Empathie intergénérationelle

Chapitre 1 : Empathie intergénérationelle

Chapitre final

6495 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 30/04/2018 21:09


Cette fanfiction a été écrite dans le cadre des Défis d'écriture de Fanfictions.fr(avril 2018). Le thème : parler d'un endroit mystérieux et oublié de tous, caché ou craint de tous, comme par exemple une pièce secrète ou qu'on ne s'attend pas à trouver là, un bunker dans un jardin...



Empathie intergénérationnelle 

 

An 3039 

 

Il ne me reste plus qu'une flèche. 


Aloy était dans une situation extrêmement compliquée, c'était le cas de le dire. La jeune rousse plissa ses yeux bleu clair dans la semi-obscurité de la nuit. Son cœur battait fort sous son poitrail en métal, et ses mains moites tenait l'arc bandé devant elle, prêt à dégainer sa dernière munition. Le faible clair de lune créait des illusions nocturnes qui ne facilitaient en rien sa tâche et augmentait sa nervosité. Elle balaya du regard la foule de grands sapins minces espacés et dénudés de leurs feuilles devant elle.  

 

Un crissement métallique fendit l'air qui fit bondir le cœur d'Aloy. Il était sur sa gauche, à quelques mètres d'elle. Il se matérialisa une nouvelle fois devant elle. "Il", c'était le Méca[1] qui donnait du fil à retordre à l'aventurière aguerrie qu'elle était. C'était un Traqueur, un quadripède mince aux mouvements véloces et nerveux, dont la principale dangerosité venait du fait qu'il pouvait se rendre totalement invisible ! Le canon sur son dos brilla légèrement, et la jeune femme n'eut que quelques secondes pour réagir.  

 

Elle sauta sur le côté en se réceptionnant avec une roulade, avant de s'adosser contre le tronc d'un arbre, tandis que le Traqueur tirait à feux nourris sur son ancien emplacement. Elle se retourna rapidement, banda son arc et tira en plein sur son canon. Ce dernier tomba en même temps que la flèche quelques mètres plus loin tandis que le monstre se rendait invisible de nouveau dans un cri de rage métallique.  

 

Désormais, je n'ai plus que ma lance. Parfait

 

Elle entendit les faibles bruissements de pas du Traqueur, tout autour d'elle, signe qu'il tournait autour d'elle comme un prédateur vicieux et joueur qui joue avec sa proie avant de la manger. Soudain, elle le vit de nouveau. Il ne s'était pas complètement dématérialisé, mais n'était plus complètement invisible. Le paysage qu'il tentait de copier était désormais déformé à cause de son corps, comme s'ils étaient sur un plan différent : elle avait réussi à le surprendre alors qu'il souhaitait se rendre visible de nouveau, à quelques mètres devant elle. Elle profita de cette occasion et envoya violemment sa lance qui alla transpercer le flanc du Méca.  

 

Ce dernier, qui était apparu tout à fait à visible, tomba sur le côté, surpris et mortellement blessé. Aloy se mit à courir vers lui tout en allumant son focus[2]. Il était censé lui montrer le point faible de la machine, mais il s'avérait que ce dernier était le canon sur lequel elle avait déjà tiré. La jeune aventurière arriva dans une glissade auprès du Méca. Il balança alors sa queue en l'air et vers elle, si rapidement qu'elle faillit bien en avoir la tête coupée : en effet, une lame tranchante trônait au bout qui brillait sous les lueurs de la Lune. Heureusement, elle l'avait esquivée de justesse. Elle arracha ensuite sa lance de son flanc, et avec une impulsion puissante, vint trancher la tête de la bestiole. 

 

Lorsqu'elle se redressa, elle se rendit compte qu'elle était trempée de sueur. Ses membres se mirent à trembler quelque peu, comme s'ils s'étaient retenus lors de la lutte afin qu'elle soit au top de ses capacités.  

 

— J'espère qu'il n'en a pas attiré d'autres à crier comme ça... ? 

 

Aloy ralluma son focus et balaya le bas de la colline sur lequel elle était, ainsi que les alentours. Apparemment, il n'y avait rien à signaler, mais elle se méfiait quand même. D'abord, parce que cela cette attitude lui avait maintes fois sauvé la vie auparavant, et ensuite, parce qu'elle avait remarqué que les Traqueurs n'apparaissaient pas sur son focus en devenant invisible. Or, les Mécas se déplaçaient souvent en groupe. Il était donc très probable qu'il y en ait d'autres. Elle s'agenouilla de nouveau auprès de sa victime, et commença à la fouiller. De son dépouillage, elle obtint quelques éclats de métals[3], et une lentille de Traqueur, ressource particulièrement rare et qu'elle pourrait vendre un bon prix au prochain marchand qu'elle croiserait.  

