Le poids des Apparences

Chapitre 8 : La méfiance née des omissions

3176 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 24/04/2020 18:56

Hanji ricana une énième fois. La brunette n'avait même plus besoin de préciser qu'elle se moquait de la Duchesse, et malgré son comique de répétition poussé à l'extrême, Livaï lui même se prêtait volontiers au jeu et ajoutait à chaque boutade une nouvelle remarque désobligeante. Cela durait depuis plusieurs heures déjà. Cette fois-ci, Erwin non plus ne put réprimer un rire.


- Ça aurait pu être pire remarquez… Souffla Livaï. Au moins elle ne mange pas de viande elle garde la ligne…

- Je ne sais pas…moi je pense que la plupart des exercices auraient été mieux exécutés si elle les avait fait en roulant… Pouffa Hanji tandis que Livaï lui adressait un demi-sourire satisfait.


Erwin se racla la gorge afin de redonner un peu de sérieux à leur conversation. Hanji arrêta progressivement de rire. Il se sentait quelque peu coupable de participer à tout cela alors même qu'ils savaient tous depuis le début qu'elle n'avait aucune chance d'exceller à un test militaire. C'était une Duchesse, élevée dans les perles et l'or, à l'abri de toute saleté, au beau milieu de champs de Fleurs de Mitras, la capitale. Cela aurait été très déroutant de la voir enchainer des tractions d'une seule main… Encore une fois, ils le savaient, le but était d'estimer l'étendu des dégâts. Livaï avait d'ailleurs bien compris qu'il allait devoir toujours garder un œil sur elle.


Il repensa à l'issu du test ; elle avait demandé s'ils avaient des douches sur place. Hanji s'était alors empressée de lui montrer le chemin des douches pour femmes, et s'était avancée avec elle à l'intérieur. Après avoir certainement compris qu'il s'agissait de douches collectives, elle avait froidement répliqué « je ne prendrai pas ma douche avec quelqu'un ». Amusée, la scientifique s'était alors retournée vers Livaï, qui ne tarda pas à la remettre en place avec toute la douceur et la diplomatie dont il était capable. Erwin se doutait bien qu'elle devait être contrariée, mais Lilith n'en laissa rien paraitre. Lorsque quelque chose ne se passait pas comme elle le souhaitait, elle adoptait une expression de visage encore plus énigmatique qu'à l'accoutumée. Feintant un détachement peu crédible, elle avait laissé Hanji la suivre dans le vestiaire. Lorsqu'Hanji était ressortie des douches, légèrement avant la Duchesse, elle revint prendre place à leurs côtés, et resta quelques instants silencieuse. Satisfaite d'avoir rendu toute l'assistance curieuse, elle avait fini par dire : « C'était un spectacle très intéressant ».


Erwin ne sut quoi penser de cette remarque, mais il maudit silencieusement sa collègue de lui avoir planter ce genre de réflexions dans la tête. Lilith était revenue peu de temps après, de nouveau dans sa belle robe couleur vin, coiffée d'un chignon, les cheveux mouillés. Elle avait demandé à Livaï si elle avait des exercices à faire, et celui-ci l'acheva en lui répliquant que sa cause était perdue. Elle les avait alors salué et avait quitté le bâtiment, rageuse.


- Détends-toi Erwin, elle ne changera pas d'avis.

- Ça ne sera pas grâce à toi dans tous les cas… Râla le beau blond.

- Elle a forcément ses raisons, il y a quelque chose de pas net chez elle, mais pour l'instant, ça nous arrange. Je te dis qu'elle ne lâchera rien. Elle veut venir.


Erwin soupira. Ackerman avait raison. Son intérêt pour le Bataillon trahissait qu'elle cachait forcément quelque chose. Cela lui coutait de l'admettre, car il estimait que tout le monde devait se sentir concerné, mais Lilith Everglow n'avait aucune raison de s'intéresser à leur cause. En plus d'être de la haute société, elle dirigeait un véritable empire financier, et faisait partie des plus grosses pointures de la noblesse. Elle avait cette façon d'agir qui lui rappelait ses propres machinations. Il lui était difficile de croire en sa spontanéité, car tout ce qu'elle faisait semblait servir à l'amener à des points précis. À bien s'en souvenir, la seule fois où il n'avait pas eu ce sentiment remontait à leur balade en forêt. Comme acceptant un petit détour dans ses plans, elle avait passé la journée avec lui, sans rien demander en retour. Il n'était d'ailleurs pas certain qu'elle voudrait réitérer l'expérience au vu de la fin de journée…


Il eut soudain une illumination. Naile Dork. Il devait forcément la côtoyer. Les Brigades Spéciales étaient proches de la noblesse. Les hauts gradés étaient présents à beaucoup de soirées officielles, et il était courant que les nobles fassent même appel à eux pour leur protection, lors de situations exceptionnelles. Même si Lilith ne faisait à priori pas parti du paysage politique, et n'était pas membre des conseillers du Roi, elle devait cependant être une incontournable dans le milieu. Naile ne verrait pas d'inconvénient à en discuter un petit moment autour d'un verre, et toute information était bonne à prendre. Il se souvint alors qu'elle lui avait parlé un petit moment lors de la dernière réception. Cela avait d'ailleurs attisé sa curiosité car Naile avait eu l'air particulièrement nerveux.


