'une table, bien tenté de faire un sort à ce qui restait des 'buffets'.
" Je ne sais pas si le thème était le meilleur choisi, mais vous ne manquez pas d'imagination, Ash, débuta-t-elle en s'installant à côté de lui.
- Pas autant que ça, fit-il en dévorant un beignet approximatif fourré d'une matière indéfinissable. J'avais déjà imaginé cette histoire il y a quelques temps. Ce n'est pas vraiment adapté pour les enfants, j'avais envie de la raconter au moins une fois. On ne sait pas si on verra le soleil se lever le lendemain.
- Allons, vous savez bien qu'on ne risque rien, ici.
- Pour le moment, répliqua joyeusement Twilight. Camp Darwin ne sera pas éternel, Eléonore. J'espère faire adopter à notre cher colonel une vision beaucoup plus large. Il est possible qu'elle lui semble utopiste. Il est impossible par contre d'imaginer passer le restant de sa vie ici. Vous n'avez jamais essayé de contacter d'autres survivants ? J'aime à penser que Sandrunner cache encore d'autres choses dans ses réserves.
- Ceux qui survivent aux Hordes prennent rarement le temps d'embarquer une radio sur eux, fit la jolie rousse avec une pointe d'ironie. De toute façon, on ne peut pas se permettre d'émettre trop longtemps. L'opérateur radio fait des essais quand ça lui chante, en essayant d'adapter son poste pour qu'il puisse être fourni en énergie par des piles. Je crois que s'ils avaient eu quelqu'un, ils nous en auraient informés. En tout cas, si quelqu'un a reçu le message diffusé de temps à autre, il n'a jamais le bout de son nez ici.
- Ce n'est peut-être pas plus mal, murmura Ash, sans savoir pourquoi précisément.
- Pardon ?
- Je pensais que si chaque pauvre diable qui entre ici doit subir le même interrogatoire de la part de Maverick, il est peut-être plus chanceux d'aller danser avec les zombies."
L'infirmière sourit légèrement.
" Vous aurez peut-être le pouvoir de faire changer les choses. En tout cas, vous êtes étonnant. Personne n'avait jamais osé tenir tête au colonel. Et à côté de ça vous nous débarrassez d'un type ignoble, vous mettez la main à la pâte pour cette petite sauterie et vous finissez en contant un récit exotique aux enfants.
- Le moins que je puisse faire pour eux. Ils sont plus que jamais les bases de l'avenir. Il faudra mieux s'occuper d'eux désormais."
Elle lui décocha un regard appréciateur.
" J'attendais depuis longtemps qu'un homme finisse par dire cela. J'aurai aimé faire plus pour ces petits, les adultes trouvent toujours une occasion de se blesser quelque part, et j'ai peu de temps pour moi-même.
- Vous êtes étonnante aussi, Eléonore. Votre métier n'a jamais été facile, et encore moins maintenant, pourtant à chaque fois que je vous trouve toujours la mine fraîche et le sourire aux lèvres.
- Je n'ai pas le loisir de montrer une mine défaite aux gens. Il faut aussi que je leur remonte le moral, maintenant, je crois que j’ai trouvé quelqu'un qui pourra m'aider pour ça ?
- On n'a pas besoin d'être spécialement psychologue pour faire ça, je m'en occuperai aussi, bien entendu.
- Vous êtes quelqu'un de bien.
- N'ayez pas le jugement trop hâtif, mademoiselle. Ce soir, tout le monde est de bonne humeur, les sentiments s'exaltent...
- Et ? Cela vous fait porter un masque ?
- Non. Seulement, il faut rester sur ses gardes. Je ne suis pas encore sûr du résultat de cette 'communion' de ce soir.
- Au moins, cela aura fait un changement et vous aurez essayé. Je vous trouve bien pessimiste.
- Juste réaliste."
Un blanc s'installa dans la conversation tandis que Ash se refusait à essayer un autre exemple de la cuisine locale pour éviter tout risque d'infection gastrique. Il aurait été dommage de se réveiller le lendemain avec la diarrhée après tout ça.