 

Alors qu'elle se relevait, son ventre se mit à gargouiller, presque aussi fort que le Traqueur qu'elle avait tué. Elle n'avait rien à manger, plus de munitions, et pas de cachettes pour la nuit. De plus, elle avait jugé bon d'avancer de nuit pour arriver plus vite à son objectif, et voilà qu'elle s'était retrouvée au bord de la mort.  

 

— Hum, comme d'habitude quoi... admit-elle avec un sourire. Bon, je vais tuer un petit lapin ou un raton-laveur, et trouver un endroit pour la nuit. 

 

Elle logea la lance dans son dos, récupéra sa flèche quelque pas plus loin, et descendit prudemment la colline.  

 

Aloy était une femme qui se parlait beaucoup à elle-même, qu'elle soit en combat, en pleine chasse, ou bien parcourant des vallées entières à dos de Galopeur. En effet, son activité l'obligeait à être une solitaire, et les différents voyages empêchaient les relations de se développer, de tel sorte qu'elle était la seule auditrice de ses problèmes. Toutes ses préoccupations et inquiétudes se répercutaient indéfiniment contre les parois de sa boîte crânienne, tant et si bien qu'elle avait des fois l'impression d'être folle.  

 

D'ailleurs, était-ce des voix dans sa tête, ou alors entendait-elle des hurlements de Mécas, mélangés à des bruits d'éclaboussures ? Elle trottina sur le reste de la colline, l'arc de nouveau à la main, slalomant astucieusement entre le arbres fins et squelettiques pour rester à l'abri de tout dangers. Elle arriva à un point d'eau dans lequel se déversait une cascade du haut d'une falaise d'une quinzaine de mètres, et qui se jetait dans une petite rivière qui se frayait un chemin dans la forêt de sapins. 

 

Un homme ou une femme courait vers la cascade, suivie de près par un Dents de Scie. Ce n'était rien d'autre qu'un gros mélange entre un chien et une hyène de plus de quatre mètres de haut. La rousse balança rapidement son regard des deux côtés avant de bander son arc, et de tirer sur le flanc de la bête. Il se retourna et rugit de colère face à l'affront aussi agressif qu'une piqûre d'abeille sur la peau d'un ours, la flèche toujours logée dans son corps. Une mer de feu semblait se déchaîner à l'intérieur de sa bouche dont les contours menaçants étaient façonnés dans le métal comme une rangée de dents composés uniquement de canines, tandis que ses yeux rouges la fixaient dans la nuit.  

 

Mais le vrai problème, c'est que son cri en déclencha une dizaine d'autres tout autour d'elle.  

 

Quoi ?!  


Elle activa rapidement son focus, alors que le Dent-de-Scie avalait en quelques enjambées le peu de mètres qui les séparait et tourna sur elle-même. Une vingtaine de Mécas de toutes sortes les avaient encerclés. Des Charognards[4], des Veilleurs[4], mais aussi des Étincelles[4]... ! 

 

Elle tourna de nouveau le regard vers son ennemi principal, et fonça vers lui alors qu'il n'était plus qu'à quelques enjambées. Le Méca bondit, toutes griffes dehors, tandis qu'elle glissait en dessous de son corps massif pour esquiver l'attaque. Le gros chien métallique fit quelques roulés boulés qui écrasèrent une dizaine d'arbres massifs sur son passage, mais se remit rapidement debout, prêt à charger.  

 

Aloy tordit son bras afin de prendre un piège explosif dans son sac et le posa à ses pieds.  

 

— Allez, mon beau ! Viens voir maman ! 

 

La bête n'attendait que ça... ! Elle se rua sur Aloy en hurlant de plus belle et écrasa alors le piège qui explosa sous la pression. Le Dents-de-Scie disparut sous une grosse boule de flamme qui s'empara de ses composants. Il ne pensa pas à plonger dans le point d'eau et sautilla en tournant autour de lui-même, déstabilisé par cette attaque à haute température qui brûlait ses circuits.  

 

Il faut que je bouge. Maintenant ! 

 

En effet, un Étincelle apparut dans le ciel et lui lança une bombe à gel. Elle l'esquiva en se dirigeant vers celui ou celle qu'elle avait voulu sauver. La personne lui faisait de grands signes de main à côté de la cascade. 

