Le Revers de L'Infini - Tome 1 : Découverte
Chapitre 3 : Celui qui marche en silence
1790 mots, Catégorie: T
Dernière mise à jour 24/09/2025 23:37
Le réfectoire s’est vidé, laissant derrière lui l’odeur tiède du riz et les bruits épars de vaisselle. Aya s’y attarde un instant encore, debout, son plateau entre les mains. Ses pensées flottent entre les visages et les mots, entre cette sensation étrange d’appartenir à un monde dont elle ignore les lois. Elle dépose silencieusement son plateau, puis serre contre elle son livre — comme un réflexe, comme une bouée.
{Si je vole… les monstres… les fléaux… je peux vraiment les battre ?}
Elle marche dans le couloir, encore habitée par la question, jusqu’à ce que son épaule heurte quelqu’un.
Un corps plus massif, plus ancré. Un pas arrêté. Une énergie stable.
Elle lève les yeux... et le temps se suspend un instant.
Le garçon qui lui fait face est grand, élancé, un mètre quatre-vingt-cinq peut-être. Sa silhouette semble détachée du monde, drapée dans une attitude calme mais distante. Une mèche sombre lui effleure les paupières, et ses yeux bleu acier, d’une netteté troublante, la fixent sans expression.
Ses cheveux sont longs à l’arrière, attachés négligemment dans une sorte de demi-queue, laissant retomber quelques mèches désordonnées sur son front. Il a l’air d’un personnage sorti d’un rêve... ou d’un cauchemar, selon l’angle. Des piercings argentés brillent contre ses oreilles pâles, contrastant avec la sobriété de sa tenue noire.
« Fais attention, ce n’est pas un terrain de jeu… »
Sa voix est basse, posée. Pas agressive, mais comme venue de loin.
Il se penche sans un mot de plus, ramasse le livre tombé à terre, puis le lui tend — regard toujours calme, presque indéchiffrable.
« Je m’appelle Souta Zenin. Et toi ? »
Aya cligne des yeux, bug un peu. Son cœur se serre sans raison logique. Elle récupère le livre, touche ses doigts du bout des siens.
« Je… moi c’est Aya. Merci pour le livre… »
Elle se redresse, visiblement gênée. Souta, lui, ne sourit pas, mais il ne la quitte pas des yeux.
« Aya, hein. Pas mal. »
Il regarde autour, comme pour vérifier que personne ne les observe.
« Ici, faut rester concentrée. Pas le genre d’endroit pour rêvasser… »
Aya rougit de gêne, lève les yeux vers lui.
« Je vais faire attention… Tu es élève ici toi aussi ? »
« Oui. Deuxième année. »
Il hausse un peu les épaules. « Mais ça change pas grand-chose. »
Elle l’observe en penchant la tête. « C’est quoi ton pouvoir à toi ? »
Souta la regarde, son expression reste sérieuse. « J’invoque des animaux maudits à partir de mon ombre… Des shikigamis. Ils m’aident au combat. C’est pas simple, mais ça marche… »
Aya ouvre grand les yeux, fascinée. « Des animaux… c’est dingue… Je pourrais te voir faire un jour ? »
Il reste un instant figé devant son enthousiasme. « Peut-être. Mais ça dépend de la mission… et de mon humeur… »
« J’espère qu’on fera des missions ensemble alors ! Mais je sais même pas comment ça se passe… ni si je vais en faire… »
Il croise les bras, l’air un peu distant. « Les missions, c’est pas pour rigoler. Tu vas apprendre vite, ou tu vas galérer. »
Il fait un pas pour partir. « Mais si tu bosses, tu finiras par suivre le rythme… »
Aya le fixe, un peu blessée. « Qu’est-ce que vous avez tous à me dire des trucs comme ça ? Je sais même pas mon pouvoir, et vous êtes tous déjà à me dire que je vais pas y arriver… »
Elle lui tourne le dos. « Encore pardon de t’avoir bousculé, Souta. »
Elle part d’un pas rapide, serrant son livre contre elle comme une protection.
Il soupire, passe une main dans ses cheveux. Puis la rattrape, naturellement, sans forcer.
« T’as mal compris. »
Elle ne s’arrête pas, mais l’écoute.