La jeune femme finit par vouloir en savoir plus sur lui- un sujet épineux, qu'il préférait ne pas aborder avant qu'il n'ait remis un peu d'ordre dans sa tête après un bon coup de balai psychique. Et il n'avait pas encore le temps pour ça. Ne voulant pas paraître désobligeant, il lui demanda courtoisement de commencer la première. Il eut un léger sentiment d'irréalité au résumé de sa vie émaillé d'anecdotes qu'elle savait rendre amusante. Et il pensa que oui, il ne s'était même pas écoulé un lustre depuis que le monde était devenu ainsi... Leur ordalie n'en était qu'à ses prémices.
Elle confirma ses impressions; il la trouvait absolument charmante, fraîche, et intelligente. Un songe d'idylle traversa même son cerveau l'espace d'un instant, avant que le Moi autoritaire, instance du principe de réalité, ne chasse cette pensée à coup de bottes psychiques ; il fallait être raisonnable. Pas de doux sentiments alors que la mort rôdait au coin de chaque pâté de taudis.
Vint son tour, et il se sentit piégé. Il ne voulait pas se compromettre... Et doutait que ce qu'il puisse dire soit le reflet exact de son passé, nonobstant l'effet naturel de la détérioration et transformation des souvenirs au fil du temps.
Son salut vint de celui qu'il attendait le moins dans ce rôle, il s'agissait rien du moins que du colonel, qui, s'il n'avait plus son uniforme et ses galons, continuait à en imposer : il était dans un smoking qui avait autrefois connu une glorieuse époque. Ash ignorait comme ce diable de Sandrunner avait bien pu dégoter un smoking dans tout ce chaos, et ressentit une pique de jalousie.
Lorsqu'il devrait quitter Camp Darwin, il essaierait de subtiliser le vêtement. S'il venait à mourir dans le désert, autant le faire bien habillé.
" Désolé d'interrompre une nouvelle fois une charmante conversation entre vous deux, annonça Maverick. Cela fait assez longtemps que j'essaye de mettre le grappin sur vous. J'aurai quelques questions à vous poser... Si cela ne vous ennuie pas, bien entendu."
Inutile d'avoir fait des études en psychologie pour se rendre compte que le ton du militaire indiquait derrière la politesse que Ash ferait sacrément mieux de répondre par la positive. Il prit congé de sa charmante compagnie, lui souffla un baiser par la main, et fit un sourire cabochard à Maverick qui appréciait modérément ce genre de démonstration libidineuse. Pendant qu'il ne le regardait pas et que son supérieur théorique le menait à un endroit plus calme, il produisit une grimace désolée à l'attention de Pauline qui faisait toujours le pied de grue, bien patiente, et qui lui répondit par une moue blasée.
" Qu'est-ce qui me vaut l'honneur ineffable de me retrouver une fois de plus en votre présence, colonel ? Je croyais que vous n'aviez plus besoin de mes services pour aujourd'hui.
- Vous vous êtes rendu utile, professeur, mais je continue de penser que c'était trop facile... Et vous ne m'avez pas répondu, après que Dubois ai essayé de tirer sur la foule.
- Ma réponse n'a pas variée non plus, fit-il en faisant mine de redresser un pli imaginaire de sa veste. Par pitié, colonel, je vous sens tendu. N'allons pas recommencer une scène pénible où le ton monte. J’apprécie toujours plus une conversation calme.
- Il n'en tient qu'à vous que ce ne soit pas le cas, répliqua Maverick, qui ne se faisait toujours pas à l'humeur indestructible du psychologue. Lorsqu'un point me paraît obscur, j'apprécie qu'il soit éclairci... Rapidement. Et ce que m'a dit Miles de votre 'enquête' n'est pas suffisant pour me satisfaire. Je trouve étonnant que tout concorde si bien pour accuser Dubois.
- Je ne vous aurai pas pensé homme à tellement se soucier de la culpabilité d'un dépravé comme lui, surtout s'il a osé s'en prendre à l'un de vos hommes. D’après ce que j’ai appris en discutant avec les habitants, vous ne faisiez pas tant de manières auparavant : il vous suffisait de mettre au collet un bon coupable. »

D’autant plus que c’était quelqu’un qu’il avait envie de voir disparaître.
