Le poids des Apparences

Chapitre 6 : Souvenirs d'enfance

3134 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 24/04/2020 18:43

Lilith avait chantonné durant tout le trajet du retour. Le cœur léger, elle avait souhaité une bonne nuit à Liam avant de rejoindre ses appartements, se défaire rapidement de sa tenue et s'écrouler sur son lit. Elle roula alors gaiement sur le côté avant de s'enfouir dans ses draps. Elle avait obtenu un tête à tête. C'était assez inespéré étant donné l'attitude peu encourageante d'Erwin jusqu'alors. Elle laissa son esprit redessiner chaque expression du beau blond durant la soirée. Mais qu'il était beau. Elle fixa soudainement le plafond d'un air sérieux. Beau, mais inaccessible. Elle n'aimait pas lorsqu'Erwin érigeait ce mur immense et froid entre lui et elle. Elle n'était pas armée pour le fissurer, et désirait davantage qu'il lui dessine une porte. Elle avait parfois le sentiment qu'Erwin la désirait, mais ne pouvait porter un regard objectif sur ses intuitions. Elle se savait bien trop euphorique à l'idée de l'intéresser pour être sûre que cela soit vrai. À la fois apeurée par cette perte de contrôle et satisfaite de ce lâcher prise forcé, Lilith n'était sûre que d'une chose : plus elle le voyait, et moins elle imaginait sa vie sans lui.


Frustrée et soudainement envahie d'un étrange sentiment de solitude, la belle noble agrippa son oreiller et s'enroula dans ses draps avant de s'abandonner aux bras de Morphée.


Ce fut Liam qui dû réveiller la belle brune, tant son sommeil était profond. Habituellement, Lilith se réveillait aux aurores, en même temps que le soleil. Le jeune homme n'eut pas le cœur à la sortir de suite de ses songes, et s'assit quelques instants sur le côté de son immense lit. Contrairement au reste de la journée, Lilith lui semblait toujours en paix lorsqu'elle dormait. Son visage était détendu, et il jurerait qu'elle arborait même un léger sourire. La jeune femme dormait les cheveux détachés, et les premiers rayons de soleil de la journée leur donnaient un aspect étincelant. Liam n'était pas quelqu'un de romantique, mais il devait bien avouer qu'il appréciait tout spécialement cet instant privilégié, durant lequel le temps semblait se suspendre. Il n'avait jamais osé la toucher, ayant bien trop peur qu'elle ne se réveille subitement, le regard noir, et ne lui balance son oreiller en plein tête. Ce matin là ne fit pas exception à la règle, et il finit par appeler la jeune noble d'une voix douce mais grave.


Lilith se réveilla au bout du troisième appel. Quelque peu contrariée de ne pas s'être levée seule, elle s'enfouit le visage dans son oreiller sous les rires de son homme de confiance, qui se leva pour la laisser émerger en paix. Liam descendit les escaliers de la belle demeure et prit son petit déjeuner en présence des quelques domestiques du château. Personne ne lui adressa la parole. Il faut dire qu'à part avec Lilith, le jeune brun n'était pas vraiment loquace. Hormis en présence de ses proches, son visage était fermé, froid, interdit. Il soupira. Lilith allant accompagner Erwin Smith une bonne partie de la journée, c'était quasiment un jour de congé le concernant. Mais Liam n'aimait pas Hermina. Il ne connaissait personne en ville, et ne savait jamais comment combler ses journées de libre. Lasse, il décida de rester au château et s'enferma dans la bibliothèque de Lilith. La jeune femme avait une collection incroyable disséminée dans plusieurs de ses demeures. Il entendit soudainement la fameuse noble pousser un cri. Il ricana. À tous les coups, elle venait de se souvenir du rendez-vous avez Erwin Smith…


Et effectivement, ce n'était pas le moment de trainer au lit ! Elle se jeta hors des draps et alla se rincer le visage dans sa salle d'eau. La belle brune choisit une tenue confortable pour chevaucher et revêtit alors un pantalon gris et une chemise blanche par dessus laquelle elle enfila un gilet noir sans manche qu'elle boutonna rapidement. Elle s'empara de ses bottes, se coiffa à la va vite, et se maquilla légèrement les yeux avant d'accourir aux écuries. Là, elle salua sa monture habituelle et le pansa. Une fois scellé et harnaché, le magnifique étalon noir sortit de lui-même de son box et attendit sagement que Lilith mette le pied à l'étrier avant de galoper gaiement vers l'extérieur.


