Le Livre des Ombres

Chapitre 18 : Rise and fall

Catégorie: T

Dernière mise à jour 09/11/2016 00:58

« La plupart des scientifiques s’accordent à dire que tout ce qui monte… Finit par redescendre. »

- Alpha, M.I.B. the serie (la référence que vous n’attendiez pas)

 

« Depuis quatre mille ans il tombait dans l’abîme

Il n'avait pas encor pu saisir une cime,
Ni lever une fois son front démesuré.
Il s'enfonçait dans l'ombre et la brume, effaré,
Seul, et derrière lui, dans les nuits éternelles,
Tombaient plus lentement les plumes de ses ailes.
Il tombait foudroyé, morne silencieux,
Triste, la bouche ouverte et les pieds vers les cieux,
L'horreur du gouffre empreinte à sa face livide. »

- Victor Hugo, la fin de Satan.

 

 

Eléonore Kushta avait décidé qu’il valait mieux en discuter au-dehors de la tente. La petite était toujours sous le choc de l’explosion inexpliquée, qui avait animé la nuit des résidents près du logis de Pauline et Ash- du moins, ce qu’il en restait de viable. C’était la seconde chose étrange dans ce mystère : on avait bien identifié qu’une grenade avait été jetée après avoir brisé la fenêtre, mais un engin explosif de cette importance n’avait pas la puissance nécessaire pour causer un dégât à un bâtiment, fut-il aussi misérable. La première chose bizarre n’était autre que la survie de Pauline. Coincée dans un périmètre limitée, la grenade aurait du la tuer sur le coup. Au lieu de cela, on l’avait retrouvé au milieu des débris et de ce qui restait du lit, fortement commotionnée et garnie de brûlures, tenant fermement un miroir à l’éclat terni entre ses bras. Elle le tenait si fortement, même inconsciente, que l’infirmière avait du le lui laisser et la soigner comme elle pouvait. Toujours peut-être pas avec autant de zèle qu’elle aurait pu en avoir.

« Elle s’en remettra ? demanda Maverick, qui avec Osmund et Elisabeth, entouraient l’officier médical.

- Je ne peux rien dire pour l’instant, fit la jolie rousse. Je lui ai donné tout ce que je pouvais dans son état. Physiquement, elle n’a pas l’air tellement atteinte, mais on dirait qu’elle résiste à l’idée de se réveiller. Elle griffe automatiquement lorsqu’on essaye de lui retirer le miroir. Je ne comprends pas pourquoi… Ni comment il n’a pas volé en éclats après l’explosion. »

Le Colonel se massa brièvement les tempes. Décidément, rien ne pouvait aller droit dans cette communauté. Meurtres, attaques impossibles, Bête démoniaque, prêtres détraqués, fantômes au cimetière, drogués coupeur de pénis, traîtres, idéalistes, et maintenant attentats. Il avait fait vérifier les stocks immédiatement, et il manquait en effet une grenade. Celui qui avait dérobé celle ayant ruiné le bâtiment devait être un autre traître en interne, soit quelqu’un qui connaissait parfaitement les dispositions de la partie militaire de Camp Darwin.

« Il est clair que quelqu’un en voulait à la vie de notre bon professeur. Il était finalement dans le vrai à propos de cette chute de parpaings accidentelle… Il était visé depuis plusieurs jours déjà.

- On ne l’a toujours pas retrouvé ? questionna Elisabeth, anxieuse.

- Ni vivant, ni un morceau de son corps dans les décombres. Pas le moindre petit doigt à se mettre sous la dent. »

Et cela, comme vous l’avez déjà deviné, était la troisième chose étrange. Profitant de l’explosion alors qu’elle aurait du lui aussi l’emporter dans une tombe après avoir ramassé les morceaux à la petite cuiller, Ash Twilight s’était fait la malle sans promesse d’envoyer une carte postale. Pour l’instant, eux seuls étaient au courant. Il ne pouvait pas s’être envolé dans l’air comme ça…

« Peut-être auriez-vous une explication à ce sujet, Archidiacre. Les événements versent de plus en plus dans le paranormal. »

Osmund secoua la tête sans hypocrisie.

« Je ne saurai quoi vous dire, Colonel. Le Très-Haut ne m’a pas fait la grâce d’une explication, et je n’ai vu aucun signe. Sûrement, Il ne peut pas désirer le rappeler à lui si tôt.

- Sûrement, oui, reprit Maverick avec un demi-sourire. Cela semble pourtant être la volonté de l’assassin manqué qui a voulu le réduire en morceaux. Il aurait certainement réussi sans… Je ne sais quoi. Là intervient certainement le divin, Osmund. Ce qui ne nous le ramène pas pour autant.

- Si telle est la volonté du Nouveau Dieu, il reviendra parmi nous, Colonel.

- Si telle est sa volonté, ou la compétence de mes soldats qui cherchent un peu partout sans éveiller les soupçons. Mademoiselle Forsythe, je peux compter sur vous pour aider les recherches aussi, n’est-ce pas ? »

Prise par surprise, Elisabeth manquait de sa morgue habituelle. Elle était très affectée par la disparition de Ash, mais vraiment pas selon les raisons que ces autres andouilles pouvaient imaginer. Leur moindre hypothèse était à cent lieues et des brouettes de la vérité.

« Cela va de soi, répondit-elle en voulant y faire paraître une grande motivation. Il faut qu’il soit retrouvé le plus rapidement possible. J’ai vu que son importance était telle ici, que si on ne remettait pas la main sur le père prodige, vous alliez tous faire une dépression nerveuse terminale.

- Puisque vous l’avez connu avant nous, peut-être sauriez-vous mieux comment il pense- et savoir où, et pourquoi il se cache maintenant ?

- Ash est un homme complexe, Maverick, dit-elle de façon à laisser une parcelle de doute dans cette assertion. Je ne peux pas prétendre mieux que vous le comprendre vraiment. Ce qu’il a fait est au-delà de la logique, et pourtant il est parfois plus amoureux de cette dernière que d’autres choses plus intéressantes.

- Plus intéressantes… murmura le Colonel. Nous sommes déjà dans une période tendue, continua-t-il en décochant un rapide regard à Osmund, qui comprit qu’il parlait de la Bête. Nous ne pouvons pas nous permettre de perdre l’un de nos meilleurs éléments. Vous avez raison, Elisabeth, s’il venait à disparaître, le moral des citoyens de Camp Darwin diminuerait terriblement, à commencer par le mien propre, autant l’avouer. J’ai besoin d’une personne de confiance pour gérer toutes les plus ou moins grandes… Tracasseries…Que l’on rencontre quotidiennement à Camp Darwin. Il sait s’y prendre d’une manière avec les gens que je ne maîtriserais jamais, même après ma rédemption. Toutefois, je compte sur vous, Osmund, et sur vous, Mademoiselle, pour m’aider à faire en sorte que cette affaire reste sous le silence le plus complet. Les gens vont rapidement se poser des questions, et nous devrons leur fournir les réponses qu’ils sont les plus prêts à entendre, bien que ce ne soit pas la réalité des faits. Peut-être pourriez-vous organiser une cérémonie religieuse pour apaiser les esprits et détourner l’attention, Archidiacre ? Je sais vous n’aimez user du mensonge qu’avec modération et pour le bien de tous, vous reconnaîtrez que nous n’avons pas le choix.

- Je pense pouvoir mettre en place un palliatif, Colonel. Mais cela ne nous achètera que peu de temps. Si d’ici la fin de la journée Ash Twilight ne refait pas surface…

- Ne nous abandonnons pas à des conclusions hâtives, temporisa Sandrunner en repensant à la lettre que Twilight lui avait laissé il y a peu, et qu’il ne devrait ouvrir que sous certaines conditions. Nous allons tous faire de notre mieux pour que notre communauté continue sur la Voie qu’elle s’est fixée, et puisse un jour répandre sa Lumière en-dehors de son nouveau berceau. En attendant… »

Maverick fut interrompu par l’arrivée en trombe d’un Burton courant comme un dératé et beuglant d’une manière peu saine pour les oreilles « Coloneeeeeeeel ! ». Il s’arrêta devant ce dernier, reprenant son souffle.

« Mais encore, Burton ?

- J’adore ce genre d’arrivée ! fit le soldat jovialement. Colonel, colonel en arrivant en courant, ça fait super dramatique ! »

Le lourd silence qui tomba lui indiqua qu’il avait tout intérêt à n’en pas rajouter dans ce registre. Il voyait déjà les corvées de patates et de tour de garde qui s’annonçaient pour lui. Peut-être même qu’il aurait à préparer du jus de zombie pour les campings sauvages.

« Hmm, euh, hé, c’est vachement important, Colonel. Il y a tout un tas de raffut dans le Camp depuis ce matin.

- Nous sommes déjà au courant, fit sèchement Sandrunner. Après qu’une maison a reçu la déflagration d’une grenade, cela n’a rien d’étonnant.

- Non, non, c’est pas ça, Colonel ! C’est le groupe mené par Lionel. On toujours su qu’ils étaient pas trop contents de la mise en place du culte, par pour vous vexer, Archidiacre, hein.

- Il y a des âmes égarées en tout lieu, dit Osmund. Tant qu’elles ne sèment pas le trouble et l’agitation dans les cœurs, et qu’elles restent en cercle fermé…

- C’est que ça pourrait être bien le cas, reprit Burton avec des plis d’inquiétude sur le front. Ils ne font pas que ne pas s’être convertis, ils se mettent à prier un autre dieu. Ils disent que vous n’êtes que des intolérants qui ne peuvent accepter l’existence d’autres dieux et que vous voulez vous emparer des âmes des malheureux de Camp Darwin pour les diriger aveuglément sur un chemin que vous êtes seuls à connaître et qui ne leur veut pas que du bien. Ils disent aussi que le Colonel, excusez mais je fais que rapporter ce qu’ils racontent, n’est qu’un opportuniste qui n’a pas changé, pas plus qu’un chacal ne devient végétarien, et qui fait le beau fidèle juste pour mieux manipuler la population. Ils disent que vous vous servez de la croyance comme d’un instrument et pas comme ça devrait être, quelque chose qui apporte du bien à tout le monde. Ils rajoutent encore qu’ils vont se battre pour briser le monothéisme et apporter la vérité à ceux qui ont succombé aux mensonges de l’Archidiacre.

- La liste est encore longue ? demanda Maverick, songeant que son subordonné mettait un peu trop d’enthousiasme à répéter ces vilenies à leur propos.

- Plus trop, patron. Ils ne font plus que dire que le temps du changement est venu et qu’il ne faut pas accepter la domination d’une seule religion, ils citent plein de choses de l’Histoire et prêche pour leur paroisse. Ah et puis, Lionel vous invite sur le champs à le rencontrer, en disant que si vous ne venez pas immédiatement ce sera bien la preuve que vous acceptez silencieusement tout ce qu’ils vous reprochent.

- De la provocation de bas étage, fit le chef de Camp Darwin avec dédain. Cela ne pouvait pas tomber à pire moment. »

Osmund paraissait encore plus outré que son homologue temporel. Il craignait de voir les assises de son pouvoir s’effriter sous ses yeux alors que tout était bien parti pour qu’il puisse conserver à vie une position de choix ici. Eléonore écoutait distraitement, n’osant partir sans la permission de son supérieur ; Elisabeth restait coite et les oreilles grandes ouvertes.

« Nous ne pouvons pas appliquer la politique de l’autruche, Colonel ! Ces accusations sont viles et ignominieuses. Je ne peux pas tolérer de telles insultes à propos de notre culte, ni laisser se développer une clique qui semble constituée d’hérétiques. Ce serait briser l’unité nouvelle qui lie les habitants de ce havre béni par le Très-Haut !

- Si nous répondons à cette chaleureuse invitation, nous allons rentrer dans leur jeu. », indiqua Maverick.

Mais il pensa qu’ils ne leur laissaient pas de réelle alternative. Il ne pouvait pas tous les faire exécuter discrètement. Ils avaient parlé à trop de monde, et même s’il pourrait compter sur le soutien d’une bonne partie des novélistes, c’était une méthode qu’aurait utilisé l’ancien Maverick. Il ne pouvait plus user de ce genre de méthodes. Doigté, finesse… Twilight le lui avait bien expliqué. Même en temps d’apocalypse, il faut savoir dissimuler le gant de fer sous du velours pour régler les choses. Il finit donc par approuver l’Archidiacre, dont les yeux brûlaient d’une lueur inhabituelle. Lui-même se serait-il laissé prendre au piège de la ferveur ?

« Coupons le mal à la racine. Nous allons rencontrer ce cher Lionel, qui aurait mieux fait de continuer à se tenir à carreaux. Burton, vous nous ouvrez le chemin jusqu’à lui. Prenez les plus solides de vos prêtres avec vous, Osmund. Le goût pour les traquenards m’est passé et je ne veux prendre aucun risque. Eléonore, je vous serai reconnaissant de veiller sur Pauline. Celui qui a voulu les tuer ne s’arrêtera pas là. »

Le chef spirituel acquiesça, et l’infirmière aussi. Elle retourna à l’intérieur de la tente médical pendant que l’homme en soutane et l’homme en uniforme partaient. L’amict de Osmund semblait encore frémissant d’indignation.

De retour au chevet de sa patiente, elle constata rapidement que sa guérison était presque terminée- chose tout à fait anormale, voire franchement dérangeante, comme cela avait été le cas pour le Colonel. Elle l’examina sous toutes les coutures sans trop la toucher ; elle ne portait  presque plus aucune trace de l’accident. Pas de plaie, de brûlure, de cicatrice, de bleues, de contusions… Rien. Son pouls était normal, sa respiration régulière.

Cela lui rappelait les capacités de régénération de Ash. Ses crises l’affectaient autant qu’il s’en remettait avec une rapidité stupéfiante. La croyance de l’infirmière était plutôt tiède, mais elle se raffermit. Elle ne pouvait expliquer autrement que par un miracle un tel rétablissement. Lorsqu’elle voulut examiner ses yeux, Pauline se réveilla d’un bond, étreignant avec encore plus de force le miroir, qui parut émettre une unique pulsation d’un rouge intense.

