Livre VII Ce qu'il advint du royaume de Logres

Chapitre 1 : Villa Aconia

13185 mots, Catégorie: K+

Dernière mise à jour 28/04/2020 18:57

Villa Aconia, aube. Arthur dort. Il est étendu par dessus les draps, son bâton d’entraînement à côté de lui. Il respire fort. On entend un léger bruit dans le reste de la villa. Il s’arrête de ronfler. Un chuchotement lui fait ouvrir un œil. Il saisit lentement son bâton et se lève dans le plus grand silence. Il s’approche de la porte, tout ouïe, tenant son bout de bois comme une véritable épée.

Lorsqu’il s’apprête à sortir dans le couloir, une ombre l’attaque. Il essaye bien de se défendre mais il se fait désarmer avec facilité. Le son que produit le bois en touchant le sol est directement suivi par des exclamations suraiguës et Arthur est assailli par une vague d’individus dont le nombre suffit à le faire tomber à la renverse.

Il est encerclé. L’un de ses assaillants s’installe même sur son torse. Il ne pèse presque rien mais Arthur est encore trop faible pour espérer s’en débarrasser.

ARTHUR - Qu’est-ce que c’est que ce bordel, m…

FEMME - Oï ! Pas de gros mots devant les enfants !

Cette voix a beau lui être inconnue, il lui obéit sans rechigner. Il n’est plus Roi. C’est une voix de femme ce qui n’enlève rien à son ton autoritaire. C’est elle qui l’a désarmé mais il ne voit rien dans cette pénombre. Elle continue.

FEMMEUther, descend.

UTHERNon ! C’est moi qu’a battu.

JEUNE HOMMES’il te plaît, ne te comporte pas comme un enfant.

UTHERJe suis pas un sale mouflet. Je suis Uther Pendragon ! Roi de Bretagne !

L’enfant part à toutes jambes en répétant ses deux dernières phrases sur tous les tons possibles.

FEMMETu peux te relever.

Arthur ne sait pas si c’est un fait, un ordre ou une question. Il n’a pas envie de parler avec ces intrus, pas sans même pouvoir les voir alors il essaye de se mettre debout, laborieusement. Quelqu’un lui tend une main secourable, il la prend sans demander son reste. Pas la peine de s’humilier encore plus.

FEMMEViens.


Villa Aconia, atrium. Le jour est juste levé. Arthur fait face à des enfants. Ils ne le sont plus tous mais c’est l’effet du groupe. La plus âgée est celle qui l’a désarmé. Dans le fond de la pièce, le tout petit garçon passe en beuglant.

UTHER - …THER PENDRAGON CRAINS MA FACHERI …

AÎNÉET’es qui ?

ARTHURPersonne.

AÎNÉEQu’est-ce que tu fais là ?

ARTHURJ’étais là avant c’est plutôt à moi de poser la question.

AÎNÉEJe vois … monsieur est un malin. Disons que l’on … connaît le propriétaire des lieux.

ARTHURÇa tombe bien, moi aussi.

AÎNÉE, suspicieuseVraiment ? Ça m’étonnerait. Ça fait des années qu’il habite plus dans le coin.

ARTHURC’est une vieille connaissance à moi. D’une époque où vous étiez sûrement même pas nés.

AÎNÉESi tu le connais si bien tu vas sûrement pouvoir me parler de lui.

ARTHURIl s’appelle Manius Macrinus Firmus. Il était … (mari d’Aconia,) soldat de la légion romaine, (époux de ma femme,) dux totius Britanniae, (je lui ai piqué sa femme !) … blond, bouclé …

AÎNÉE/ARTHUR à l’unisson - … Toujours le sourire aux lèvres.

AÎNÉE seule - C’est bon je te laisse ta chance. En revanche, il va falloir faire le ménage sinon ça va mal se mettre.

Elle sort. Le jeune homme s’avance, souriant.

JEUNE HOMME – Excuse Eurydice. Elle est un peu brusque comme ça mais une fois qu’on la connaît, c’est une crème. Moi c’est Antor, ravi de te rencontrer.

ARTHUR, saisissant la main tendue – Manilius.

ANTOR – Laisse-moi te présenter le reste de la famille. Là c’est Sagamora, fais attention quand tu passes près d’elle, elle a la sale habitude de pouvoir mettre des coups de latte à tout moment.

SAGAMORA – Antor ! (Elle lui balance un coup de rudius qu’il esquive.) Arrête de dire ça à tous les gens qu’on croise. Je ne peux plus les prendre par surprise après.

ANTOR – Justement. La petite fille près du bassin c’est Jane. Tu n’as pas l’air très loquace, mais comme elle viendra sûrement te poser des questions, j’aimerais te prévenir. Même si ça paraît débile, il faut répondre clairement et simplement.

ARTHUR – Ça devrait pouvoir s’arranger.

ANTOR – Les deux belettes qui me suivent depuis tout à l’heure s’appellent Gaheris et Erec. Elles sont très mignonnes. Par contre si tu as des affaires qui disparaissent c’est chez elles qu’il faut aller.

ARTHUR, las – Je n’ai pas d’affaires.

ANTOR, un peu décontenancé – … euh … et tu as déjà dû remarquer Uther qui court partout depuis tout à l’heure. Il parlera souvent d’Uther Pendragon c’est normal. C’est le vieux Roi breton dont il a pris le nom.

ARTHUR, soudain réellement curieux – Vous êtes bretons ?

ANTOR, visiblement gêné – Non … enfin pas tous … c’est-à-dire que nous, on vient plutôt de partout en fait.


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Villa Aconia, atrium. Jour, un autre jour. Arthur et Eurydice sont près de l’impluvium. Derrière eux c’est le grand ménage.

EURYDICE, commençant à s’énerver - Bon Manilius je le vide ou je le vide pas ce bassin !

ARTHUR, apathique – Je m’en fous.

EURYDICE – Tu vas pas recommencer. Chaque fois qu’on bouge un truc, tu nous fais un foin et tu soupires dans ton coin. Alors maintenant tu me dis que si ce machin redevient un impluvium ou s’il reste à faire le bac à sable.

ARTHUR, haussant le ton - Qu’est-ce que j’en ai à carrer, moi, de l’ « impluvium de l’atrium ». C’est même pas ma villa.

EURYDICE – Alors n’hésites pas à me dire ce qui t’intéresses parce que depuis qu’on est là, c’est pas flagrant.

ARTHUR – Je veux juste qu’on me foute la paix.

EURYDICE – C’est pas vrai. J’en ai connu des gens comme ça et eux ils s’en vont loin pour vivre d’eau fraîche et de fruits des bois au fin fond de la cambrousse. Ils s’amusent pas à faire des moulinets toute la journée avec un bout de bois dans une villa au plein cœur de Rome. Donc pour moi il y a deux solutions : soit tu as besoin d’aide, soit tu es con. Tu choisis quoi ?

ARTHUR, tête basse - J’ai pas besoin d’aide.

EURYDICE – Ça fait combien de temps que tu es ici Manilius ? Quelques semaines ? Quelques mois ? Tu es toujours faible comme un faon et même Sagamora n’aurait pas de mal à te battre. Tu peux raconter ce que tu veux mais t’arrives pas à prendre soin de toi et à t’entraîner par toi-même.

ARTHUR – On peut dire que tu sais remonter le moral.

EURYDICE – Avec mes frères et sœurs, on est habitués à voyager. On sait se débrouiller pour la bouffe. Faire un casse-dalle pour une personne en plus ce sera pas compliqué. Ils n’auront même pas besoin de moi et ça tombe bien parce qu’à partir d’aujourd’hui je serais occupée.

ARTHUR – Qu’est-ce que j’en ai à faire ?

EURYDICE – Je serais occupée avec toi.

ARTHUR – Pourquoi ?

EURYDICE – Parce que ça se voit que tu as su te battre mais comme tu t’es relâché, tu es devenu nul à chier.

ARTHUR, vexé Dis donc ! Ça va oui. Je suis pas si …

EURYDICE, fière de l’avoir piqué au vif – On en reparlera quand tu pourras me tenir tête. Encore une dernière chose … (Elle sort un poignard de son fourreau) … Autant les cheveux ça peut passer mais cette barbe de clodo j’en peux plus.


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En pleine nuit dans la villa Aconia, le silence et le calme règnent. Soudain quelqu’un crie. Une ombre se déplace dans l’atrium pour aller dans la chambre d’Arthur.

EURYDICE, douce – Tais-toi, tu vas réveiller tout le monde. Allez rendors toi.

Arthur baragouine dans son demi-sommeil encore pris dans son cauchemar. Eurydice reste assise dans son lit à lui parler jusqu’à ce qu’il se rendorme.


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Rue de Rome. Eurydice et Jane sont dans une ruelle parallèle peu passante.

JANE – Pourquoi tu ne l’aimes pas Mani ?

EURYDICE – C’est pas que je ne l’aime pas …

JANE – Dès qu’il est dans la pièce, tu es un loup enchaîné. On dirait que tu vas le mordre.

EURYDICE – Il m’énerve, c’est tout.

JANE – Pourquoi il t’énerve ? Il fait tout ce que tu lui demandes.

EURYDICE – Justement ! Il ne devrait pas.

JANE – Quand nous on fait ça, tu nous grondes.

EURYDICE – C’est parce que vous, je suis votre grande-sœur et je prends soin de vous.

JANE – Tu t’occupes pas de Mani ?

EURYDICE – Si mais c’est pas pareil. Lui c’est … un adulte.

JANE – Qu’est-ce que ça change ?

EURYDICE – Il ne devrait pas plier si facilement. C’est bon d’avoir du répondant parfois. Manilius, c’est une loque.

Sur ce, Eurydice amorce le départ. Jane semble pensive. Elle siffle et suit l’aînée. Derrière elles, deux chiens se lèvent et marchent dans leur sillage.


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Villa Aconia, Arthur est allongé sur son lit. Un chien rentre et le rejoint.

ARTHUR, plus amusé qu’agacé par l’intrusion – Tiens ? Tu sors d’où toi ?

