"Always protect myself"

Chapitre 2 : Le voyage

2766 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 10/11/2016 08:43

Bonjour/Bonsoir. Voilà le deuxième chapitre que je publie avec un retard énorme, j'en suis désolée, la rentrée m'a pris un temps que j'avais sous estimé. Mais le voilà enfin publié, en espérant qu'il vous plaira et que j'arriverai à écrire le troisième chapitre plus rapidement que celui-ci.

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Je suis morte. Je suis vivante, mais je suis morte. Étrange comme concept. Pourtant c'est ce que je ressens. Ou, tout au moins, si je ne suis pas encore morte, c'est comme si je l'étais déjà. Enfin pour moi en tout cas. J'ai toujours pensé que si j'étais choisie pour participer aux Hunger Games, je pleurerais, je m'effondrerais. Et je me suis toujours demandée comment les tributs faisaient pour sourire et paraître détendus lors de leur interview, la veille des Jeux. Maintenant, je ne peux pas encore dire que je comprends, mais j'arrive à l'imaginer.

 

J'ai pleuré, c'est vrai. J'ai pleuré quand ma famille et mes quelques amis sont venus me dire adieu. Je le regrette d'ailleurs. Parce que la dernière fois qu'ils m'auront vue, j'étais en larmes. Mais maintenant, il n'y a plus rien. Je ne ressens plus que... du vide. Peut être que c'est une forme de résignation. Peut être que, maintenant qu'il n'y a plus rien à faire, je n'ai plus qu'à accepter ma mort. Ça paraît simple comme ça. Les formes vertes floues filent devant mes yeux. J'imagine que ce sont des arbres. Oui, ça doit être cela, ça fait un moment que le train longe une forêt. Et ça fait un moment que je suis assise là, à regarder le paysage défiler sans vraiment le voir. Je serai incapable de dire depuis combien de temps nous sommes parti du huit. Je sais que, Léo et moi, on nous a fait monter dans le train juste après avoir vu nos proches, et depuis on file à quelques centaines de kilomètres-heure vers cet endroit qu'on appelle le Capitole.

 

Costume-orange nous a dit qu'on arriverait demain matin, mais ça ne me fait ni chaud ni froid. Quand j'étais petite, je rêvais de découvrir le Capitole avec tous ses habitants et toutes ses richesses. Sauf que je ne pensais pas y aller un jour. Maintenant que je suis forcée de m'y rendre, cet endroit me paraît bien moins attrayant... Bon, pour être honnête, je ressens quand même quelque chose :j'ai même peur d'y être. J'ai peur de rencontrer mon styliste (et s'il me faisait défiler complètement nue?), j'ai peur de m'exposer aux regards de tous ces détraqués du Capitole complètement obnubilés par les Jeux, j'ai peur de me confronter aux autres tributs en sachant que l'un d'entre eux me tuera sûrement... Et j'ai peur de l'arène bien sûr. Mais étrangement, ce n'est pas la perspective de mourir qui m'angoisse autant (ça, je m'y suis faite... enfin je crois), c'est plutôt l'idée de souffrir devant des milliers de regards avides, devant des gens qui parieront sur mes infimes chances de survie et qui acclameront celui qui devra tuer pour survivre. Devant des détraqués en résumé. Je soupire et laisse le vide reprendre sa place en moi. Je ne pensais pas que ce serait aussi simple de remplacer sa peur par du « vide ».

 

J'entends un bruit de pas étouffé par la moquette et je me détourne de la fenêtre. Léo s'installe sur le siège en face de moi. Je prends délibérément le temps de le regarder. En fait, même si ce n'est pas flagrant, il a un physique un peu particulier : il est large d'épaule et assez grand mais il n'a pas la musculature à laquelle on pourrait s'attendre. Du coup, le rendu est un peu étrange... Ses cheveux blonds sont coupés très courts et ses yeux marrons brillent d'une lueur indéfinissable. Ils sont l'exact opposé des miens. Je le sais pour avoir vu leur reflet sur la vitre du train : mes yeux à moi sont éteints. Mais bon, j'imagine que ça ne change pas grand chose.

 

- ça va ? Me demande-t-il soudain.

 

Je le regarde et il me faut quelques secondes pour décider comment répondre à sa question. Finalement, je choisis de ne pas lui répondre du tout.