Elle se mit à déblatérer hystériquement des mots à la file, sans s’arrêter, et Eléonore s’employa à la calmer le mieux possible. Au bout de quelques instants, la jeune fille sembla la reconnaître.

« Qu’est-ce qui s’est passé ? bredouilla-t-elle, éperdue.

- Hé bien ça, tout le monde se le demande, souria l’autre femme. Tu as failli mourir dans une explosion. Je ne sais même pas comment tu peux être capable de parler. Lorsqu’on t’a amenée ici en pleine nuit, tu avais le front plein de sang et tu respirais à peine.

- Où est Ash ? » interrogea Pauline, que rien d’autre ne préoccupait présentement, pas même le fait de savoir qu’elle avait inexplicablement échappé à la mort.

L’accent de détresse dans la voix de sa patiente était tel qu’Eléanora se laissa émouvoir. Elle s’était toujours dite que le grand blond aurait pu trouver mieux que cette petite chiffonnière, mais elle devait reconnaître son amour pour lui.

« Personne ne le sait, ma chérie, répondit-elle doucement. Il est vivant, quelque part. Mais tu ne dois le dire à personne, d’accord ? Il ne faut pas que les gens s’inquiètent tant qu’on n’a pas appris ce qui lui est arrivé.

- Et moi, on s’en fiche ? s’énerva-t-elle.

- Ecoute, je comprends ce que tu peux ressentir, seulement il faut garder la tête froide et…

- Il était déjà mourant hier ! scanda Pauline. Je ne peux pas rester ici les bras croisés à attendre que vous ayez fini de faire semblant de le chercher. »

L’infirmière la regarda avec condescendance.

« Inutile de crier, Pauline. Cela ne le ramènera pas plus vite. Je doute que tu puisses faire mieux qu’une escouade de soldats entraînés.

- Sauf s’ils ne veulent pas le retrouver. Ash m’en parlait. Il n’avait pas confiance en Maverick. Si Ash meurt, le Colonel ne sera pas si triste que ça. Peut-être même que c’est lui qui a voulu nous faire tuer tous les deux.

- Ni dit pas de bêtises, répliqua Eléanora d’un ton sans réplique. Jamais notre chef irait jusque-là. Il a vraiment changé, j’étais là pour le voir. Et puis, qu’est-ce que tu peux bien savoir de ce qu’il peut penser et vouloir faire ? Tu n’es qu’une jeunette. Prie le ciel si tu veux d’être encore vivante et d’avoir récupéré aussi vite et ne va pas colporter ce genre de bruits autour de toi. Tu ne feras que t’attirer des ennuis.

- Alors, je me contenterai d’aller le retrouver. Parce que je dois être la seule dans ce bordel à tenir à lui pour ce qu’il est et ce qu’il fait et pas juste pour profiter de lui.

- Tu ne sortiras pas d’ici tant que le Colonel ne l’aura pas ordonné. Tu ne devrais même pas être capable de te relever et de parler… De toute façon, je ne vois pas pourquoi tu saurais mieux que les autres où le retrouver.

- Peut-être pas, mais moi je ne lui mettrait pas une balle en plein cœur si c’est le cas.

- Arrêtes avec ça ! Tu ne crois pas que tu devrais plutôt te contenter de la chance que tu as et attendre que ceux qui sont en charge de la situation résolvent le problème ? De toute façon, je ne te laisserai pas sortir. Si tu le fais, tu m’attireras des ennuis.

- Rien à foutre. »

Et c’est sur ces mots galants que Pauline se sépara du miroir, qui vibra doucement en étant posé sur le matelas souillé, se leva et chercha à foncer vers la sortie. Kuschta avait vu le coup venir. Par contre, sa victime ne prévit pas le sien- clé de bras simple, et piqûre rapide. Pauline se cabra sous le choc de la seringue, se débattit, la griffa alors qu’elle la reposait sur le lit misérable, et lui décocha un dernier regard de haine pure avant de tomber dans un sommeil artificiel.

Eléanora soupira. Elle partageait certains sentiments de la jeune donzelle, elle ne pouvait vraiment pas la laisser faire. Maverick ne lui avait donné aucun ordre explicite la contraignant à la garder ici, seulement, elle risquait vraiment de débusquer le professeur.

L’infirmière avait la rancune tenace, et elle ne permettrait pas ça. On le disait malade, d’un mal qu’elle n’avait pas pu identifier, et s’il mourrait, ce serait de la volonté divine. Elle n’avait rien à voir là-dedans. Elle toisa encore quelques instants la jeune blonde qui paraissait respirer contre son gré, puis, curieuse, elle prit le miroir entre ses mains. Miraculeusement, il n’était ni terni, ni cassé. Ce qui n’était pas le résultat attendu après avoir été exposé à la chaleureuse compagnie d’une grenade à fragmentation. Le cadre était bizarre… Comme constellé de minuscules tâches de sang.

« Miroir, mon beau miroir, qui est la plus belle de Camp Darwin ? »

Des lettres rouges et dansantes, telles des feux follets, apparurent à la surface du miroir :

« Sûrement pas toi, roussette écervelée. A l’intérieur, c’est encore plus laid, d’ailleurs. »

Dire qu’elle ne s’attendait pas à une telle chose était un euphémisme. Elle laissa tomber le miroir et étouffa un hurlement. Puis une voix s’insinua dans son esprit, et elle oublia instantanément l’incident. Une seule certitude trottait dans sa tête : elle  n’avait plus rien à faire ici. La petite dormirait pour plusieurs heures, et elle avait bien besoin d’un peu de repos. Bâillant à cette idée, elle quitta la tente, la tête brumeuse.

Quelques secondes plus tard, une silhouette prit sa place à l’intérieur. Elle aussi se mira dans l’objet. Cette fois-ci, le miroir ne fut pas narquois et se sa surface se fendilla de toute part, comme si on l’avait frappé avec l’aide d’une pierre.

L’intrus sourit, puis se dirigea vers l’endormie, inconsciente de son sort.

Un poignard brillait légèrement dans sa main droite.

 

« Voilà le dirigeant félon ! » tonna Lionel en voyant arriver le Colonel. Ce dernier songea que ce n’était pas exactement la bonne phrase à prononcer pour commencer sur de bonnes bases. Il n’avait pu prendre qu’un minimum de précautions pour contrer la crise émergente incarnée par cet ancien catholique qui avait les yeux un peu fous.

Lui et sa clique portaient des habits d’un rouge un peu trop prononcé, d’autant plus qu’on aurait dit qu’ils avaient été teint au sang frais. La couleur ne paraissait en tout cas pas être celle du tissu originel. Les choses s’annonçaient encore plus corsées que prévues.

Les partisans de Lionel se rassemblèrent autour de lui pour lui donner plus de poids.

« Bonjour aussi Lionel, le salua Maverick. Vous auriez pu attendre un peu avant de débiter les calomnies et les injures.

- Je ne vous pensais pas avoir assez de tripes pour venir, faible Colonel. Il n’y a pas votre fidèle homme à tout faire avec vous, celui-là même qui a fait germer la graine de l’intolérance dans les cœurs ? »

Sandrunner situa le problème. Lionel s’était aussi transformé en gourou gourmand de phrases surannées et pompeuses. Le genre de personnage pas commode et qui peut pourtant fédérer pas mal de monde autour de lui. Heureusement, il gardait Osmund avec lui, qui, sur ce terrain, disposait d’une pléthore d’assertions ampoulées et d’un arsenal complet de phrases pieuses.

« Indisponible pour le moment, éluda-t-il. Je n’ai pas besoin de lui pour régler un problème aussi peu important. »

Le rouge monta aux joues du contestataire.

« Quel dommage ! J’aurai bien aimé dégonflé se langue trop bien pendue par la même occasion. Le problème est de premier plan… Colonel. Sinon vous ne vous seriez pas dérangé en personne et vous auriez laissé un de vos pantins vous charger de l’affaire.

- Je ne pouvais guère vous laisser répandre de fausses rumeurs, des opinions coléreuses et ce genre de bruits détestables. Au lieu de vous en prendre à tout le monde comme un chien enragé, exposez donc vos revendications. Nous gagnerons tous du temps en survolant le chapitre insultes plus ou moins courtoises et digressions pontifiantes. »

 Lionel en resta coi momentanément. Maverick ne réagissait pas comme il s’y attendait. Le lâche ! Même présent physiquement, il voulait éviter le conflit et lui faire croire qu’il pouvait exposer ses griefs tranquillement. Croyait-il qu’ils étaient à une stupide séance de conseil ‘municipal’ ?

« La diplomatie ne vous ressemble pas. Peut-être que votre dieu qui n’est pas unique a finalement mis un peu de plomb dans votre cervelle dure.

- Abrégez, je vous prie. Je n’ai pas toute la journée pour écouter des sornettes.

- Vous prendrez le temps qu’il faudra, Colonel, dit durement Lionel. Puisque vous êtes ici et que nous avons des témoins qui ne sont  ni d’un camp ni de l’autre, vous êtes bien obligés de reconnaître ici vos torts. Votre discours de repentir n’était qu’une sinistre farce destiné à vous attirer la faveur de ceux qui sont devenus les novélistes, pour pouvoir mieux affermir l’assise de votre pouvoir. Vous vous croyez peut-être assez bon pour leurrer les citoyens naïfs et confiants, mais j’ai vu clair dans votre jeu. Il n’y avait pas plus anti-novéliste que vous avant cette aventure étrange que vous avez fait conter.

- La probité du Colonel n’est pas à mettre en doute, fit aussi calmement que possible le vénérable Osmund. Il s’est confessé à moi, et son âme a été lavée de ses péchés anciens. Il a fait acte de repentance et sa survie même alors que la Mort s’apprêtait à éteindre la flamme de sa vie est une preuve de l’intervention de la main divine, qui a jugé bon de lui accorder la rédemption, pour le bien de tous, même de ceux qui ne sont pas nos coreligionnaires.

- Oh, vraiment ? ironisa le chef de la coterie rivale. C’est sûrement un effet de mon imagination, pourtant, j’ai l’impression que les novélistes accumulent plus de privilèges que les autres, à l’instar du temps, pas si lointain, où les militaires menaient la danse sur notre dos. Je ne peux que louer Twilight pour avoir aidé à changer ceci, et je le maudis pour vous avoir formé, vous, ‘Archidiacre’… Ce qu’il ne faut pas entendre. Vous n’avez jamais reçu d’illumination, mon pauvre ami. Tout est né dans l’esprit fertile du professeur, et vous l’avez suivi, voyant ainsi l’occasion d’acquérir une position de pouvoir à Camp Darwin. Peut-être aviez-vous déjà des voix qui parlaient à l’intérieur de votre tête ? »

Osmund se contenta de lui renvoyer un sourire paisible, bien que Lionel avait en partie touché juste- chose qui ne serait jamais admise, bien entendu.

« Vous divaguez, gourou de je ne sais quelle secte incongrue. Personne ne peut contester les nombreux miracles qui ont eu lieu. La mort de l’assassin ignoble de Fanny Delarue, la possession divine de Pauline, l’eau qui coula des yeux de la statue, la rémission du colonel, et cent autres choses de moindre calibre. La preuve de l’existence du Très-Haut n’est plus à faire. Bien qu’Il soit un dieu enclin à la bonté, Il ne se montrera pas tolérant si vous continuez à bafouer Son nom et celui de Ses fidèles, pour des broutilles futiles.

- Comme c’est pratique ! railla l’autre en roulant les yeux et les levant ciel, pour se moquer de cette menace sous-tendue. Nulle place à la libre expression des pensées, nulle libre opinion. Puisque vous prôniez les idées de Ash Twilight pour un retour à la civilisation au milieu du chaos, vous devriez pourtant faire preuve de moins d’obscurantisme.

- Je ne fais que répondre à vos propos scandaleux, répartit Osmund, toujours maître de lui. Zizanie et discorde semblent être les maîtres mots de votre verbiage. Alors que nous commençons à former une unité d’esprit, de corps et de cœur, vous chercher à affaiblir les fondations de l’ordre nouveau. Et au nom de quoi ? »

Lionel s’avança de quelques pas conquérants, les bras croisés, en posture de défi.

« Vous n’êtes pas le seul à entendre des voix éthérées, Osmund. Moi aussi, j’ai reçu la bénédiction de mon dieu. Le vôtre semble être un dieu de pouvoir et peu subtil, le nôtre est une déité de savoir et de finesse. Il sait percer les âmes et ne se laisse pas abuser par un Archidiacre veule et un colonel menteur. Oui, il connaît vos plus noirs secrets. Il y a assez de monde ici pour que je puisse les exposer en toute liberté. A moins que vous ne me fassiez abattre pour ne pas entendre vos quatre vérités ? »

Sandrunner demeura impassible. Evidemment, il avait cherché une solution pour que Lionel, plein de rage, soit mis ‘hors-service’, victime d’un accident malheureux. Son but était si évident que c’en était pathétique ; il cherchait à tirer son épingle du jeu, voulant renverser l’autorité établie pour profiter de la vague d’instabilité pour s’installer lui-même, passant pour un héros pourfendeurs des vilenies et des mensonges. Il ne pouvait que bluffer, pour Maverick, c’était déjà assez de croire au Dieu Nouveau pour éviter d’accorder du crédit à un autre, omniscient. Lorsqu’il serait trop parti, enflammé, dans son discours, un homme d’Elisabeth tuerait quelqu’un. Pas Lionel, ni un de ses partisans, mais un des prêtres de Osmund. Maverick avait jugé bon de ne pas informer celui-ci de la manœuvre. Le tueur disposait d’une sarbacane munie d’une fléchette traitée dans un mélange de produit trouvé dans les réserves de l’infirmière.      A une parole précise de sa part, il interviendrait. Afin de ne pas être la victime d’une « fléchette perdue », il avait prit la précaution de faire surveiller l’assassin par un de ses propres hommes.