 « Je suis moins regardant d'habitude, concéda le gradé. Je préfère le concret aux résultats, et pour certains des habitants que j'ai recueillis, un fautif en vaut un autre. Cette fois, c'est différent.
- Et en quoi ? demanda innocemment Ash, que cette nouvelle crise de méfiance ennuyait profondément.
- Je vous pense assez tordu pour avoir fait le coup, et mis le chapeau sur la tête de ce pauvre demeuré drogué.
- Hypothèse qui fait honneur à votre intelligence, Colonel. Seulement, vous oubliez une question de base. Quel mobile aurais-je eu ? Je suis tout frais émoulu aussi. Et si vous vous le demandez, je n'ai aucune appétence particulière en ce qui concerne l'émasculation sauvage.
- Le mobile, vous le savez aussi bien que moi. Vous faire bien voir pour gagner ma confiance avec un tour de force de votre part.
- Bien sûr, il pourrait y avoir ça. Moi, je crois autre chose, colonel. Je crois que vous êtes incertain sur le sujet, certes, et surtout que vous ne m'appréciez qu'à demi. Vous pensez que je ne suis pas un incapable, même si cela ne vous plaît pas forcément, au fond. Je peux vous aider, seulement, vous aimeriez m'imposer votre volonté plus directement. Je n'ai pas peur de vous, et cela vous agace sensiblement. Voilà la première fois que votre poigner de fer se heurte à un roc sur laquelle elle n’a pas une prise entière. "
Maverick ne résista pas à la tentation de sourire.
" Au moins tout ce que vous prétendez n'est pas que du vent. Et puisque vous avez raison, qu'est-ce que cela change ?
- Cela change que vous aimeriez bien vous débarrasser de moi une fois que vous aurez tiré le maximum de ma personne. Et quoi de mieux que de mettre à jour une vérité resté incertaine, ma culpabilité dans cette affaire ? Je vous fais confiance pour monter ça de telle façon que ça paraisse crédible. Et vous seriez alors gagnant sur tous les plans.
- On peut dire que ce n'est pas le manque de franchise qui vous étouffe !
- Je n'aime pas le mensonge, colonel, vraiment pas. J'en use le moins possible, et je préfère la transparence quand c'est réalisable. Maintenant que nous nous sommes dits nos quatre vérités, peut-être pourrions collaborer sur une base de meilleure confiance ?"
Rusé. Il l'avait fait dévié du sens original qu'il comptait donner à cette conversation.
" Bien sûr, il est inutile que je vous cuisine plus longtemps sur la question du crime ?
- Bien sûr, confirma Ash en remettant une mèche rebelle en place. Vous avez les preuves, et vous savez sûrement que je dormais avec une fille la nuit dernière. Nous y gagnerions tous les deux si vous cessiez d'être si méfiant. Dès demain, j'aurai de nouvelles suggestions à vous faire pour améliorer la vie du camp. En attendant, j'espère que vous ne m'en voudrez pas si je m'éclipse. La fête a fait du bien à tout le monde, sauf que la journée a été... Mouvementée."
Sandrunner le fixa un moment, se demandant s'il devait le laisser filer à aussi bon compte. Il commençait à se sentir mal à l'aise avec ce professeur... Qui n'en semblait pas un. Il avait vu trop facilement dans son jeu, même si lui distinguait des ouvertures dans le sien. Il avait fait un essai, il allait voir s'il pourrait le transformer. Au moindre signe de danger, Twilight connaîtrait une fin discrète. Il paraissait décidément trop malin.
" Faisons ainsi... Professeur. Bonne nuit."
Et il lui tendit la main.
Ash Twilight n'était pas partisan des poignées de mains hypocrites, faute de mieux comme trophée, il accepta tout de même celle-ci et alla rejoindre Pauline qui piaffait d'impatience.
Ils avaient bien passé quelques moments ensemble pendant la fête, s'accordant une danse, passant la plupart du temps éloignés l'un de l'autre, et sur la fin, elle avait assez soupé du mixage 'social'.