Ne tenant plus à l'idée de percer à jour la jeune noble, Erwin salua ses seconds et partit trouver son ancien camarade, maintenant à la tête des Brigades Spéciales. Il toqua simplement à son bureau, certain que Naile s'y trouverait, puisque l'officier avait répondu présent à la dernière soirée. Il resta quelques instants immobile. C'était un homme brun légèrement moins grand qu'Erwin, mais il possédait également une certaine prestance. Sa moustache et son début de barbe lui donnait une apparence plus âgée que son ancien camarade, bien qu'ils aient sensiblement le même âge. Erwin venait rarement le voir. Ils avaient tracés des chemins différents, et Naile n'avait pas particulièrement tenu à garder contact avec lui depuis qu'il avait choisi de devenir un paria de l'armée en rejoignant le Bataillon des Forces d'Exploration. Eux qui pourtant avaient été très proches, leurs idéologies les avaient éloignés en un temps record. Ce n'était pas un sujet qui attristait vraiment Erwin, mais lorsqu'il y pensait, il ressentait tout de même quelque chose d'amer.


Erwin manqua un battement. Si la réaction de Naile lui avait parut un peu exagéré à sa vue, ce n'était rien par rapport à l'expression de visage qu'arbora son ancien compagnon lorsqu'il prononça le nom de Lilith Everglow. Il avait complètement perdu ses moyens. D'abord, il avait parut extrêmement nerveux, avait bafouillé qu'il n'avait rien à voir avec elle, comme s'il avait été accusé. Ensuite, il avait profondément inspiré et avait invité Erwin à rentrer, se rendant compte que le blond n'avait même pas encore formulé la moindre question. Le blond ne fit aucune remarque mais commença dès lors à imaginer tous les scénarios possibles, justifiant un tel comportement. Il devinait cependant la raison globale, car Naile Dork ne réagissait d'une manière aussi puérile que face à une seule situation : les femmes. Comme il restait toujours silencieux, Erwin reprit la parole, amusé de l'ambiance très embarrassante qui était en train d'étouffer la pièce.


- Depuis la soirée de donation, Lilith Everglow s'implique quelque peu dans les affaires de mon Bataillon, et j'espérais que tu puisses me parler d'elle, pour mieux comprendre ses aspirations.

- P…Pourquoi moi Erwin ? Qui t'as dit de venir me voir ?


Là, cela devait vraiment interpellant.


- Tu es le Commandant des Brigades Spéciales, et elle fait partie de la haute société, de ce qu'on m'a dit c'est un peu une incontournable, j'ai pensé que tu avais déjà eu affaire à elle. Je t'ai vu parler avec elle lors de la réception, c'était la première fois que tu la voyais alors ?


Il jura le voir légèrement sursauter à la mention de la réception. Bon sang Naile, il avait passé la trentaine, était à la tête de la Brigade Spéciale, demeurait respecté, craint… comment pouvait-il être aussi balbutiant… Il allait tirer cela au clair.


- Naile.

- Erwin ? Demanda d'une petite voix, sachant pertinemment qu'il allait devoir cracher le morceau.

- Tu n'as quand même pas…


Naile se leva alors d'un seul coup, acculé, avant de déblatérer toutes sortes d'excuses.


- Il y a prescription, c'était il y a au moins 10 ans ! C'est elle qui est venue à moi Erwin… Tu imagines bien que je n'aurais jamais fait une chose pareille ! Et j'avais bu… surtout elle d'ailleurs… Je ne savais pas qui elle était… Je te le jure… OK ...je le savais mais je n'avais pas saisi à quel point ça allait me mettre en danger…Et puis de toute façon ça n'a aucune importance elle ne se souvient même pas de moi. Foutue jeunesse de nobles assoiffés d'attention…

- « En danger » ricana Erwin. Tu n'exagèrerais pas un peu ? Attends. Comment ça elle ne se souvient pas de toi ?

- Oui « en danger » Erwin je crois que tu ne réalises pas bien qui elle est… Et oui… lorsque je l'ai revu il y a quelques années elle s'est présentée à moi comme si on ne s'était jamais rencontré, j'ai compris qu'elle ne se souvenait même pas. Toutes ces années à essayer de l'éviter et imaginer le pire, pour rien.