« J’ai pas dit que t’y arriverais pas. J’ai dit que ce serait pas facile. C’est pas pareil. »
Il marque une pause. « J’ai vu comment tu regardes les autres. T’es pas en retard. T’es juste au début. »
Son regard glisse sur le livre. « Et serre pas ton bouquin comme si c’était un doudou. Il t’a rien fait… »
Aya relâche un peu la pression sur le livre, sa voix douce. « Je sais pas encore ce qui m’attend. J’ai même pas compris ce qu’il s’est passé quand Gojo m’a trouvée… Ça me rassure de m’accrocher à quelque chose. C’est idiot, je sais. »
« Non. C’est pas idiot. T’accroches à un truc stable pendant que tout change autour de toi. On fait tous ça. »
Il ralentit. « T’as pas besoin de tout savoir pour mériter ta place ici. C’est en avançant que tu sauras. Pas avant… »
Aya s’arrête, lève les yeux vers lui. « Tu as toujours combattu des fléaux, même enfant ? Tu dois être très fort… »
Il détourne les yeux, embarrassé. « Ouais. Dans ma famille, c’est comme ça. Les fléaux, les techniques, les devoirs… tout est déjà sur ton dos avant même que t’aies compris ce que t’aimes manger… »
Un léger sourire fatigué. « Fort ? Peut-être. Fatigué ? Sûrement… »
« Mes cours commencent demain. J’avoue que j’ai un peu peur de ce qui m’attend. »
« Avoir peur, c’est normal. Ce serait plus flippant si t’étais à l’aise. Mais si t’as tenu face à un fléau sans formation, c’est que t’as du potentiel. T’as juste pas encore la notice. »
Il marque une pause. « Tu veux que je t’accompagne demain matin ? Juste pour pas te perdre dans les couloirs remplis de gens bizarres… »
Aya le regarde, surprise. « Tu ferais ça ? C’est vrai qu’ici… »
Elle regarde autour, un peu perdue. « Il va falloir que je retrouve ma chambre, d’ailleurs… »
« Allez, viens. J’te montre. Si t’as de la chance, y aura pas un élève chelou qui médite sur le palier ou un panda qui pique ta place… »
Un sourire discret glisse sur ses lèvres. Aya lâche un petit rire timide. « Un panda ? »
« Troisième année. Plutôt imposant. Mais gentil. Sauf si tu touches à son bento. »
Ils avancent ensemble, le silence agréable. Souta l’observe. « T’as toujours un livre dans les mains ? Tu lis quoi ? »
« J’aime les livres. Ils me rassurent. Et je peux les serrer, ils se plaignent pas. »
Elle sourit timidement. « Celui-là, c’est un recueil sur les fléaux et les classes. Il y a trois jours, je savais même pas que tout ça existait. Je veux savoir où je mets les pieds. »
« Bonne idée. Plus tu connais les règles, mieux tu les contournes. »
Il jette un œil au livre. « Celui-là est pas mal, mais y’a mieux. Ma sœur avait une collection énorme. Si tu veux, je t’en file. »
Aya sourit. « Je veux bien. Ta sœur est ici aussi ? »
« Elle vient de partir... »
Mais il est interrompu par une voix familière dans le couloir :
« Tiens tiens… La nouvelle et Zenin Souta l’antisocial ? »
Rin est là, bras croisés, sourire moqueur. Elle s’arrête devant eux. « J’ai loupé un épisode ou on distribue des badges “meilleur guide de l’année” ? »
Elle regarde Aya, amusée. « T’en as de la chance, Aya. Normalement, lui, il t’aurait juste indiqué la direction en grognant. »
Elle désigne une porte. « Oh, et devine quoi ? T’es ma voisine. Promis, je fais pas trop de bruit… sauf si y’a des fléaux ou Sho qui gueule dans le couloir. »
Souta recule déjà. « Mission accomplie. Je vous laisse. »
Il disparaît dans le couloir sans se retourner.
Rin ricane doucement. « Il parle. Comme quoi, t’as un don rare… »
Aya le regarde partir. « Pourquoi tu dis qu’il est pas sociable ? »
« Parce que d’habitude, il parle aux gens comme on parle à un mur… ou pas du tout. »
Elle plisse les yeux, malicieuse. « T’as dû lui sauver la vie dans une autre vie. Ou alors t’as un super-pouvoir d’attraction des mecs taciturnes. »
Aya rougit. « Mais non… Il a dû voir que j’étais perdue… »
Elle regarde la porte. « C’est bien qu’on soit à côté. »
Elle hésite. « Dis, tu as déjà été blessée par un fléau ? »
Rin se redresse, croise les bras. « Ouais. Une sale coupure à la cuisse. Les fléaux, c’est pas des peluches moches… Faut être prête à morfler. »
Elle sourit. « Mais t’inquiète, je dis pas ça pour te faire flipper. Juste honnêtement. »
Aya fronce un peu les sourcils. « Celui que j’ai vu… il était moche, avec des griffes. Il a tendu la main, j’ai fermé les yeux et... pouf. Il a disparu. »
« Moi j’ai eu droit à un vieux gymnase moisi. Un fléau m’y attendait. J’ai levé la main, une foutue lance d’épines est sortie, bam, il a explosé. »
Rin sourit, un brin fière. « Gojo a débarqué juste après. J’ai juste dit : “Ok… c’est donc ça ma vie maintenant ?” »
Aya l’écoute, émerveillée. « C’est dingue. Moi, je l’ai juste imaginé disparaître. Et Gojo est arrivé… en cassant une fenêtre. Pourquoi il a cassé la fenêtre ? »
Rin éclate de rire. « Sérieusement ? Quel crétin… Ça lui ressemble. Il aime faire son show. »
Elle se tourne vers sa porte. « Allez, va te reposer. Demain, on va voir ce que t’as dans le ventre. Je suis curieuse. »
Elle lui fait un clin d’œil.
« Bonne nuit, voisine. »
« Bonne nuit Rin. »
Aya ouvre la porte, jette un coup d’œil vers le couloir où Souta a disparu, puis entre dans sa chambre.
Et, enfin seule, elle serre son livre un peu plus fort.
{Je peux vraiment les battre ?}