JANE, entrant au côté de l’autre chien – C’est moi qui les ait ramené. Ils étaient tout seuls dans le rue.

ARTHUR, caressant le chien – C’est gentil.

JANE, sérieuse – Eurydice elle dit que tu es une loque.

ARTHUR – Elle n’a pas tort.

JANE – Pourquoi ?

ARTHUR, se redresse et fait signe à la petite de s’asseoir près de lui – Tu te souviens la dernière fois que tu as été triste ?

JANE, réfléchis à la question pendant une période de temps assez longue – Une fois j’ai recueilli une hirondelle blessée, une européenne hein, pas une africaine, et bien elle a fini par mourir quand même.

ARTHUR – Et bien moi j’avais recueilli tout un tas d’hirondelles, j’en ai pris soin, je les ai bichonnées et un jour elles se sont envolées.

JANE, ravie – C’est bien ça ! Ça veut dire que tu leur avais redonné assez de force. Pourquoi tu fais une tête pareille ?

ARTHUR – Moi je fais quoi après ? Une fois qu’elles sont toutes parties.

JANE – Tu sais les hirondelles, ça se rappelle toujours de son nid. Si tu les attends, elles reviendront. Y a pas de raison. Le chien t’aime bien … et puis moi aussi. Pour tes hirondelles ça doit être pareil.

ARTHUR – Merci.

JANE – Tu faisais quoi là ? Avant que j’arrive.

ARTHUR, perplexe – Euh … rien.

JANE, ravie – Cool ! Je peux faire ça avec toi ?

Sans répondre, Arthur lui fait une plus grande place dans son lit. Elle s’installe juste à côté de lui et attend qu’il soit de nouveau allongé pour se blottir contre lui. Le deuxième chien grimpe et se couche presque sur les jambes d’Arthur, l’autre côté étant déjà pris par le premier. Arthur paraît d’abord déboussolé puis finalement il se rendort le sourire aux lèvres.


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Villa Aconia, atrium. Eurydice et Sagamora se battent. La première a un long bâton et la seconde un rubius. Le combat est rude. Toutes deux frappent sans ménagement mais il est évident que c’est l’aînée qui a l’avantage.

EURYDICE, sans arrêter l’affrontement – Tiens Manilius, je croyais que tu n’allais jamais te pointer.

ARTHUR, sortant de sa cachette d’où il observait – Comme si tu allais me lâcher la grappe.

EURYDICE – Prends donc une arme et viens aider Sagamora.

SAGAMORA – J’ai pas besoin d’aide !

En une seconde Eurydice lui fait sauter le rudius des mains et la frappe derrière la tête.

SAGAMORA, vexée – Aïeuh !

EURYDICE, stoïque - Ça t’apprendra à dire des conneries. Allez on s’y remet. Vous attaquez en même temps.

Sagamora ne se fait pas prier mais Arthur semble hésiter. C’est finalement Eurydice qui, tout en gardant Sagamora à distance, brusque Arthur pour le faire attaquer.

EURYDICE – Vous êtes à votre max là ? Parce que si vous essayez de vous embrouiller avec quelqu’un vous allez prendre une sacrée dérouillée.

SAGAMORA – Ferme-la toi-aussi ! Tu me déconcentres.

Eurydice lui donne un coup sur les doigts Sagamora en lâche son rudius. Arthur profite de la brèche pour attaquer. Eurydice pare.

EURYDICE – Pas mal pensé mais si tu es aussi prévisible ça ne sert à rien, Manilius. Et toi Sagamora si tu lâches tes armes aussi facilement autant ne pas en prendre.

SAGAMORA – Tu me gonfles. Si c’est juste pour le plaisir de me casser la gueule ces leçons, trouve-toi un sac de sable !

Elle sort. Arthur s’arrête, interloqué. Il semble prêt à poser une question puis se ravise et reprend l’entraînement.


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Un peu plus tard, Arthur est seul à seule avec Jane.

ARTHUR, perplexe – Dis-moi tout à l’heure, Sagamora a dit un truc et … c’est bien elle qui a demandé des leçons de combat ?

JANE – Pas du tout. c’est Eurydice qui la force.

ARTHUR – Pourquoi elle fait ça ?

JANE – Elle dit que Mora, si elle veut frapper, il faut au moins qu’elle apprenne à le faire bien. Eurydice elle aime nous apprendre des trucs. Et toi pourquoi tu l’aimes pas Eurydice ?

ARTHUR – C’est pas que je l’aime pas …

JANE – Quand elle est là on t’entend presque plus. Pourquoi tu lui as pas posé ta question à elle ?

ARTHUR – Parce que ta sœur est douce comme un porc-épic avec l’amabilité d’une vieille chèvre. Elle me rappelle un peu quelqu’un. Finalement c’est peut-être Sagamora qui a raison, Eurydice fait ça juste parce qu’elle aime nous taper dessus.

JANE – C’est pas vrai. Antor, moi et Uther on est des chiens. Alors que Mora, toi et Eurydice vous êtes des chats.

Arthur fronce les sourcils alors que l’un des chiens lui lèche l’oreille.

JANE, expliquant – Rapport que nous on aime bien les gens, tout de suite, alors que les chats ils grognent d’abord et puis entre vous, vous vous battez tout le temps, jusqu’au jour où on vous retrouve sur le même oreiller à ronronner sagement.

ARTHUR,amusé - Donc tu penses qu’un jour tu vas me retrouver couché avec Eurydice en train de ronronner comme un bienheureux ?

JANE, assurée – Oui !

ARTHUR, lui tapotant la tête – Tu vois (il la désigne en entier) ça ? Ça m’avait vraiment manqué.


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Villa Aconia, atrium. Autour de l’impluvium qui est presque vidé du sable mais sans eau encore. Il y flambe un feu alors que les enfants sont tous installés sur les coussins autour. Il manque Arthur, il observe dans un coin caché.

ANTOR - … et Uther Pendragon n’a jamais réussi à retirer l’épée du rocher.

UTHER, vexé – Il est Roi de Bretagne !

EURYDICE – Oui mais il n’était pas le Roi choisit par les dieux. Tu le sais ça. À chaque fois on te le dit.

UTHER, boudeur – Arthur encore alors.

EURYDICE – Tu la connais par cœur.

UTHER – Allez steuplé !

Arthur arrive. Visiblement intrigué il s’approche et s’installe à côté d’Antor face à Uther et Eurydice.

ARTHUR – Qu’est-ce qui ne pas va Uther ?

UTHER – C’est Eurydice ! Elle veut pas raconter Arthur.

ARTHUR – Arthur Pendragon ?

UTHER, plein d’espoir – Tu connais ? Raconte !

GAHERIS – Ah non alors !

EREC – L’histoire d’Arthur c’est l’histoire d’Eurydice.

EURYDICE – Attendez les filles, si Manilius connaît aussi l’histoire d’Arthur Pendragon ce serait bête de passer à côté de l’occasion.

UTHER, fou de joie – Dis oui, dis oui, dis oui !

Arthur n’a pas l’air ravi mais face aux attentions si prononcées de son auditoire, il se racle la gorge.

ARTHUR, mal à l’aise – Et bien, Arthur … Pendragon c’est le fils d’Uther Pendragon et d’Ygerne de Tingagel. Quand il est né, les dieux lui ont collé un … ange, la Dame du Lac pour lui apprendre tout un tas de trucs. Ensuite c’est sa mère qui l’a mis dans les pattes d’un enchanteur … d’un druide. Merlin, il s’appelait. Ce druide aussi lui a enseigné beaucoup de choses. Après … après il y a eu Anton, son vrai père qui était fermier. Un homme gentil. Mais il a dû partir de là-bas pour aller à Rome …

ANTOR, étonné - Rome ?

ARTHUR – Oui pour son cursus militaire de dix à vingt ans.

SAGAMORA, moqueuse – Où est-ce que tu as entendu ça ?

ARTHUR, réalisant son erreur - … Je ne sais plus, un romain à la taverne sûrement.

EURYDICE – Toi à la taverne ? Laisse moi rire. En plus t’en connais beaucoup des romains qui parlent d’Arthur Pendragon ?

ARTHUR, s’énervant – Vous me laissez finir mon histoire, oui ou flûte ? Bon. (Reprend calmement et plus vite.) À vingt ans il revient en Bretagne, retire Excalibur de la pierre et devient Roi. Voilà.

UTHER, déçu – Et les Chevaliers de la Table Ronde ?

Arthur soupire, il aurait bien abandonné là mais le reste de la fratrie a le regard insistant.

ARTHUR – Oui les … Chevaliers … En premier il rencontre Perceval de Galle et Karadoc de Vannes qui décident de le suivre pour euh … l’aider dans sa quête. Plus tard il rencontre Lancelot du Lac, un grand Chevalier, qui deviendra son bras droit, son ami presque. Puis ensuite tous les chefs de clans ont radiné : les Léodagan, Loth, Calogrenant … Arthur les réunira tous, autour d’une table, elle sera ronde alors ils s’appelleront les Chevaliers de la Table Ronde.

UTHER – Eurydice elle dit que Lancelot et Arthur y s’aimaient pas.

ARTHUR - C’est plus compliqué que ça. C’est plutôt qu’ils avaient le même objectif mais pas la même vision des choses. Comme Eurydice et Sagamora par exemple.

JANE – Est-ce qu’il avait un préféré ?

EURYDICE – Le Roi Arthur se souciait de tous ses …

ARTHUR – Perceval.

EURYDICE – Pardon ?

ARTHUR – Tu m’as très bien entendu. Le Roi Arthur, il préférait Perceval.

EURYDICE – C’est encore quelque chose que tu as entendu dire dans les tavernes de Rome ?

ARTHUR – Jane me pose une question, je réponds. Perceval est naïf, plein de bonne volonté. c’est vrai qu’il a pas inventé l’eau tiède mais il garde une âme d’enfant. Tu savais qu’il faisait partie des seuls à ne pas avoir essayé de retirer l’épée de la pierre après qu’Arthur l’y ait remis ?