 

- Et toi ?

 

Ses yeux dévient vers la fenêtre. Je suis son regard avant de poser le mien sur son visage. Puis je regarde ses mains, qu'il a posées sur ses genoux, paumes vers le haut. Elles sont abîmées, bien plus que les miennes. Les colorants usent les mains au fur et à mesure, quand on travaille dans l'usine, mais ça n'a rien à voir avec les mains de Léo, écorchées à cause du coton.

 

- Tu as l'air calme. Me fait-il.

 

Eh ! C'est ma technique ça, de ne pas répondre ! Qu'il s'en trouve une autre ! Cette fois-ci, je hausse les épaules. S'il ne veut pas me répondre, moi je lui répondrai. Et non, ce n'est pas une réaction totalement puérile.

 

- J’imagine que c'est le calme avant la tempête. Répond-je

 

En fait je n'en sais rien, mais c'est la première réponse qui m'est venue à l'esprit. Je n'en sais rien, si après le « vide » il va y avoir la tempête, ou si je suis vouée à ne plus rien ressentir du tout jusqu'à ma mort (quoique même si j'aimerai que ce soit le cas, j'en doute beaucoup... je me vois très bien craquer et fondre en larmes devant tout Panem). Je suis interrompue dans la liste d'humiliations qui pourraient très bien m'arriver, par Costume-orange et notre mentor qui entrent dans le wagon. Costume-orange, il n'y a pas grand chose à dire sur lui, mis à part qu'il a l'air d'être ravi d'être ici, tout comme il a l'air d'être ravi partout où il va. En revanche, j'observe notre mentor. C'est l'homme que j'ai aperçu plus tôt sur l'estrade du huit. Je lui donnerai une cinquantaine d'années, mais je crois qu'il n'en a en vérité qu'une quarantaine. Ce qui le vieillit tant, c'est son visage fatigué, son regard las et éteint, ses épaules voûtées et ses cheveux grisonnants. Et pourtant, contraste étonnant, j'ai l'impression qu'il est toujours aux aguets, toujours prêt à bondir au moindre mouvement suspect. De petites lunettes sont posées sur son nez. Il nous regarde chacun notre tour, Léo et moi, et j'ai l'impression qu'il nous jauge. Peut être qu'il se demande si ça vaut la peine de nous entraîner ou si, de toute façon, nous sommes voués à l’échec dans l'arène. Je ne pense pas qu'il y ai besoin de me regarder bien longtemps pour savoir que je ne tiendrai pas deux heures. Je n'en ai même pas envie d'ailleurs, de tenir deux heures. Costume-orange s'avance.

 

- Les enfants, vous connaissez déjà Clet Saunders, il sera votre mentor, lance-il de son ton enjoué.

 

Je le regarde. Oui, on le connaît, et oui, on est des enfants que vous envoyez à l'abattoir. Sauf que je n'ose pas lui dire ça en face, alors je me tais. C'est marrant comme je suis capable de me dégonfler face à n'importe quelle situation alors que je vais devoir me battre pour survivre. Enfin « me battre », c'est un bien grand mot dans mon cas. Clet Saunders s'assied sur un fauteuil libre et allume d'un geste l'écran plat en face de lui.

 

- Merci Jill. Maintenant trêve de courtoisies futiles et complètement inutiles...

 

Il fait une petite pause en nous regardant par dessus ses lunettes. Je tique : Jill ? Ah oui, c'est vrai : Costume-orange. C'est son prénom.

 

- Passons à ce qui vous intéressera sans doute bien plus, reprend Saunders en indiquant l'écran d'un signe de tête.

 