 

— Dépêchez-vous ! Allez, vite ! 

 

C'était une femme, avec une voix puissante et autoritaire. Aloy accéléra de plus belle pour contourner le point d'eau, alors que les grondements menaçants de Mécas se rapprochaient de plus en plus. Des ombres naissaient entres celle des grands sapins nordiques, et des paires de points rouges apparaissaient dans l'obscurité qui la suivaient avidement. Soudain, une silhouette sortit de la forêt sur sa droite et s'approcha aussi de la femme. L'aventurière dégaina sa lance et s'arrêta dans un dérapage et mettant le nouvel arrivant en joue. Elle n'était qu'à deux pas des deux inconnus qu'elle pouvait regarder plus précisément.  

 

La femme était grande et forte, à la peau noire, avec des longs cheveux noirs tressés dans son dos. Elle avait un pantalon et un haut en cuir animal beige. Sa poitrine était protégée par une grosse plaque de métal, ainsi que ses cuisses. Dans son dos trônait un arc et une lance croisés, ainsi qu'un carquois et une corde à sa ceinture, comme elle.  

L'autre, celui qui venait d'arriver, était un homme, encore plus habillé qu'elle, avec de la fourrure et beaucoup de couches de cuir animale. Il avait le torse tranché en diagonale et le sang coulait sur son haut déchiré, mais aussi dans sa grosse barbe grise et fournie, à cause d'une coupure au-dessus de l'œil. Il avait aussi quelques bleus. 

 

Elle devait avoir la trentaine, et lui entre quarante et cinquante ans, à vue d'œil.  

 

— Calmez-vous, il est avec moi ! s'exclama la femme. Maintenant, suivez-moi, nous devons aller nous cacher ! 

 

Elle trouva alors des appuis sur la falaise et se dirigea derrière la cascade. Aloy la regarda, perplexe, puis se retourna pour voir la progression des Mécas. Ils étaient de plus en plus proches. L'homme la suivit à son tour. Il semblait souffrir de sa blessure.  

 

— On dirait que j'ai pas le choix... ! marmonna-t-elle en rangeant sa lance.  

 

Elle le suivit à son tour en s'accrochant à la paroi froide de la falaise, cherchant nerveusement des fixations. Elle passa à quelques centimètres de la cascade qui projetaient un air glacé dans son cou, et des gouttelettes sur son sous-vêtement en lin, ainsi que sa brassière en cuir. Si elle tombait, elle se ferait écraser sous des dizaines de tonnes de pression qui la tuerait sur le coup. 

 

— On va où là ? Et vous êtes qui, vous ? 

 

Aloy eut rapidement la réponse à la première question. Ils arrivèrent sur ce qui semblait être une plateforme de roche humide. Une torche s'alluma dans un crépitement sourd, qui illuminait l'entrée d'une grotte, ou d'un passage souterrain artificiel.  

 

— Oh...  c'est une sorte de refuge ? 

— Ça fera office de refuge, en effet, répondit l'homme. Mais ce n'est pas pour ça qu'on est là, à la base.  

 

Alors qu'il se retournait vers elle, la lueur faible et rouge de la torche qu'il tenait en main éclaira son oreille. Il avait le même bout de métal triangulaire dessus. Immédiatement, elle regarda la femme et l'aperçut aussi. La sang d'Aloy ne fit qu'un tour. Elle pensait être la seule au monde à avoir eu contact avec ce bout de technologie... ! 

 

— Vous avez des focus ?! s'écria la jeune femme. 

— Des quoi ? 

— Ça ! Ce que j'ai à l'oreille ! Vous avez le même ! Où l'avez-vous trouvé ? 

 

Les deux inconnus se regardèrent entre eux, surpris.  

 

— Mais qui êtes-vous, en fait ? s'enquit doucement l'homme en sortant de nouveau sa lance. Comment avez-vous eu ça ? 

 

Aloy plissa des yeux, passant d'excitée à méfiante.  

 

— C'est plutôt à vous de me dire qui vous êtes ! fit valoir la jeune femme. Je viens de vous sauver ! 

— Pardon ? sourit narquoisement la femme.  

— Oui ! affirma-t-elle d'une voix forte. Je viens de vous sauver d'un Dent-de-scie, alors que j'étais à courts de flèches ! 

— Waouh ! ricana la femme noire en regardant son ami d'un air amusé. Devrions-nous nous prosterner devant notre sauveuse ? En tout cas, toute mes excuses pour ma présomption ! 