Tout naturellement, on accuserait les contestataires d’avoir profité que tout le monde soit absorbé par l’écoute des discours des deux groupes pour abattre lâchement un membre du clan adverse… L’indignation s’élèverait parmi les novélistes, les athées et les agnostiques. Parmi ces nouveaux huluberlus aussi, en fait, car ils se sauraient innocents sans pouvoir le prouver. Dans l’émotion créée par ce meurtre indécent, en plein jour, furtif et de sang-froid, il serait étonnant que plusieurs d’entre eux ne soient pas tués dans la foulée- loi du Talion disproportionnée. Et là, il interviendrait, appelant au calme, d’une voix glaciale, montrant l’ignominie de Lionel et lui coupant la parole. Et la partie serait gagnée aussi simplement que cela. En attendant, il répondit sans colère :

« Exposez donc vos mensonges… Citoyen Lionel. Je laisse tout un chacun juge de vérifier la véracité d’assertions sorties de la bouche d’un aigri entendant les voix d’un dieu bien obscur. J’ai déjà fait mon mea culpa, il n’y a rien à rajouter. Je vous écoute. »

Plein de venin, Lionel lança un adjectif peu approprié pour qualifier le Très-Haut, et Osmund démarra au quart de tour, tandis que ses prêtes roulaient des muscles pour montrer qu’il ne fallait pas dépasser une certaine limite avant la réduction en chair à zombie (accompagnée après d’enterrements selon les rites, puisque le Très-Haut est dieu de pardon, tant qu’on ne pousse pas trop loin). Les bras derrière le dos, les mains jointes, Sandrunner suivit passivement le débat entre les deux religieux, hochant parfois la tête pour appuyer Osmund dans une de ses déclarations enflammées.

Il n’avait pas besoin de Twilight en l’espèce. Bien qu’il lui accordât sa confiance, il ne le nécessitait pas pour chaque mouvement sur l’échiquier. Lorsqu’il serait de retour parmi eux, il ne pourrait que constater l’excellence de son plan. Une fois cette opposition éliminée, il n’aurait plus rien à craindre. Il aurait tous les atouts en main, et il ne lui resterait plus qu’à guider Camp Darwin sur la Voie… Et sur la sienne, cela allait de soi.

Il brûlait de prononcer les mots létaux, mais Lionel changea soudain d’adversaire pour le fixer avec délice, un sourire carnassier sur les lèvres. Après plusieurs minutes d’échange préchi-prêcha, il en revenait à ses fameuses révélations choc. Il commença en force, et Maverick sentit qu’il y allait avoir des complications.

De graves complications.

 

La lumière du soleil, symbole des novélistes, faisait scintiller légèrement la lame bien entretenue qui se penchait au-dessus du cou de la protégée du disparu. Une seule seconde suffirait à ôter cette vie gênante, aussi la main ne se pressa pas. Elle était exercée à l’art du poignard autant qu’à celui de la boucherie, et le propriétaire comptait bien savourer ce moment autant qu’il le fallait.

L’apocalypse avait permis à l’humain de laisser sortir ses pulsions les plus profondément enfouies, un retour partiel à l’état de nature, aux temps anciens. Ceux qui ne désiraient pas jouer le jeu de la survie collective prenaient aux faibles ce dont ils avaient besoin. Ils tuaient pour vivre, et pour ne pas être tués à leur tour. Tuer était inscrit depuis si longtemps dans l’âme humaine qu’il en marquait presque le génome. Vivre implique forcément l’élimination physique d’autres entités vivantes. Survivre implique la même chose… En plus savoureux. Il n’y avait plus d’autorité centrale pour vous traquer. On pouvait commettre des meurtres tellement plus facilement, sans craindre les pressions énormes d’autrefois.

Le détenteur de la lame pouvait désormais satisfaire tous ses désirs. Le ça applaudissait à tout rompre et prenait une revanche perverse sur le Surmoi et ses batteries d’interdits. La morale, l’éthique, les tabous ? Il suffisait de les afficher en public pour conserver la respectabilité. En privé, les pulsions dominent.

Tuer était tout un art. Ce personnage l’avait appris, parfois à ses dépends. Il ne suffisait pas de mettre fin à la vie de la victime- c’eut été un manque de tact élémentaire. Malheureusement, l’individu en question ne pouvait pas opérer dans les règles de l’art. Trop dangereux. Ce Maverick, lui, reprenait bien l’ancienne Autorité. Il faudrait se contenter de cette élimination discrète, fantomatique, trop rapide pour être délectable.

L’assassin se pourlécha quand même, en caressant les mèches blondes qui n’avaient pas connu de shampoing depuis de longs mois. La destruction de la société ramenait également du naturel, et brisait les vernis sociaux compliqués. Elle n’était pas si laide, ainsi endormie. Le plus dommage, et cela était une réelle peine, c’est qu’elle ne saurait pas de qui elle allait mourir. Dans ses yeux, on ne pourrait pas profiter de ces délicieuses étincelles de terreur, si révélatrices. On peut connaître tellement mieux le caractère intime d’un être humain dans ses derniers instants. Tout s’écroule : il ne reste plus que le noyau de la peur. La Mort, toujours elle ! Si délicieuse à donner. Elle concrétisait ce vieux proverbe, il vaut mieux donner que recevoir.

L’assassin se pencha encore plus près pour goûter aux effluves de la respiration. Il se demandait, tout en imprimant de très légères coupures sur les avant-bras, où il frapperait. Peut-être serait-il possible de la réveiller, malgré le sédatif, avec quelques coups bien placés ? Pourtant, il ne fallait pas prendre le risque qu’elle crie. On avait veillé à ce que les environs les plus immédiats restent déserts, toutefois… Ne pas prendre de risques inutiles.

Une idée lui vint. Il y a plusieurs semaines, lors de la première attaque qui avait fait trembler Camp Darwin, on avait déploré une seule victime, et sur celle-ci, les mots « Remembrance of the past ». Il suffirait de reprendre à son compte ce détail en imprimant le même message sur le corps de la fille, et les soupçons se porteraient sur la Bête. La panique se propagerait plus vite que l’agent R au début de l’Infestation, ce serait tellement merveilleux. En affinant ses sens, on pouvait respirer la peur, l’inquiétude, dans l’air, et les apprécier à leur plaine saveur.

Il en serait ainsi. L’assassin releva le vêtement rafistolé qui recouvrait le haut du corps de la jeune femme, dévoilant un ventre maigre et sec. La lame tournoya prétentieusement dans la main, puis s’appliqua comme pour une séance de calligraphie à tracer des lettres fines et légères dans la chair, avec une douceur infinie. L’odeur du sang était joyeuse.

Lorsque la pointe traça la septième lettre, le corps de Pauline tressaillit, faisant dévier l’arme qui tailla une écorchure longue et totalement dépourvue d’esthétique sur l’épiderme. L’assassin perdit sa patience devant ces soubresauts dégoûtants. Il valait encore mieux l’égorger tout de suite, et ensuite finir son travail sur le ventre.

La main monta d’un cran, et s’apprêta à trancher la carotide.

 

Loin de là, ou peut-être tout près, dans les Lymbes, Nekroïous avait organisé un petit événement. La salle de réception principale avait été décorée de tentures pourpre et argent censées donner une atmosphère détendue au centre de gestion des flux métempsychotiques, sauf que les petites têtes de mort en sucre avaient un effet légèrement contraire.

L’artéfact qui lui permettait d’espionner le monde des vivants était allumé et projetait des scènes de Camp Darwin. Plusieurs chaises faites d’os assemblés et de cuir en peau humaine avaient été installées pour les spectateurs ; ce n’était pas tous les millénaires que le Régisseur se laisser aller à ce genre de choses. Le crâne du carrefour avait même été invité et occupait discrètement un rebord de la table sinistre, tandis que Myrraïgt et Myrleft, autorisés exceptionnellement à retrouver leur forme humaine, se tenaient au dernier rang. Nekroïous ne savait que trop bien qu’ils saisiraient la moindre occasion pour filer à l’anglaise en conservant leurs corps chéris, et il avait pris ses préoccupations pour que leur fuite ne les mène pas loin. Une petite malice sans conséquence fâcheuse immédiate.

Le Régisseur s’était fait taillé pour cette séance cinéma un trône modeste en obsidienne avec osselets de diamant incrustés qui seyait bien pour reposer sa masse mystérieuse. A sa gauche, le Diable, riant et attentif à ce qui passait sur l’écran, à sa droite, Fanny, qui se montrait plus agitée. Pas les meilleurs compagnons de l’Inframonde, mais cela ne faisait pas de mal de rompre pour une fois avec la solitude. Les millions d’âme à traiter quotidiennement lorsqu’il était dans son district d’Aznhurolys ne comptaient évidemment pas. Il y avait bien Thanalys, qui s’ennuyait ferme, soupirant de pouvoir se balader comme une vierge follette et mortelle à la surface (chose à ne pas recommander, car à chaque fois qu’elle posait le pied quelque part, le sol se couvrait de flétrissure et la vie prenait ses cliques et ses clacs pour ne plus y mettre le bout d’un protozoaire), mais sa maîtresse n’était pas toujours d’une compagnie très enrichissante, elle se fondait trop dans son environnement pour briser sa solitude.

Ceux-là étaient du sang neuf, et il leur faisait honneur en les conviant à ces moments très spéciaux. La roue du destin allait prendre un tournant irréversible dans les heures qui allaient venir ; le Diable se montrait de plus en plus excité. Fanny était ardente, voulant elle-même faire du saccage là-haut. Myrraïgt et Myrleft profitaient autant que possible de la distraction, bien malheureux de devoir rester assis alors qu’ils avaient enfin récupéré leurs muscles. Nekroïous feignait de ne pas entendre leur messe basse et savourait ces instants.

Le petit drame, si insignifiant à l’échelle de l’Univers et pourtant si important relativement à cette terre, dans ce Plan de la réalité, touchait à sa fin. Le dénouement était proche.

« Satan, pourriez-vous m’apporter les cahiers que j’avais mis de côté en attente de cet heureux événement ? Vous les trouverez sous le concasseur d’os portatif près du hanap doré. Faites attention à ne pas déranger Chompy, il fait ses dents. »

Le Diable agréa sans peine. Il sentait confusément qu’il aurait du être le maître, commander à des légions infernales qui sentent bon le soufre et les maléfices, et commander à ce drôle d’oiseau de Nekroïous, mais il remplit ce service avec joie. Le Régisseur, son masque figé en une expression contemplative, plaça devant lui les objets mantiques, dont les noms en lettres gothiques argentées brillaient en chatoyant sous la lueur du nécroscope. Les habituels heurtoirs de porte s’interrompirent pour fixer leur attention sur les cahiers de mort.

« Je choisirai bien moi-même… Mais ce serait une faute de goût inappréciable, et une tricherie avec la trame de la réalité. Il faut opérer soigneusement et avec méthode. Choisir seul serait arbitraire. »

Petite hypocrisie : il avait déjà tué plusieurs personnes au vu de leur cahier, juste pour voir s’il allait enfin avoir quelques âmes en sa boutique. Non pas qu’il fut pressé de se remettre au travail alors qu’il avait trouvé cet endroit de villégiature tout à fait charmant, seulement, ce mystère ne cessait de lui trotter avec insistance dans la tête. Il n’arrivait pas à faire le lien avec autre chose. Et le dieu qui l’avait appelé se montrait étrangement silencieux.

« Demander un vote serait également ridicule en raison de la qualité intrinsèque de vos opinions partagées. Même impasse, qui serait une insulte sur le plan cosmique. J’aime l’Ordre, et je vais en recourir au chaos. Il a un mérite utile en la demeure : si l’instrument est bien choisi, il est impartial. Non, désolé, Satan, je ne compte pas utiliser une de vos pièces. Aucune offense sous-entendue. Simple question de confiance. Triple-face fera l’affaire. »

Triple-face était le sobriquet guère original d’une pièce qui avait trois côtés, propriété physique normalement impossible. On pouvait lui demander de n’afficher que deux faces. On dit que sa première utilisation remonte aux Temps Glorieux qui succédèrent à l’apparition des premiers signes de la vie sur l’Ancien Monde, dans un recoin tout aussi oublié de l’Univers. La Toute-Puissance en personne, Mère de Toute Chose sans distinction, même des inspecteurs du fisc, après avoir vu l’échec cuisant des Premiers, ses lieutenants divins qui à eux trois devaient incarner les trois attributs suprêmes, omniscience, omnipotence, omniprésence, avait hésitée à détruire en même temps la première humanité, cette création un peu ratée dans le fond puisqu’elle avait brisé son Enclave et avait réussi à donner l’assaut à ses conditionneurs.

Utilisant la plus vieille table de hasard de l’Univers, elle lança Triple-face pour cesser de tergiverser. Une version du mythe (version officielle de l’Eglise Universelle) assure qu’elle influença à rebours le jet de la pièce pour ne pas détruire ses enfants. Une légende moins orthodoxe prétend que c’est qu’un courant d’air provenant d’un carreau cassé du castel divin qui a fait dévier la trajectoire mortelle, sauvant ainsi le genre humain de cette partie de la réalité. On notera tout de suite un je-ne-sais-quoi de moins de grandeur dans cette seconde version.

Nekroïous avait mis la main sur Triple-Face au cours d’une histoire bien trop longue pour être résumée dans ce Livre.

Il savait qu’elle n’avait aucun parti pris et tomberait loyalement, selon un vecteur presque calculable mais imprévisible mentalement.

L’avatar de la mort lança la pièce en l’air. Triple-Face resta en l’air plus longtemps qu’elle n’aurait pu physiquement le faire, puis retomba avec plusieurs pirouettes et un fort beau double axel sur un des cahiers. Nekroïous se pencha pour lire le nom, glissa de côté Triple-Face et amena à lui le précieux ouvrage. Il l’ouvrit à la dernière page, effaça certaines données, qu’il remplaça avec une écriture identique.

Fanny se sentit subitement hameçonnée vers le monde des mortels.

