Le poids des Apparences

Chapitre 19 : Et la loi fut votée

2746 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 01/05/2020 20:55

Elle y était, enfin. La semaine s’était écoulée en un temps record, et la jeune femme était rapidement retournée à la capitale. Aujourd’hui, elle changerait l’avenir du Bataillon d’Exploration.


Lilith inspira profondément avant d’avancer d’un pas sûr dans l’immense salle. Le bâtiment des États Généraux se trouvait en plein centre de Mitras. Son architecture travaillée et la propreté des vieilles pierres qui le composaient trahissaient l’importance que la noblesse lui accordait. Sa grande salle de fête était souvent utilisée pour prendre des décisions importantes : comme ce fameux arrêté peu après la chute du mur Maria, obligeant un pourcentage non négligeable du peuple à sortir des murs pour éviter la famine.


Lilith aimait particulièrement cet endroit, car il symbolisait son pouvoir. Elle n’avait réussi à se faire entendre à l’époque, mais à présent, tout était différent. Elle menait le jeu. Ce lieu était l’aboutissement de ses parties d’échecs, et elle ne dissimulait jamais son plaisir lorsqu’elle en sortait fièrement, et victorieuse.


Hors crise majeure, l’assemblée habituelle se composait d’une dizaine de membres de la Haute Société, et de quelques représentants du Culte du Mur. Mais lorsque la nouvelle de ce vote était parvenue aux oreilles des religieux, ils décidèrent de venir nombreux. En soit, cela ne changeait pas grand chose, puisque quelque soit les décisions à prendre, le Culte du Mur ne représentait qu’un tiers des votes. Sûrement voulaient-ils pouvoir s’indigner et hurler à leur guise à travers toute la salle. Tel un spectacle préparé à l’avance, ils coupaient souvent la parole et criaient au scandale avec des arguments toujours très hyperboliques.


Lilith ne fut guère surprise lorsque Detlev annonça sa présence et son vote déterminant. Les conseillers du Roi n’intervenaient que rarement dans ce genres de « petites » décisions. Ils se contentaient de veiller à la cohérence des mesures. Ce n’était pas éreintant pour eux étant donné que chaque décision prise au sein du bâtiment servait toujours la noblesse, protégeaient leurs intérêts et ne portaient, au grand jamais, atteinte à la toute puissance du Roi.


Pourtant, à la simple entente du mot « Bataillon », Detlev s’était empressé d’annoncer sa venue. En tant que représentant du Roi, le riche noble avait bel et bien le pouvoir et la légitimité de bloquer le vote. Personne ne s’en offusquerait, et surtout, personne ne poserait de question. Qui se souciait du Bataillon d’Exploration parmi eux hormis Lilith après tout ? Mais la jeune femme restait confiante quant à sa réussite.


Elle les tenait tous excepté le conseiller du Roi. Les membres du Culte du Mur pourraient toujours cracher leur mécontentement durant les prises de paroles précédant le vote, ils ne feraient rien. Quatre des puissants nobles l’avaient rejoint sans menaces, dont le Marquis de Stohess, et pour ce qui était du reste, Lilith avait l’embarras du choix quant à ses chantages. Dix longues années de récoltes d’informations dans l’ombre, d’associations stratégiques auprès des pires hommes, l’avaient amené à constituer un véritable recueil de secrets, classé par propriétaire. Du meurtre, en passant par la trahison, l’adultère ou encore les détournements de fonds, il y avait toujours beaucoup de matière.


La Duchesse prit place autour de la table, suivie de près par Detlev, arrivé peu après elle, et le projet de loi fut présenté. Le Compte de Karanese était également présent, mais n’osa guère établir de contact visuel avec Lilith. Les nobles commencèrent déjà à contester par principe, mais l’argument du marché du gibier tempéra leur indignation. Les religieux avancèrent alors qu’il était hérétique d’aider en quoi que ce soit le Bataillon d’Exploration, rappelant que la chute de Maria était sûrement un signe divin punitif concernant leurs expéditions antérieures.


