Le poids des Apparences

Chapitre 18 : Introspection matinale

3252 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 25/04/2020 23:39

Erwin se réveilla avec un mal de crâne abominable. Non pas qu’il ait abusé de l’alcool pendant la soirée, contrairement à un certain Compte…mais il avait mit un temps infini à s’endormir. Trop de choses s’étaient bousculées dans son esprit, et il avait commencé à vouloir analyser la situation. Il faut dire que cette soirée catastrophique, à défaut d’avoir été agréable, demeura très instructive.


Le temps qu’il digère qu’il arrivait fréquemment à Lilith d’assassiner des nobles, qu’elle était capable de regarder un homme se faire torturer et puis déguster une tarte au citron, et pour couronner le tout, que son père avait fait parti du Bataillon des Forces d’Exploration, Erwin n’avait plus eu sommeil. Il était resté immobile, les yeux rivés sur le plafond de sa modeste chambre.


Il repensa à la tête de la petite Pétra lorsque la Duchesse avait fait son entrée. Les deux jeunes femmes lui avaient semblé bien proches pendant l’expédition, et personne ne l’avait préparé à rencontrer Lilith lorsqu’elle endossait son rôle de femme de pouvoir. Son altercation avec le Baron avait de suite annoncé la couleur, et le visage de la jeune recrue n’avait cessé de se déformer au fur et à mesure que la soirée progressait. Au moment de déguster le fameux dessert, comme la plupart des personnes de la tablée, elle n’osait même plus relever la tête et fixait son assiette en silence.


Quel désastre cette soirée…Il se demanda ce qu’il avait bien pu en attendre de toute manière… Le Compte de Karanese avait une réputation peu flatteuse, c’était de notoriété publique, mais de là à s’imaginer qu’il collectionnait des globes oculaires humains dans des bocaux… Même Livaï avait semblé perturbé par l’idée, lui qui avait l’habitude des pires horreurs du monde. Lilith avait beau avoir perdu le contrôle en fin de compte, Erwin ne pouvait s’empêcher d’admirer son sang froid. Le Compte l’avait provoqué toute la soirée. Finalement, il avait fallu qu’il aborde le sujet de son père pour que la jeune femme explose. Au vu de ce qui avait dû se passer, il comprit mieux pourquoi elle s’évertuait à ne jamais en parler. Son père était donc son talon d’Achille. À en juger par l’escalade de violence qui suivit, cela devait être très rare que quelqu’un ose lui en faire allusion, surtout en tenant de tels propos. Il avait également noté que Lilith avait l’air moins enclin à la colère au sujet de sa mère. Cela lui avait semblé étrange. Lui en voulait-elle de s’être donné la mort, la laissant en pâture au Duc ?


« Enfermée dans une tour »… Qu’avait-elle voulu dire par là ? La pauvre enfant avait assisté à la pendaison de son père biologique, au suicide sauvage de sa mère quelques secondes plus tard, et le Duc l’aurait ensuite enfermée dans une tour ? De quel genre de conte cauchemardesque s’agissait-il ?


Il s’étira une dernière fois et se résolut à sortir des draps. Il faisait déjà jour, et il n’avait jamais apprécié traîner le matin. Il se demanda si Lilith était rentrée directement la nuit dernière. Comment avait-elle fait pour évacuer toute cette colère, redoutait-elle de leur faire face à présent ? Il allait vraiment falloir qu’il arrête de penser à elle. Cela commençait à polluer sa concentration, et en plus, il n’avait aucun moyen d’assouvir sa curiosité maintenant qu’il l’avait rejeté. Il était incapable de deviner comment elle vivait les choses. Une part de lui aimait l’idée qu’elle soit profondément déçue, mais il lui arrivait de paraitre si indifférente que les rôles semblaient parfois s’inverser.


Il n’avait guère fait cela de gaieté de coeur, mais demeurait convaincu d’avoir fait le bon choix. Sans même parler du fait qu’ils faisaient partis d’un monde complètement différent, il ne pouvait pas se permettre une telle distraction. Il se laissait facilement porter par le courant lorsqu’il était avec elle, mais une fois seul et avec un peu de recul sur la situation, il arrivait toujours à la même conclusion : il ne pouvait emprunter ce chemin. Enfin, comme si cela ne suffisait pas, et malgré cette attirance indéniable qu’il ressentait pour elle, il n’arrivait pas à lui faire confiance. À leur première rencontre, il avait aperçu une femme pétillante et certes manipulatrice, mais incontestablement pleine de charme. Il avait par la suite fait connaissance avec une Lilith plus accessible et attachante, bien que trop imprévisible et insaisissable. La veille au soir, la jeune femme avait de nouveau fait valser toutes ses certitudes à son égard. Était-elle finalement cette alliée de l’ombre dont il n’avait jamais osé rêver pour conquérir le monde de la noblesse et parvenir à ses fins ? Était-elle fiable ? Était-elle aussi suffisamment forte ? Qui était vraiment Lilith Everglow ?