Erwin hésita à rire. C'était une sacrée histoire, mais c'était tout de même un peu triste… Et Naile semblait extrêmement contrarié d'avoir dû lui en parler. Il prit alors sur lui et ne se moqua pas de son ami.


- Bien. Je n'ai jamais rien entendu de tel, ton secret est bien gardé. Que sais-tu d'elle exactement ? Qui peut m'être utile à comprendre le personnage. Je ne peux pas prendre le risque qu'elle dégrade notre réputation davantage, je veux comprendre ses intentions. A-t-elle toujours témoigné un intérêt pour l'Exploration ?

- Je la côtoie de LOIN, depuis assez longtemps, elle n'aimait pas les autres nobles. C'était plutôt une adolescente en colère, distante, insondable, et même quelqu'un comme moi a pu remarquer assez rapidement qu'elle détestait son père, le Duc Everglow. Mais il y a une dizaine d'années elle a changé radicalement.

- Avant ou après votre petite histoire… Le taquina Erwin, un demi sourire aux lèvres.

- Il n'y a jamais eu d'histoire ERWIN ! Arrête. Et c'était après, un ou deux ans après. Je ne sais pas ce qui s'est passé, elle a radicalement changé son comportement. Elle s'est mise à parader en soirée, sociabiliser avec les autres nobles, et un jour, elle est même venu me poser des questions sur toi, et sur le Commandant en place à l'époque, Keith Shadis.

- Sur moi ? Spécifiquement ? Quels genre de questions ? Demanda Erwin, une expression plus sérieuse au visage.

- Elle voulait comprendre comment ça fonctionnait : l'histoire, les grades, les décisions, la hiérarchie, la place des nobles dans les décisions de l'armée, nos relations avec le Bataillon. Te concernant toi ou Keith, elle n'a rien demandé de spécifique, mais c'était étrange… Je veux dire c'était il y a longtemps, tu étais à peine chef d'escouade et elle s'intéressait à toi comme si elle savait que tu allais reprendre le flambeau.

- Et ça ne t'est pas venu à l'esprit de m'en parler à tout hasard… Râla Erwin.

- Honnêtement, j'étais davantage intéressé à garder une distance avec elle. Elle était très différente, avec son faux sourire, ses manigances, son regard hautain… Personne ne change à ce point là, j'ai trouvé ça effrayant. J'étais déjà avec Marie, j'avais peur qu'elle me fasse chanter ou ne me cause des problèmes…

- Pourquoi voudrais-tu qu'elle te fasse chanter Naile…

- Je ne sais pas ! Mais j'ai des yeux et des oreilles : tous les nobles de Mitras la redoutent ou la détestent. Ceux qui vivent au quotidien avec elle Erwin… Ceux qui la connaissent forcément mieux que tous les jeunes Marquis et Comptes naïfs de Rosa… J'ai même entendu un jour qu'ils la suspecte d'avoir elle-même assassiner son père…

- Je ne comprends toujours pas pourquoi notre Bataillon.


Naile sembla un instant réfléchir, puis reprit la parole d'une voix plus calme et posée.


- De ce que j'ai pu voir, elle n'aime pas faire partie du troupeau. C'est possible qu'elle ait développé cette fascination pour l'Exploration par esprit de contradiction… Après tout ce n'est un secret pour personne : la noblesse vous déteste… Toujours est-il que je n'en sais pas plus, et j'apprécierais qu'on ne parle plus d'elle.


Erwin sourit. Il n'en apprendrait pas plus, et Naile avait atteint son quota de sympathie à son égard. Il le remercia et quitta son bureau, songeur. Il savait déjà que Lilith avait des relations compliquées avec la noblesse et son père adoptif. En revanche, elle n'avait jamais mentionné le connaitre depuis longtemps. Pourquoi s'intéressait-elle à lui avant même son ascension hiérarchique ? Faisait-il partie de sa partie d'échecs tout compte fait ? Quel était son rôle, que lui voulait-elle ? Il fronça les sourcils. Pourquoi cette année ? Si cela faisait presque 10 ans qu'elle se renseignait sur lui, pourquoi avoir attendu si longtemps pour faire sa connaissance ? Ou pourquoi l'avoir fait finalement ? Il détesta ce sentiment de méfiance qui venait remuer ses entrailles. L'idée de devoir la considérer comme une menace le dérangeait. Elle n'avait jamais témoigné la moindre animosité à son égard, mais elle avait menti. Ils allaient bientôt partir pour Karanese, et il lui parut inconcevable de l'amener sans d'abord tirer au clair la situation. Il allait lui faire dire la vérité.