Épuisés l'un et l'autre par les événements, ils ne conversèrent que peu, échangeant quelques échantillons de leur soirée, comme s'ils étaient frère et sœur regagnant la maison familiale. Elle appréciait vraiment de l'avoir à ses côtés, mais renâcla un peu lorsqu'il l'obligea à faire un arrêt devant l'église.
D'accord, c'est là qu'il l'avait trouvée, autrement, ce lieu, ancienne cachette, n'était pas particulièrement cher à son cœur.
" Pourquoi tu veux qu'on reste à regarder cette vieille ruine ? s'enquit-elle, la voix laissant échapper des accents de sommeil.
- Tu n'as pas vu le corbeau qui s'est posé sur les restes du clocher ?
- Non. Tu dois être fatigué, tu vois des choses, plaisanta-t-elle en le maternant du bras, taquine.
- Hmm... Je crois que j'ai trouvé un plan de travail pour demain. Après avoir fait admettre à Maverick que les citoyens n'ont pas besoin de travailler autant, il restera bien du temps pour ça.
- De quoi tu parles ?
- Une autre étape dans l'évolution de Camp Darwin. Remettre en état l'église.
- Pourquoi tu voudrais faire ça ? s'étonna-t-elle. Cela prendrait des matériaux pour pas grand-chose. Personne n'aime beaucoup cet endroit. Heureusement, sinon, je m'y serait pas cachée.
- Alors on le rendra plus gai, dit Ash avec un sourire désarmant. Tu ne peux savoir toute la puissance qu'il y au fond de ces vieilles pierres, endormie, attendant que quelqu’un vienne la secouer et la reprendre à son compte. J'ai toujours été fasciné par la puissance de la religion. La plupart des gens en ont besoin. Lorsqu'ils ont faim, elle leur donne l'image d'un bon repas à venir. Lorsqu'ils sont perdus dans le noir, elle leur fait miroiter une lumière. Lorsqu'ils sentent la mort venir, elle leur dit qu'il y aura une après vie meilleure. La force de simples représentations... Il n'y a vraiment que l'humain pour y être si sensible.
- Puisque tu le dis, se contenta de répondre Pauline, qui ne trouvait pas l'heure très propice pour un débat sur un thème philosophique.
- Je le dis parce que je le pense, et il m'arrive dans des proportions honorables d'avoir raison. Nous verrons tout cela demain. Il est temps de satisfaire l'un des trois S essentiels à tout être humain normalement constitué pour vivre sainement.
- Un S ?
- Oui, le sommeil.
- Et quels sont les deux autres ?
- La Sécurité...
- Et le dernier ? "
Il lui tira la langue, puis sifflota candidement. Elle rougit, et ils regagnèrent leurs modestes pénates.
Il se mit sur le 'lit' en premier, prenant honteusement la place, et s'endormant presque aussitôt. Faute de mieux et pas assez costaude pour le pousser de là sans trop de ménagement, en tout cas, pas après la journée dans les pattes, et elle s'allongea sur lui : c'était plus confortable que la paillasse. Ce faisant, le carnet du psychologue glissa, et brièvement, la sommeil jouta avec la curiosité pour savoir si elle allait en profiter pour le lire, elle voyait d'ici que plusieurs pages en avaient été arrachées.
Le second, impérieux, triompha rapidement, et elle s'endormit paisiblement.


Au-dessus du camp, un vent léger transportait une mince feuille de papier. Elle dériva lentement, toujours rattrapée par un courant d'air, ne tombant à terre que quelques kilomètres plus loin, alors que les premières lueurs de l'aube pointaient leurs chauds rayons. Plus précisément, elle tomba sur une dune, peu de temps avant qu'un traverseur spécial du désert ne fasse son apparition.
Intrigué par le bout de cellulose sur le sable, il le saisit aussi délicatement qu'il était possible avec ses paluches de mauvais aspect, et décrypta le court message qu'il contenait.
" Hé, ho, part'naire. Il faudra quand même penser à nourrir la Bête. L'aide, ça se paye. Un prêté pour un rendu."
Il produisit un son entre le grognement et le mugissement, entre le bourdonnement et le pouffement, quelque chose de pas très sympathique en tout cas.
Ce qui correspondait, chez lui, à une franche hilarité.

La chasse allait commencer…

 

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