« Du travail pour vous, très chère Banshee, expliqua-t-il pendant que les autres la regardait s’élever, les yeux brillants d’excitation. Vous serez notre exécutrice. »

Une fois partie pour sa mission imposée par les lignes inscrites sur le cahier de mort de l’infortuné choisi par Triple-Face, il demanda à la ronde :

« Quelqu’un veut du pop-corn soufflé à la poudre d’os de wyrm des glaces ? »

 

« Oui, parlons donc de la Bête dont vous faites tant parler, messieurs. Cette Bête mystérieuse qui aurait attaqué vos troupes en pleine journée il y a quelques jours, vous tuant presque- dommage qu’elle ai raté son coup, d’ailleurs. Les voies du Très-Haut sont impénétrables, n’est-ce pas, Osmund ? Bien sûr, cette Bête affreuse existe. Trop de témoignages concordent pour affirmer le contraire. Mais, est-ce qu’on n’en ferait pas assez à son compte ? Vous étouffez remarquablement l’affaire. Vous nous demandez de nous unir contre une chose plus laide que tous les démons de l’enfer, sans rien nous dire d’elle, et vous en savez plus que vous ne voulez bien le dire. Au moins quelque chose qui ne change pas avec les instances gouvernantes ! Mieux vaut cacher la vérité au bon peuple pour éviter qu’il ne panique et fasse trembler votre précieuse mainmise sur Camp Darwin, hmm ? Ou sommes-nous si idiots pour ne pas accepter la vérité ? »

Lionel fit quelques pas en long et en large, dévisageant tour à tour ses adversaires attentifs à ses paroles.

« Certains, comme moi, voient entre les lignes et cogitent de leur côté. Avec l’aide de notre dieu, les voiles se sont levés. Peu ont été informés que l’unique victime de cette terrible soirée ou une brèche a été percée dans nos défenses, brèche qui d’ailleurs n’a jamais été expliquée, était un soldat sur le corps duquel avait été gravé en lettres de sang « souvenir du passé ». Drôle de message. A qui cela pouvait-il bien s’adresser ? Plus étonnant encore, avoir retrouvé le même message macabre sur le corps mutilé de Fanny Delarue- et je ne parle même pas de la scène qui a suivi à l’église et dont vous vous servez comme point de révélation de l’existence de votre Dieu Nouveau. Peut-être d’autres victimes n’ont pas été portées au public, avec d’autres inscriptions identiques. Ces messages, sans nul doute, proviennent de cette Bête mystérieuse ou d’un de ses agents. Et à qui d’autre étaient-ils destinés, sinon le professeur Ash Twilight ? Depuis qu’il est arrivé, tout a été transformé en profondeur, tout a changé. Personne ne peut le nier. On ne sait rien de lui, de son passé… Ou le peu qui est su, vous le gardez pour vous, Colonel. Moi, je me suis laissé dire, guidé par les voix, une chose pas si amusante. Je me suis dit que les malheurs qui nous frappent n’ont qu’une seule source : le bon Ash Twilight, votre homme de main. Tant qu’il n’était pas là, nous n’avions pas autant de crimes à déplorer. C’est lui que la Bête veut. Et vous me dites qu’il est indisponible ! Quel bon hasard ! Sûrement il aura senti le vent tourner et sera déjà parti semer la mauvaise parole ailleurs ? »

Ni Maverick, ni Osmund ne se démontèrent. Le colonel était presque tenté de sourire en tendant les rumeurs de protestations qui s’élevaient alentour : Lionel avait commis une faute stratégique grave en s’attaquant tout de go à Twilight. Il ne leur portait grief que par ricochet, et accuser le professeur ne lui portait pas l’approbation générale, comme il devait bien le sentir ; mais il restait indifférent aux murmures colériques. Néanmoins, il était si près de la vérité que c’en était presque angoissant. Rien de surnaturel encore, et il lui portait même crédit. Impossible d’expliquer comment Twilight avait survécu à l’attentat nocturne, mais cela ne l’étonnerait pas que malade ou non il puisse avoir détecté un mouvement contre lui, et s’être fait la malle pour survivre. Quoi que dans son état, il ne pourrait guère aller loin… Laisser ses hommes fouiller le camp restait la meilleure option.

« Votre théorie ne repose que sur du vent, des propos passe-partout et des accusations imbéciles, déclara froidement Sandrunner. Vous en prendre ainsi à Ash Twilight est indigne, même de vous. Nous n’avons rien dit de plus sur la Bête car nous n’avons pas d’autres informations à son propos. Vous voulez faire porter le chapeau au professeur, en omettant de dire tout ce qu’il a fait pour nous, et cela, personne ne peut le nier non plus à moins d’être d’une mauvaise foi infernale. Il est digne de toutes les louanges, et non pas à être accablé des maux dont vous faites mention. Est-ce là votre tactique ? Vous devez être bien aigri pour vous en prendre à quelqu’un aimé de la plupart des gens ici. Peut-être que vous n’avalez toujours pas le fait que vous avez été remis à votre place ? »

Lionel haussa les épaules avec une indifférence royale.

« Belle hypocrisie alors qu’il faudrait être de la dernière stupidité pour ne pas voir toute la méfiance que vous aviez pour lui il n’y a pas si longtemps de cela. Mais ne parlons plus de Ash Twilight, alors même qu’il resterait beaucoup à dire sur ses magouilles que vous couvrez allégrement. Parlons donc plutôt de cette opération de sauvetage qui a totalement capoté. Des paroles à mi-mot circulent dans les ombres, et mon dieu m’a donné la grâce de pouvoir déchiffrer les signes. N’auriez-vous pas carrément menti sur cette sortie en la transformant en expédition héroïque ? Et cette femme, Elisabeth Forsythe, qui se conduit comme une reine alors qu’elle n’aurait du être qu’une humble réfugiée, vous laissez faire. Comme si… Comme si vous lui donniez de quoi la faire taire pour ne pas qu’elle révèle la vraie version de ce qui s’est passé dans le désert. On pourrait par exemple imaginer que Miles n’est pas du tout mort en héros. Il vous détestait, en fait. Assez pour patienter plusieurs mois avant de saisir l’occasion d’en finir avec l’outre gonflée de vent que vous êtes. Ou bien est-ce vous qui avez pris le parti de l’éliminer discrètement là-bas ? Vous avez laissé mourir son frère lors d’un autre sauvetage, et il ne vous l’a jamais pardonné. N’est-ce pas ? »

Un frisson glacé parcourut l’échine de Sandrunner, s’en servant comme d’un toboggan osseux pour y déverser ses glaçons de sueur froide. Elisabeth l’avait trahi ?...

 

Splatch !

La lame ripa sur la chair, ce qui n’aurait pas du se produire avec celle, tendre et appétissante, de la gorge d’une jouvencelle. Et pour cause, un objet abscons s’était interposé dans la ligne de frappe- un bras recouvert d’un tissu marron passablement effiloché. Le tueur se retira vivement d’un pas, le poignard prêt à frapper de nouveau sur l’intrus inattendu.

« A votre place, je ne ferai pas ça, prévint une voix rauque et râpeuse. Je peux supporter la douleur d’un coup de votre jouet primitif pour vous tordre le cou comme un vulgaire lapin. Il m’avait dit qu’on chercherait à la tuer… Je ne pensais pas que ce serait d’une façon aussi lâche. »

L’assassin jeta un rapide coup d’œil par derrière. La sortie était à portée de fuite immédiate. Mais le nouveau venu ne pouvait pas rester en vie. Son visage ne devait être reconnu par personne, spécialement pas après avoir été surpris une lame en main, prête à trancher la vie de Pauline. Ce genre de bagatelle pouvait très rapidement vous attirer une mauvaise considération de la part des gens, et presque aussi sûrement une corde au cou. Il ne restait plus qu’à le supprimer en même temps que la fille, qui risquait de reprendre conscience à tout moment, sédatif ou pas.

« Vous ignorez mon identité, n’est-ce pas ?

- Pas le moins du monde, répondit tranquillement l’autre. Je vous attendais, en fait. Aucune difficulté à me cacher ici, les humains ne sont pas si observateurs. Oh, vous auriez voulu m’offrir la vie sauve et pouvoir décamper avant qu’un garde n’arrive dans le coin ? Ils sont bien occupés à retrouver celui dont la mémoire a été effacée en partie. Il n’y a que vous et moi, et une innocente jeune femelle qui ne mérite pas de se faire égorger comme une truie. J’aurai déjà pu vous oblitérer, seulement, il n’apprécierait pas. Il a un meilleur cœur qu’il n’y paraît. Et je me dis qu’il ne faut que ma main intervienne trop dans les affaires du commun. Posez ce poignard et partez d’ici, en donnant l’alerte si cela vous sied. Le châtiment viendra sur vous bien assez tôt. D’une manière à laquelle vous ne songerez pas.

- Me défaire de mon arme pour vous laisser l’occasion de me frapper sans défense ? ricana l’assassin. Ne me croyez pas si stupide. Je ne vois pas pourquoi vous ne mourriez pas comme n’importe qui. Vous restez stoïque après vous être fait couper au bras, mais il y a du sang sur le fil de mon arme, et si vous pouvez saigner, vous pouvez mourir.

- Un raisonnement simple, qu’on a déjà tenu pour quelqu’un qui ne périra pas facilement. Vous ne toucherez pas à la fidèle Pauline. Quel dégoût, les turpitudes humaines. On ne pouvait pas admettre qu’elle puisse continuer à exister, et la jalousie conduit à ce genre de folie dans un monde qui ne cesse d’aller à la psychose après l’Infestation.

- Si vous partez immédiatement, je vous épargnerai. Personne ne vous croira, ou je pourrai faire taire ceux qui seraient dans ce cas. Le sort de cette pimbêche ne vous regarde en rien, ce serait dommage de rendre l’âme pour quelque chose qui ne vous concerne pas, non ? »

Voix minaudante, dont la sensualité n’était pas de mise. Rire caverneux, sans joie.

« J’ai déjà abandonné mon âme pour une chose qui dépasse de loin votre entendement, et vous aussi, mais pour bien peu. Cessons de jouer. Je suis en position de force, et par logique élémentaire, vous, non. Je ne bluffe pas. Déposez votre jouet de métal lentement, et détalez avant que l’impatience ne me fasse oublier les règles de bienséance. Je déteste les gens qui s’amusent à tuer, gratuitement ou pour des raisons aussi insipides que les vôtres. Personne ne plaindra votre perte. »

L’assassin hésita. L’autre s’était avancé d’un pas lourd et assuré, et il exhalait une haleine à faire tomber les mouches avant de les zombifier. Son ton était si sûr… Puis l’éclair lui vint.

« La créature purifiée !

- Si peu, fit la Ghûl. Le rituel n’était pas trop à mon goût. Je vous déconseille fortement de dénoncer ma présence. Je peux vous retrouver n’importe où, et vous tuer sans aucun problème. J’aurai peut-être déjà du le faire. De toute façon, qui croira à votre histoire ? Avec ce qui se passe, le père Osmund sera si bouleversé qu’il ne fera pas ouvrir ma tombe supposée. Et vous ne parviendrez pas au cimetière sans autorisation. Et j’aimerai bien vous entendre expliquer comment vous avez su que j’étais toujours vivant(e) ! Et même si l’on vous portait crédit, vous ne pourriez pas me dénicher. Comme vous pouvez le constater, j’ai tous les atouts en main. Si je ne passe pas à l’acte, c’est que je ne suis pas un boucher dans votre genre. Je ne répéterai pas mon avertissement une nouvelle fois. »

L’assassin refusa de céder à la panique. Cette chose qui n’était presque plus humaine ne devait pas être en grande forme après le rituel d’hier. Inutile de savoir comment elle avait survécu ; l’enterrement n’avait été qu’une farce. Elle avait donc bénéficié de la complicité de quelqu’un de proche de Maverick, ou dans le clergé. Qui pouvait avoir intérêt à maintenir en vie une épave purulente ?

Un pas en arrière, les bras ballants, pour signifier une soumission apparente. Les yeux n’étaient pas visibles sous le capuchon, mais on sentait fort bien leur regard acéré. Très lentement, l’assassin s’accroupit et déposa délicatement le poignard qui avait failli commettre un meurtre sur le sol de la tente médicale. Il n’y avait que la respiration fluette de la Ghûl qui troublait le silence. En levant les mains bien en l’air, le personnage se releva sans hâte, puis se tourna, marchant doucement vers l’extérieur.

Satisfait, la Ghûl eut trois secondes de vigilance relâchée.

Ce qui fut suffisant pour qu’un autre couteau soit sorti d’une cachette corporelle, et fuse dans les airs, lancé avec une précision mortelle. Un bruit écoeurant de chair transpercée se fit entendre…

 

Lionel buvait le nectar du malaise de Maverick dans une coupe intangible. Il avait frappé juste, et se sentit en totale confiance, aidé par les pouvoirs de son nouveau maître. Bientôt, son cerveau croulerait sous la connaissance, et aucun être humain ne pourrait lui cacher des secrets. Il était temps de dégonfler Sandrunner et de le jeter à bas de son piédestal, bâti sur le sang et la rancœur.

« On dirait que j’ai touché dans le mille, mon bon colonel. Que tout le monde soit témoin de sa gêne, même si elle n’est déjà plus que passagère. Je ne suis pas un prophète à la manque, comme cette jeune fille blonde qui a prononcé des paroles sans queues ni tête. L’excellent clergé novéliste, si vite monté, n’a rien pu en tirer. Je ne fais que tirer des vérités enfouies au fond du chaudron. On vous ment et on vous manipule, mes camarades survivants. Camp Darwin n’est pas si doré qu’il y semble, et avec du recul et de l’objectivité, vous verrez par vous-même qu’il recèle bien des mauvaises ombres. A moins que vous ne soyez assez impudent pour me contredire, Sandrunner ?

- J’ignorai totalement qu’il avait un frère. Encore moins qu’il se soit trouvé avec nous lors d’une opération de sauvetage précédant la fondation de Camp Darwin. »

Maverick tentait de reprendre le contrôle tant bien que mal en énonçant une semi-vérité, après tout, il n’avait été au courant de ce détail qu’un peu trop tard à son goût. Lionel souriait de toutes ses dents, sûr de son avantage.

« Bien entendu… Quelle peine c’est pour moi de vous l’apprendre, fit l’ancien catholique d’une voix pas gênée le moins du monde. C’est bien étonnant, pourtant. Quel drôle de colonel vous êtes pour qu’un de vos hommes n’ai pas osé vous le dire, et préféra monter un complot pour se débarrasser de vous. A moins que vous ne soyez un si mauvais colonel que vous ne puissez pas connaître vos propres hommes. Nous avons entendu des versions très différentes de la vôtre. Des versions qui parlaient d’un Miles vous tenant en joue tout du long, trop heureux de pouvoir se repaître de vous à son aise. Un Miles qui a failli réussir, en plus. On murmure que Elisabeth ferait double jeu. Beaucoup de on-dit, beaucoup de rumeurs, tellement qu’on pourrait critiquer vos propres paroles. Vous avez, sans aucun doute, quelque chose à dire en ce qui concerne ce sujet ?

