Le poids des Apparences

Chapitre 12 : C'est noté.

2709 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 24/04/2020 18:48

Erwin n'avait pu résister à l'envie de questionner Livaï sur sa mystérieuse entrevue avec la Duchesse. Il avait bien essayé de se restreindre, mais sa curiosité avait été plus forte que sa fierté. Assumant pleinement d'endosser le rôle d'un adolescent jaloux, il avait alors interrogé Livaï sans détour. Égal à lui-même, le caporal brun avait haussé les épaules d'un air détaché et éludé la question. Mais le Major n'avait nullement l'intention de lâcher l'affaire. Il soutint son regard, et le suivit même jusqu'au canapé, sans pour autant lui adresser le moindre mot. L'atmosphère devint vite pesante quoiqu'un peu amusante, puis face à son entêtement, son subordonné céda.



- Elle m'a présenté des excuses et voulait repartir sur de bonnes bases avant Karanese. Elle se chie dessus si tu veux mon avis. Elle est douée pour bloquer ses émotions… je la sentais bouillonner de l'intérieur mais elle est restée calme… C'était intéressant.



Erwin esquissa un sourire, s'imaginant volontiers la scène. Sa capacité à mettre sa fierté personnelle pour arriver à ses fins n'était pas sans lui rappeler son propre comportement. C'était parfois nécessaire, bien que rarement agréable, pour ne pas dire jamais.



- Il s'est passé quelque chose ? Aucun de vous deux ne s'est jeté un regard, c'était bizarre tout à l'heure. Je dois m'inquiéter ? Fit remarquer le petit brun tout en guettant la moindre réaction d'Erwin.



Cela ne se fit pas attendre : ce dernier soupira. Le brun n'insista pas, Erwin n'avait manifestement pas envie de s'étendre sur le sujet, et c'était tant mieux. Tant que ça ne mettait pas en péril Karanese, il n'avait que faire de la raison de ce changement de comportement. C'était irritant pour lui de les regarder se tourner autour et jouer au chat et à la souris. Il ne connaissait pas cette facette de son supérieur. L'idée qu'elle puisse avoir la moindre emprise sur lui lui déplaisait fortement. Il devinait facilement pourquoi Erwin se laissait séduire, et il devait bien avouer que Lilith Everglow demeurait être une personne digne d'intérêt. Mais cela ne l'empêchait pas de ressentir une certaine animosité à son égard. Lorsqu'elle arborait ce sourire triomphant qui désarmait tout le monde, il ressentait cette envie pulsionnelle de lui éclater la tête contre un mur. Elle l'avait d'ailleurs sûrement remarqué car elle évitait scrupuleusement de le faire directement devant lui. Il devait au moins lui accorder ceci : elle était intelligente et très observatrice.



Livaï termina de ficeler l'itinéraire et les derniers détails de leur prochaine expédition avec le Major, puis il quitta le bureau avec nonchalance. La journée était déjà quasiment finie. Il aperçut Hanji et Mike dans le hall, qui étaient eux aussi sur le point de partir du grand bâtiment. La jeune femme à lunettes était encore en train de taquiner le chef d'escouade au sujet de Nanaba. Résigné, Mike l'écoutait d'une oreille distraite et parut soulagé d'apercevoir le Caporal au loin.


Leur prochaine expédition étant prévue dans deux jours, ils décidèrent d'aller rejoindre leurs escouades respectives au quartier général du Bataillon. La venue de la Duchesse s'était répandue comme une trainée de poudre, et pour faire bonne figure, Erwin avait tenu à ce qu'au moins l'escouade du Caporal et celle de Mike fassent partie du voyage. Seule Hanji et son escouade resteraient sagement au QG. La nouvelle ne l'avait guère enchanté, et elle s'était plaint de ne pouvoir observer Lilith en mission, bien que Hanji n'était pas particulièrement friande des expéditions. Contrairement aux autres, elle ne ressentait nullement cette fureur meurtrière et cette envie de « tuer du titan ». Cette mission là n'étant guère dédiée à l'observation ou la capture de ces géants, elle n'était en réalité pas si contrariée de ne pas y participer. Son équipe également semblait préférer s'adonner à des recherches scientifiques plutôt qu'à des sorties extérieures musclées.