Lilith restait silencieuse. Elle se délectait de les voir crier à la folie alors même que chacun d’eux ne pourrait voter contre pour protéger leur réputation, voire même pour certains : leur vie. Peut-être pensaient-ils qu’ils n’étaient pas tous contraints de voter pour, et espéraient convaincre les esprits libres pour sortir de ce guet-apens ? En vérité, une seule voix suffisait puisque les décisions devaient être votées à l’unanimité.


Un large sourire se dessina sur les lèvres de Detlev alors que les puissants du Royaume se révoltaient. Il ne savait cependant pas à qui il avait à faire. Lilith s’était toujours éloignée de la scène politique, et n’avait à ce jour que contribué à agrandir son propre empire, et détruit les concurrents trop gênants à son goût. Pour lui, elle était une femme avide de pouvoir, futile et libérée, et dont la beauté l’amenait souvent à manipuler avec succès ses pairs. Il trouvait certes qu'elle s'était égarée en prenant ce chemin, mais ne souhaitait nullement éliminer. En tant que seconde richesse du Royaume, Lilith était grandement estimée et respectée par la Haute Société.


- Erwin Smith risque d’être déçu… Lui dit-il sans même la regarder.


Elle ne répondit rien. Son rapprochement évident avec le Major avait également été beaucoup critiqué. Erwin ne lui avait jamais fait mention d’avoir reçu des menaces, mais elle n’aurait pas été surprise de l’apprendre, au vu de la montagne de lettres de ce genre qui lui avait été écrites ces derniers temps. Detlev ne semblait pas inquiet outre mesure. La gravité de la situation l’obligeait à réagir en assistant à l’assemblée, mais il s’était fait une opinion toute tracée sur la Duchesse : elle avait simplement eu un coup de cœur pour le militaire, et avait essayé de s’attirer ses faveurs en jouant de son pouvoir. À en entendre les rumeurs sulfureuses la concernant, il n’avait aucun doute quant au fait qu’elle passerait rapidement à autre chose. Il avait juste à lui couper l’herbe sous le pied.


- Passons au vote. Qui est pour ? Intima le conseiller du Roi, trahissant son impatience de quitter les lieux.


Lilith laissa échapper un rire, tandis que chaque membre de l’assemblée leva la main droite tout en baissant les yeux. Detlev perdit immédiatement son sourire. Lilith Everglow s’était jouée de lui. Il ne sut choisir entre saluer sa bravoure ou l’étrangler sur place, et tenta tant bien que mal de contenir sa colère. Il allait falloir qu’il enquête sur elle, pour comprendre ce qu’il venait de se passer, et surtout : pourquoi avait-elle fait cela. Tout le monde attendait maintenant le vote du conseiller du Roi, et le sang de Detlev ne fit qu’un tour. Elle savait.


Elle savait pertinemment qu’il devrait suivre le mouvement. Ce Royaume fonctionnait avec et pour la Haute Société. En tant que conseiller du Roi, il était de son devoir de satisfaire et rassurer la noblesse. Lilith représentait quasiment à elle seule la Haute Société, et se dresser contre elle alors même que l’assemblée entière avait voté en faveur de cette loi revenait à fragiliser le système tout entier. Il se résolut à accepter cette petite défaite, et se jura de l’amener à sa perte afin de ne plus jamais se retrouver dans une telle position. Il la maudit intérieurement si fort que Lilith ne put s’empêcher de s’écarter légèrement de lui.


Lorsqu’il vota à son tour, Lilith les remercia pour cette entrevue et quitta la salle. Liam l’attendait devant la porte, et l’escorta jusqu’à la sortie du bâtiment. Le sourire de sa Maîtresse lui confirma qu’elle avait atteint ses objectifs. Elle prit le temps de contempler le ciel, comme pour graver cet instant dans sa mémoire. Detlev allait la tuer. Ce regard noir, noyé dans un fragment de panique l’avait conforté dans l’idée que le Roi ne détestait pas le Bataillon, il en avait peur.