- Vous défigurez la mémoire d’un héros de guerre, intervint Osmund. Tout cela n’est qu’un tissu d’affabulations destiné à nous discréditer. Les survivants ont tous corroboré l’état des faits présenté par le colonel, et…

- Je ne m’attendais pas réellement à ce que votre perroquet répète autre chose que ce genre de phrases fades, ironisa Lionel. Mais puisque nous nous trouvons sur un terrain glissant, je vais vous amener sur un autre. Je suis désolé de ne pas vous laisser le temps de souffler. Pourquoi ne pas discuter à présent de toutes les réserves personnelles que vous continuez à posséder malgré les changements initiés par Twilight ? Non, sujet trop banal. Plutôt aborder une ancienne affaire, celle-là  même qui a fait connaître le professeur au reste du camp. Quand on y regarde de plus près, c’est assez suspect. Tout le monde sera d’accord pour dire que Dubois était un pauvre type dépravé, et que personne ne le regrette. C’est quand même un peu cruel de lui avoir fait porter le chapeau pour cette affaire avec Josh ; non ? C’est si facile de manipuler un junkie qui est déjà moitié en-dehors de la réalité. La promesse de doses supplémentaires de n’importe quoi qui s’injecte en intraveineuse contre la promesse de participer à une petite farce. Un petit coup de drogue avant de le mener à l’échafaud, et le tour était joué. Un parfait coupable pour couvrir quelqu’un d’autre, quelqu’un de votre connaissance, forcément, ou bien pour ne pas porter le déshonneur sur l’un de vos soldats. Car c’est vrai, personne ne sait où est passé ce pauvre Josh. Qu’a-t-il donc bien pu faire pour mériter qu’on l’ampute de la partie la plus intelligente de son corps ? »

Quelques rires légers s’élevèrent, mais la tendance générale était à la gravité. Les gens qui s’étaient rassemblés ou passaient par hasard alors que les deux groupes s’affrontaient verbalement commençaient à se poser des questions. Maverick bouillait de rage. Les imbéciles ! Il suffisait de gratter un peu trop profondément pour faire naître le doute en eux, après avoir passé autant de temps à façonner délicatement leur pensée sur certains sujets.

« J’espère que vous avez bientôt terminé votre liste extravagante. Je ne vois pas à quoi cela sert de déterrer des affaires déjà vieilles, à part pour les besoins d’un aigri dans votre genre qui essaye de rallier à lui les mécontents pour s’opposer au pouvoir en place. Vous ne supportez pas d’avoir été rejeté et de ne pas avoir pu vous intégrer au culte, Lionel. Ce que vous ne pouvez avoir, vous essayez de l’écraser pour imposer votre propre système.

- C’est là que vous faites erreur, Colonel, contesta son adversaire en paradant. Je ne suis pas un démagogue dans votre genre. Je n’ai que faire du pouvoir. Etre un des confidents de mon dieu me suffit bien, ainsi que de guider spirituellement ceux qui ont eu la sagesse de me suivre et de ne pas tomber mollement dans vos filets. Mon seul souci, au contraire de vous, est le bien commun. Et pour que nous formions tous une vraie communauté soudée, il faut mettre à jour les mensonges. Il est d’ailleurs amusant de constater que dans la belle liturgie concoctée par le sieur Osmund, on ne trouve pas de trace explicite du devoir de franchise. C’est pourtant important. Je sens que vous êtes pressé d’en finir. Vous pensez me laisser pérorer encore quelques minutes, puis étouffer l’incident. Que tout le monde entende clairement ceci : s’il venait à m’arriver quelque chose à partir de maintenant, vous saurez que je parlais d’or et que nos têtes dirigeantes cachent bien quelques rangées de squelettes dans leur placard. Je ne cherche pas à détruire la foi novéliste, pour ceux que ça choque. Je veux juste plus d’équité, et que tout le monde puisse choisir sa croyance en tout libre-arbitre et pas sou le joug de vos influences. Un autre sujet à mettre sur le tapis. Pourquoi ne pas une nouvelle fois rassembler les citoyens sur la place publique ? Vous êtes partisan d’un retour à ce genre de chose, vous avez approuvé la constitution d’un conseil civil. Hé bien ! Que le peuple élu soit juge de ce que j’ai à dire, tranche si cela est vrai ou faux, et fasse ce qu’il convient de faire de moi ou de vous. Je n’ai rien à perdre, ce qui ne semble pas être votre cas. Mauvaise conscience ? »

Maverick déglutit péniblement. Tous les regards se braquaient vers lui. Il revécut la même sensation que lorsque Miles le menaçait de son Browning : piégé, sournoisement. Il devait jouer son va-tout immédiatement. Une confrontation publique avec ce dangereux énergumène ne pourrait déboucher que sur un désastre. Inexplicablement, il en savait beaucoup trop sur ce qui se passait réellement à Camp Darwin, et il ne pourrait plus le faire taire « accidentellement » à cause de son avertissement. Le salaud le regardait, goguenard, victorieux…

Il n’avait plus le choix. Il ne restait plus qu’à prononcer les mots choisis et crier à l’assassin.

Cependant, juste avant qu’il ne puisse ouvrir la bouche, un autre invité surprise déboula en fanfare sur le champ de bataille oratoire, hurlant des malédictions stridentes et la mort pour tout le monde.

 

Finnigan montait la garde silencieusement- il n’y avait aucun avantage à se montrer bruyant face à la marée de zombies dispersée en de nombreux groupes sur des kilomètres à la ronde. Il craignait toujours un peu, depuis toutes ces histoires sur une attaque en plein jour, qu’ils ne se mettent brusquement à converger vers les défenses. Les remparts disposaient de nouvelles armes sensass’ récemment, mais il sentait un peu seul s’ils devaient vraiment débouler en trombe sur eux. Pourtant, il aurait bien aimé se servir du lance-brique, un canon primitif mais efficace. Bob, comme d’habitude en avait les frais. Bien que le Patron avait promis que le prochain crash-test serait réservé au premier qui oublierait de faire son tour de garde, de fait, c’était toujours Bob qui prenait tout sur la bobine. Fabriqué de bric et de broc, Bob n’émettait généralement pas de plaintes, peut-être qu’il n’en pensait pas moins. Finnigan se surprenait à croire à des trucs auparavant franchement incroyables. Les mannequins n’avaient pas d’âme, mais Bob était si mal fichu qu’on ne pouvait pas vraiment parler de mannequin.

Il y avait un avantage à être de surveillance sur les remparts : tant qu’on ne croisait pas un pote qui faisait la ronde, on pouvait se permettre des activités privées autrement gênantes. Finnigan en profitait pour se curer le nez sans vergogne, alors que le Colonel tenait à la propreté, puisqu’ils disposaient d’eau en abondance. Ah ça ! Il n’aurait pas dit non à piquer une bonne tête dans la rivière. Il avait victime d’une blague potache, hier, en expédition, Marlowe ayant jeté une bombe à eau sur un groupe de zombies, et son uniforme avait été tellement maculé qu’il avait du se résoudre à le faire brûler pour échapper aux miasmes et à l’odeur. Il était rentré en petite tenue au camp, et ses camarades avaient lancé une oraison funèbre émouvante alors que le minuscule bûcher répandait la fumée des fidèles vêtements vaincus par la pourriture zombiesque. Le seul uniforme de rechange était celui de Duchêne, un soldat qui avait clamsé après la sortie héroïque du Patron. Manque de bol d’avoir survécu aux griffes des putrides pour se retrouver à dégobiller ses entrailles avant de crever salement. De son vivant, Duchêne puait presque autant qu’à sa mort, et son uniforme gardait l’odeur fétide même après dix lavages d’affilée et  l’onction de ce qu’il y avait de plus parfumé à disposition. Il n’y avait rien d’autre à se mettre sur le dos pour le moment, à moins de vouloir être recouvert de plus de trous que de tissus, et Finnigan tenait à son intimité corporelle.

Bha ! Au moins, personne ici n’était incommodé par l’odeur, lui s’étant mis du coton imbibé de jus de pomme dans les narines. Et personne non plus pour se moquer de lui et se railler de sa malchance. Il avait également tout le temps, puisque le spectacle des zombies dispersés n’était guère passionnant, pour penser à une revanche appréciable contre ses frères d’armes plaisantins. Quelque chose d’un peu plus subtile que cette blague potache et pleine de viscères. Peut-être irait-il demander la complicité de Rat, qui, avec son nez vigile, avait toujours des idées malicieuses en stock. Il pourrait aussi en apprendre un peu plus sur ce qui passait en bas, il avait entendu des morceaux de conversation à propos d’une fouille général du camp. Il se demandait bien qui on pouvait chercher aussi activement ; peut-être l’occasion d’une nouvelle pendaison ? Comme nombre de ses compagnons survivants, Finnigan avait un goût morbide pour les pendaisons. C’était comme se faire crever un abcès bien douloureux, sans la douleur : rien que le plaisir et un sentiment de satisfaction, alors même qu’on ne faisait que regarder, en encourageant parfois le bourreau, un type pas trop commode mais passionné par son nouveau métier et spécialement recommandé par l’Archidiacre pour les morts rapides. La dernière personne à avoir eu l’honneur de profiter de l’office du bourreau était un homme d’origine grecque qui semblait vouloir faire loger dans sa barbe toute la sagesse du monde. Il avait rassemblé autour de lui une petite bande qui était en admiration devant sa médiocrité. S’il s’était contenté de houspiller un peu tout le monde sans trop de méchanceté, on aurait pu en rester là et le garder comme curiosité locale. Mais il avait poussé le bouchon un peu trop loin en se mettant à donner des conseils un peu trop impérieux sur la manière de gérer les choses. Le Colonel avait toléré la chose quelque temps, Osmund pas lorsque le grec se mit en tête de mettre son nez dans la liturgie et de lui dire comment mieux faire son travail. Il avait émit des opinions douteuses sur ce que devait être la croyance novéliste, et après un procès légal et équitable, autant militaire que civil et religieux, il avait été condamné à la majorité à la peine capitale. Le Colonel avait hésité à laisser le gibet dresser avec son occupant défunt, qui se balancerait au gré du vent jusqu’à ce qu’il n’en reste plus que les os, mais après réflexion, l’odeur aurait été tellement insupportable qu’il préféra le faire jeter dehors. Un de plus dans la masse des Hordes ne ferait aucune différence. Et puis, puisqu’il était censé avoir changé d’attitude, il ne pouvait plus faire étalage d’autant de barbarie, même si le crime était grave… La clique du grec avait exprimé son mécontentement. Plusieurs allèrent jusqu’à se suicider en plein désert pour rejoindre leur maître à penser, et personne ne les regretta : ces gens-là n’avaient de toute façon pas droit à une sépulture sacrée. De la bande, deux restèrent, se tenant apparemment à carreau, bien que l’un d’entre eux, qui avait troqué son prénom et son identité contre un matricule idiot, faisait courir de mauvais bruits à son endroit. Finnigan songea que c’était peut-être lui qui était recherché, et qu’il irait bientôt danser au bout de la corde. Une pensée bien réjouissante après de nouvelles longues heures à surveiller l’horizon !

Il respira pleinement un goulée d’air pur (un des seuls avantages depuis l’Infestation : on ne souffrait plus des rejets des usines, ce qui était à son sens dix fois pire que de ne pas pouvoir profiter de leur production), ce qui le fit fatalement regarder vers le ciel. Celui-ci non plus, d’ordinaire, n’avait pas grand-chose d’attractif, même s’il aurait pu inspirer Verlaine pour l’un de ses poèmes assommants, rédigé alors qu’il avait été enfermé dans une cellule avec une toute petite vue sur l’extérieur.

Ce que Finnigan voyait en l’espèce était pourtant bien différent du ciel bleu vide. Il fronça les sourcils. De toute évidence, il y avait quelque chose qui clochait sérieusement.

C’est sur cette fine constatation qu’il ressentit une vive piqûre à un endroit qu’on ne montre pas en public. Il cligna des yeux, se tourna à demi, et tomba contre la structure du chemin de ronde, les ténèbres l’accueillant à bras ouverts.

 

La scène n’était pas jolie à voir. La Ghûl regardait avec une sorte de fascination morbide sa main gauche, dans laquelle s’était empalée le projectile mortel. Les hormones qui normalement auraient du informer son système nerveux central d’une douleur intenable avaient vu leur action considérablement réduite par la souche de l’agent R qui cohabitait dans son organisme. Un des avantages de sa condition d’hybride. Conserver un esprit vivace, et profiter d’un corps qui pouvait endurer les pires tourments et bénéficier de nombreuses améliorations génétiques.

L’émissaire rejeté tourna son capuchon vers l’assassin, en retirant négligemment l’objet pointu fiché dans son corps, et jetant au loin le corps étranger.

« Fallait-il vraiment le voir pour le croire ? tança l’hybride. Je vous avais prévenu. Vouloir tuer cette pauvre enfant en vous enfuyant ensuite est encore plus lâche que le reste. Finalement, vous feriez mieux de continuer à vivre pour mieux subir un autre courroux. Vous avez raison, je ne vais pas trop m’impliquer dans quelque chose qui n’est pas censé me concerner. A la place, je vais vous faire un cadeau. Vous allez adorer. »

La Ghûl s’apprêtait à lui faire ce présent pernicieux, mais elle avait mal jaugé l’attitude de son adversaire. Loin d’être terrorisé, son adversaire récupérait sa première arme et se jetait contre lui/elle avec hargne. Puéril. Ne peut donc pas supporter d’être en position d’infériorité ?

La Ghûl esquiva sans problème ces attaques désordonnées, dictées par la colère et non pas par le froid professionnalisme comme cela avait le cas pour le lancer de couteau. Les assauts étaient si frénétiques qu’il/elle écopa de quelques écorchures, répandant un peu de sang modifié dans la pièce. L’infirmière allait se poser quelques questions quand elle reviendrait voir l’état de sa patiente, tant pis. Il n’était plus temps de faire dans la dentelle.