« Thomas Grahm ». Il n’avait jamais entendu ce nom auparavant, en revanche, il avait très distinctement entendu Hanji articuler « L.E.G ». Ces trois lettres représentaient bien plus que l’acronyme en tête des donations de cette année. Il avait souvent lu ces initiales, sur des documents officiels de transactions, de contrats, et de nombreuses donations diverses. Depuis sa prise de commandement, cinq ans plus tôt, ces trois lettres n’avaient cessé d’apparaître autour de lui. Si c’était bien elle, tout cela aurait même commencé avec son prédécesseur. Naile lui avait bien dit qu’elle s’était renseignée à l’époque où Keith Shadis dirigeait le Bataillon, presque dix ans plus tôt.


Alors pourquoi n’avait-elle rien dit ? Il l’avait accusé de s’amuser ponctuellement, de se divertir du Bataillon, et elle ne s’était pas défendue. Si cela faisait une décennie qu’elle se battait pour eux, pourquoi n’avait-elle pas protesté ? Il ne lui tenait pas rigueur de ne pas avoir partagé le passé de son père, c’était très personnel après tout. Mais pourquoi s’infligeait-elle l’humiliation d’être questionnée et doutée quant à son implication auprès du Bataillon, alors même qu’elle possédait des preuves irréfutables sur le sujet ? Il ne pouvait s’empêcher de se demander derrière quoi d’autre la jeune femme s’était cachée. Il pensa même au château qu’il leur servait de Q.G. Ce devait forcément être elle, et elle avait pourtant eu mille opportunités de le revendiquer. Pourquoi restait-elle silencieuse, d’autant plus qu’il lui aurait été facile d’en user pour se rapprocher de lui. Elle avait même choisi son étalon elle-même… Il trouvait cela irréel qu’elle puisse avoir été si présente dans sa vie, alors qu’il ignorait tout de son existence quelques mois plus tôt.


« Tu poses trop de questions en même temps Erwin, prends ton temps, et tu trouveras toutes tes réponses ». Il esquissa un sourire. Pourquoi se souvenait-il de cela maintenant ? Il s’agissait d’une réplique que son père lui répétait souvent. Il se sentit nostalgique. Le militaire termina de s’habiller et regagna la salle commune de l’auberge où Hanji, Moblit et Livaï se trouvaient déjà. Il s’apprêtait à les saluer lorsqu’Hanji ne put s’empêcher de parodier la scène de la veille :


- Je vois que tu me montres ta plus belle robe pour me séduire… Lui fit-elle avant d’exploser de rire.


Moblit s’excusa de son comportement auprès du Major, mais celui-ci semblait en lutte profonde pour ne pas exploser de rire à son tour. Livaï, lui, semblait encore contrarié et dégageait une aura sombre et intimidante. Le pauvre aurait sûrement préféré accompagner l’assassin au sous-sol du château plutôt que de supporter cette folle soirée mondaine.


- Est-ce qu’on peut faire comme si cette soirée n’avait jamais eu lieu, bordel. J’aimerais OUBLIER. Râla-t-il.

- Hé, Erwin ! Tu savais que Lilith avait dormi dans l’auberge en face dans la rue un peu plus haut là ? S’exclama Hanji, ignorant la remarque du Caporal.


Il allait lui demander d’où elle tenait cette information quand il aperçut un océan de roses sur le trottoir d’en face. Les fleurs avaient été déposées tout autour de la porte d’entrée de l’auberge, et débordait dans la rue. Il n’avait jamais vu autant de roses de toute sa vie. Cela devait forcément être les excuses du Compte de Karanese.


- Ça fait beaucoup de roses.

- Ça lui fera plaisir ? Demanda Moblit d’un air innocent.

- Probablement pas. répondirent les trois autres en chœur.


Hanji se rassit dans un des fauteuils du salon et invita son supérieur à prendre place en face d’elle. Elle avait retrouvé une expression de visage plus sérieuse.


- Erwin, il faut qu’on parle du vote.

- Quel vote ? Demanda-t-il.

- Justement !!!!! S’étrangla-t-elle.