EURYDICE – Non je l’ignorais. Mais tu sais, la légendaire quête du Graal c’est pas une promenade de famille, c’est du sérieux.

ARTHUR, s’esclaffe puis soudain, pensant – Et pourquoi pas ? Il y avait déjà la femme et les beaux-parents.

ANTOR - Le beau-frère.

ARTHUR – Comment ça ?

ANTOR – Yvain, c’était bien le frère de la Reine. Ce qui en fait le beau-frère du Roi.

ARTHUR – C’est vrai ça ! J’oublie à chaque fois.

JANE – Il y avait le neveu, Gauvin.

EURYDICE – Et les frères.

ARTHUR – Les frères ? Il avait une sœur Arthur, pas de frère.

GAHERIS & EREC – Et ses Chevaliers alors ?

SAGAMORA – Lancelot, celui contre lequel on s’énerve sans cesse.

UTHER – Et le petit-frère c’est Perceval !

ANTOR – C’est vrai, tu as raison Mani. Autour de la Table Ronde, ils sont comme nous. Tu penses qu’ils ont rencontré les mêmes problèmes ? Comme par exemple (regarde Gaheris et Erec) avec les chippeurs dans la nuit.

GAHERIS, pressée – Merci Mani.

EREC – C’était cool que ce soit toi qui raconte.

GAHERIS & EREC, fuyant – Allez bonne nuit !

Elles se lèvent et prennent la direction de leur chambre. Arthur ne semble même pas les avoir entendu, il s’abîme dans la contemplation du feu. Sagamora les quitte à son tour en se contentant d’un geste de la main. Jane vient embrasser le front d’Arthur qui ne réagit pas plus. C’est l’étreinte d’Uther qui le sort de sa transe.

UTHER – J’aime ton histoire. Comme ça c’est nous les Chevaliers.

ARTHUR, un peu ailleurs – Tu pourras être Arthur alors ?

UTHER – Non, Arthur c’est Eurydice. C’est la cheffe. Toi c’est Lancelot. Les jumelles c’est Yvain et Gauvin. Saga c’est Léodagan. Jane Bohort. Et Antor et moi on fait Karadoc et Perceval.

ARTHUR – Tu t’y connais drôlement bien dis donc.

UTHER, fier – Les histoires, je les connais par cœur !

Comme d’habitude c’est en courant qu’il part dormir. Antor lui pose une main sur l’épaule.

ANTOR, doux – Ça va aller ? Tu as l’air … tout chose.

ARTHUR – C’est juste que je n’avais jamais vu ça comme ça.

ANTOR – Quoi ? La légende arthurienne ?

ARTHUR - … Une famille. C’est bizarre de dire ça.

ANTOR – On me l’avait jamais faite avant mais c’est vrai que tu l’amènes bien. Félicitation.

Puis il se lève aussi et sort. Il ne reste plus que lui et Eurydice.

EURYDICE – Si t’as besoin de parler, n’hésites pas.

Arthur ne répond pas. Il regarde les flammes. Bien qu’il soit en plein milieu de la nuit, Eurydice attend avec lui, dans son silence pendant près d’une heure.

ARTHUR – Pourquoi tu ne pars pas ?

EURYDICE – Je dors avec toi.

ARTHUR – Pourquoi ?

EURYDICE – Tu empêches Gaheris et Erec de dormir.

Nouveau silence.

ARTHUR – Tu es qui ?

EURYDICE – Personne. La seule chose notable chez moi c’est ma famille, mes frères, mes sœurs.

ARTHUR – Arrête ton char. Tu connais l’histoire d’Arthur Pendragon. Tu sais te battre. Tu sais monter à cheval. Tu sais manier l’épée. Tu sais lire, écrire, et compter. Alors tu es qui ?

EURYDICE – J’ai grandi dans une troupe de spectacle. C’est là-bas que j’ai tout appris. L’histoire d’Arthur fait toujours sensation alors je la connais. Pour les représentations, j’ai appris plein de choses. Comme je ne sais pas jouer la comédie on me collait aux scènes de combat. Il m’arrivait aussi de faire les comptes. Tu vois Manilius, moi j’ai pas de secret. Il suffit de demander et toi ?

ARTHUR – Moi je n’ai pas de secret et je n’ai rien à dire.

EURYDICE – Il fallait l’oser celle-là. Et tu l’as faite sans trembler des genoux ? Bravo.


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Villa Aconia, atrium. Le bassin est de nouveau rempli d’eau. Tous sont autour sauf Arthur. Ils ont un drap autour des hanches sauf Uther qui patauge tout nu. Ils se lavent les uns les autres et se détendent.

ANTOR – Elle est pas mal cette villa.

EURYDICE – Je te l’avais dit qu’on serait bien ici. En plus il faut chaud en Italie.

EREC – Et c’est bien le chaud !

GAHERIS – Et puis il y a plein de trucs à manger.

UTHER – Moi veux voir galdateurs !

EURYDICE - C’est trop violent pour un enfant.

SAGAMORA – Oh arrête avec ça ! C’est un spectacle. c’est pour se vider la tête.

EURYDICE, moins fort dans l’espoir que les plus jeunes n’entendent pas – Se vider la tête en vidant les veines des autres, désolée mais non.

ANTOR, doux – C’est dans la culture romaine, c’est tout.

EURYDICE – Et moi qui croyais que c’était un peuple raffiné. C’est bien beau de défendre la culture romaine sauf qu’il y a bien des trucs qu’ils font et que vous n’avez aucune envie de copier.

SAGAMORA – Ah ouais ? Comme quoi ?

EURYDICE, le sourire en coin – Les combats en jupette.

Sagamora fait une moue de dégout. Antor, Gaheris et Erec explosent de rire. Uther interrompt un instant son jeu.

JANE – Mani ! Viens avec nous !

ARTHUR, qui passait en essayant de se faire discret – C’est gentil, mais …

ANTOR – Allez Mani, viens. On s’amuse bien.

EURYDICE – Et puis on se lave aussi. C’est important.

SAGAMORA, lui jetant un linge – Ramènes-toi, fais pas ta prude !

Arthur, vaincu, se déshabille et passe le drap autour de sa taille.

EREC – Pourquoi tu gardes ton tissu tout moche là ?

ARTHUR, qui a instinctivement couvert son poignet – C’est … parce que je suis frileux.

GAHERIS – Frileux que du poignet, ça existe pas d’abord.

ARTHUR, cherchant comment s’en sortir il voit que Eurydice a gardé ses protèges-poignets – Et Eurydice alors ?

EURYDICE – Moi ce n’est pas la même chose. Ce sont des pièces d’armure. Il faut toujours être un minimum prêt en cas d’attaque.

JANE – Il y a ses outils de crochetage dedans.

ANTOR – Jane …

JANE, désolée – Oui mais c’est pas pareil, là c’est Mani.

EURYDICE – Laisse Antor. Elle a raison. C’est Manilius.

ARTHUR, presque exaspéré – Quoi « c’est Manilius » ? Qu’est-ce qu’il y a avec mon nom ? Pourquoi tout à coup c’est devenu un mot magique.

SAGAMORA – La magie ça n’existe pas.

EURYDICE – Combien de fois il faudra que je te répète que c’est faux.

EREC, à Arthur – Bah t’es de la famille maintenant.

GAHERIS – Carrément !

Arthur est bouche bée mais le reste de l’assistance agit comme si c’était l’annonce la plus naturelle du monde.

JANE – Moi je l’avais dis dès le début qu’il ferait partie de la famille.

SAGAMORA – Après tous les cas qu’on a déjà, un de plus un de moins …

ANTOR – Attention on ne force rien. Pour nous ça paraît évident mais si tu es mal à l’aise avec ça …

Instinctivement Arthur se tourne vers Eurydice, elle était l’aînée. C’est par elle que passe toutes les décisions importantes. Uther a déjà fait de même comme en attente d’une confirmation. En les voyant ainsi concentrés, les autres font face à Eurydice aussi.

EURYDICE, soupirant – Même si on ne la choisit pas, la famille c’est sacré.

ARTHUR, réceptionnant tant bien que mal Uther qui lui saute au cou – Au contraire, dans ce cas précis, on choisit.

EURYDICE – Manilius regarde-nous. Il n’y a pas eu de choix ou de vote. Tu fais partie de la famille, c’est tout.

Arthur serre Uther contre lui et y cache son visage. Il pleure. Ça fait longtemps que ça ne lui est pas arrivé.


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Un toit de Rome, à l’aube. Arthur est assis, les yeux fermés, il respire simplement. Eurydice arrive silencieusement derrière lui. Ils restent tout un moment comme ça.

ARTHUR – Tu la craches ta pastille ?

EURYDICE – Qu’est-ce que tu fais là ?

ARTHUR – Je cherche la solitude.

EURYDICE, dubitative – Tu es sûr que c’est bon pour ce que tu as ?

ARTHUR, commence à s’énerver – Et qu’est-ce que j’ai moi ?

EURYDICE – Une tendance à la dépression. (Arthur est coupé net dans son élan.) Et des terreurs nocturnes. Je croyais que ça t’était passé ?

ARTHUR, timide – Ça allait mieux quand les chiens …

EURYDICE, comprend – Depuis l’orage, ils ont regagné la chambre de Jane. Qu’est-ce qui te tourmente tant d’ailleurs, pour que tu fasses des cauchemars pareils ?

ARTHUR – Et comment tu m’as trouvé ? On ne me voit pas depuis la rue et je suis sûr que tu ne m’as pas suivi en sortant de la villa.

EURYDICE, évasive – J’ai un genre d’instinct pour ces choses-là.

ARTHUR – Quand c’est Sagamora qui est en vadrouille tu ne la retrouves pas si vite.

EURYDICE, gênée – Pour elle, c’est pas pareil … En général elle se barre à cause de moi. Elle a juste besoin de temps pour revenir toute seule.

ARTHUR – Je me suis toujours demandé … vous êtes tous frères et sœurs ?

EURYDICE – Bah oui, on est une famille.