La Ghûl ne fit aucune contre-attaque, laissa l’autre se déchaîner avec sa fureur risible, et dès qu’une ouverture se présenta, saisit l’agresseur d’un mouvement harmonieux du poignet. L’assassin se retrouva à plusieurs dizaines de centimètre au-dessus du sol, la gorge solidement serrée par la main droite valide. Contrairement à l’assassin devenu victime, le messager involontaire de la Bête n’éprouvait aucun plaisir à rechercher la terreur dans les yeux de l’autre. Un dégoût l’envahissait plutôt. Comme les humains pouvaient passer si aisément d’un masque à l’autre selon les retournements de situation, et ne garder aucune constance ! Ce manque de persistance dans la personnalité était pitoyable. Ils étaient bien trop des êtres de situation, flexibles. Leur personnalité n’était qu’un noyau bien fragile, pas si épais, et tout le reste n’était qu’électrons se polarisant en fonction des événements. Ainsi cette pauvre chose, qui irait bien supplier pour avoir la vie sauve si on desserrait l’ étreinte autour de la gorge, et qui à la moindre occasion tenterait de frapper à nouveau si on lui laissait assez de champ de manœuvre. Pathétique.

« Devenir comme moi implique des actes qui choqueraient la moralité, même maintenant. Quoique… Ne serais-tu donc pas plus utile en tant que garde-manger pour moi, plutôt que de te laisser courir le camp avec tes méfaits ? Je saurai te maintenir en vie le plus longtemps possible, pour que tu puisses apprécier au maximum les revers de fortune qu’impose le destin. La tête en dernier, c’est une règle classique lorsque l’on doit torturer quelqu’un. A moins que tu ne me donnes une excellente raison de ne pas agir ainsi ? A moins que je ne doive le faire moi-même… »

L’assassin s’agitait comme une carcasse de vache qui aurait été animée de morte-vie au bout du crochet d’un boucher, ses pieds frappant le tortionnaire à tout va, sans aucun résultat. L’air commençait à sa raréfier dans ses poumons. Ses mains farfouillaient désespérément. Juste quelques centimètres… Si ce flacon arrivait à portée de doigts…

 

Le climat, pour le moins orageux, se détendit très vite grâce à l’invité surprise. Vêtu d’un habit patchwork, mosaïque immonde de plusieurs matières et couleurs, il dansait fébrilement avec des sabots en bois, coiffé d’une cagoule légère surmontée de pompons et ornée de clochettes qui ne cessaient de créer un tintamarre joyeux à chacun de ses mouvements chaotiques. Un gros cœur avait été maladroitement tracé sur la veste abominable, accompagné d’une tête de mort qui causait l’hilarité plus qu’autre chose. Avec des enduits végétaux, on avait peint des signes ésotériques plus ou moins débiles sur le pantalon, dont une parodie du soleil noir, symbole des novélistes.

Le bouffon, puisque cela semblait en être un de toute évidence, brandissait fièrement dans chaque main une chaussette énorme et mal recousue, qui en disaient long sur le passé des pieds de leur propriétaire. Il les tendait tour à tour vers Lionel puis Maverick, les exorcisant de maux inconnus à l’aide de ces viatiques peu communs. Après la stupéfaction, les rires éclatèrent, se mélangeant avec les expressions choquées devant l’intrus qui interrompait un échange d’une importance cruciale.

« Bien le bonjour mes bons seigneurs ! couina le costumé en continuant de sautiller en répandant l’odeur de ses horribles chaussettes. Belle journée, n’est-ce pas ? J’ai ouï-dire de vos amusantes piques verbales depuis l’autre côté de la cité, et je me suis dit qu’il fallait que je me joigne à vous pour vous esbaudir de mes galipettes merveilleuses. Plus on est de fous, plus on rit !

- Encore une méprisable tentative de votre part pour faire dévier le feu roulant de mes accusations, Sandrunner ? clama Lionel, qui appréciait si peu l’interlude qu’il aurait réduit en cendre l’homme aux chaussettes si ses yeux avaient pu lancer des flammes.

- Je n’ai rien à voir avec ce curieux personnage, le contredit Maverick, qui avait du mal à conserver son sérieux devant cette cavalerie inattendue.

- Que non pas ! s’écria le bouffon. Je suis ici de ma propre volonté, pour vous amuser et vous distraire, et aussi pour vous faire dresser l’oreille. Car n’êtes-vous pas encore plus fous que moi pour vous quereller sur des chimères, alors qu’à l’extérieur le danger rôde, prêt à agripper le fil de nos vies pour remplir sa bien noire tapisserie ?

- Si vous êtes encore le chef de Camp Darwin, faites évacuer cet aliéné, Colonel, exigea Lionel. Vous n’oseriez pas vous dégager de vos responsabilités vis-à-vis de vos citoyens. Si vous ne le faites pas…

- J’en au plus qu’assez de vos insinuations à la manque, Lionel. Vous ne cessez de déverser des paroles infâmantes, à ce compte-là, je me demande qui peut trouver grâce à vos yeux. Vous avez sous-entendu que notre honorable Archidiacre aurait été pédophile dans sa jeunesse, sans tenir compte du ridicule de l’opprobre, je commence à mal situer d’où vous pourriez tenir toutes vos informations. Certainement pas d’un autre dieu, vous l’avez plus vraisemblablement inventé pour donner plus de poids à votre discours sur la tolérance religieuse et avoir un fond de légitimité. Vous ne faites que déballer toutes les théories les plus folles que vous avez mises au point alors que vous étiez mis au ban de la communauté pour votre propre intransigeance par rapport au culte novéliste émergeant. Si vous n’avez rien de mieux à nous servir que du venin froid, c’est vous que je vais faire évacuer. Nous avons des choses plus urgentes à faire que rassembler tous les citoyens pour que plus de monde puisse écouter votre fiel.

- Tout doux, mes seigneurs, tout doux ! fit l’homme aux chaussettes, coupant le nouveau gourou qui allait répliquer vertement. L’offense n’est pas à faire sortir de la bouche en cette noire période. Il faut respecter ce bon pantouflard d’Osmund, faire sonner cornes et musettes, faire l’amour et pas la guerre ! Paix sur la terre ; pour tous les hommes et tous les zombies affamés !

- Très bien, je vais me charger moi-même de faire dégager ce clown. », dit Lionel en s’avançant vers le trublion, les yeux emplis de colère.

Ses suivants hésitèrent à l’accompagner. Eux aussi avaient eu droit à des révélations de l’autre dieu, pourtant, ils avaient aussi l’impression que Lionel ne savait pas où se tenaient les limites. C’était la parole des représentants d’un dieu contre ceux d’un autre, et aucune autorité extérieure et neutre ne pourrait trancher. Ils allaient finir par s’attirer de graves ennuis si leur chef ne réussissait pas à reprendre l’avantage moins grossièrement, sinon, ils allaient devenir ennemis public et de la foi officielle. Sauf pour ceux qui sauraient se convertir au moment opportun, dans ces cas-là, une foi profondément ancrée peut très vite changer, bizarrement.

Lionel ne paraissait pas se soucier du manque d’enthousiasme des autres membres de sa coterie, et tentait sans succès d’attraper le bouffon qui sautait avec des bonds de cabri, lui échappant sans peine malgré sa corpulence.

« Ohlà, ohlà, monseigneur ! Point d’agressivité ! Je ne suis qu’un innocent agneau qui ne vous veut que le bien le plus beau et le plus pur. Pourquoi ne pas rassembler vos colifichets et célébrer votre culte,  vrai ou faux, dans la quiétude de l’intimité ? Certaines vérités ne sont pas bonnes à dire, et tous nous devons nous serrer comme des scouts pour voir le père soleil se lever une nouvelle fois sur nos têtes à la lumière plus ou moins forte. Paix, harmonie ! Ce n’est pas comme ça que vous allez me mettre le grappin, Lionel, et je ne suis pas un homme facile, je vous préviens.

- Tout ceci est du plus haut ridicule, tempêta l’interpellé au milieu des éclats de rire, le rouge montant aux joues. Nous sommes ici pour révéler le vrai visage d’un despote éclairé. Vous autres, au lieu de rester les bras ballants à bâiller aux corneilles, aidez-moi à me saisir de ce fou, pour que le colonel puisse enfin répondre de ses obligations et de ses crimes ! J’ai encore d’autres flèches en réserves, et le trait marqué « meurtres des opposants » saura vous toucher en plein cœur. »

L’agréable surprise incarnée par ce fou s’évanouit aussitôt pour Sandrunner, le ramenant sous la chape de la dure réalité. Ce Lionel ne voulait donc pas comprendre qu’il avait affaire à plus forte partie que lui, et désirait aller jusqu’au bout de sa croisade absurde. S’il ne pouvait pas mourir au risque de complications ultérieures, il lui trouverait certainement un sort pire et tout aussi satisfaisant. A moins qu’il ne soit malencontreusement tué dans le chaos de la mêlée qui allait suivre, ou bien qu’il aurait à subir les foudres de la justice populaire et divine ? Sandrunner lui prédisait autant de chemins vers un futur de courte durée. Il ne restait plus qu’à reprendre là om il avait été interrompu grossièrement par ce délirant aux chaussettes. Il lui devait toutefois une fière chandelle, et pensa dans un coin de son esprit à faire appel à Twilight, une fois que le larron se serait de nouveau montré, pour prendre en charge le bouffon.

Il fallait savoir récompenser ceux qui vous aidaient, même inconsciemment. A moins qu’il ne fut un agent de Forsythe ? Venant de cette femme pleine de ressources, on pouvait espérer les choses les plus farfelues. Quant à elle, il la remercierait moins chaleureusement si elle on devait bien y voir là sa griffe. Les initiatives fructueuses devaient rester de son ressort.

Lionel et ses acolytes se démenaient à arraisonner le bouffon, se rendant ridicules au possible, surtout que le fou n’entendait pas être tu de cette manière et se défendait avec une énergie peu commune, sûrement impulsée par la folie.

Maverick attendit encore quelques instants, pour savourer ce moment inappréciable- celui qui précéderait la mort d’un homme, son âme retournant quelque part pour le bien des terrestres. Le Très-Haut, puisqu’il semblait bien exister, comprendrait certainement son geste et lui pardonnerait une nouvelle fois. Après tout, Lionel s’attaquait directement à lui avec ses histoires d’autre dieu omniscient. Ce n’était que dans l’intérêt de son patron divin que de laisser faire.

Certains habitants se mirent à applaudir lorsque le bouffon envoya un uppercut pas piqué des hannetons à un des hommes de main de Lionel, qui s’écroula par terre, vaincu. Les autres ne s’acharnèrent sur lui qu’avec plus de hargne, oubliant là toute décence. Lionel restait convaincu que ce crétin avait été commandité par Maverick pour rendre son plan caduque. Et pourtant non, son maître n’allait pas tolérer une défaite aussi triviale…

Maverick jugea l’instant parfait pour la mise à mort salvatrice. Il sentait la présence de l’assassin, attentif au milieu de tous ces bruits différents, attendant les mots.

« Le plus bouffon des deux n’est pas celui qui porte un costume et des clochettes, déclara Sandrunner avec un mélange hétérodoxe d’amusement et de gravité. Judas que vous êtes, vous n’aurez pas le temps de récolter les deniers de vos mensonges ! »

Là, tout de suite. Quelqu’un à côté de lui allait mourir, peu importait lequel : les prêtres étaient remplaçables, on ferait nettoyer la soutane. Lui était unique. Il ne pouvait pas se permettre de sourire trop longtemps. Il n’en eut de toute façon pas trop le loisir : quelqu’un était bien en train de mourir, mais ce n’était pas un des novélistes.

Sur le sol, le rebelle assommé par le coup de poing-chaussette se tordait dans tous les sens. Une forme horrible planait au-dessus de lui, que nul autre ne pouvait voir. Le monde perdait ses couleurs, ses oreilles y devenaient sourdes… Alors qu’un étau glacé serrait son cœur de plus en plus fermement. La femme fantôme le regardait avec délectation, pressurant de plus en plus son organe vital de ses doigts éthérés. Il voulait crier de terreur et de souffrance, indiquer l’esprit maudit qui le conduisait ainsi vers la tombe, mais aucun son ne s’échappait de ses cordes vocales agonisantes. Seul le froid et la solitude s’emparèrent de son être, et ses yeux devinrent vitreux avant qu’il ne puisse proférer le moindre avertissement.

Lorsque tout le monde constata qu’il était bien réduit à l’état de cadavre, la panique commença.

 

Quelques gouttes d’un liquide qu’elle n’aurait pas fait avaler à sa pire ennemie… Pauline revint en sursaut à la conscience, la gorge en feu. Elle reconnut rapidement le décor familier de la vieille école de campagne, où les enfants de Camp Darwin recevaient une instruction éclectique, engrangeant des connaissances diverses et écoutant des histoires variées. La salle de classe était vide, à part elle-même et une grande silhouette encapuchonnée qui se tenait au-dessus de la table sur laquelle elle avait été déposée. Elle remit rapidement  ses souvenirs en ordre, et sa main se porta à son ventre, y décelant des difformités inquiétantes. Avant qu’elle ne vérifie en visuel, la silhouette occultée toussa bruyamment.

« Je crains de ne pas être intervenu(e) assez rapidement pour pouvoir t’éviter ces petites écorchures. »

Cette voix ! On ne pouvait la confondre avec nulle autre, même si elle n’avait entendu que quelques paroles de sa part avant que le rituel de purification ne soit perpétré sur elle.

« Vous êtes…

- Oui, c’est exact, fit la Ghûl, anticipant la réaction de la jeune femme.

- Mais vous devriez ! …

- On ne peut plus vrai, petite demoiselle. Ton protecteur en a décidé autrement.

- Comment est-ce que…

- Un passage secret dans l’église. Il a substitué mon corps avec un autre, défiguré par l’eau, et ayant pris mes vêtements. Une ruse simple, efficace. Personne ne se souciait réellement de ma personne.