Comme elle pouvait s'y attendre, Erwin Smith était déjà aux portes de la ville, en uniforme réglementaire. En la voyant arriver à cheval, il monta rapidement sur le sien et alla à sa rencontre. Il avait l'air détendu et amusé, Lilith en perdit quelque peu sa contenance.


- Vous êtes prête ? Lui demanda-t-il tout en trottant à ses côtés.

- Toujours. Répondit-elle tout en ajoutant « avec toi » en son fort intérieur.


Il se plut à remarquer qu'elle s'était coiffée d'une queue de cheval simple et mal faite : de nombreuses mèches s'en dégageait déjà. Il aimait apercevoir sa nuque. De manière générale, c'était quelque chose qui lui plaisait. Étonnamment, Lilith concentra ses questions sur le Bataillon des Forces d'Exploration. Cela n'était pas pour lui déplaire, mais il était surpris qu'elle n'en profite pas pour lui poser des questions personnelles, ou plus intimes. Il n'arrivait pas à la cerner. Elle était tantôt intimidante, tantôt timide, souvent insondable. Elle paraissait vraiment intéressée par ses réponses, et ses interrogations étaient presque trop pointues et singulières pour qu'elles ne soient qu'une manière polie de faire la conversation. Cela le rendait curieux, d'autant plus que pour une fois, il n'avait pas l'impression qu'elle cherchait à obtenir une information ou quoi que ce soit d'autre. Sa voix était plus enjouée que d'habitude, et une petite lueur dans ses pupilles le confortait dans l'idée qu'il ne la laissait pas indifférente. Il y avait autre chose qu'Erwin appréciait tout spécialement chez elle en l'instant, c'était sa simplicité. Elle ne jouait pas, ne se faisait pas désirer, c'était simple et agréable. Surprenant venant d'elle, mais très agréable.


Cela faisait quelques temps qu'ils avaient arrêté de parler, sans pour autant en être gênés, et le début du chemin menant à leur QG les fit sortir de leurs pensées respectives.


- Nous y voici. Je dois parler à Hanji qui travaille au sous sol, si vous le souhaitez je vous laisse visiter le domaine et je reviens vous chercher.


Lilith se contenta d'acquiescer en silence. Ce château ne lui était pas inconnu, mais elle fit semblant de le découvrir pour la première fois. Ils laissèrent leurs montures dans l'écurie et le beau militaire entra dans la bâtisse tandis que la Duchesse resta à l'extérieur. Il faisait bon, et elle décida de s'allonger dans l'herbe, tout en espérant qu'elle ne s'endormirait pas. Elle respira profondément et se délecta des rayons du soleil. Erwin avait répondu à toutes ses questions avec un enthousiasme non dissimulé, cela lui avait beaucoup plu. C'était assez admirable combien il pouvait être engagé pour l'Humanité, malgré toutes les horreurs et les dangers que cela impliquait. Il lui semblait parfois idéaliste, mais si déterminé et solide. Elle ne connaissait personne de sa trempe. Ni d'aussi attirant, mais là elle s'égarait dangereusement.


- Lilith ?


Elle sursauta en rouvrant les yeux. Erwin se tenait debout juste au-dessus d'elle. Elle lui décocha son plus beau sourire mais cela ne suffit pas à lui faire oublier qu'elle était en train de rire toute seule, avec un air sûrement très suspect. Lilith allait se relever pour revenir à sa hauteur mais ce fut lui qui la rejoignit et s'allongea à ses côtés. Elle ne put se résoudre à se décaler lorsque leurs épaules se touchèrent et resta immobile tandis qu'Erwin ne bougea pas non plus d'un cil. Ce ne fut que lorsqu'elle s'imagina raconter « tout ça » à son amie que Lilith réalisa qu'il n'y avait en réalité « rien » à raconter, et elle se sentit complètement ridicule. Il allait falloir qu'elle passe à la vitesse supérieure… Hors de question que la seule chose qu'elle puisse compter à son amie soit un effleurage d'épaules... Mais chaque chose en son temps. Elle avait mille questions sur lui et brûlait d'envie de le connaitre davantage.


- Erwin quelles genres de personnes étaient tes parents ? Demanda-t-elle soudainement.

Il mit quelques secondes à répondre, surpris qu'elle le questionne plus intimement sans aucune transition, et surtout, elle se soit décidée à le tutoyer.


- Mon père était instituteur, c'était un homme brillant et érudit. Je n'ai pas connu ma mère, elle est morte en accouchant.

- Je ne pensais pas qu'ils étaient tous deux décédés, pardon de t'avoir lancé sur ce sujet.