— Ce n'est pas ce que je... 

— Bon, écoute-moi bien, fillette ! grogna l'homme de sa voix rocailleuse. De un, c'est elle qui t'a sauvé. Sans ce passage, tu étais morte. J'ai compté pas moins d'une dizaine d’Étincelle, trois Ravageurs, une quinzaine de Charognards et cinq Dents-de-Scie. Et je ne pense pas qu'à ton âge, tu puisses te vanter de "sauver" une guerrière tel qu'elle. De deux... eh bien, nous sommes deux, et tu es seule. Alors à ta place, je ne fanfaronnerai pas.  

 

La rousse tint son regard avec un air de défi, les sourcils froncés. Mais il avait raison, elle ne pouvait pas les défier toute seule. Ils semblaient être de puissants guerriers.  

 

— Je m'appelle Aloy. Je suis une Chercheuse de la tribu Nora, finit-elle par dire à contre-cœur.  

 

Ce n'était pas exactement vrai. En fait, Aloy était née avec le statut de paria, loin de la tribu des Noras, parce qu'on ne connaissait pas ses parents. Sa seule chance de les intégrer les Noras était de participer à l’Épreuve, qui consiste en une course dans la nature, soumis à tous les dangers que cette dernière mettra sur leur route, seulement accessible à la majorité. Mais une fois après avoir réussi ce défi, les Braves, titre donné à ceux ayant remporté l’Épreuve, ont été victime d'une embuscade meurtrière et dévastatrice dans laquelle les récents amis d'Aloy et son père adoptif trouveront la mort.  

 

La jeune femme fut prise d'une peine, d'un remord et d'un sentiment de culpabilité d'autant plus profond que cette attaque n'était destinée que pour elle ! Afin de comprendre les motivations de ces meurtriers, et pour venger les Braves ainsi que son père, Aloy a donc décidé de partir hors des Terres Sacrés (zone dans laquelle les Noras s'autorisent à circuler), et a donc pris le statut de Chercheuse.  

 

De rappeler son statut à ces inconnus lui rappela pour la première fois depuis des mois ce qu'il s'était passé ce jour-là. Jamais elle n'avait eu aussi peur, ni aussi mal. Et pourtant, elle n'avait jamais versé une larme suite aux événements. Tout avait été trop brusque, irréel, comme hors du temps, hors de ce petit cocon confortable de réalité qu'elle s'était créé, avec la tribu qui l'acceptait enfin, son père, toujours à ses côtés, son nouveau statut de Brave... S'en rappeler lui faisait plus mal qu'elle ne l'aurait voulu...  

 

— Comment tu as eu ce... comment tu l'appelle déjà ? 

 

La question de l'homme la ramena brusquement au présent.  

 

— Focus. Je... Je l'ai eu toute petite dans des ruines... ou plutôt, des vestiges d'un ancien temps.  

— Depuis quand nous suis-tu ? demanda la femme. 

— Je ne vous suis pas ! Je... Je me dirigeai vers le nord pour explorer ces contrées et j'ai décidé de continuer mon voyage de nuit pour gagner du temps. Mais je me suis fait piéger par un Traqueur. J'ai réussi à l'abattre avant que son troupeau n'arrive, et je me suis mis à chercher un peu de quoi manger... C'est à ce moment-là que je vous ai vu.  

 

Elle avait menti. Aloy ne voyageait pas dans le but de simplement explorer des contrées... ! Mais elle se réservait bien de leur dire la véritable signification de son pèlerinage vers le nord, pour des raisons de sécurité. Les deux inconnus se regardèrent de nouveau, un peu plus rassurés.  

 

— C'est nous qui avons abattu le troupeau de Traqueur, éluda-t-il avec un sourire en rangeant sa lance. Il devait en rester un lorsque nous sommes partis. 

 

Il lui tendit la main.  

 

— Mon nom est Thorn. Et voici Velma. Nous avons aussi trouver ces focus dans des vestiges. Il semblerait que notre rencontre soit fortuite. Tant mieux.  

— De qui vous méfiez-vous ? 

— Personne, répondit brusquement Velma alors que Thorn ouvrait la bouche. 

— Allons, Velma... Elle a été honnête avec nous. 

— Tu restes là pour la surveiller. Moi, je vais rentrer comme prévu.  

— Vous êtes venu inspecter cette grotte ? s'enquit Aloy, les yeux écarquillés de surprise. 

— Tu n'as pas besoin de le savoir, trancha-t-elle. De toute façon, tu restes ici. 