- Pourquoi aurait-il…

- Fait ça ? compléta encore l’hybride. J’avoue ne pas trop comprendre moi-même, bien que j’estime mon intelligence être tout à fait raisonnable. Je ne crois pas qu’il l’a seulement fait pas générosité de cœur, et pas seulement pour les quelques renseignements que je lui ai fournis. Il faut dire quelque chose en sa faveur, il était plus avisé que la plupart d’entre vous. Il m’a suffit de quelques discussions pour me rendre compte qu’il ne se contentait pas du présent et qu’il cherchait toujours à décrypter les errances de l’avenir. Que se passerait-il si untel agissait ainsi, si lui faisait cela, en tenant compte de ce facteur extérieur, sans oublier d’autres données ? Il calculait, tirait des plans, prévoyait, essayait de lever le voile du futur, faisait des computations, étudiait les possibilités. Nombreux sont ceux qui se sont essayé à cet exercice, avec plus ou moins de bonheur. Il bénéficiait d’une qualité essentielle : l’objectivité. Dans ses prévisions, il n’excluait pas sa propre mort… »

Ces derniers mots glacèrent l’âme de Pauline. Plus que toute autre chose, elle se refusait à penser, aussi petitement soit-il, à cette éventualité. S’il était mort, il ne lui resterait plus rien.

« Il n’est pas mort ! cria-t-elle presque avec faveur.

- Je n’en sais rien, répondit sans émotion la Ghûl. Il était bien malade, tu ne peux le nier. Et cet attentat à la grenade, ta survie… Bien des choses mystérieuses qui mériteraient qu’on s’y penche. Cela sera mon prochain mouvement.

- Pourquoi m’avoir amenée ici ? demanda subitement Pauline, consciente que la question était assez primordiale. Je me souviens que l’infirmière m’a fait une piqûre, et puis…

- De la méfiance ? pouffa l’asexué. Ô combien normal. Ash Twilight espérait plusieurs choses de ma propre survie. Il se savait en grand danger, et avait fait le nécessaire tant qu’il en avait encore la force. Il avait parfaitement prévu qu’on tenterait de le tuer, sans deviner que tu serais en même temps dans la ligne de mire. S’il venait à disparaître, il m’avait demandé un autre service contre le sien. Je devais veiller avec plus de zèle qu’un ange gardien sur sa jolie protégée. Quelle émotion sur ton visage ! Les humains peuvent être si candides, parfois. Oui, il pensait fortement à toi. Et je viens d’honorer ma dette. J’ai… Empêché l’assassin qui en avait après ta vie d’aller jusqu’au bout de son geste. »

Pauline releva la tête, essayant de discerner les éclats bleutés des yeux dans le capuchon. Tout se bousculait dans sa tête… Trop de choses en même temps. Qui aurait pu vouloir la tuer ? Oui, c’est possible… Elle se résolut à lui accorder sa confiance. Si elle ou il avait voulu la tuer, elle ne serait pas là, et les marques qui défiguraient son ventre dont elle était si fière étaient une preuve matérielle. Restait que l’histoire sonnait drôle, mais Camp Darwin n’avait-il pas été bousculé par les étrangetés ?

« Je prends ton silence pour un accord tacite. Tu es en sécurité ici… Pour le moment. Les choses se précipitent, et mes expectations se fondent dans un magma informe. Tu n’as aucun remerciement à me donner. Je n’ai fait que payer ma dette. Dorénavant, arme-toi de prudence en toute occasion et ne place ta confiance en personne. Ta vie est en danger permanent, et je ne serai pas toujours là pour te protéger, étant moi-même possiblement traqué. Je ne te souhaite pas bonne chance, car ce serait prêter foi à une force, qui objectivement, n’existe pas. Que le hasard, plutôt, te soit favorable !

- Attends, tu ne vas pas partir comme ça ! se lamenta Pauline, qui ne comprenait pas tout.

- Le temps joue contre nous. Si tu as assez de jugeote, tu surmonteras ta douleur et tu iras de l’avant- hors d’ici. Crois-moi, les flammes de la destruction vont bientôt tout enrober ici, dans leur écrin chatoyant. Votre colonel a déclenché la colère d’une déesse, et on ne s’en remet pas avec une pirouette. C’est mon dernier conseil.

- Où est Ash ? demanda-t-elle, presque suppliante.

- Je n’en sais rien, dit de nouveau la Ghûl, passablement irritée. Mes obligations ne s’étendant pas jusque-là. Mais tu viens de me faire rappeler quelque chose… Oui, autant te les donner maintenant, tu cesseras de me déranger. »

La créature à demi humaine fouilla dans les replis de ses guenilles, et en sortit un petit anneau gravé d’une croix. Elle la déposa dans la main de la jeune fille, en faisant attention d’éviter le contact.

« Donne ceci à celui qui se dit le maître spirituel de Camp Darwin. Dis-lui les mots suivants : ‘le phénix a prit son envol.’ Une formule un peu trop lyrique à mon goût, passons. Il comprendra le message et fera le reste. Ce reste qui ne dépendra plus que de toi. Oh… Et voici un cadeau de ma part, puisque tu as l’air si tourneboulée. Elle m’a aidé à ne pas descendre sur le versant de la folie la plus noire. Ne l’ouvre que quand tu en ressentiras le besoin. »

D’une de ses poches étonnamment propre lorsqu’on avait vu à quoi ressemblait son corps, l’être obscur extraya une petite boîte en bois de rose, tout à fait adorable, qui tranchait nettement avec son propre aspect. Il ou elle la déposa près de Pauline, qui ne comprit pas la portée du geste.

« C’est vraiment tout ce que je peux faire pour toi, reprit la Ghûl de sa voix rauque inquiétante. M’impliquer plus dans ce nœud des événements ne pourrait que m’être maléfique, car alors j’aurai dérangé l’ordre établi des choses de façon trop importante. Il était écrit que tu ne devais pas mourir, envers et contre tout, pour ce qui va suivre, je ne peux rien dire. Fille dont la vertu a été abusée, bien que notre entretien fut bref, c’est vraiment le temps des adieux. Tu comprendras peut-être plus tard. Soit attentive aux ombres qui rôdent, et n’oublie jamais que le plus important est la vie elle-même. La vie… »

Avant que Pauline ne puisse le/la bombarder de questions qui lui venaient de plus en lus nombreuses, la Ghûl n’était déjà plus là. Elle ne savait plus quoi penser de tout ça, complètement perdue, goutte d’eau au milieu de la tempête qui s’annonçait. Elle avait encore plus d’interrogations que de réponses. Le fil rouge qui traversait toutes ses pensées demeurait Ash, son état, sa localisation. Combien de temps était-elle restée dans les vapes ? Assez pour que les hommes du Colonel aient effectué leur mission, espérait-elle. Et pourtant elle en doutait en même temps, et ne voulait pas courir aller voir Osmund pour lui présenter l’anneau et la phrase secrète. Il y avait dans cette disposition quelque chose qui sonnait comme un testament de la part du grand dadais aux yeux bleus, et ce serait accepter la possibilité qu’il soit mort, quelque chose que son psychisme ne pouvait pas supporter. Il le déniait en bloc.

Ce n’est qu’après une éternité insondable- dix minutes, une heure, trois heures ? Qu’elle cessa de rester prostrée sur la table d’école silencieuse, plongée dans son for intérieur. Une parole de Ash lui était revenue à l’esprit :

« Le plus important pour souffrir le moins, Pauline, c’est d’accepter ce qui nous vient. Au début, forcément, ça nous fait plus de mal que de bien, à long terme, c’est l’attitude la plus raisonnable et la plus saine pour notre esprit. Ce que nous n’acceptons pas ne disparaît pas en claquant des doigts et va se faire un coin d’ombre dans notre inconscient, en nous. Dénier la réalité est une défense désespérée encore plus grave : on rejette en-dehors de soi les pensées insupportables croyant s’en débarrasser, alors qu’on va ainsi vers la psychose. Il faut de la volonté pour accepter une défaite, accepter un échec, accepter des pensées cataloguées honteuses ou perverses sur autrui, ou qui contreviennent à notre morale personnelle, qui n’était qu’un produit d’une morale sociétaire. Si on y arrive, les troubles ne viendront pas et l’esprit restera sain. C’est une question d’harmonie et d’accord avec soi-même. Parmi les choses les plus dures à accepter et qui peuvent briser une personne, il y a la perte d’un être cher… La libido se retrouve soudainement déchargée en partie, revient à soi, et ne peut pas immédiatement s’attacher à une autre personne. »

Elle avait su qu’à la fin, il parlait de son frère, qui s’était suicidé. Lui était le frère qui lui manquait. Elle sécha ses larmes, et remit pied à terre. Il n’y avait pas de temps à perdre, elle devait se montrer forte. Comme il le lui avait enseigné, il lui faudrait accepter la situation : telle était sa nouvelle résolution. Mais pourquoi une petite voix lui chuchotait dans le creux de son esprit qu’elle éclaterait au moindre imprévu ?

Elle traversa sans encombre le camp jusqu’à atteindre l’église, regardant tout autour d’elle, prudente à l’excès. Elle se sentait nager en pleine irréalité, sauvée deux fois en si peu de temps… Elle ne conservait aucun souvenir précis de la scène du miroir. Un baiser électrisant, un souffle chaud, puis la tente médicale, la Ghûl, le camp. Il faisait plus sombre que d’ordinaire, mais elle ne le remarqua pas.

L’église était en pleine ébullition- beaucoup d’agitation pour un si petit lieu. Elle du faire preuve de tout son charme pour convaincre les gardes de la laisser voir Osmund, leur montrant son ventre ravagé et leur donnant une version édulcorée de ce qui s’était passé il y a peu. Voyant bien que l’affaire était grave, ils la laissèrent passer en l’avertissant toutefois que l’Archidiacre était dans un état de nervosité extrême et qu’il ne serait pas forcément d’une grande aide. Haussant les épaules, elle se rendit jusqu’à la petite pièce où l’hispanique priait en marmonnant devant un ex-voto taillé avec un certain talent. Elle attendit courtoisement qu’il finisse, alors même qu’elle tenait difficilement en place. Il était suprêmement difficile de ne pas succomber à une crise qui la soulagerait de toutes les tensions qui l’habitaient.

Osmund se releva, et finit par la remarquer, lui adressant un pâle sourire.

« Ah, ma fille… C’est une heure bien noire pour venir me voir. Tout autre jour je t’aurai accueilli avec plaisir si tu avais besoin de mes services, mais là…

- Qu’est-ce qui se passe ? demanda-t-elle nerveusement, craignant qu’il ne lui annonce la mort de Ash.

- Une catastrophe ! fit l’ecclésiastique en levant les bras au plafond pour prendre le Très-Haut à témoin. Une secte d’hérétique s’est formée dans l’ombre et remet tout en cause, avec des accusations très graves, dont certaines ne manquent malheureusement pas d’un fond de vérité. Ils instillent le doute dans les esprits et gravent la corruption dans les cœurs. Alors que je pensais que le colonel allait mater cette rébellion spirituelle et ramener l’ordre parmi nos ouailles, alors que nous marchions bon pas sur la Voie, voici que l’ennemi apparaît parmi nos propres concitoyens. Et le drame ! Un personnage excentrique est arrivé, et tout s’est précipité. Une rixe pitoyable, jusqu’à ce qu’un de ces hérétiques meurt inexplicablement. Quelques battements de cœur plus tard, et un des mes plus zélés fidèles mourrait aussi ! Le colonel a accusé Lionel et ses disciples d’avoir organisé cette mascarade pour tenter un assassinat, il est vrai qu’il était  juste à côté de l’infortuné Bastien. L’horreur qui se lisait sur son visage au moment de son trépas… Elle restera à jamais gravée dans ma mémoire. Une bataille générale s’est engagée entre ceux qui prenaient le parti du colonel, et ceux qui soutenaient Lionel. Le colonel a arrêté l’esclandre en faisant parler la poudre, mais il fallait voir les regards de haines de ceux qui partaient dans différentes directions ! Lionel a juré son ‘grand dieu’ qu’on ne pourrait pas l’arrêter comme ça. Pendant la nuit, la haine va couver dans les âmes. Je crains de ce que demain sera fait… »

Voir Osmund, qui travaillait à réjouir les cœurs, aussi accablé, la mit encore plus mal à l’aise. Elle en resta muette, jusqu’à ce qu’il sembla se reprendre un peu.

« Ce fardeau ne doit pas être tien. Grâce à la lumière du Très-Haut et Sa volonté, nous arriverons à surmonter l’ordalie. Ne sommes nous pas ses élus, la genèse du renouveau ? Toi-même tu as l’air très affectée. Dis-moi si je peux soulager ton âme. »

Sans s’expliquer plus avant, elle lui tendit l’anneau et répéta la phrase secrète. Il accueillit les deux avec une réserve certaine, son regard se voilant de tristesse éphémère. Avec lenteur, il ouvrit un tiroir à l’aide d’une petite clé, et en ramena une enveloppe cachetée.

« C’est une grande peine d’en venir là. Il m’avait parlé de ceci avec un si grand sérieux que j’en avais plaisanté… Je ne pouvais pas croire à ses visions pessimistes. Que pouvait-il bien craindre ? Avec ses talents et l’aide du Dieu Nouveau, ainsi que des ressources inépuisables, il arrivait à bout de tout. Et là, nulle trace de lui. Ne perds pas espoir pour autant ! rajouta-t-il en remarquant la douleur qui s’inscrivait sur ses traits. Cette enveloppe n’est pas un testament. Il était consciente qu’à un moment, il lui faudrait peut-être disparaître quelques temps. Dans ce cas de figure, je devais te remettre ce document. Il n’est destiné qu’à toi, tu devras le lire dans un lieu à l’abri des regards indiscrets. Détruis-le une fois que tu auras mémorisé le message à l’intérieur. Je suis certain qu’il a déjà, en avance, pris en charge ton avenir. Le souci qu’il avait de te rendre heureuse donnait du baume au cœur. Mais on dirait qu’il y a autre chose dont tu veuilles me parler ? »

Pauline réfléchit quelques secondes, puis secoua la tête. Le prêtre si vivant d’ordinaire paraissait avoir sauté de la jeunesse enthousiaste à la vieillesse rongée par le poids des ans et des soucis. Elle ne voulait pas qu’il soit encore plus inquiet, même si elle allait bien devoir alerter quelqu’un de cette tentative d’assassinat- quelqu’un d’autre que les deux gardes du sanctuaire. Elle le remercia en bafouillant, mettant sous le compte de l’émotion son embarras. Elle entendit à peine Osmund lui donner sa bénédiction, avant qu’il ne cherche à nouveau dans son tiroir, pour s’occuper de la propre lettre qui lui était destinée.