ARTHUR – Je comprends bien mais je parlais plus au niveau de vos parents.

EURYDICE, réfléchissant – Anton les a jamais connus. Sagamora s’est enfuie de chez elle. Jane n’en a jamais eu. Les jumelles grouillaient au milieu de frères et de sœurs, leur mère a été ravie de nous les laisser. Uther, disons que son grand-père le nourrissait une fois de temps en temps après la mort de ses parents. Et pour toi je ne sais pas. Mais tout ça, ça change rien au fait qu’ils sont mes frères et sœurs.

ARTHUR – Moi je n’ai pas connu mon père et je n’ai jamais pu encadrer ma mère.

EURYDICE – C’est pour ça que tu es parti ?

ARTHUR – Pourquoi je serais forcément parti ? Parce que je vis dans la villa d’un autre ?

EURYDICE – La Bretagne, ça fait loin.

ARTHUR – Qui dit que je suis breton ?

EURYDICE, exaspérée - Pas toi en tout cas, tu ne dis jamais rien.

ARTHUR, s’énerve en réponse Bah oui puisque apparemment je n’ai besoin de rien raconter pour que tu connaisses quand même ma vie !

Eurydice s’assoit à côté de lui, visiblement énervée mais elle ne répond plus rien. Arthur la fixe en fronçant les sourcils. Il attend la prochaine attaque.

EURYDICE, bas – Tu n’as qu’à pas tant parler dans ton sommeil.


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Villa Aconia, plus tard dans la journée. Erec et Gaheris sont assises sur un lit. Eurydice leur fait face.

EURYDICE – Est-ce que vous dormez bien en ce moment ?

EREC – Pas trop.

GAHERISC’est que Mani, il bouge toute la nuit.

ERECIl respire fort, comme si il courait.

GAHERIS – Il fait des petits bruits d’animaux.

EREC – Il chougne aussi parfois.

GAHERIS – Au moins depuis que tu dors avec lui il crie plus.

EURYDICE – Quand il vous empêche de dormir est-ce que ça vous arrive de sortir de la chambre ?

EREC – Pas trop.

GAHERIS - On sait jamais ce qu’il pourrait y avoir.

EURYDICE – C’est bien ce qui me semblait. Mais on ne sait jamais, si un jour Manilius vient vous poser des questions à propos de ses insomnies …

EREC, en même temps – Pourquoi il nous poserait des questions à nous ?

GAHERIS, en même temps – C’est quoi « insomnie » ?

EURYDICE – Une insomnie c’est quand on dort pas. Et Erec, à part moi, vous êtes les seuls à ne pas vous endormir comme des masses jusqu’au matin suivant alors s’il vient vous demander, vous lui dites qu’il parle dans son sommeil.

Les jumelles échangent un regard d’incompréhension.

EREC & GAHERIS, ensemble – D’accord.

Elles se lèvent et sortent en courant. Eurydice reste seule dans la chambre, elle semble penser. Un chat arrive et se love sur ses genoux.

EURYDICE, caressant le chat – Qu’est-ce qu’on ne ferait pas pour protéger sa famille ?


.


Villa Aconia, atrium. Arthur, Eurydice et Sagamora s’entraînent. Arthur attaque Eurydice qui se défend de ses coups mais aussi de ceux de Sagamora et elle ne manque pas non plus de protéger Arthur.

EURYDICE, agacée – Sagamora arrête ça !

SAGAMORA – Il faut bien qu’il progresse.

EURYDICE – Oui mais enfin tu vois bien que c’est moi qui arrête tout sinon il s’en prendrait plein la tronche.

SAGAMORA – Je vois pas où est le problème. Depuis qu’on s’entraîne je lui vois pas beaucoup de différence avec avant.

EURYDICE – C’est vrai que sur une échelle de 100, il est peut-être passé de 5 à 25 ce qui est toujours mauvais mais qu’est-ce que j’ai toujours dit ?

SAGAMORA, lassée et récitant – La valeur d’un combattant ne s’évalue pas uniquement par sa force.

EURYDICE – Exactement. Le corps, la technique et le mental, voilà ce qui fait un guerrier. En mangeant bon gré, mal gré avec nous, Manilius reprend ses forces. Niveau technique et expérience il te surpasse largement mais ce qui lui fait réellement défaut c’est le mental.

ARTHUR – Non mais allez-y, faites comme si j’étais pas là.

EURYDICE, directement à Arthur – Toi dans la vie il y a quelque chose qui te pousse, ça se voit et pourtant c’est pas encore assez fort pour que tu te bouges vraiment. T’as pas encore eu le déclic.

ARTHUR – Je trouve, au contraire, que j’en ai eu bien assez dans ma vie.

SAGAMORA, moqueuse – Et bien tu fais bien semblant !

EURYDICE, ignorant sa sœur – Je me fous de ce qui s’est passé avant. C’est du passé, ce qui compte c’est l’avenir.

ARTHUR – Pourquoi j’aurais un avenir moi ?

EURYDICE – Tout le monde en a un. La question c’est plutôt de savoir ce que tu vas en faire. Quand est-ce que tu vas prendre ta revanche par exemple ?

ARTHUR, étonné – Qu’est-ce que tu as dit ?

EURYDICE – On en a déjà parlé. Tu t’entraînes, c’est bien parce que tu as un objectif. Tu restes assez tenace sans pour autant pouvoir te dépasser, je table donc sur une revanche. Ça te maintient autant que ça te ronge.

ARTHUR – En fait tu ne peux pas faire deux phrases à mon sujet sans évoquer la dépression et la décadence.

EURYDICE – Qu’est-ce que j’y peux si c’est ce que tu m’inspires ?

ARTHUR – Quand on est poli, on dit pas ce genre de chose. Tes parents t’ont rien appris ?

EURYDICE, mordante – Presque autant que ton père à toi. (toisant Arthur) La plupart des gens sont hypocrites. Tu voudrais que je te mente ?

ARTHUR – C’est pas ce que j’ai dit …

EURYDICE – Ça tombe bien. J’ai pensé à un voyage, ça va te faire du bien.

ARTHUR – J’aime pas voyager.

EURYDICE – Fallait pas venir jusqu’à Rome.

ARTHUR, las – Et tu voudrais m’envoyer où ?

EURYDICE – Je ne vais t’envoyer nulle part. Tu ne crois pas que je vais te laisser seul. Je viens avec toi.


.


Villa Aconia, atrium, aube. Tous sont réunis. Arthur et Eurydice sont chargés de sacs. En plus des enfants, le salon compte chats, chiens, oiseaux et divers animaux autochtones ou d’importations en quantité indénombrable. Les jumelles ont la larme à l’œil. Uther pleure carrément.

EURYDICE, à Antor – Je te les confie, Antor. De toute façon tu as toujours été bien meilleur que moi en tant que grand-frère.

ANTOR – Tu sais que ce n’est pas vrai. Sans toi on serait même pas tous réunis.

EURYDICE, à Sagamora – Toi ! J’espère que je t’ai mis assez de coups sur la tronche pour que tu sois capable de les protéger à ton tour.

SAGAMORA – Ils sont bien plus en sécurité avec moi qu’ils ne l’ont jamais été.

Eurydice se penche pour coller son front à celui de Jane puis se séparent avec un sourire. Eurydice prend les jumelles dans ses bras et leur murmure quelque chose à l’oreille. Les deux petites se tamponnent les yeux et se redressent. Quand elle se présente devant Uther celui-ci explose.

UTHER – Pardon … pardon … Je suis … pas un sale mouflet … Je veux pas pleurer. Je veux pas faire de bruit … Pardon …

EURYDICE – Uther, qu’est-ce qu’on a dit ? Tu n’es plus avec lui. Plus jamais on ne te traitera de sale mouflet. Plus jamais. Pleure. Pleure autant que tu veux. Je suis sûre que si Uther Pendragon avait pleuré, il aurait été un meilleur Roi. Si tu es triste ne le garde jamais pour toi ou un jour ça débordera. Et puis tu as un frère et des sœurs maintenant.

Bien qu’il s’obstine à vouloir opiner du chef, ses larmes et les torrents qui coulent le son nez le gênent. Eurydice lui embrasse le front. En attendant, Arthur a lui-aussi fait ses au revoirs. Ils peuvent quitter la maison. L’un comme l’autre en ressentent un pincement au cœur singulier.


Sur la route, Eurydice est devant. Arthur traîne.

EURYDICE – Bon vous allez vous bouger ?

ARTHUR – Tu m’emmerdes ! Je ne vois pas pourquoi je devrais courir alors que je ne sais même pas où on va.

EURYDICE – C’est justement parce que tu ne sais pas où on va que tu devrais presser le pas.

ARTHUR – J’ai pas envie ! Ça fait des heures qu’on marche sans jamais s’arrêter.

EURYDICE – Moi qui croyais que tu étais déterminé. Il faudra que tu marches un peu plus que ça si tu veux retourner en Bretagne.

ARTHUR – Qui te dit que j’ai la moindre envie d’y retourner ?

EURYDICE – Personne c’est toi qui …

ARTHUR, tirant son rubius et remontant à la hauteur d’Eurydice Moi rien ! Je n’avais rien demandé à personne. C’est vous qui êtes venus, qui m’avez forcé à aller mieux, toi qui m’a poussé à m’entraîner et maintenant qui me traîne sur les routes sans même me dire où l’on va ! Alors ne dit pas que j’ai quelque chose à voir là-dedans !

EURYDICE, calme – Tu ferais mieux d’utiliser toute cette énergie à quelque chose d’utile.

Arthur déraille. Il se met à la frapper avec son bâton. Plusieurs coups portent avant qu’Eurydice ne se défende. Même une fois la surprise passée, la résistance est rude. Arthur ne l’a jamais mis dans une si mauvaise posture. Cela dure 5 minutes puis il fatigue. Il ralentit et finit par lâcher son rubius et lui fonce dessus. Eurydice le réceptionne. Ils roulent par terre, Arthur essaye bien de la mordre mais finalement c’est elle qui domine.