- Mon père était passionné de littérature, il partageait beaucoup d'ouvrages avec moi, et j'ai fini par moi aussi devenir passionnés de livres. J'aime beaucoup lire et apprendre.

- Si tu aimes les livres alors tu devrais jeter un œil à ma collection privée ! S'exclama Lilith avant de regretter son enthousiasme.

- C'est une technique de la noblesse pour ramener quelqu'un chez soi ? Demanda-t-il, hilare.


Elle ria aux éclats avant de se couvrir le visage et lui intimer d'oublier ce qu'elle venait de dire. À son grand damne, il lui retourna la question. Jusque là, Erwin ne lui avait pas posé de questions en retour, et lui avait laissé mener la danse. Elle regretta immédiatement de l'avoir interrogé sur ses parents et s'apprêtait à changer de sujet lorsqu'il planta son regard dans le sien. Elle sentit immédiatement qu'il n'apprécierait pas son refus de répondre. Il s'était un peu livré après tout, c'était de bonne guerre. Et puis, comment pouvait-elle refuser quoi que ce soit à ces yeux bleus perçants… Bien qu'elle aurait préféré goûter à ses lèvres à la place, elle tourna la tête pour ne pas lui faire face et répondit sans détour à la question.


- Ma mère était une Duchesse de Sina, une femme très belle mais très seule. Mon père biologique n'est pas le Duc Everglow. Je suis une enfant illégitime, et lorsqu'il s'en est aperçu, j'avais 6 ans et il a tout de même décidé de me garder. Ce n'est pas un secret, bien que ça ne soit pas très connu du grand public.

- C'est respectable de sa part.


Elle laissa échapper un rire et ajouta :

- Ma mère ayant mis fin à ses jours, et mon père ayant été exécuté, je suis devenue son exutoire. Il n'y a rien d'admirable chez lui, c'était une ordure, en tout point. Même son chien ne l'aimait pas.


« Même son chien ne l'aimait pas »… Depuis quand était-ce un critère ? Il se retint cependant de faire la blague, au vu du contexte. Il la regarda un instant, songeur. Surprenant. Il n'aurait jamais imaginé qu'elle puisse être une Duchesse illégitime étant donné tout l'intérêt que semblaient lui porter ses compères. Sa colère envers les gens de la haute société et ses rouages, en revanche elle, prenait tout son sens. Il fut étonné qu'elle ne lui parle pas de son père biologique, mais il était possible qu'elle ne sache même pas qui il était, ou qu'elle n'ait pas envie de rouvrir cette plaie. Le ton qu'elle avait employé pour lui répondre était mécanique et détaché. Il n'insista pas.


- Tu aimes cet endroit alors, c'est votre QG ? Demanda-t-elle pour clore le chapitre.


Il se mit alors à lui raconter l'étrange histoire de ce château. Le fait qu'il ait été un cadeau anonyme, qu'aucun indice ne renseignait sur l'identité de la famille qui le possédait... Puis il fit visiter les lieux à Lilith, avant de lui proposer de manger un morceau avec son escouade. Elle accepta volontiers et retrouva Hanji, Livaï, et Mike, le plus grand du groupe, avec qui elle n'avait jamais vraiment parlé. Ce point précis n'évolua pas d'ailleurs. Les autres restèrent davantage en retrait, sûrement par respect des grades.


Chacun alla remplir son assiette, et malgré son insistance, Erwin la somma de rester assise et revint avec une assiette pour elle. Elle déglutit : comme elle le craignait, il y avait de la viande. Lilith ne mangeait plus de viande depuis fort longtemps. Cela provoquait en elle un sentiment de dégoût tel qu'elle en vomissait.

Cela avait commencé avec la chute du mur Maria, et la famine qui avait suivi l'exode vers le mur Rosa des réfugiés. Les décisions importantes étaient prises par le Roi, mais dans tout monde régi par les plus riches, la voix des plus puissants comptait, et une réunion d'urgence avait été mise en place pour trancher quant à la décision à prendre pour éviter la famine. Le Duc Everglow avait alors eu la merveilleuse idée d'amener sa fille dans l'arène, alors même qu'elle n'était pas encore respectée auprès des autres. S'en était suivie la terrible décision d'envoyer 250 000 personnes au front, en prétextant vouloir reprendre le mur Maria. Lilith avait essayé de limiter le nombre de victimes en argumentant qu'il était tout à fait possible, en faisant quelques efforts, de réduire de moitié cet effectif, mais personne ne l'avait écouté. Si durant l'annonce officielle un effort avait été fait sur la forme, personne ne s'était caché lors de leur réunion à huit clos de vouloir se débarrasser des faibles afin de garder leur confort de vie. Leur quasi exécution avait été votée à l'unanimité, la voix de Lilith ne comptant pas, et le reste de la réunion demeura être un grand festin dont tout le monde se régala sans culpabilité.