Ne voyant rien de mieux, elle retourna le plus discrètement possible à l’école, sachant qu’il n’y aurait aucun des enfants pour y recevoir des leçons. Comme elle aurait aimé faire la ronde avec eux, jouer à des occupations innocentes, être avec eux en écoutant une histoire d’Ash ! Tout ce plaisir simple s’était envolé dans les méandres du temps. Il n’y avait plus que l’affolement, la peur de lire ce qui était écrit dans la lettre.

Elle décacheta l’enveloppe, déplia le papier et commença sa lecture. Elle du relire plusieurs fois avant que les mots ne s’inscrivent bien dans son esprit, et dans sa mémoire. C’était à la fois tellement mieux et tellement pire que ce qu’elle avait prévu. En un éclair, elle su le danger immédiat qui guettait. Lâchant la lettre qui voleta doucement vers le plancher, elle courut au-dehors, espérant ne pas arriver trop tard.

 

Nekroïous trouvait finalement que les deux compères étaient encore plus agaçants sous forme de boules accrochés à un fil qui s’entrechoquaient l’une contre l’autre sans discontinuer, que sous l’apparence de heurtoirs trop volubiles. Un petit sortilège taquin qui s’était déclenché lorsqu’ils avaient cru pouvoir s’éclipser discrètement par la porte de derrière, juste après le retour de Fanny qui affichait un plaisir un peu trop évident à avoir tué un innocent. Enfin, innocent, était-ce bien sûr ? Aucun être l’humain ne l’était vraiment. Tous avaient leur âme souillée quelque part, que ce soit de leur propre faute ou non. Telle était la triste réalité, du moins pas si triste parce que ça ne changeait finalement pas grand-chose au moment du grand soir.

Le Diable n’avait pas cessé de rire de façon inconvenante après l’apparition de l’homme aux chaussettes, et il se rendit compte qu’il n’y avait réellement que lui pour apprécier ce drame à sa juste valeur, bien qu’elle ne fut pas si haute. Quel sentiment de se sentir ainsi seul alors qu’entouré ! Il y avait un tel fossé entre lui et le reste des êtres vivants qu’il doutait un jour de trouver quelqu’un qui le comprendrait vraiment. Satan était trop vulgaire pour cela et manquait de finesse. Sourd aux protestations de Myrraïgth et Myrleft entre deux entrechoquements, il se focalisait uniquement sur la scène dévoilée par le nécroscope.

Un personnage allait quitter la scène.

 

Ash Twilight se tenait sur la portion du rempart déserte. Presque déserte : Finnigan gisait à ses pieds, inanimé. La plupart des autres couraient à sa recherche, ce qui était parfait. Si la porte avait été ouverte, il serait sorti pour mettre fin à son calvaire, mais un phénomène inquiétant l’en dissuadait à posteriori. Depuis qu’il se tenait en hauteur, les zombies, silencieusement, se rapprochaient du camp. Si les sentinelles n’étaient pas trop endormies, elles iraient faire leur rapport au Colonel. Il ne disposait donc que de quelques minutes avant d’être découvert, avant que ce bon Sandrunner ne croit que la Bête venait encore plus tôt que prévu.

Il ria, pour se moquer de lui-même. N’était-ce pas de la plus belle ironie de voir venir sa mort, et de ne rien pouvoir y faire ? Quelle idiotie d’être allé fureter près de la zombie après l’apparition de la marque. Il ignorait ce qui s’était passé. Lorsqu’il était revenu à lui, il avait une plaie sous l’aisselle droite, et sa patiente jonchait le sol, morte-morte.

Il avait été infecté… Tous les symptômes qu’il avait relevé sur ceux qui faisaient l’expérience de l’agent R, il les avaient retrouvé sur lui, en moins rapide, plus sournois. L’infection semblait prendre un cours chaotique, mais il savait très bien qu’il n’en aurait plus pour longtemps-les premiers troubles du comportement perlaient en lui. Il sentait confusément qu’il devrait déjà être mort. Il ne restait plus qu’une porte de sortie, il laissait le reste aux autres. Il avait de la peine pour Pauline qui ne comprendrait peut-être pas… Il n’avait pas eu la force de tout lui raconter. Il préférait qu’elle garde un souvenir aussi idéal que possible de lui. Il avait laissé sa sécurité entre d’autres mains que les siennes, qui pourriraient très bientôt. Il avait fait le nécessaire pour qu’elle lui survive.

Ses yeux se rouvrirent. Les zombies venaient pour lui, l’appelaient sans bruit, presque comme des fidèles en adoration. Plus important, dans les airs flottait l’Autre, impérial, croquant une pomme avec gourmandise.

« Alors, on en vient au suicide ? fit-il nonchalamment, comme s’il parlait de l’utilisation d’une nouvelle marque d’insecticide pour tuer des mouches.

- Jusqu’à la fin, tu ne pourras pas me laisser en paix ? dit Ash, plus las que jamais.

- Puisque je suis censé ne pas exister, je ne vois pas le problème, partenaire. Je suis venu pour essayer de te dissuader de recourir à cette sombre extrémité.

- Quelle importance pour toi ? répliqua le psychologue avec toute la hargne dont il pouvait encore faire preuve. Te voilà récompensé de tes avertissements. Profite donc, je ne compte pas rester éternellement ici. Mes nouveaux ‘amis’ m’attendent. Je me suis finalement trop porté sur les autres pour pouvoir empêcher ma déchéance.

- Tout ceci aurait pu être évité hier au soir, compagnon. Une grenade est venue mettre un peu de désordre dans mon plan. Je te préfère en vie et en santé que sous la forme d’une brute décérébrée qui ne peut pas voir plus loin que son prochain repas, et qui se bouffe soi-même s’il n’y a pas de charcutaille fraîche à portée de griffe.

- Je laisse le soin à Maverick de trouver le coupable. Tout cela ne me concerne plus.

- Ash, Ash, Ash ! scanda celui qui lui ressemblait sans être lui. Jusqu’au bout, tu te montres obtus. L’obstination aveugle est une des pires choses qui soit. Pourquoi tant de résignation ? Tu ne voulais que personne sache que tu étais porteur du virus ? Tu croyais qu’il n’y avait aucun remède ? Pourquoi ne pas avoir poussé une petite prière à ton dieu en courbant bien bas l’échine ? Tu as vu ce que cela a valu à Maverick.

- Imagine seulement qu’aucun miracle ne se soit pas passé. Imagine qu’ils me voient dépérir de plus en plus, que Osmund déploie tous ses efforts pour attirer les faveurs divines… Tous les novélistes perdraient leur foi. Les conséquences seraient encore plus terribles que ma pauvre mort isolée. »

L’Autre haussa les sourcils.

« Oooooh… Monsieur je-me-sert-d’un-camp-de-réfugié-comme-bouillon-de-culture aurait donc des scrupules ? Il préfère crever tel un vieil éléphant, tout seul dans son coin, pour éviter des désagréments aux autres. Ta théorie prend l’eau. Tu étais censé être protégé tout spécialement, et tu vas devenir un autre putride. Quelqu’un finira bien par le remarquer, même dans la masse des Hordes. Je crois plutôt que tu essaies de fuir le combat. Qu’est-il donc arrivé à ta peur de la mort ? Ce qui t’attend ne sera pas aussi reposant, si tu passes cette barrière. Tous tes rêves iront se briser en même temps que ta nuque.

- Pars, commanda Twilight d’une main déjà trop molle. J’aimerai goûter ce moment d’éternité seul. Je partirai aussi sain d’esprit qu’on peut l’être en pareille situation. Ma ligne de vie s’arrête ici.

- Je ne peux pas faire ça, contesta son faux doublon en faisant non du doigt. Nous sommes unis par un lien plus fort que tu ne peux le concevoir. Le transfert était presque terminé… Et je t’aurai sauvé. Pense à ta chère petite Pauline. Elle ne pourra pas vivre sans toi, la frêle chose. Le fil de ta vie ne doit pas être coupé ici, Ash Twilight. Ce n’est pas encore le moment, les Moires tiennent leur ciseau éloigné. Crois-moi, il serait pire pour tout le monde de jeter l’éponge maintenant.

- Il n’y a aucune issue. Toutes mes forces m’ont quitté. Je ne suis plus qu’une coquille… »

Ses mains agrippèrent la rambarde. Il aurait à peine assez de puissance pour se faire basculer de l’autre côté. Des cris montaient au lointain : il ne fallait plus tergiverser. C’était encore la meilleure solution qui s’offrait à lui.

« Réfléchis ! le pressa l’Autre, dissimulant son appréhension. Tu ne peux pas rendre l’âme aussi misérablement. Qui sait si la Bête ne faisait pas de toi son jouet, restaurait ta personnalité et te soumettait à sa volonté ? Pense à tout le mal que tu ferais dans cette condition. Tu n’aurais plus aucun contrôle sur toi-même. Pense encore à tout ce qui reste à faire, et à tous ces mystères. Shangrila… L’O-3 Corporation. Tu ne peux pas décemment mourir maintenant. De plus, c’est totalement contraire à une Règle Universelle Mystérieuse.

- Une Règle Universelle Mystérieuse ? » reprit en écho Ash, la voix cotonneuse.

La vie s’échappait déjà de son corps.

« Trop abstrait pour l’occasion. Je peux encore te sauver et tout arranger. Je me montrerai extrêmement conciliant. Tu sais que j’en ai le pouvoir… Ce que tu me refuses depuis tout ce temps, tu n’as plus qu’à l’accepter, et tout rentrera dans l’ordre. Un simple oui, un petit oui suffira pour sceller notre accord. Mais je ne peux rien faire sans y être invité. »

Mensonge, pensait Ash. Il referma les yeux et inspira à fond. Il vacillait et sentait une brume couvrir son cerveau.

On dit souvent que lorsque la Faucheuse arrive pour faire son travail, les dernières secondent s’étirent bien plus longtemps que leur durée temporelle admise, et qu’on revoit en flash-back des tas d’images de la vie passée. Ce n’est pas ce qui se passa pour lui. Même à l’article de la mort, sa mémoire restait tout aussi floue, et le monde restait gris, noir et blanc, si triste, si misérable. C’est à peine si quelques scènes en lambeaux de la période passée à Camp Darwin se manifestaient.

Il se revoyait en train de traîner le futur cadavre de Rockwell. Juste avant sa traversée du désert, et le début de son amnésie véritable. Quelle folie d’avoir voulu entreprendre de trop grands projets ! Il aurait du partir dès les premiers signes annonciateurs de la tempête. Il n’avait pas écouté la pulsion rouge de danger qui avait hurlé de toutes ses teintes agressives, ni l’avertissement du fantôme d’Edward. Il en payait le prix. Bha, pourquoi se lamenter en lui-même ? S’il n’avait pas donné son accord pour faire partie du Programme, il n’aurait même pas survécu aussi longtemps.

En guise de cadeau d’adieu, il offrit ce « oui » que désirait tant l’Autre. Quelle importance ? Tout était terminé pour lui, et il le rejoindrait dans la tombe en tant que sous-produit de son psychisme. Ou autre.

Une sensation merveilleuse le saisit- des ailes le portant dans les airs. Et effectivement, il vola pendant quelques mortelles secondes, dans une béatitude innocente. Il ne perçut pas sa chute, ni le mouvement des zombies qui se rapprochaient de lui en gémissant.

L’Autre regardait, incarnation du morne, la rambarde qui avait cédé. Enivré de remporter la victoire in extremis, il n’avait pas fait attention à l’individu qui avait surgi pour donner une poussée à Ash Twilight. Le fauteur de trouble, inconscient de sa présence, regardait en bas avec une expression de joie cruelle et intense. Lorsque les exclamations des sentinelles se rapprochèrent, il décampa aussi sec, non sans que le double infidèle du professeur n’ait gravé son visage dans sa mémoire. Par curiosité, il examina aussi les alentours des douves ; on ne voyait déjà plus le psychologue, emporté par la marée morte-vivante. Le ciel sombre n’arrangeait rien.

Il soupira. Ce n’était pas exactement ce qu’il avait prévu. Il donna un dernier coup de dent dans le fruit juteux, puis laissa tomber le trognon évidé sur les planches. Un souffle plus tard, il avait disparu.

 

A quelques dizaines de mètres de là, Pauline tomba à genoux, et se mit à pleurer sans pouvoir se l’expliquer rationnellement. Quelques secondes après, ses larmes furent dissimulées par la pluie qui commençait à tomber en fines gouttes. Lentement, puis de plus en plus vite, les zombies se mirent tous à bouger à la recherche d’un abri, emportant celui qui avait été, croyait-il, Ash Twilight.

Au même moment, encore à un autre endroit, Maverick lisait une lettre, lettre qu’il aurait cru devoir rester jusqu’à la fin au fond de son bureau. Les journées prochaines s’annonçaient riches en événements… De quoi retourner la situation en sa faveur.

Simultanément, d’autres signes émergèrent à des endroits différents- la chevalière de Moonlight scintilla puis tomba de son doigt sans raison précise alors qu’il sentait un souffle au cœur, provoquant l’inquiétude de Mystie qui courut soutenir le géant blond. La Bête s’arrêta, en train de croquer un de ceux qui n’étaient pas aptes à faire partie de la race élue ; ce qu’était devenu Miles grogna de déplaisir en portant les mains à sa tête difforme.

Sur Aznhurolys la lointaine, le cœur tiède de Zagor s’emballa brusquement, pincé inexplicablement. L’incident passa inaperçu tandis qu’il réduisait mécaniquement en cendres une personne venue prendre audience et qui lui avait souverainement cassé le pieds. Hegwalz, son second Nozelar, n’y vit là qu’une réaction banale et oublia la chose.

 

Dans les Lymbes crées sur cette Terre, un doigt ganté se posa sur l’interrupteur du nécroscope. L’image tremblota, puis disparut dans le néant avec un chuintement.

Comme si Camp Darwin n’avait jamais existé.

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