— Hey, j'ai autant le droit que vous d'entrer me réfugier, que vous le vouliez ou non !  

 

Tandis qu'ils parlaient, les Mécas se rapprochaient de la cascade, cherchant un moyen de la traverser sans devenir une épave de métal sans vie au fond de l'eau.  

 

— Il y a des Charognards, Velma... ! Ils analysent sans cesse la zone et savent que nous sommes ici. Ils n'hésiteront pas à tirer à feux nourris d'une seconde à l'autre ! 

— Tu veux prendre le risque, vraiment ? 

— On en peut pas la laisser mourir ici.  

— Soit. 

 

Velma s'approcha de l'entrée de ce qu'Aloy avait comme une grotte dans l'ombre. C'était en fait l'entrée d'un souterrain. Des lumières violettes s'allumèrent sur les bords d'une grosse porte épaisse et métallique. Elle approcha ses mains du verrou électronique et fit apparaître un hologramme violet clair et translucide qu'elle fit pivoter. La porte s'entrouvrit doucement, et Velma continua de la pousser. 

 

Aloy avait déjà maintes fois fait cette manœuvre en entrant dans des vestiges que son village considérait comme des endroits à éviter. Ils étaient cachés, partout sur le territoire, et craint pour leur technologie d'un autre temps. Personne ne savait vraiment ce qu'ils étaient, mais les rares qui y mettaient les pieds déconseillaient fortement les curieux d'y faire un tour.  

 

L'ouverture de la porte amena une vague d'air chaud et renfermé, avec une odeur à la fois acide et putride. La porte débouchait sur un couloir avec des barres lumineuses blanches au plafond. Il tombait régulièrement des gouttes d'eau de ce dernier. 

 

— J'ai une idée, fit soudain Velma en se retournant. On va prendre de l'avance. Compte jusqu'à soixante, et tu pourras partir. 

— Non mais je rêve ! 

— Tu as intérêt à faire ce que je te dis, l'avertit Velma. Crois-moi... tu n'as pas envie de nous recroiser ! 

 

Aloy fut surprise de voir qu'un regard pouvait à la fois exprimer un avertissement, ainsi qu'un aperçu des conséquences qui lui tomberait dessus si elle enfreignait les règles. Instinctivement, elle se rappela avoir aperçu cela chez son père adoptif, à moindre intensité. Il lui vint alors à l'esprit que Velma essayait de lui faire peur pour la protéger, comme quand son père lui disait de ne pas visiter les vestiges, et il lui vient en tête l'idée troublante que c'est le regard qu'aurait donné une mère à son enfant pour l'avertir d'un grand danger.  

 

L'espace d'une demi-seconde, elle se sentit toute petite devant elle, comme si elle était de nouveau redevenue enfant, et qu'elle avait retrouvé sa mère. L'idée partir aussi vite qu'elle était venue, et Aloy secoua légèrement la tête, comme pour s'assurer qu'elle ne pensera plus à des choses aussi bizarres. 

 

— C'est sûr que j'ai plus envie d'avoir affaire à vous, confirma la jeune femme alors que les autres bifurquaient en suivant le couloir.  

 

La jeune femme croisa les bras et tapa du pied, excédée par le ton de cette femme. Elle ne s'attendait pas à être chouchouté, mais ayant elle aussi une forte personnalité, elle n'appréciait pas d'être en position de faiblesse.  

 

Concrètement, ces souterrains étaient des sortes de labyrinthes. Mais de ce qu'elle savait, ils n'avaient qu'une entrée, donc il était difficile de se perdre. Un grognement caractéristique la fit brusquement tourner sur ses talons. Une meute de Charognards l'attendait à la porte, gueule ouverte et canon sur le dos prêt à tirer.  

 

Comment sont-ils arrivés là ?! Eh merde ! 

 

De mémoire, elle se rappelait n'avoir plus qu'une bombe explosive. Trop peu pour tous les gérer, mais suffisamment pour lui permette de s'échapper. Elle lança l'une d'elle en direction de la porte et sa cacha derrière la bifurcation du couloir. La détonation fit dangereusement vibrer les murs, le plafond, le sol, emplissant l'atmosphère d'une poussière épaisse qui l'asphyxia. En même temps, le bruit sec de l'explosion fut suivie par un autre bruit. Elle jeta un coup d'œil et comprit qu'un éboulement avait commencé.  