Lorsqu'elle voyait de la viande, Lilith revoyait la noblesse rire à gorge déployée, boire du vin et mâcher bouches ouvertes leurs abondants morceaux de viandes saignantes, pendant que l'Humanité mourrait de faim. Lorsqu'elle voyait de la viande dans son assiette, Lilith voyait de la chair humaine, celle qui avait dû être déchiquetée en un rien de temps par les Titans du mur Maria, celle des 250 000 innocents qu'elle n'avait pu sauver. C'était viscéral, il lui était impossible d'avaler le moindre morceau de viande après cette expérience.

Ne voulant surtout pas rentrer dans les détails, mais soucieuse de ne pas les vexer, elle hésita à réagir. Après tout, la viande était synonyme de richesse et d'abondance, c'était un honneur pour eux d'en servir… il était très délicat de la refuser… Et puis d'un autre côté, vomir après la première bouchée ne serait pas bien pris non plus, et elle eut un haut le cœur rien qu'en observant le morceau de bœuf bouger dans son assiette lorsque Erwin la déposa devant elle.


Elle analysa rapidement la situation. À part les officiers de sa table, personne n'avait rien à dire. Hanji n'y apporterait sûrement aucun jugement, Erwin ne s'en formaliserait pas, Livaï la détestait déjà et elle n'avait que faire de Mike.


- Merci beaucoup pour cette assiette, mais je ne peux pas manger de viande, je suis désolée. Je vais prendre un fruit.


Un silence gênant s'installa, et Lilith se leva pour aller prendre une pomme dans le panier de fruits en face de leur table.


- Elle n'est pas assez bonne ? Tiqua Livaï tout en la fixant d'un regard noir.

- Cela n'a rien à voir, elle est sûrement excellente, mais je ne mange pas de viande.

- Étonnant pour une noble. Fit remarquer Hanji avant de lui voler son assiette sous le regard désabusé de son Commandant.


Elle lui sourit et l'encouragea à se servir. Livaï n'insista pas, et la discussion se tourna naturellement vers un autre sujet. En présence de ses compagnons, Erwin lui apparut plus froid, moins accessible, et le peu de complicité qu'elle avait pensé avoir quelques instants auparavant se volatisa en un instant. Elle tenta de lui adresser quelques regards doux, mais le mur était revenu. Elle se demanda si son statut social lui posait un sérieux problème vis à vis des autres. À cet instant, elle se repassa mentalement tout ce qu'elle avait pu dire ou faire, et se demanda l'image qu'il avait pu en recevoir. Elle réalisa alors combien elle avait baissé sa garde et cessé de contrôler son image ou même d'y faire attention. Au vu de son attitude, elle le regretta amèrement.


Après le repas, Erwin resta un long moment à travailler, et n'osant pas l'interrompre, Lilith se décida à rentrer seule. La ville n'était qu'à deux petites heures et elle ne craignait pas de chevaucher sans personne, surtout avec son étalon qui était un cheval vif et endurant. Elle laissa une note à Erwin et disparut.


Lorsqu'Erwin sortit enfin de son bureau, il se crispa en remarquant que le soleil était presque couché. Il allongea alors le pas jusqu'au hall du château et demanda aux autres où était passé Lilith. Personne ne l'avait vu partir. Erwin tomba alors sur sa note, qu'elle avait déposé sur la table basse en face du fauteuil où elle s'était installée avant qu'il ne lui dise qu'il devait régler quelques détails dans son bureau.


« Merci pour aujourd'hui Erwin »


Il se sentit mal. Non seulement il n'avait pas vu le temps passer, mais ils ne s'étaient même pas salués. La distance qui s'était installée pendant le repas ne lui avait pas échappé, et il comptait sur le chemin du retour pour retrouver cette légèreté si plaisante qu'il avait découvert avec elle, lorsqu'ils étaient seuls. Il n'avait pas non plus eu l'occasion d'en savoir plus sur elle. Il grimaça en remarquant que sa seule question avait débouché sur sa confession d'être une enfant illégitime. Il la lui avait presque arraché en plus, et avait immédiatement regretté son geste en comprenant combien elle détestait son père adoptif. Il repensa alors à leur proximité lorsqu'il s'était allongé à ses côtés dans l'herbe.


Il se surprit à espérer qu'elle ne lui en veuille pas.

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