Il comprit immédiatement qu’elle faisait référence à la veille. Le Compte de Karanese avait menacé Lilith de « bloquer » son vote, et il avait ajouté qu’il savait ce qu’elle préparait. Cette information mystérieuse, comme de nombreuses autres jetées à la volée pendant la soirée n’avait pas échappée à Erwin. Cependant il n’avait pas la certitude qu’il s’agissait de quelque chose les concernant, aussi il avait intentionnellement choisi de ne pas s’attarder dessus.


- Pourquoi tu t’intéresses à ce vote ? On ne sait pas si ça nous concerne.

- Ça nous concerne. Liam a évité mon regard quand le Compte en a parlé.

- Et bien va lui parler qu’est-ce que t’attends ? Grommela Livaï.

- C’est fait. Répondit-elle avec un grand sourire.


Erwin releva un sourcil. Déjà ? C’était donc pour ça qu’elle savait avec certitude que Lilith était en face ? Les roses étaient aussi un bon indice, mais ce n’était pas un preuve irréfutable. Il se demanda si elle avait réellement appris quelque chose au vu de sa lenteur à poursuivre. Il lui intima de continuer d’un geste de la main, impatient et fatigué.


- J’ai réussi à le piéger ! Je me suis dit qu’il cracherait le morceau si…

- On s’en fout Hanji, viens-en au fait. La coupa Livaï avec sa délicatesse habituelle.


Mike les rejoignit à ce moment là, accompagné de Nanaba, et les salua énergiquement. Il avait une mine excellente, et Erwin jalousa sa capacité de récupération. L’attitude nonchalante de la jeune femme élimina la possibilité qu’ils aient passé la nuit ensemble. Du moins c’est ce que pensa Erwin puisque la blonde rougissait à la moindre réflexion personnelle de son supérieur, comme lors de leur boutade pendant leur dernière pause déjeuner en dehors des murs. Elle était trop calme pour cacher quoi que ce soit. Il se concentra de nouveau sur ce qu’Hanji allait dire.


- Lilith va faire voter une loi pour nous permettre une libre circulation au sein des murs !


Un grand silence s’installa. Pouvait-elle accomplir une telle chose à elle toute seule ? L’idée était bien sûre très séduisante, mais la complexité de son application les amenait à ne pas se donner de fausses joies. Même Erwin, qui était le plus apte à apprécier l’influence de Lilith semblait sceptique.


- Non mais c’est sérieux ! Insista l’officier à lunettes. Ça sera voté la semaine prochaine à Mitras, et d’après ce que m’a dit Liam, c’est quasiment fait. Enfin si elle ne se fait pas assassiner d’ici là. Rectifia-t-elle.


Ce fut au tour de Livaï d’arquer un sourcil.


- Oui parce que pour ce coup là elle n’a pas eu d’autres choix de tous les menacer pour obtenir les votes, donc forcément, si elle se fait assassiner, personne ne se sentira obligé de dire oui… Et Liam m’a dit qu’en ce moment… elle n’a pas trop la côte…

- Et… Elle est où là ? Elle retourne à Hermina ou à Mitras ? Et elle rentre comment ? Parce que si elle rentre à Hermina moi je propose qu’on l’escorte du coup… non ? Proposa Mike, dont les lumières dans les yeux trahissaient son euphorie malgré qu’il ait gardé une voix calme, comme à son habitude.

- Bon, bah moi je lui pardonne tout, hein. Déclara Nanaba qui s’était assise aux côtés de son chef d’escouade.

- Pardonner quoi, tu n’as fait que boire et manger toute la soirée… Se moqua Hanji.

- Personne n’en parle. On la laisse revenir vers nous. Peut-être qu’elle a encore des détails à régler. Je préfère que personne ne s’emballe. Tempéra Erwin.


Il intima à Hanji de se calmer d’un geste de sa main droite et celle-ci se rassit, telle une enfant punie. L’escouade de Livaï arriva à son tour et la scientifique leur révéla la nouvelle d’une traite : sans respirer. Elle baissa ensuite les yeux pour ne pas croiser le regard du Major. Erwin soupira.


- Rien n’est sûr. On attend la semaine prochaine si quelque chose se passe. Reprit-il.