- Je vais avoir besoin d’une véritable garde rapprochée. Je veux que ma sécurité soit la priorité absolue : qu’on vérifie chaque chose que je touche, chaque boisson, chaque plat, TOUT. Je ne veux jamais être seule. Detlev ne doit avoir aucune ouverture pour me faire disparaitre.

- Dois-je appeler les autres ? Demanda Liam.

- Rappelle-les tous sauf Lise et Thomas : ils ne me seront d’aucune utilité, laissons-les faire leur travail. Mettons aussi les mercenaires sur le coup. Même s’ils veillent de loin, ça nous fera toujours des renforts au cas où et vu leur passif, ils n’aideront jamais Detlev. Je les veux aujourd’hui car nous redescendons à Hermina.


Liam déglutit. Cela faisait une éternité qu’ils n’avaient pas été rassemblés autour d’elle. Ghérart était la première personne dont Lilith s’était entourée. Cela trahissait son besoin viscéral de se sentir protégée, physiquement parlant. S’en était alors suivis le recrutement de Thomas, qui l’aidait dans toute la partie gestion économique et stratégique de ses affaires, puis de la plupart des autres, dont lui, qu’elle avait engagée pour se renseigner, espionner et enquêter. Hormis Thomas, chacun d’entre eux avait un passé violent, et des capacités respectables dans l’art du combat. Lise, la seule femme des sept, était spécialisée dans la récolte d’informations. Tantôt sous couverture d’une noble, tantôt de celle d’une prostituée, la jeune femme permettait à Lilith de connaitre sur le bout des doigts, les rumeurs la concernant. Autrement dit, il manquait trois autres hommes à l’appel, susceptibles de pouvoir assurer sa protection.


Les dits « mercenaires » étaient des groupes d’hommes, souvent ayant essayé un jour de l’assassiner, et qu’elle avait brillamment rallié à sa cause. Ils n’étaient pas à cent pour cent fiables, d’où sa réticence à les laisser assurer sa garde rapprochée, mais ils avaient par le passé plusieurs fois démontré leur utilité et leur force.


La raison pour laquelle ce rassemblement inquiétait le jeune homme était qu’ils se détestaient tous. Une seule chose les empêchaient de s’entretuer : leur loyauté infaillible envers Lilith. Bien sûr, ils ne se comportaient guère comme des animaux, et tout comme Liam avait su passer du temps auprès de Ghérart, il leur était tout à fait possible de se tolérer. Mais cela ne l’enchantait guère.


Lilith avait mis en place un système intelligent afin de toujours pouvoir rappeler ses gardes, peu importe où ils se trouvaient. Pour commencer, elle connaissait tout de même au moins la ville actuelle de chacun d’entre eux, grâce à des correspondances régulières. Chaque jour, ils étaient tenus de vérifier le contenu d’une boîte aux lettres spéciale, qu’elle utilisait lorsqu’elle avait besoin de les rappeler de manière urgente. En une demi-journée seulement, elle pouvait réussir la prouesse de tous les rassembler alors même qu’ils étaient disséminés à travers tout le Royaume.


Elle se hâta de faire envoyer ses lettres, et proposa à Liam de rester en centre ville jusqu’à ce qu’ils se soient joint à eux. Il semblait peu enclin à l’idée, mais elle lui proposa de lui faire goûter les meilleures pâtisseries de Mitras. Tel un enfant, le visage de Liam s’illumina et il la suivit gaiement à travers la ville. Le beau brun avait toujours eu un faible pour les choses sucrées, pêché mignon qu’il n’avait guère pu satisfaire dans son ancien milieu. Sans parler du fait que cette faiblesse soit généralement associée aux femmes. Lilith avait rapidement remarqué qu’il louchait sur ses desserts, et il lui avait fallu peu de temps pour lui faire avouer son addiction. Elle s’en était beaucoup amusée.