 

Immédiatement, elle se remit sur ses jambes et courut devant elle, vers une cage d'escalier à moitié défoncé et couvertes de moisissures qui l'amenait à l'étage d'en bas. Elle glissa sur l'une d'elle en arrivant en bas et se réceptionna en roulés boulés au bas des marches. Là aussi, la poussière rendait l'atmosphère irrespirable. Aloy avança dans un couloir large et illuminé, la main devant la bouche et le nez. Des deux côtés du grand corridor, elle vit des petites pièces avec des lits à étages. Elle entra dans l'une d'elle et se recroquevilla sur l'un des lits, à l'abri du plafond qui faisait pleuvoir cette brume épaisse.  

 

Des grondements sourds la tinrent dans un état méfiant. Elle fixait le couloir d'un air nerveux, la main serrée sur sa lance. Son arc de guerre et son arc de précision était inutilisable, elle n'avait plus de pièges, plus de bombes... Seul son lance-corde pouvait constituer une faible défense. Son regard s'attarda sur la table de chevet. Une pile de feuille de papiers jaunies, craquelées et monstrueusement secs y gisaient. A côté, du texte défilait sur un triangle violet. Elle avait déjà vu ce genre de technologie. Son focus en faisait partie. Elle activa ce dernier et regarda le triangle translucide.  

 

Son appareil se mit instantanément à télécharger le texte. Quelques secondes plus tard, celui-ci défilait directement dans son champ de vision. Apparemment, c'était une lettre qui datait de plus d'un millénaire, plus précisément neuf cents ans. 

 


"J'aurais adoré être un môme. N'être qu'un bambin dans tout ce désordre apocalyptique, dans toutes ces menaces contre notre espèce et crées par notre espèce. J'aurais adoré ne pas comprendre ce qui se passe, ne pas avoir les capacités cérébrales de remédier à la solution, ne pas avoir été convoqué par le gouvernement et avoir le choix entre agir en tant que citoyen intellectuellement alerte ou mourir par injection médicale. J'aurais adoré vivre dans un bunker avec des dizaines d'autres mômes à jouer avec des avions en papiers, faire le beau auprès des filles, m'inquiéter d'une dispute avec mon meilleur pote alors que le monde brûlait derrière les murs qui nous protégeaient. On ne choisit pas sa famille. On ne choisit pas son époque. Et bien moi, j'ai l'impression d'avoir eu le jackpot. Un père absent, une mère sectaire alors que les fondations de notre civilisation volaient en éclat, et l'annonce d'une fin du monde alors que j'entamais à peine ma trentaine. 


Des milliards d'années à faire de la merde, et c'est à notre génération de réparer les dégâts... ! Eh bien je vais le faire. J'ai suffisamment chouiné. Par solidarité intergénérationnelle, cette solidarité humaine qui se doit de transcender les millénaires, je me dois de penser aux possibles générations futures. Sûrement ne sauront-elles jamais ce que nous avons fait, mais si à tout hasard, vous, mes enfants, il vous arrive de tomber sur ce message. Sachez que sans nous, vos ancêtres, vous n'existeriez plus. Longue vie à notre espèce détestable et destructrice. Longue vie à vous, mes enfants.


Nelson"



D'un mouvement de main, Aloy fit glisser le texte hors de son champ de vision, profondément perturbée. Elle avait déjà lu des messages de la sorte, vieux de plusieurs centaines d'années, et ils avaient tous des tons différents, mais dans l'absolu, ils parlaient d'une époque qui était définitivement révolue. Elle avait déjà essayé d'en parler à quelqu'un, de dire que des humains tels qu'eux avaient existé auparavant, et que les Méca n'existaient pas encore à cette époque, mais elle n'avait réussi qu'à se faire passer pour une folle, voire, une hérétique à brûler.  

 

Sans comprendre pourquoi, elle éprouvait une sorte de grande et douce tristesse qui ressemblait à de la mélancolie en lisant ces lettres, comme si elle arrivait à ressentir la détresse des auteurs, malgré le millénaire qui les séparait, et les mots qu'elle ne comprenait pas, tel que "avion", "bambin", "jackpot", ou encore "alcoolique". 

 

Elle releva les yeux, et regarda dans le couloir. La fumée s'était considérablement estompée, même si l'air était encore très sec, mais cette info prit tout de suite une nature secondaire dans son cerveau : en effet, autre chose venait de capter toute son attention. Au milieu du corridor, frappant le sol métallique de ses pattes, un Charognard venait juste de tourner la tête vers elle. 

 

Il a survécu à l'explosion... ? 