EURYDICE – Tu vois quand tu veux. Il ne te manque plus qu’un peu de force et une fois le retour du moral tu seras comme neuf.

ARTHUR, vexé – Je t’emmerde !


Au même endroit, plusieurs heures plus tard, ils se sont simplement décalés de quelques mètres pour ne plus être au milieu du sentier. Eurydice a allumé un feu. Elle fait réchauffer les quelques provisions qu’ils ont emmené. Arthur dort non loin. Un voyageur arrive le long de la route. Il marche lentement et est couvert de bandes de tissus et de linges. Son visage est caché, une grande cape le couvre de la tête aux pieds.

INCONNU – Bonjour voyageur. (Sa voix est enrouée.) Auriez-vous un peu d’eau ou de nourriture ?

EURYDICE – Assieds-toi l’ami. D’où viens-tu comme ça ?

Il prend place à côté d’elle. Arthur jette un œil puis continue de faire semblant de dormir. L’inconnu prend la gourde qu’elle lui tend. Il boit entre deux de ses linges. Ses yeux sont plongés dans la pénombre. Seul le bout de ses doigts est apparut. Il lui en manque un et les autres sont noirs comme terre.

INCONNU – De loin, de très loin. J’ai marché si longtemps que je ne sais même pas si je pourrais retourner chez moi.

EURYDICE – Tu n’as pas l’air attristé.

INCONNU – Ce sont les dieux qui m’ont mis sur les routes.

EURYDICE, dramatique – Ils t’ont puni.

INCONNU, presque rieur – Disons que c’est une … leçon qu’ils ont voulu me donner après que j’ai tué mes enfants. Mais toi qu’est-ce que tu leur as fait ?

EURYDICE – Moi ? Rien du tout. C’est de naissance, c’est encore autre chose.

INCONNU Sujet sensible ? En tout cas je te remercie pour le repas. Je vais continuer ma route.

EURYDICE – Tu es sûr que tu ne veux pas te reposer auprès du feu ?

INCONNU – Ne t’inquiètes pas pour moi. D’habitude je m’arrête seulement pour dormir, et encore je suis somnambule. Merci de ton hospitalité.

EURYDICE – C’est normal.

INCONNU – Non. Beaucoup ne l’auraient pas fait. Je le sais, ça fait des années que je suis sûr la route.

Il part.


Même endroit, ensuite.

ARTHUR – Qu’est-ce qui t’a pris de l’inviter ? Il n’y avait pas beaucoup plus louche que ce gars-là.

EURYDICE – Moi on m’a appris que qui que ce soit qui vient demander, il faut toujours nourrir les gens à hauteur de ce qu’on peut. J’aurais qu’un quignon de pain et une gorgée d’eau, je la partagerais quand même avec un meurtrier.

ARTHUR – Mon père disait beaucoup ça.

EURYDICE – Je croyais que tu ne l’avais pas connu.

ARTHUR – Pas mon père-père, mon père adoptif.

EURYDICE – C’est quelqu’un de bien.

Arthur regarde le feu un moment.

ARTHUR, songeur – Tu le pensais vraiment ?

EURYDICE – Oui.

ARTHUR – Non mais je voulais parler de la fois où tu as dit que Pendragon aurait été un meilleur Roi s’il avait pleuré.

EURYDICE – Je sais de quoi tu parlais.

ARTHUR – Ah … et pourquoi ?

EURYDICE – Parce que pleurer c’est se montrer attaché aux choses. Si Uther Pendragon ne pleurait pas le sort de son peuple, c’est qu’il n’en avait rien à secouer. Un souverain qui pleure c’est un Roi qui se soucie.

ARTHUR, perplexe – N’empêche que ça fait un peu tapette …

EURYDICE – Tu crois que le peuple en a quelque chose à faire ? Si le Roi est bon, ça peut bien être une tapette que les gens seront contents quand même. Maintenant on ferait mieux de dormir.

Disant cela, elle remet du bois au feu et se couche. Arthur semble perdu dans ses pensées un instant puis la rejoint.

ARTHUR – Je peux ?

Eurydice lui fait signe de venir. Il se couche près d’elle et s’installe presque sur elle avant de s’endormir. Eurydice reste éveillée. Elle passe sa main dans le cuir chevelu d’Arthur qui a l’air satisfait. Elle guette.


Plusieurs mois plus tard. Encore en bord de route, d’une autre route. Arthur et Eurydice ont marché toute la journée en ayant tout de même gardé un temps de cueillette et de chasse pour leur repas et un temps pour l’entraînement. Leur combat dure longtemps à présent. Ils font presque jeu égal. Arthur ne s’en rend pas compte alors qu’Eurydice en est chaque jour plus consciente. Maintenant il fait nuit noire. Ils ont longuement parlé autour du feu et sont dorénavant couchés ensemble. On croirait que chacun cherche le sommeil.

ARTHUR, murmurant – En fait il n’y a jamais eu de destination. Tu vas juste nous faire marcher comme ça éternellement. On deviendra comme cet homme qu’on a croisé. Sans attache, sans terre. On aura oublié d’où l’on vient et on ne saura pas où l’on va ce qui ne nous empêchera pas de nous lever tous les matins à l’aube et de reprendre la route. C’est pas si mal comme vie finalement.

EURYDICE, assoupie – Tu vas arrêter de raconter des conneries ? J’ai jamais dit que c’était la porte à côté mais de là à parler d’éternité. T’en fais tout un foin. Dans une semaine à tout péter on y est.

ARTHUR, étonné – Parce que tu sais encore où on est ?

EURYDICE – Évidement ! Pendant 15 ans j’ai sillonné tout l’empire. J’ai vu des centaines, voire des milliers de cartes et je les ai toutes dans la tête. De Constantinople à Kaamelott, j’ai usé tous les chemins.

ARTHUR, ailleurs – Kaamelott …

EURYDICE – Tu connais ? C’était la forteresse construite par le Roi Arthur Pendragon.

ARTHUR – « C’était » ?

EURYDICE – Lancelot est passé dessus, elle n’a plus du tout la même tête.

ARTHUR – Comment tu sais ça toi ?

EURYDICE – À Rome, je me tenais informée.

ARTHUR, avide – Tu sais autre chose ?

EURYDICE – Ah bah non. La Bretagne c’est pas la porte à côté non plus. Les Chevaliers ont presque tous foutu le camp. J’ai entendu des rumeurs qui disaient que Perceval de Galles s’était fait tuer par Lancelot et ses hommes et que Provençal de Gaulois avait disparu. On pense que lui-aussi …

ARTHUR, éteint – Quels noms de merde ils ont ces bretons.

Il se réinstalle un peu plus en boule contre elle. Eurydice passe un bras autour de lui.

EURYDICE – Je suis sûre que c’est pas vrai. Pour ce Perceval je veux dire … parce que pour Kaamelott …

ARTHUR – Bonne nuit Eurydice.

EURYDICEBonne nuit Manilius.


4 jours plus tard, sur un chemin.

ARTHUR – Mais … c’est même pas une ville ?!

EURYDICE – J’ai jamais dit que ça allait en être une. C’est une villa de campagne.

ARTHUR – Et qu’est-ce qu’on vient fiche ici ?

EURYDICE – On visite de vieilles connaissances.

Ils sont à peine entrés dans la pars rustica qu’ils se font accoster.

INCONNU – Eurydice ! Ça fait bien longtemps. T’es venu rendre visite ?

EURYDICE – Aktis ? Tu as changé, je t’ai à peine reconnu.

AKTIS – L’âge ça nous fait bien des choses. Si tu cherches Freÿa, elle est à la forge. De ce côté, rien n’a bougé.

EURYDICE – Merci. Je vais la voir tout de suite sinon je risque de me prendre un coup de massue.

AKTIS – Tu as raison. Tu fais bien !

Eurydice mène Arthur à travers quelques ateliers. On entend les bruits du marteau de plus en plus fort.

FREYA – Qui va là ?

EURYDICE – C’est moi.

FREYA – Tiens la petite est de retour. T’as fait bon voyage ?

EURYDICE – Excellent. J’ai même ramené quelqu’un avec moi.

FREYA, jaugeant Arthur de haut en bas – Il sait sa battre au moins ?

EURYDICE – Pas trop mal. Où est père ?

FREYA – Hésope ? Il est mort, il y a 7 ans.

EURYDICE – Comment ?

FREYA – Un accident de représentation.

EURYDICE – Il avait toujours dit que s’il mourrait en jouant, il mourrait heureux.

FREYA – Il a simplement regretté de ne pas voir la naissance de son enfant.

EURYDICE – La famille s’agrandit. C’est génial !

FREYA – Ari ! Viens dire bonjour à ta sœur !

L’enfant est couvert de suie et porte un tablier.

EURYDICE – Salut toi.

ARTHUR, à Freÿa – C’est un petit garçon ou une petite fille parce que là je vous avoue que j’ai un peu de mal à situer.

FREYA – Commence pas toi !

ARTHUR – Commencez quoi ?

FREYA – Ces histoires de garçons ou de filles. Selon comment on regarde ça change tout.

ARTHUR – Je vois pas quel est le problème.

FREYA – Demande à une bourgeoise d’Athènes si une pécore bretonne c’est une femme et tu verras.

EURYDICE – Moi aussi au début j’ai eu du mal avec ça mais maintenant je ne me trompe presque plus.

ARTHUR – On n’est quand même pas foutu pareil, excusez-moi.

EURYDICE – Oui enfin ici la maîtresse de maison aime les arts alors quand on grandit au milieu de comédiens, les frontières ne sont plus si évidentes. Les hommes jouent des femmes et vice-versa, certaines femmes sont plus crédibles en hommes que les hommes eux-même sans compter ceux qui changent de bord tous les 4 matins. Moi par exemple quand je suis à Spartes, on me parle comme à un homme.

Arthur est bouche bée.

FREYA – Tu peux avancer à la maison Eurydice. Ils sont là.

EURYDICE – Même elle ?

FREYA – Et oui.

EURYDICE – Voilà au moins une personne à qui je gâcherais la journée.