- Arrête de râler, t'as même pas vraiment envie de venir… Marmonna Livaï qui ne comprenait pas bien pourquoi elle s'évertuait à en faire toute une histoire.


- Livaï. Tu dois me promettre une chose !



Il fronça les sourcils. Elle avait sa tête de folle. Enfin, plus que d'habitude disons. Qu'elle allait-elle lui sortir encore ?



- Je veux tout savoir si Erwin et Lilith finissent par…


- Je t'arrête tout de suite. La coupa Livaï. Pas de mon vivant. Elle ne me quittera pas d'une semelle pendant cette mission, et les plans à trois, très peu pour moi.



Elle explosa de rire. L'expression du brun trahit une certaine gêne sur la fin de sa réponse, comme si l'officier s'était imaginé la scène un court instant. Cela n'échappa pas à la scientifique, qui eut bien du mal à calmer son fou rire. Même Mike avait céder au comique de la situation et les deux officier peinaient à retrouver leur sérieux.



- Je parie qu'elle va adorer Petra ! S'exclama Hanji, toujours pleine d'enthousiasme.


- Elle t'obsède ou quoi ? S'énerva-t-il.


- Tu parles de Pétra ou de Lilith parce qu'elle semble avoir un problème avec les deux… Intervient Mike d'une voix calme. Sois plus clair.


- Oubliez-moi c'est bon. Râla Livaï.



Hanji ria nerveusement. Lilith allait forcément apprécier Petra. Qui n'aimait pas Pétra ? Même Livaï semblait quelque peu apaisé à ses côtés. Elle espérait au moins assister à leur rencontre avant leur départ. Elle voyait déjà les deux jeunes femmes amies, et ça la remplissait de joie. Il était prévu que la belle se rende au château le lendemain après-midi, pour un départ en début de soirée, afin de profiter de la non activité des Titans en pleine nuit. La mission durerait seulement quelques jours. Elle se demanda si Liam en profiterait pour passer du temps avec elle. Elle lui avait proposé de venir assister à ses recherches, et le malheureux avait semblé être intéressé. Elle se réjouissait d'avance de pouvoir lui partager toutes ses hypothèses, d'autant plus qu'elle aurait un regard neuf, Liam étant complètement étranger au sujet des Titans.



Ils aperçurent Lilith à cheval avec son garde du corps imposant, Ghérart. Ils comprirent sans surprise qu'elle allait faire un crochet aux Brigades Spéciales, probablement pour voir Erwin. Elle tenait un dossier contre elle. Il ne firent aucune remarque et chevauchèrent en dehors de la ville.



Arrivée au quartier général, Hanji s'enferma directement dans son bureau, tandis que les autres mangèrent ensemble dans la salle commune. Comme d'habitude, Petra et Oluo, de l'escouade du Caporal, animaient la pièce malgré eux. Livaï prit place à la table tandis que la jolie rousse lui proposa immédiatement d'aller lui préparer une tasse de thé. Il accepta bien sûr. La jeune soldat avait un don particulier pour préparer le thé. Lorsqu'il le demandait à quelqu'un d'autre, il le savourait moins. Et puis de toute façon il était quasiment impossible de réussir à la devancer : la jeune femme semblait continuellement guetter ses entrées et sorties. Oluo avait voulu la doubler un jour, et elle lui avait lancé un regard si noir qu'il s'était immédiatement rassis.



- Nanaba, tu es bien coiffée aujourd'hui.



Livaï faillit recracher son thé tandis qu'un silence gênant venait de s'installer. Il n'allait pas s'y mettre lui aussi ?! C'était le printemps des amours ou quoi ?



La jolie blonde finit par reprendre ses esprits et le remercia, déboussolée. Qu'est-ce qu'il lui avait pris d'un coup ? C'était la première fois qu'il lui faisait une quelconque réflexion sur son apparence physique. Le chef d'escouade lui avait bien dit un jour qu'elle sentait bon, mais pour Mike, c'était une remarque tout à fait banale. Et puis que voulait-il dire ? Que d'habitude elle était négligée ?