 

Immédiatement, il se mit en position d'attaque. Aloy s'extirpa du lit puant, arrangeant au passage ses mèches sauvages, et s'arma de sa lance. Le Méca courut brusquement vers elle. Automatiquement, elle fit swinguer sa lance dans sa gueule et le propulsa contre la table de chevet qui s'effrita littéralement sous le choc, le triangle contenant le texte s'éclatant en multiples bris de verres. Malheureusement, la bête ne s'était pas complètement retournée, et balança ses griffes vers elle en déchirant les bandes ce cuir enroulé autour de ses abdominaux.  

 

Aloy recula de quelque pas, les dents serrés pour atténuer la douleur, et tenta de transpercer la tête du Charognard. Ce dernier esquiva, et mordit le bout de la lance. 

 

— Ah ça, non ! Pas ma lance ! 

 

Elle tira brutalement sur cette dernière, emmenant la bête avec elle. Les Charognards étaient des machines qui étaient attirés par leurs congénères morts, et qui en mâchaient les principaux composants pour les recycler. Ils avaient donc une mâchoire extrêmement puissante. Il fallait absolument qu'elle l'empêche de prendre appui et découper net le bout de sa lance. Une fois la bête proche d'elle, elle passa ses jambes autour de sa tête, comme si elle le chevauchait, et leva sa lance vers le ciel.  

 

Le Charognard qui ne voulait pas lâcher l'arme, étant friand de métal, laissa sa tête se tordre sous la manœuvre d'Aloy, jusqu'à ce que sa tête se détache presque délicatement de son corps. La jeune femme retrouva sa lance, dont le bout était toujours mordu par la tête du Charognard pourtant mort. Avec difficulté, elle réussit à l'en détacher, et la jeta dans un coin.  

 

— Il faut vraiment que je regarde mon focus plus souvent, au lieu de me faire surprendre comme une vulgaire débutante... ! murmura-t-elle en analysant minutieusement le bout de sa lance.  

 

Soudain, elle se retourna violemment vers le coin où elle avait jeté la tête, subitement prise d'un doute. Le coin en question n'était pas perpendiculaire, comme l'aurait laissé penser la rectangularité de la pièce, mais c'était plutôt un amoncellement étrange de moisissures et de bâtons jaunes. Elle se rendit très vite compte que ces derniers étaient en fait un squelette, emprisonnée dans une chape de moisissures mélangé à quelques choses qu'elle n'avait pas envie de connaître. C'était sûrement l'auteur de la lettre.  

 

Frappée d'horreur, elle ressortit de la pièce en grimaçant, désormais peu sujette à en explorer d'autre. La cage d'escalier derrière elle avait été réduite en miettes par les éboulements qui avaient causés un mini-séisme dans ces souterrains. Des barreaux de lumières blanches pendaient perpendiculairement et paresseusement du plafond, avec un faible mouvement de balancier, tandis que d'autre s'éteignaient, avant de se rallumer, et ainsi de suite. 

 

— Mince, je ne peux plus sortir... Il va falloir que je sorte d'ici... Mais par où ? 

 

Elle n'était pas claustrophobe, mais de se savoir bloqué dans ces souterrains la désespérèrent un peu. Elle continua d'avancer jusqu'à une double porte à peine entrouverte. Aloy inséra ses doigts dans l'espace et força pour les ouvrir dans un grincement inquiétant. Devant ses yeux apparut alors le vide, sur une dizaine de mètres, avec des tuyaux sur les parois, et des bouts de fils électriques sortant du mur ou entrelacés entre eux comme des lianes. 

 

— Velma ! Thorn ? 

 

Étaient-ils descendus ici ? En tout cas, elle était bien obligée de chercher une sortie en continuant de s'enfoncer, et descendre par ce passage ne lui faisait pas du tout peur. Elle s'était souvent retrouvée à une vingtaine de mètres du sol sur des structures millénaires, bancales, qui se cassaient sur son passage. C'était des expériences qui vous immunisaient complètement. La peur était toujours là, car vitale pour la survie d'un être humain. Mais ses gestes se faisaient plus sûrs, moins nerveux ou maladroits, et elle se trouvait aussi agile qu'un Traqueur en descendant à l'aide des tuyaux. 

 

Ses mocassins heurtèrent le sol sol en provoquant un bruit grinçant et désagréable, avant qu'elle ne sorte rapidement dans un nouveau couloir. 

 

Elle voulut alors appeler de nouveau Velma et Thorn, mais quelqu'un apparut derrière elle et lui mit brusquement la main devant la bouche, avant de la déséquilibrer pour l'emmener dans une petite pièce annexe. Là, la personne l'amena derrière un gros bloc de métal, alors qu'Aloy commençait à entendre des bruits de pas dans le fond.  