FREYA – Elle sera peut-être soulagée de voir qu’il ne t’est rien arrivé.

EURYDICE – C’est vraiment pas le genre de la maison. Mais bon quand il faut y aller …

Arthur et Eurydice sortent.

ARTHUR – Je croyais que tu avais été élevé par des comédiens ?

EURYDICE – Du côté de mon père oui. C’est même lui m’a appris le combat pour faire joli. Ma mère, elle, elle m’a appris à me défendre et à attaquer.

ARTHUR – Et qu’est-ce que j’en ai à carrer de faire des mois et des mois de marche pour rencontrer tes parents moi ?

EURYDICE – Attend je vais te les présenter tu verras.

ARTHUR – Parce que c’était pas ta mère qu’on vient de voir ?

EURYDICE – Si mais c’est ma mère adoptive. Là je te parle de mes parents biologiques. Allez viens !

Arthur suit jusqu’au bâtiment principal. Ils croisent un autre serviteur. Les maîtres sont dans les jardins. Les fleurs et les arbres y sont magnifiques. Le foisonnement est tel qu’Arthur ne voit pas tout de suite les deux silhouettes enlacées.

EURYDICE, prudemment – Ave mère. (Cette fois-ci avec joie.) Père !

Elle enlace Manius Macrinus Firmus. Aconia Minor fixe Arthur sans plus bouger.

MACRINUS – Arturus ! Quel bon vent t’amène de la Bretagne jusqu’ici ?

ARTHUR – Votre fille … (Entre reproche et surprise.) … qui m’a fait marcher de Rome jusqu’en Macédoine ?!

EURYDICE – Tu te doutais bien qu’après une trotte pareille on n’allait pas s’arrêter à Ostie.

MACRINUS – Vous devez être exténués d’avoir fait si long voyage. J’aimerais profiter un peu de ma fille que je n’ai pas vu depuis si longtemps. Allons parler à l’intérieur. Je pense que ni toi ma chérie, ni Arturus ne cracherez sur un peu de temps pour parler seul à seul. Je te laisse ma femme ! Enfin techniquement c’est aussi la tienne mais je ne sais pas si on …

Aconia l’embrasse. Eurydice le tire par le bras. Ils sortent.

ARTHUR – C’était …

ACONIA – Oui un peu.

ARTHUR – Mais alors il …

ACONIA – … sait tout oui. Je suis désolée Arturus.

ARTHUR – Non c’est pas grave. Il a l’air de bien le prendre … J’ai respecté mon serment.

ACONIA – Quel serment ?

ARTHUR – Le machin que tu m’as fait jurer comme quoi je ne toucherais pas à ma femme.

ACONIA – J’ai fait ça moi ? Quand ?

ARTHUR, soupirant – On s’en fout. Tout ce qu’il faut que tu retiennes c’est que j’ai tenu parole.

ACONIA – D’accord mais tu sais si je ne m’en souviens même pas …

ARTHUR – Oui j’ai compris mais je veux que tu le saches. Je l’ai blessée, ma femme, en faisant ça. Ou en le faisant pas justement. Je lui ai fait mal.

ACONIA – Est-ce que tu penses que je peux y faire quelque chose ?

ARTHUR – Non, non, non. Je voulais juste te dire que ma femme, elle est peut-être con comme une chaise mais comme elle peut-être naïve, gentille, protectrice, soucieuse et qu’à cause de quelque chose que j’ai fait, que j’ai dit avant même de la connaître, elle était condamnée. Elle aurait mérité un mari aimant pas un gars comme moi.

ACONIA – Tu l’aimes ?

ARTHUR – Pardon ?

ACONIA – Ta femme. La bretonne. Tu l’aimes ?

ARTHUR – Je … pense pas. Pour quoi faire puisqu’elle est restée en Bretagne ?

ACONIA – Parce que moi je ne t’aime plus. Enfin je t’apprécie mais plus comme à l’époque.

ARTHUR – Moi pareil.

ACONIA – Ça me soulage de t’entendre dire ça. J’avais peur qu’on ne soit pas sur la même longueur d’onde.

ARTHUR – Si, si, ne t’inquiète pas.

ACONIA – C’était une erreur ce mariage. J’étais loin de mon mari, depuis longtemps, toi tu étais jeune, fringuant …

ARTHUR – Alors on repart à zéro ?

ACONIA – Avec plaisir, Arturus.


Arthur et Eurydice sont dans une chambre. Ils sont couchés côte à côte comme quand ils étaient sur sa route.

ARTHUR – Tu m’as jamais posé de question pour mon nom.

EURYDICE – C’est vrai ça ! Tu préfères Arturus ou Arthur ?

ARTHUR, étonné – Comment ça ?

EURYDICE – Arturus c’est romain, l’équivalent breton c’est Arthur alors tu préfères lequel ?

ARTHUR – Je parlais de mon changement de prénom.

EURYDICE – Tu serais pas un peu long à la détente toi ?

ARTHUR – Pourquoi ?

EURYDICE – J’ai grandi parmi les comédiens et j’ai passé la moitié de ma vie sur les routes alors pour moi le plus bizarre c’est surtout les gens qui en ont qu’un seul, de nom. Alors Arthur ou Arturus ?


Une semaine plus tard dans les jardins, à l’aube. Arthur et Macrinus discutent. Eurydice arrive à cheval.

EURYDICE – Arthur ! Viens avec moi, je veux aller en ville.

ARTHUR – Non.

EURYDICE – Comment ça non ?

ARTHUR – Elle est à combien de temps de cheval la ville ?

EURYDICE – Deux heures maximum. Une heure et demi en poussant les chevaux.

ARTHUR – Et bien non merci.

MACRINUS – Tu reviens ce soir ?

EURYDICE – Évidement, je serais à l’heure pour le dîner. Pourquoi tu demandes ça ?

MACRINUS – Parce que la dernière fois que tu es partie sur un coup de tête tu as mis 16 ans à revenir.

EURYDICE – Non mais là j’ai rien de particulier à faire.

ARTHUR – Alors pourquoi tu y vas ?

EURYDICE – Je sais pas trop mais je sens qu’il faut que j’y aille.

ARTHUR – Et bien bon vent !

Eurydice tourne la bride et part au galop.


Il fait nuit noire depuis longtemps. Arthur, Aconia et Macrinus sont installés dans le triclinium. Ils mangent.

ARTHUR – En même temps on pouvait pas l’attendre indéfiniment pour manger.

ACONIA – Arturus a raison. Si elle voulait partager le dîner avec nous, elle n’avait qu’à se presser.

MACRINUS – Il lui est arrivé quelque chose. Elle devrait être là depuis longtemps.

ACONIA – Il est bien plus probable qu’elle soit de nouveau disparue pour une décennie plutôt qu’un malheur lui soit arrivé.

MACRINUS – Ne parle pas de malheur je t’en prie !

SERVITEUR, entrant – Eurydice est arrivée. Elle m’a demandé de vous dire qu’en revanche elle ne venait pas manger.

ARTHUR – Qu’est-ce qui se passe ?

MACRINUS – Me voilà soulagé.

SERVITEUR – Et bien, en fait …

ACONIA – Elle en a encore ramené un c’est ça ?

SERVITEUR – Oui mais celui-là ce n’est pas un clodo standard. C’est une loque de voyageur. Pour rassurer madame, il suffira sûrement de le remettre d’aplomb qu’il reparte.

ACONIA – Elle n’arrêtera donc jamais ?

ARTHUR – Ça va, ces 16 dernières années elle a pas dû vous refourguer masse de pécores.

MACRINUS, à Aconia – Et puis tu es mauvaise langue. De ceux qu’elle a ramené on compte aujourd’hui notre scribe, 2 de nos gardes les plus loyaux, un écuyer, 3 bonnes parfaitement serviables …

ACONIA – Arrête de la défendre sans arrêt.

MACRINUS – Je souhaite simplement apporter un peu de contraste à tes propos.

ACONIA – Depuis qu’elle est gamine c’est comme ça.

MACRINUS – Je sais que tu voulais la voir partie pour de bon mais il m’a semblé que ce couple atypique était parfait pour son éducation.

ACONIA – Et comme ça tu la gardais près de toi !

ARTHUR, au serviteur en ignorant les deux autres – Du coup Eurydice elle fait quoi .

SERVITEUR – Apparemment son clodo avait des puces. Elle a fait brûler ses vêtements et s’occupe maintenant de le laver. C’est d’ailleurs en voyant l’ampleur de la tâche qu’elle m’a envoyé vous voir.

ARTHUR – Mais du coup, moi je peux aller la voir ?

SERVITEUR - … bah oui, aux bains.

Arthur se lève, salue ses hôtes toujours en train de débattre et prend la porte. Il connaît le chemin maintenant. Quand il arrive, Eurydice sèche les cheveux d’une personne nue comme au premier jour. On distingue sans mal une bonne partie de ses vertèbres et de ses côtes.

ARTHUR – Alors Eurydice comment s’est passé cette journée ?

EURYDICE – Très bien, d’ailleurs regarde qui je ramène.

ARTHUR – Perceval !

PERCEVAL – Sire ! Mais qu’est-ce que vous faîtes là ?

ARTHUR – C’est plutôt à moi de vous poser la question.

PERCEVAL – Je me suis paumé. J’ai bien cru que j’allais y passer.

ARTHUR – Bon sang mais je croyais que vous étiez … Et puis zut, venez là.

Arthur enlace Perceval qui est un peu perdu au début mais qui finit par en profiter. C’est à ce moment qu’Arthur se rend compte de la bizarrerie de la chose et le lâche.

EURYDICE – Allons manger un morceau.

PERCEVAL – Ça tombe bien, j’ai une faim d’ours !

ARTHUR – De loup … Vous pouvez avoir faim, il vous reste que la peau sur les os.

PERCEVAL – Ah ça, c’est normal. Ça fait 3 jours que j’ai rien becté. Et puis avant ça c’était pas bien jojo non plus.

ARTHUR – 3 jours ! On y va tout de suite, allez !