Le grand blond tourna la tête sans aucune expression faciale particulière et souhaita un bon appétit à tout le monde. Les conversations reprirent leur cours, et Nanaba retrouva son teint d'origine, mais nullement sa légèreté d'esprit.



- Et Erwin ? Demanda soudainement Pétra. Il nous rejoint demain ? Je pensais qu'il viendrait avec vous.


- Aucune idée. Il était encore dans son bureau quand on est partis. On verra demain. Souffla Livaï.



Il savait qu'Erwin allait très probablement faire un saut à la soirée organisée par les commerçants d'Hermina et de Stohess. Rien de bien précieux comparés aux réceptions de l'aristocratie, cette soirée d'affaire se tiendrait dans un bar du centre ville. C'était l'occasion de tâter le terrain concernant le marché du gibier. Les nobles avaient commencé à lancer le sujet depuis quelques temps, et les commerçants s'organisaient déjà pour se positionner. Erwin avait tenu à répondre présent, afin d'estimer ce que le Bataillon pourrait en retirer de positif. Il soupira. À tous les coups, Everglow avait dû revenir aux bureaux pour lui demander de l'y accompagner. Il regretta presque de ne pas être resté à ses côtés, et la maudit mentalement avant de terminer son assiette, grognon.





Comme prise d'un frisson, Lilith hésita à toquer au bureau d'Erwin. Ghérart était resté à l'entrée du hall, à sa demande. Elle ne se formalisa pas de cette étrange sensation et finit par annoncer sa présence au Major. Il la fit entrer d'une voix claire et autoritaire, comme à son habitude. Désormais seul face à elle, il ne put éviter son regard et lui demanda poliment la raison de sa visite. Elle n'avait plus les mêmes vêtements que le matin même, et avait retrouvé ses parures de diamants habituelles. Il s'amusa à penser qu'elle avait fait l'effort d'une tenue plus sobre afin d'approcher sereinement Livaï. Comme elle tardait à répondre, il adoucit légèrement son regard et l'invita à s'approcher du bureau. La jeune femme s'avança alors vers lui et lui tendit une pile de documents.



- J'étais avec le Marquis de Stohess cet après-midi, et il souhaite mener le marché du gibier grâce à la collaboration du Bataillon. Il m'a demandé de te remettre sa proposition détaillée. Je te laisse y jeter un oeil tranquillement. C'est sûrement lui qui sera à la tête de tout ça, c'est un homme puissant et avide.


- Pourquoi n'est-il pas venu en personne ?



Elle détailla le militaire un court instant. Sa posture était droite mais fermée, sa voix froide et distante. Elle répondit dès qu'elle eut finit de reprendre sa respiration.



- C'est moi qui l'ai aidé à peaufiner ce dossier, et j'ai pensé que ça serait bien que ça ne traine pas. C'est une très bonne nouvelle pour le Bataillon à mon sens. Et le connaissant il ne l'aurait pas envoyé de suite par simple négligence.



Elle inspira profondément avant de poursuivre.



- Je peux savoir ce que je t'ai fais Erwin ?



Il leva les yeux vers elle et constata qu'elle était ostensiblement énervée. C'était assez rare qu'elle laisse ses émotions prendre le dessus et il se demanda comment lui répondre sans aggraver la situation.



- Je ne veux pas d'histoire, il s'agit peut-être d'une distraction ou d'un projet original pour toi, mais le Bataillon, c'est toute ma vie. Mon comportement est normal. Je ne sais pas ce que tu attends de moi.