Erwin fut particulièrement satisfait de la retrouver assise sur la même partie du mur que la veille. Il salua ses deux gardes du corps, en retrait plus en bas, comme la dernière fois, et escalada à son tour les pierres pour la rejoindre. Cette fois-ci elle se retourna la première et le regarda plus longuement que d'habitude. Elle avait l'air inquiète. Il se dit qu'elle avait bien raison.


- J'ai parlé à Naile Dork aujourd'hui. J'ai appris des choses intéressantes.

- Bonsoir Erwin, oui je vais bien, je me suis reposée et je n'en veux pas à Livaï de me traiter comme un chien, je commence à comprendre le personnage…


Il adoucit son regard un instant. Lorsqu'il avait une idée en tête, Erwin avait tendance à oublier le reste. Cette désagréable sensation de trahison avait eu raison de lui. Cependant elle lui pardonnerait bien son indélicatesse lorsqu'il la confronterait à ses mensonges.


- Tu connais Naile Dork ?

- Bien sûr que je connais Naile Dork… C'est le Commandant des Brigades Spéciales, tu me prends pour qui exactement ? S'impatienta-t-elle face à l'attitude froide d'Erwin.

- Et moi ? Répliqua-t-il d'un voix monocorde.

- Toi ? Et bien oui, je te connais aussi Erwin… Tu es bourré, tu veux en parler ? Lui dit-elle d'une voix quelque peu hautaine.

- Depuis combien de temps ?


Elle ravala son sourire. Voilà. Elle avait comprit. Elle l'invita à s'asseoir à ses côtés et il accepta. Après tout, il n'était pas non plus obligé de l'acculer de cette manière, il pouvait aussi lui laisser une chance de s'expliquer dans une ambiance plus détendue.


- On s'est rencontré récemment, mais cela faisait longtemps que je savais qui tu étais. Je t'ai aperçu il y a longtemps avant une exploration. Tu n'étais pas encore Commandant, et je ne connaissais pas grand chose du Bataillon. Tu sortais quelque peu du lot, alors je suis restée jusqu'à ce que la grande porte soit refermée. J'étais curieuse alors je suis revenue vous accueillir à votre retour. L'expédition ne s'était pas très bien passée, et… je ne sais pas comment le formuler, mais lorsque je t'ai reconnu, j'ai été choquée de voir que tu avais… perdu ton éclat. À partir de ce jour là, je me suis intéressée à l'Armée, à l'Exploration, dont personne ne parlait vraiment dans mon milieu, et je t'ai suivi. Cela n'avait aucune importance pour moi à l'époque alors je ne me suis jamais trop posée de questions à ce sujet, mais la noblesse vous déteste. J'ai voulu comprendre pourquoi, et j'ai commencé à imaginer ce que je pouvais changer avec mon influence. Je ne vais pas te mentir, je ne fais pas vraiment ça que par altruisme, j'aime les jeux de pouvoir.


Elle le regarda en biais pour jauger son humeur avant de poursuivre.


- Je ne t'ai pas parlé de ça c'est vrai, mais en même temps ça n'a aucune importance… Qu'est ce que ça peut bien changer pour toi ? Et pourquoi es-tu allé parler de moi… avec Naile en plus ?!

- Je me suis méfié, j'avais besoin d'informations. Tu sais, il n'a pas une très bonne opinion de toi… Quand l'as tu rencontré la première fois lui ?


Se souvenait-elle, ou avait-elle vraiment oublié leur aventure ? Il planta son regard dans le sien à la recherche d'indices.


- Tu m'interroges sauvagement comme si j'étais une espionne et maintenant tu veux savoir si je me souviens avoir dragué ton ami ? Tu es encore plus étrange que moi Erwin Smith.

- C'était un peu plus que de la drague m'a-t-on dit… Continua-t-il, amusé.

- Tu veux que je te le raconte ça aussi peut-être ?


Il ria avant de tapoter l'épaule de Lilith en guise de réconciliation. Elle disait probablement la vérité. Tout concordait selon lui, et il se sentit soulagé. Il appréciait également l'idée d'avoir fait naitre chez Lilith cette soif de savoir, cette envie de comprendre alors même que son environnement était construit pour ne pas qu'elle ait à se poser ces questions. Quelque part, il l'avait converti. Pouvait-il alors considérer qu'elle était une alliée ?


- Je suis de ton côté Erwin. Lui dit-elle.

- Je me posais justement la question. Avoua-t-il.

- Je peux comprendre que tu ne me cernes pas vraiment Erwin, je ne peux pas t'en vouloir vu comment j'agis. Mais s'il y a bien une chose sur laquelle tu n'as pas à douter, c'est celle-là. Je serai toujours de ton côté.


Il resta silencieux un moment avant de lâcher un magistral :

« Naile Dork quand même hein… »


Elle essaya de le taper mais Erwin bloqua son attaque d'une main, un large sourire aux lèvres.


- Garde tes forces pour Karanese.

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