Arthur pousse Perceval dehors. Eurydice les suit en souriant.


Dans le triclinium avec Arthur, Perceval, Eurydide, Aconia et Macrinus. Arthur partage son lit avec Eurydice et Macrinus avec Aconia, Perceval occupe la 3e couche. Il est le seul assis.

PERCEVAL – Ça fait drôlement du bien de se caler les boyaux.

ARTHUR – Qu’est-ce que vous foutez en Macédoine ?

PERCEVAL – Où ça ?

ARTHUR – En Macédoine.

PERCEVAL – Je sais pas où c’est ça.

ARTHUR – C’est ici ! Comment est-ce que vous êtes arrivé jusqu’ici ?

PERCEVAL – Je vous ai dit, je me suis paumé.

ARTHUR – C’est sacrément loin de la Bretagne quand même.

PERCEVAL – Ah mais là j’étais sur le chemin du retour.

EURYDICE – Comment tu peux être sur le retour si tu ne sais pas où tu es.

ARTHUR – De retour ? Mais vous êtes allé jusqu’où ?

PERCEVAL – Je sais pas j’étais paumé à ce moment-là aussi.

ARTHUR – Mais pourquoi vous êtes parti si loin ?

PERCEVAL – C’est à cause de la rousse, elle m’a dit de « suivre mon instinct ». Sauf que moi j’étais pas trop sûr de savoir ce que ça voulait dire alors je suis parti un peu comme ça.

MACRINUS – Et vous avez marché sans savoir où vous alliez à travers toute l’Empire ?

ACONIA – C’est vrai que c’est assez prodigieux.

ARTHUR – Reste à savoir si c’est de la persévérance ou de la connerie …

MACRINUS – Qu’importe ! Vous devez être exténué.

PERCEVAL – C’est pas faux.

MACRINUS, se lève – Les amis de ma fille auront toujours une place ici. Je vais de ce pas vous faire préparer une chambre.

Dès qu’il est sorti, Perceval se penche en avant, d’un air de confidence.

PERCEVAL, à Eurydice – Pourquoi il t’appelle « ma fille » ?

EURYDICE – Comment ça ?

PERCEVAL – Bah il sait pas que c’est le Roi ton père ?

ARTHUR – Quoi ?

EURYDICE – Si si, il est au courant. C’est Arthur qui était pas au courant.

Arthur s’évanouit.

ACONIA – Qu’est-ce que tu as été raconter à cet homme ?

EURYDICE – Mais je ne lui ai rien dit !

PERCEVAL – Je suis pas un jambon non plus. Elle lui ressemble comme deux gouttes d’eau.

ACONIA – Il faut pas exagérer non plus …

EURYDICE – Ça fait des mois que je vis avec Arthur. Il n’a jamais rien remarqué. Ni pour moi , ni pour les autres.

PERCEVAL – Quels autres ?

ACONIA – Tu as trouvé des frères et sœurs finalement ?

EURYDICE – Ça n’a pas été trop dur, il en a semé un peu partout dans le royaume de Logres. J’en ai pas rencontré des milles et des cents mais au moins une fois tous les 6 mois je dénichais un frangin. Y avait quand même beaucoup plus de filles que de garçons.

ACONIA – Comment ça ?

EURYDICE – Je n’ai que 2 frères alors qu’on doit être une vingtaine de filles. De tous, c’est moi l’aînée.

PERCEVAL - Mais je comprends pas, il savait pas Arthur ?

ARTHUR, marmonnant faiblement – Non il ne savait pas … on lui a rien dit … On lui dit jamais rien à Arthur …

EURYDICE – Et qu’est-ce que tu aurais fait si t’avais su ?

Arthur hésite puis se réinstalle et passe ses bras autour d’Eurydice.

ARTHUR – J’aurais commencé par ça.

EURYDICE – Oui enfin cette étape-là, on l’a déjà passée.

ARTHUR – Sauf qu’avant je ne savais pas que tu étais ma fille.

EURYDICE – Et ça change quoi ?

ARTHUR – Tout ! Ça change tout. Tu n’as aucune idée de ce que ça représente pour moi, de la croisade que j’ai mené à la recherche d’enfant.

EURYDICE – Si, si t’inquiète pas, j’ai bien cerné le truc.

ACONIA – On dirait que tu es surpris d’avoir un enfant. Tu m’avais plutôt semblé être un homme qui aimait les femmes.

ARTHUR – Oui, non, alors … oulà, c’est pas la question. Le truc c’est que moi on m’a dit que j’étais infécond.

EURYDICE – Ah ! Il s’est bien foutu de toi celui qui t’a dit ça.

PERCEVAL – L’important c’est que finalement c’était pas vrai non ?

ARTHUR – Oui enfin moi derrière, j’ai frisé la correctionnelle …. Et les autres ?

PERCEVAL – Quels autres ?

EURYDICE – On t’a jamais caché qu’on était frères et sœurs.

ARTHUR – Oui mais quand vous disiez famille, je croyais que vous vouliez dire « famille », pas famille-famille. Alors eux-aussi, ils sont de moi ? C’est … c’est bien … bien bien. Et ils le savent eux ?

EURYDICE – Je leur ai jamais dit mais ils ont tous deviné.

ARTHUR – En somme il n’y avait plus que moi pour n’être au courant de rien.

EURYDICE – On peut compter aussi le reste du royaume de Logres. Ils vous croient mort carrément.

PERCEVAL – Ah non faut pas commencer à dire des trucs comme ça.

MACRINUS – C’est bon. La chambre est prête.

PERCEVAL – Je veux bien allez roupiller un peu moi.

EURYDICE – Attend, je vais te montrer le chemin.

Ils se lèvent et sortent.

ARTHUR, à Aconia – Et toi pourquoi tu ne m’as rien dit ?

ACONIA – J’ai vu que Eurydice ne t’avait pas mis au courant alors j’ai joué la même partition.

MACRINUS – Alors ça y est. Il sait ?

ARTHUR – D’ailleurs comment tu l’as appris toi ?

MACRINUS – C’est Aconia qui m’a tout raconté avant même de m’annoncer sa grossesse.

ARTHUR – Et tu l’as bien pris ?

MACRINUS – Pas vraiment mais je revenais juste de Bretagne. Je me suis dit qu’on allait tout reprendre sur de nouvelles bases.

ACONIA – Tu aurais dû exiger que je me débarrasse de l’enfant.

MACRINIUS – Je n’aurais rien dit, tu l’aurais bien fait toi-même. J’ai dû lutter pour garder Eurydice ici.

ARTHUR, à Macrinus – Je ne comprends plus rien. C’est Aconia qui n’en voulait pas et toi qui a voulu la garder.

ACONIA – Je suis désolée Arthur mais avec la culpabilité … je n’ai jamais pu l’apprécier. Macrinus s’en est épris comme de son propre enfant, elle a grandi avec l’amour d’un parent.

ARTHUR, à Macrinus – C’est bon ça. Je pense sincèrement qu’elle a fini par prendre ta tolérance comme une ligne de conduite.

MACRINIUS – C’est une jeune femme exceptionnelle.

ACONIA – Et pourtant qu’est-ce qu’elle pleurait petite. On avait l’impression qu’elle avait toujours la mort dans l’âme.

ARTHUR – Elle doit tenir ça de moi …


Eurydice dort dans les jardins. Perceval approche. Elle tend le bras.

PERCEVAL – Tu ne sais pas où est le Roi ?

EURYDICE – Si, par là-bas mais pour l’instant il est plus Roi de rien du tout.

PERCEVAL – C’est des conneries ça. Arthur, épée pas épée, royaume pas royaume, c’est le Roi c’est tout.

EURYDICE – En tout cas, tu devrais éviter de l’appeler « Roi » ou « Sire ». Je crois qu’il est pas bien près encore à … Tu vas le voir là ?

PERCEVAL – Bah oui.

EURYDICE – Je viens avec toi.

Elle se lève, ils partent. Arthur fait une sieste à l’ombre d’un arbre isolé.

PERCEVAL – Ouah trop classe. Tu l’as trouvé du premier coup, moi il m’aurait fallu deux heures au moins. Hey sire ! Sire !

ARTHUR – Ne m’appelez pas Sire.

PERCEVAL – Je vois pas bien pourquoi je devrais arrêter de vous appeler Sire.

ARTHUR – Parce que je ne suis plus Sire.

PERCEVAL – Mais vous êtes bien Roi non ?

ARTHUR – C’est Lancelot le Roi maintenant.

PERCEVAL – Bah non, Lancelot il est régent. (Arthur le regarde avec des yeux ronds.) Quoi j’ai dit une connerie ? Enfin après je suis pas trop sûr de savoir ce que ça veut dire « régent ».

ARTHUR – Non, non, c’est juste.

PERCEVAL – Donc j’avais raison, c’est toujours vous le Roi.

ARTHUR – Non. Ne rendez pas ça plus difficile que ça ne l’ai déjà. Le Roi c’est celui qui retire Excalibur du rocher. En attendant toutes ces conneries de « quête du Graal » ça concerne Lancelot, moi j’en ai ma claque.

PERCEVAL – Ah bah merde … Je vous ramenais justement quelque chose.

Perceval sort une coupe, tout ce qu’il y a de plus ordinaire.

ARTHUR, tendant la main – Qu’est-ce que vous voulez que je foute d’un …

Au moment où il touche la coupe, il a des visions par flashs. Une table tout en long avec Lancelot qui préside sur un trône. Bohort tremblant, tapi dans une obscurité. Hervé de Rinel est enfermé au cachot. Yvain et Gauvin discutant sous cape avec Venec. Karadoc se préparant un sandwich. Père Blaise penché sur un parchemin, les mains en sang. Léodagan au coin du feu avec de la paperasse. Calogrenant enchaîné et inconscient, nageant dans la crasse. Merlin au milieu de la forêt. Puis une porte et tout à coup le rythme se calme.