Il n’aimait guère devoir jouer les rabats joie, mais il estima que c’était nécessaire. Il jeta un oeil dehors et aperçut enfin Lilith sortir de l’auberge. Elle avait l’air encore plus exténuée que lui. Il aperçut également la jolie blonde, Jen qui s’avança affectueusement vers son amie. Il trouva touchant qu’elle soit venue jusqu’à Karanese pour la soutenir. Elle l’enlaça en restant derrière elle et plaça sa tête sur son épaule. Qu’elles étaient mignonnes. Il les vit rire en pointant du doigt les fleurs, puis les deux jeunes femmes appelèrent Liam, qui les accompagna en direction du centre ville. Il mit un certain temps à reprendre ses esprits, puis proposa aux chefs d’escouade d’aller parler tranquillement de leur prochaine mission autour d’un verre. Il informa les autres qu’ils avaient leur journée de libre. Ils ne se firent pas prier, tandis que Moblit ne lâcha pas sa supérieure d’une semelle. Parfois, il donnait l’impression d’être aussi fidèle que son ombre. Hanji n’était pas toujours très facile avec lui, mais il formait un duo très complice. Les cinq vétérans se mirent en marche vers le centre, et la scientifique leur proposa de trouver Lilith et de rester à proximité. Elle les avait également vu quitter l’auberge, et devina qu’elles avaient dû s’installer en terrasse au soleil. Hanji fut si insistante qu’il ne lui fallut guère longtemps pour que ses collègues abdiquent et ne la laissent la chercher du regard. Elle esquissa un sourire et pointa la place centrale de la ville du doigt d’un air satisfait.


- Trouvé. Déclara-t-elle.


Lilith était assise sur un banc, et faisait face à la menaçante potence qui trônait en plein milieu de la place, parsemée de pavés. Elle se tenait trop droite pour être détendue, et Jen avait posé sa main sur la sienne, assise à ses côtés.


- On va se mettre là, c’est parfait ! Indiqua-t-elle en montrant la brasserie qui se trouvait à deux pas des deux jeunes femmes.

- Hanji…. C’est super indiscret…. Marmonna son assistant, qui devinait cependant qu’il n’aurait pas accès à son esprit.


Elle ignora effectivement sa remarque et les traina jusqu’à une table où ils commandèrent des cafés, et un thé pour Livaï. Elle lui devait au moins cela. Le Caporal semblait subir la situation et ne les écoutait même plus. Liam surgit alors de nul part et prit place à leur table. Il salua amicalement Moblit, auprès duquel il n’avait pas eu l’occasion de se présenter officiellement. C’était donc lui l’assistant dont elle parlait tout le temps ? Il imita ensuite la voix d’Hanji :


- « trouvé ». Se moqua-t-il.

- Liam… Pourquoi tu n’es pas avec elles ? Demanda-t-elle.

- Hé… Je les ai suivies hier dans tous les bars du coin, j’ai dû les écouter chanter, plus ou moins faux…j’ai dû les protéger à la sueur de mon front alors que toute la ville rêvait d’un plan à trois. BREF. Aujourd’hui, j’ai le droit de les protéger, de LOIN. Pour ma santé mentale. Je suis sûr que tu comprends de quoi je veux parler, Ackerman. Compta-t-il avant de se tourner vers Livaï.

- C’était grave à ce point ? J’aurais aimé voir ça… Ricana Hanji.

- Tu n’as aucune idée de ce dont elles sont capables quand elles sont ensemble. C’était éreintant.


Elle lui proposa sa tasse de café qu’il accepta avec plaisir, puis ils observèrent les deux amies en silence tout en dégustant leur boisson.


Lilith n’arrivait pas à détacher son regard de cette satanée structure en bois. Elle avait voulu lui faire face pour dépasser sa peur, mais la douleur dans sa poitrine ne s’estompait pas. Elle sentait également sa gorge se serrer, et ses larmes menacer de couler si elle lâchait prise. Elle resserra sa main contre celle de Jen, qui soupira avant de se lever.


- Lily. Si tu attends de ne plus rien ressentir je crains que ce moment n’arrive jamais. Râla-t-elle.

- Tu crois ? Demanda-t-elle.

- OUI. Je propose simplement que tu acceptes qu’il existe un endroit dans ce Royaume où tu ne te sentes pas toute puissante. Passe à autre chose, de toute façon, tu ne reviendras probablement jamais ici.


Lilith regarda la courtisane en silence. Elle avait probablement raison, bien qu’elle ressentit une profonde déception de ne pouvoir vaincre cette faiblesse.


- En plus, nous sommes observées. Poursuivit-elle. Je répète, nous sommes observées.


Lilith se retourna vers la brasserie et soupira en apercevant le groupe. Comment pouvait-il être aussi beau ? Les rayons du soleil matinal luisaient dans ses beaux cheveux couleur blé, et il s’était accoudé contre le dessus de sa chaise, les jambes de chaque côté de l’assise, mettant en avant sa carrure. Elle le trouva si attirant qu’elle jugea sa position indécente.


- Je ne peux plus le regarder, je vais mourir… Râla-t-elle.


Son amie rit aux éclats tandis qu’ils se demandèrent ce qu’elle avait bien pu dire de si drôle.



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Ah ah le Commander Handsome a encore frappé. ;)

Merci pour vos lectures ! <3




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