Lilith et lui dégustaient une belle tarte au citron, qui n’était pas sans rappeler celle que la Duchesse avait mangé à Karanese, lorsque le premier garde apparut. Il s’agissait de Tim, qui était déjà à Mitras lorsque l’appel avait été fait. Il la salua respectueusement avant de mépriser Liam du regard. Il s’assit à leurs côtés sans un mot. C’était un homme de taille normale, athélique, une peau claire, des traits fins, des yeux bleus perçants. Lilith n’avait pu s’empêcher de trouver que Livaï Ackerman lui ressemblait quelque peu. Ceci dit, bien que Tim n’était quelqu’un de sociable ni même d’aimable, il n’était pas aussi impressionnant et glacial.


En fin de journée, les deux derniers gardes se montrèrent et Lilith sonna le départ vers Hermina. Le premier, appelé Hans, était un homme aux cheveux châtain clairs, et avait une démarche discrète tandis que le second semblait désinvolte et indiscipliné.


- Lilith, tu as l’air très en forme…! Je t’ai manqué ?


Elle le salua distraitement et ne s’attarda pas sur lui pour ne pas empirer la tension palpable entre ses hommes. Elle avait parfois l’impression de tenir une garderie d’enfants lorsqu’ils étaient tous à ses côtés. « Roy », comme il se faisait appeler, était un homme blond aux allures rebelles, et dont l’attitude décomplexée frôlait souvent l’irrespect et l’inconscience. Contrairement à Liam, avec qui elle pouvait être proche, Lilith n’aimait pas être seule avec Roy car le jeune homme ne respectait aucune limite, que cela concerne l’intimité, le respect ou simplement le fait de la laisser en paix. Il était enthousiaste et intrusif. Tout le contraire de ce qu’il dégageait dès lors qu’il était autorisé à user de la violence. Il devenait alors une toute autre personne.


- Où est le forgeron psychopathe ? Demanda Tim.

- Tu ne peux pas vivre sans lui ? On vous laissera une chambre… Ricana le garde blond alors que Tim l’attrapait par le col.

- Ghérart est déjà à Hermina, il nous rejoindra.


Sans plus attendre, Lilith rejoignit l’écurie où se trouvait son cheval et ils partirent tous ensemble jusqu’à Hermina. Le trajet fut ponctué par quelques insultes et débordements d’humeurs, mais rien que Lilith ne sut gérer. Lorsqu’il arrivèrent enfin à Hermina, la nuit était déjà tombée. La Duchesse remarqua sans surprise qu’il y avait encore de la lumière dans le bâtiment des Brigades Spéciales. Au vu de l’heure tardive, cela ne pouvait être qu’Erwin. Avait-il deviné qu’elle viendrait le voir après que la loi soit passée ? La nouvelle avait forcément été annoncée à l'heure qu'il était. Elle se languit de voir sa réaction, et se mit à dessiner dans sa tête les traits satisfaits du Major. Elle avait hâte de voir son sourire.


Elle informa ses gardes qu’elle séjournerait maintenant en plein centre d’Hermina dans un château qui leur faciliterait davantage sa protection et mise en sécurité. Liam se retint de rire lorsqu’elle indiqua une belle bâtisse qui avait une vue directe sur le quartier général des Brigades Spéciales.


- Je tiens à garder mon intimité aussi je vous inviterai à respecter une certaine distance lorsque je suis avec d’autres personnes. Autrement, vous avez carte blanche, faites ce que vous avez à faire pour me garder en vie.


Ils acquiescèrent silencieusement avant que Lilith ne poursuive.


- Sauf toi Liam, toi tu viens avec moi.


Roy leva les yeux au ciel alors que Liam dépassait ses collègues et rejoignait Lilith qui était descendue de cheval. Il jeta un dernier regard narquois aux autres et invita la Duchesse à gravir les marches qui la séparait d’Erwin Smith. Elle arbora un sourire lumineux et accéléra le pas.


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