Arthur ne voit plus que cette porte lourde, massive, fermée. Il la voit de plus en plus près et finit par passer au travers. Il découvre alors une chambre certes spacieuse mais calfeutrée. Les deux fenêtres sont plus semblables à des meurtrières et ne laisse presque rien voir de la vision qu’offre le haut d’une tour. Il y a une bibliothèque garnie et un grand lit. Dans ce dernier, il y a quelqu’un. Arthur ne peut pas distinguer encore le visage puisqu’elle lui tourne le dos, un dos nu. Ses épaules sont secouées par les sanglots. Arthur s’approche en contournant le lit. C’est Guenièvre. Elle a le visage couvert de larmes. Arthur reste figé devant cette vue. Il sait ce qui s’est passé et ce qui se passera. Il en a le cœur qui saigne. Jamais il n’a vu femme plus triste que Guenièvre.

ARTHUR, émergeant de ses visions – Il m’a trouvé le Graal ce con … (Il s’évanouit.)

EURYDICE – Ça devient une habitude en ce moment !

PERCEVAL – Je comprends pas moi quand j’y touche à ce machin, je vois Arthur. Se voir soi- même ça doit causer un choc quand on n’est pas prêt.

EURYDICE – Non, c’est pas vraiment ça qu’il a vu.


Plus tard, Arthur a repris ses esprits. Il rassemble ses affaires à la hâte.

PERCEVAL – Qu’est-ce qui vous prend Sire ?

ARTHUR – C’est fini les conneries. On y va.

EURYDICE – Comment ça ? Allez où ?

ARTHUR – En Bretagne. Si j’ai laissé le trône à Lancelot c’était pour lui donner une chance de faire mieux que moi. Si tout ce qu’il a à proposer c’est de jouer les tyrans, moi-aussi je peux le faire.

PERCEVAL – Vous comptez faire quoi alors ?

ARTHUR – Je vais aller lui botter le cul.

EURYDICE – Enfin ! Les chevaux sont prêts, on peut partir quand tu veux.

ARTHUR - « On » ? Je crois que vous n’avez pas bien compris. Moi je me casse mais vous deux, vous restez ici.

EURYDICE – Il n’en est pas question.

PERCEVAL – Ah ça non alors ! Sire je me suis démené pour vous retrouver, je vais pas vous laisser filer maintenant.

ARTHUR – Je pars pas en ballade. Dès que j’aurais remis un orteil dans le royaume de Logres, Lancelot va sûrement essayer de me faire tuer.

EURYDICE – Raison de plus pour qu’on soit avec toi.

ARTHUR – Au contraire, vous allez rester sagement ici et je reviendrais vous chercher quand j’en aurais terminé.

PERCEVAL – Le Roi Arthur de la légende, il est toujours accompagné par des gars de la Table Ronde.

ARTHUR – Y a plus de Table Ronde.

PERCEVAL – Ouais mais moi je croyais que c’était une image.

ARTHUR, levant les yeux au ciel, à lui-même – Ça y est, ça recommence. (À Perceval.) Qu’est-ce qui est une image ?

PERCEVAL – Bah la Table Ronde. Je pensais que c’était une métaphore pour dire qu’on était tous unis et tous égaux.

Arthur est bouche bée.

EURYDICE – Elle était bien ronde la table que vous avez utilisez.

PERCEVAL – Ouais mais j’avais jamais fait le rapprochement.

ARTHUR – Allez préparez vos affaires, on part dans une heure.

PERCEVAL – J’aime trop quand vous dites des trucs comme ça Sire, c’est classe.

EURYDICE, à Perceval – C’était surtout un ordre. Va faire tes bagages.

PERCEVAL – Ah ouais pardon.

Il sort.

ARTHUR – Ça vaut aussi pour toi.

EURYDICE – Depuis qu’on t’a rejoint à Rome, mon sac a toujours été prêt. Tu comptes t’y prendre comment ?

ARTHUR – Je pensais aller à cheval jusqu’au premier port puis accoster le plus près possible de Kaamelott.

EURYDICE – Si tu veux mon avis ce n’est pas une bonne idée.

ARTHUR – Pourquoi ?

EURYDICE – Parce que c’est exactement ce que tu avais fait la première fois quand tu étais un romain découvrant la Bretagne. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Tu es un Roi qui va retrouver sa place. Alors on va accoster en Aquitaine.

ARTHUR – En Aquitaine ? Tu as une idée de la trotte que ça représente d’Aquitaine à Kaamelott ?

EURYDICE - Oui merci, j’ai déjà fait la route. Il faut que le peuple te voit. C’est le meilleur départ possible.

ARTHUR – Jamais Lancelot ne laissera ça arriver. Ce n’est pas un débutant.

EURYDICE – Il a beau avoir de l’expérience, si la nouvelle se répand qu’Arthur Pendragon est de retour il ne pourra pas y faire grand-chose … à moins de zigouiller les bonnes gens par paquet de dix.

ARTHUR – Pourquoi est-ce que le duc d’Aquitaine ne me dénoncerait pas ?

EURYDICE – Il est puissant et t’aime bien. Dès qu’il rencontre le moindre problème, le pauvre gars se demande ce que toi tu dirais alors ce serait bien la dernière s’il voulait pas nous donner un coup de patte.

ARTHUR – Et comment tu sais ça toi ?

EURYDICE – J’ai mes informateurs.

ARTHUR – Et pour Excalibur ?

EURYDICE – Tu es bien placé pour savoir que ce n’est pas n’importe quoi cette épée. On la récupère pas comme ça au début de l’aventure.

ARTHUR – C’est ce que j’ai fais la première fois.

EURYDICE – Tout ça pour finalement la replanter.

ARTHUR – Et je me défends comment sans épée ? Avec le rubius ?

EURYDICE – Non justement, suis-moi.

Elle l’emmène jusqu’aux forges.

FREYA – Tiens ! Je me demandais quand vous vous pointeriez. Attendez que j’attrape ce qui nous intéresse.

Freÿa tend un fourreau à Arthur. Ce dernier dégaine.

ARTHUR – C’est une lame magnifique.

FREYA – Et tranchante comme un rasoir. Faites donc gaffe à pas vous couper un bout, je déclinerais toute responsabilité. Et tiens pour toi la petite.

Eurydice prend son épée, fait quelques moulinets avec puis l’attache dans son dos.

EURYDICE – Merci beaucoup.

ARTHUR – Oui merci.

Ils sortent.

EURYDICE – Alors elle te plaît ?

ARTHUR – Évidement, t’as vu la tronche du machin !

EURYDICE – Je me disais que peut-être, parce que celle-ci elle fait pas de flammes.

ARTHUR – Non, elle est très bien, ne t’inquiète pas.

EURYDICE – Je suis contente que tu aimes parce que j’ai un autre cadeau pour toi.

ARTHUR – Qu’est-ce que c’est ?

EURYDICE, montre le bandage autour du poignet – Commence par enlever ce truc.

ARTHUR – Non.

EURYDICE – Comment ça « non » ? Ce n’était pas une question Arthur. Fais pas l’enfant. Tu gardes le même tissu dégueu depuis que je te connais alors tu vas me faire le plaisir de l’enlever.

ARTHUR – Non. Je peux pas.

EURYDICE – Arthur, allez !

ARTHUR – Je peux pas je te dis !

EURYDICE – S’il te plaît, donne-moi au moins une bonne raison.

ARTHUR – Tu ne peux pas comprendre.

EURYDICE – Au contraire, je suis la mieux placée pour savoir. Tu veux vérifier ?

Arthur reste interdit alors qu’Eurydice lui tend elle-même son poignet couvert.

ARTHUR – Qu’est-ce que ça veut dire ?

EURYDICE – Que les dieux se sont un peu foutu de moi. Toi ils t’ont confié la quête du Graal, pour t’aider ils t’ont donné un ange, une épée magique, un royaume. Moi ils m’ont confié une tâche presque aussi dure et pourtant … à quoi j’ai eu le droit moi ? À une « connexion privilégiée avec l’objet de ma quête ». À peine sortie du ventre de ma mère, on me donne des visions. Tu t’imagines toi, gamin, essayant d’avoir une vie normale et des amis alors que 15 fois par jour des visions de bataille surgissent de nulle part. Plus tu apprends à connaître du monde et plus tu fais attention à ce qui tu dis parce que si par malheur tu te mets à parler de la Bretagne, de Guenièvre ou de Lancelot, les gens te prendront pour un fou alors que pour toi ce sont des personnes que tu connais depuis ta plus tendre enfance. Tu t’imagines presque pas encore capable de parler mais déjà dépressif. Tu ne t’arrêtes jamais en plus ! Pas une seule journée, dans toute ma vie, où tu ne m’as pas envoyé une vague d’ondes négatives.

ARTHUR – Tu ressentais tout ?

EURYDICE – Presque.

ARTHUR – Et tu voyais tout ?

EURYDICE – Non faut pas exagérer quand même, je vis ma vie aussi parfois. Les visions ne me montraient que des épisodes forts.

ARTHUR – Et … alors …

EURYDICE, tendant un peu plus son poignet – Et alors qu’en penses-tu ? (Elle commence à délasser son brassard.) Comment penses-tu que j’ai réagi quand, toi-même au 36e en-dessous, tu as décidé d’aller dans ce bain ? J’ai tout vu, de Guenièvre jusqu’à Lancelot. J’ai tout ressenti … J’ai tout fait.

Le brassard tombe, révélant un poignet meurtri de sombres cicatrices. Il détourne le regard et découvre lui-aussi son poignet.

ARTHUR, honteux – Je suis désolé.

EURYDICE – Parfois les dieux nous collent quelque mission ou quête au train. On passe des années à se demander « Pourquoi ? » et puis surtout « Pourquoi moi ? ». Y en a qui ne comprendront jamais mais pour ceux qui un jour acceptent leur destin, qui un jour comprenne leur rôle, rien ne peut plus les arrêter. Pendant des années je t’ai pris pour une malédiction, je t’ai cru ami imaginaire démonique. Puis j’ai accepté en me disant que finalement tu n’étais qu’un pauvre type. Maintenant je te suivrais jusqu’en enfer Arthur Pendragon, Roi des Bretons !


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