 

Lorsqu'elle fut libérée de son emprise, la jeune rousse se retourna, prêt à contre-attaquer. A sa grande surprise, elle vit alors Velma, le doigt devant la bouche pour lui signifier de se taire, tout en faisant un signe de la tête, vers les bruits de pas qui approchaient. Aloy hocha, signe qu'elle avait compris, et s'appuya contre le mur à ses côtés. 

 

— Où est Thorn ? 

— Capturé. 

 

Hein ? Comment ça capturé ? 

 

Les personnes dans le couloir leur étaient certainement hostiles. Elle savait que les bandits n'avaient ni foi ni loi et n'hésitaient pas à braver les interdits pour piller les vestiges. Il était juste particulièrement mal venu d'en croiser maintenant, alors qu'elle n'avait plus que sa lance, et que la seule sortie du souterrain était fermée. Elle serra sa seule arme, et regarda Velma. Cette dernière lui rendit son regard, et elles hochèrent la tête d'un air déterminé. Sans parler, elles s'étaient comprises. Elles allaient devoir se battre et s'entendre pour sortir de ce pétrin, dont Aloy était partiellement responsable. Bizarrement, cette dernière était moins angoissée qu'il y a quelques secondes. Certes, elle n'était pas habituée à avoir de la compagnie, mais elle allait retrouver ces scènes d'actions qu'elle aimait tant, et retomber dans sa zone de confort : c'est-à-dire, sa battre au péril de sa vie pour survivre. 

 

 

[1] : les Mécas sont des créatures robotiques très avancées qui imitent différentes formes de vie qui existaient auparavant, comme les oiseaux, des mammifères ou les dinosaures. Présentes en grand nombre, elles dominent à présent la Terre après la destruction de la civilisation humaine. Certaines Machines sont extrêmement hostiles vis à vis des humains survivants, mais d'autres sont pacifiques et n'attaquent pas sans provocation. Il semble aussi que les machines coexistent avec la faune naturelle, vous pourrez donc occasionnellement croiser des lapins ou des sangliers entre autres, cela explique d’où proviennent les fourrures des chasseurs (source:millenium.org) 


[2] : Le focus est une sorte d'oreillette électronique multi-fonction qui permet notamment à Aloy d'analyser les Méca, de connaître leurs composants, mais aussi leur point faible. Ce petit appareil de réalité augmentée réagit à la voix et peut communiquer avec d'autre focus, mais aussi interagir avec des technologies de son temps (il peut alors projeter des scènes d'une vie passée). 


[3] : On les trouve sur les Méca et les marchands les prennent en échange d'équipements. Aloy s'en sert donc comme monnaie d'échange, même si ce n'est pas la seule monnaie de ce monde (du moins, de mon point de vue. En effet, tout le monde ne peut pas aller chasser une machine pour récupérer des éclats de métal. Il est donc logique de se dire que le troc marche avec tout, des objets anciens et rares, des reliques, de l'or...) 


[4] : Les noms s'étant pas très explicites, voici une petite précision. Les Charognards sont des quadrupèdes de la taille d'un gros lion avec un canon sur le dos, et qui peuvent détecter une présence grâce à leur radar. Les Veilleurs sont quant à eux... eh bien, des sorte de gros tubes métallique sur pattes avec un œil au bout qui surveillent les alentours pour d'autres Mécas. Quant aux Étincelles, ce sont l'équivalent en Méca des Vautours, mais de deux mètres de haut, et de plus de quatre voire cinq mètres de largeur, toute ailes déployées. 

 

 

NB : J'aurais aimé insister sur ce rapport qu'à Aloy au lointain passé, car c'est le cœur de son attirance pour ces endroits cachés et interdits (sûrement auraient-elle été une archéologue intrépide dans une autre vie... un peu comme Tomb Raider, tiens^^). J'espère que vous aurez apprécié ce timide O.S pour le défi d'avril ! Comme toujours quand je fais mes histoires, j'imagine une suite, vous avez pu le voir avec la fin. Je compte l'écrire, mais j'aimerais bien, un jour, écrire une petite histoire avec un début et une fin (comme mon O.S sur One Piece et en moins long) et non pas avoir des projets démesurés sur des cinquantaines de chapitres ( et donc irréalisables lol). Bref, merci d'avoir lu, n'hésitez pas à aller voir les histoires des potes, et à bientôt sur le site ^^.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


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