Je me tourne pour le regarder, cet écran. Caesar Flickerman, le présentateur des Jeux depuis plus de vingts ans, est en train de commenter les Moissons des différents districts. Cette année, il n'a pas teint ses cheveux en blond, non... ils sont jaunes, littéralement. Ça me fait un peu peur. Surtout quand j'imagine qu'il assortira ses paupières et ses lèvres de la même couleur, lors des interviews et pour le lancement des Jeux. Parce que, je me répète mais ce n'est décidément pas du blond mais bien du jaune poussin. Beurk. Quoi qu'il en soit, les Moissons sont rediffusées dans la soirée et nous avons raté celle du district un. Nous assistons maintenant à celle du deux, où je vois une magnifique fille se porter volontaire. Elle s'avance vers l'estrade – qui à l'air bien plus solide que celle que nous avons au huit – d'un pas assuré et arbore un sourire étincelant quand l'hôtesse du district lui demande son nom et son âge. Ensuite, l'hôtesse tire au sort le nom d'un garçon de douze ans. Je le regarde avancer vers l'estrade et ce qui me choque, c'est qu'il n'a pas l'air plus secoué que ça. C'est après que je comprends : plusieurs mains se lèvent rapidement quand l'hôtesse demande s'il y a des volontaires. Le désigné par le sort n'ira pas aux Jeux, quoi qu'il arrive un autre se portera volontaire. Les autres Moissons s'enchaînent, et elles ressemblent bien plus à celles que je connais au huit : pas de volontaires, que des noms tirés au sort et des visages blêmes qui montent sur l'estrade. Je vois une fille tenter tant bien que mal de retenir ses larmes, avant de les laisser couler sur ses joues dans le district six. Je détourne le regard. Je ne sais pas pourquoi, mais ça me gêne de la regarder bredouiller son nom à son hôtesse de district. Peut être parce que je m'imagine à sa place, en larmes devant tout Panem. D'ailleurs... est ce que j'ai pleuré, quand je me suis fait appelée ? Je ne sais même plus, ce moment me paraît flou. Je n'arrive même plus à me souvenir précisément de ce moment. Je prends une grande inspiration. Ça ne fait rien, ça ne change absolument rien. Enfin je crois... Je regarde Léo. Il fixe l'écran, l'ai concentré. Est ce qu'il pense déjà à la manière dont il essayera de tuer tous ces tributs ? Je reporte moi aussi mon attention sur la Moisson du district sept maintenant. C'est une fille du nom de Gwendo et un dénommé Will qui sont envoyés à l'abattoir. Et puis c'est notre tour. Je me vois monter sur l'estrade et je m'entends à peine dire mon âge, tant ma voix est étranglée. Néanmoins je suis rassurée : je n'ai pas pleuré. Puis c'est Léo qui monte sur la scène et le reste des Moissons défilent. Mon cœur se serre malgré moi quand un enfant de douze ans est tiré au sort dans le district dix. Enfin, les tributs du douze sont sélectionnés et ils m'ont l'air encore plus maigres et démunis que nous. De tous les districts, le douze est indéniablement le plus pauvre.

 

Ce n'est qu'une heure plus tard, alors que je suis allongée dans un lit tellement mou que je me demande si je pourrai vraiment dormir dedans, dans une chambre plus luxueuse que tout ce que j'aurai pu imaginer, que je sens le « vide » qui m'a habité toute la journée m'échapper. Et si le vide part, alors il ne reste plus que la peur en moi. Roulée en boule sous l'épaisse couette, je sens ma gorge se serrer et mon ventre se nouer. Je m'accroche désespérément à la moindre petite parcelle de « vide » avant qu'elle ne me file entre les doigts, tout en tentant de repousser un sanglot qui s'obstine à monter en moi. Non, je ne pleurerai pas. Je refuse de pleurer. Une larme trace un sillon brûlant sur ma joue. Je ne dois pas céder à la panique, plus maintenant. J'ai pleuré une fois au huit, il faut que ça soit la dernière. La première larme est suivie d'une deuxième, puis d'une troisième. Je ferme les yeux le plus fort possible, jusqu'à ce que ça commence à me faire mal. Mes cils sont trempés maintenant. Je me retourne brusquement et presse mon visage contre la montagne d'oreiller. Et je ne bouge plus. Je ne pleure plus mais je sens la peur naître dans mon ventre, s'amplifier petit à petit et se répandre dans tout mon corps, irradiant chaque cellule de mon être. Des images s'imposent dans mon esprit, les images des précédentes éditions des Jeux et je frémis. Ou plutôt je tremble, mais le verbe « frémir » amoindrit un peu la situation. Demain matin, je préférerai sans doute me souvenir que j'ai « frémi » plutôt que « tremblé ». Oui, c'est bien mieux. Mais là pour l'instant, il n'y a plus qu'une chose qui m'occupe, plus qu'une chose qui prend toute la place dans ma tête : j'ai peur.

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