À cet instant précis, Erwin assista à la disparition brutale de ce sentiment léger et agréable qu'il avait toujours ressenti lorsqu'elle posait les yeux sur lui. Il sentit très distinctement la Duchesse s'éloigner, alors même qu'elle n'avait pas bougé d'un cil. L'habituelle touche de douceur dans ses yeux laissa place à un regard insondable et inaccessible, alors que sa posture ressemblait davantage à celle qu'elle adoptait lorsqu'elle parlait affaire. Il ressentit une légère douleur à l'estomac à l'idée d'avoir brisé à tout jamais la proximité qu'ils avaient pu avoir. Il s'attendait déjà à ce qu'elle quitte les lieux sans un mot mais elle le surprit à nouveau. Elle ne laissa rien paraitre de son mal-être.



- D'accord, c'est noté.


Il frémit à son choix de mots. C'était précisément ce qu'il lui avait répondu lors de leur dernier échange, alors qu'elle lui avait proposé de rentrer avec elle. Face à son silence elle enchaina.



- J'imagine que tu vas rejoindre les commerçants ce soir. J'aimerais savoir ce qui se dit, est-ce que je peux t'y accompagner ? Ils ne connaissent pas mon visage, je ne me démarquerai pas, tu pourras me présenter comme bon te semble. J'ai juste besoin de me renseigner sur certains points.


- D'accord. Répondit-il simplement, pris au dépourvu.



Elle lui donna alors rendez-vous devant le bar en question dans une heure et quitta la pièce. Il resta un moment immobile. Sa capacité d'adaptation n'avait aucune limite. Il se sentit coupable de l'avoir remis en place de la sorte alors qu'il mourrait d'envie de lui donner ce qu'elle voulait. Mais Livaï avait raison, il ne devait pas mettre en péril le bien-être du Bataillon de la sorte. Si les avertissements de Naile l'avait bien fait rire dans un premier temps, il avait ensuite réalisé combien elle pesait lourd dans l'opinion publique. Ce n'était pas le moment de prendre un tel risque, alors qu'il commençait enfin à améliorer son image. Il avait passé la semaine à recevoir des lettres de menaces, bien qu'anonymes, et le regard désapprobateur de Livaï avait fini de l'achever plus tôt dans la journée. Il y avait des priorités, et elle n'en faisait pas partie. Au vu de sa réaction, il lui sembla même que Lilith l'avait parfaitement compris et accepté. Du moins c'est comme cela qu'il interpréta ce qui venait de se produire.



Erwin finit de parcourir des yeux le dossier du Marquis de Stohess puis se prépara pour rejoindre le lieu du rassemblement. Il retrouva la Duchesse devant l'enseigne bruyante, vêtue d'un pantalon marron et d'une cape noire simple. Elle n'était ni maquillée, ni parée de bijoux. Mis à part ses cheveux, qui étaient bien trop soyeux pour ne pas qu'on se retourne, il admit que son déguisement était plutôt réussi. Elle les avait cependant attaché, et on ne se rendait pas compte de leur longueur. Il la rejoignit sans un mot et ils entrèrent dans le bar.



Elle resta à ses côtés durant toute la soirée. Cela le surprit au début, puis il comprit rapidement qu'il s'agissait du moyen le plus efficace pour elle de récolter des informations. Tous les commerçants savaient qui il était, et il put quasiment échanger avec chacun d'entre eux. L'ambiance était bonne et peu professionnelle, à tel point que sans connaitre la raison de ce rassemblement, il était facile de le confondre avec une soirée banale.



Erwin la présenta simplement comme une collègue, et elle ne décocha pas un mot. Au moment de partir, elle s'esquiva pour rejoindre un des nombreux hommes qui l'avaient reluqué toute la soirée. Le jeune commerçant était adossé au bar, c'était un trentenaire, grand, bien bâti, aux cheveux brun clair. Il n'avait l'air ni gentil ni méchant, ni intéressant ni ennuyeux. Erwin sentit une grande contrariété monter en lui lorsqu'il comprit qu'elle le laissait rentrer seul pour rester avec cet homme. Elle le salua d'un geste de la main sans même un regard et s'assit au comptoir du bar pour discuter avec l'inconnu.



Que c'était bas. Il tenta tant bien que mal de ne pas trahir sa déception et quitta les lieux. En sortant, il reconnut Ghérart, qui attendait en retrait devant la porte. Il ne le salua même pas et disparut dans la ruelle.

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