Le destin des Ackerman - Tome 1

Chapitre 12 : Fusillade

5656 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 30/03/2020 00:51

Thomas sent qu'on le secoue pour le réveiller alors que, pour une fois, la nuit s'annonçait paisible, sans aucun cauchemar à l'horizon. Quand il ouvre un œil, il reconnaît Moblit qui porte un cierge pour s'éclairer dans cette nuit noire. Le second de Hanji mime le silence en mettant son doigt sur sa bouche puis s'affaire à réveiller les autres qui sont plus loin dans la pièce.

Le jeune homme se frotte les yeux puis se lève pour s'équiper avec les mots de Hanji - prononcés la veille - lui revenant à l'esprit.


— Depuis la débâcle avec Reiner et Bertolt, le gouvernement a mis en doute la capacité du bataillon à contenir la menace des titans et à gérer efficacement les ressources mises à sa disposition. Nous allons devoir être prudents dans les prochains jours et c'est pourquoi nous partirons de nuit pour avoir quelques heures d'avance, lorsqu'ils remarqueront que nous avons changé de coin. Erwin m'a fait part d'une tension qui monte dans la capitale, expliqua Hanji.

— Que croyez-vous qu'ils vont faire ? s'inquiétait Keiji.

— Bonne question, peut-être arrêter Erwin et mettre un de leurs pions à la tête de notre corps d'armée, c'est une possibilité. Mais pour l'instant ce ne sont que des rumeurs insistantes.

— Merde...


Ils furent ensuite guidés jusqu'à un dortoir qui leur était réservé puis préparèrent au préalable leur équipement pour être prêts à partir en cinq minutes. Ils dormirent en uniforme et leur harnais sur le dos.

Voilà pourquoi Moblit s'affaire à les réveiller en silence et au milieu de la nuit.

Ayant besoin de faire quelques détours pour que leurs mouvements soient les moins prévisibles possible et de prendre des précautions pour éviter que le lieu où ils élisent domicile depuis une semaine soit découvert, l'escouade Hanji n'arrive dans la clairière qu'en milieu de matinée plutôt qu'au petit matin.

Quand elle arrive, cette équipe n'a qu'une dizaine de minutes pour se restaurer. Pour la première fois, Thomas remarque de la nervosité chez Hanji et c'est en voyant que cela rend ses camarades tout aussi nerveux qu'il comprend que c'est un fait assez rare pour être inquiétant.

Une fois ce rapide repas terminé, les deux escouades partent pour le terrain où Hanji effectue des expériences avec Eren. Thomas est posté en hauteur et ne peut que regarder la forme titanesque de Eren qui apparaît bien moins impressionnante que d'habitude : maigre, plus petite et décharnée. Il croit même voir le corps du jeune Jäger dépasser quand le titan s'effondre et cesse de bouger.

Mikasa réagit immédiatement et court vers son frère pour vérifier que tout va bien, dix secondes plus tard Hanji et Moblit se précipitent vers le titan. Il ne voit pas bien ce qu'il se passe ensuite mais il entend Hanji hurler. Moblit le rejoindra ensuite.


— Thomas, va vérifier avec Abel que personne n'est dans les parages. Ensuite on nourrira les chevaux et nous partirons pour Trost avec le Caporal-Chef, alors faites vite.

— Oui Lieutenant ! s'écrie-t-il avant d'empoigner les crosses de son équipement tridimensionnel.

Il jette un dernier coup d'œil en bas et voit trois personnes à cheval s'éloigner, sûrement avec la même mission que lui.

Il revient vingt minutes plus tard avec Abel et ils font leur rapport à Hanji : rien à signaler. Les chevaux sont déjà prêts et encore une fois toute l'escouade de Hanji va faire le déplacement.

Les deux escouades sont réunies devant le chalet de l'équipe du capitaine quand il arrive et les membres de l'escouade tactique ne sont pas équipés ni en uniforme, à part Mikasa.


— Bien, prenez ces longs manteaux pour le voyage qu'on attire le moins possible l'attention, ordonne Livaï qui désigne les deux vêtements restants à ceux qui viennent d'arriver.


Mikasa tourne la tête et détaille rapidement le soldat Ralle, elle aurait eu envie de finement lui sourire s'il avait daigné croiser son regard. Ses yeux se posent sur cette arcade qui avait pissé le sang après qu'elle l'ait frappé. Quelqu'un de plus doué qu'elle en premiers secours a dû s'en charger depuis, puisque des points ont été faits : un simple et petit pansement recouvre la coupure.


— Bien, je vais accompagner Hanji et son escouade à Trost pour aller faire un rapport au Major. Vous, vous restez ici, explique Livaï aux siens.

— Oui Caporal-Chef ! répondent en chœur les soldats de la 104e.


Ceux qui partent montent à cheval et commencent à s'éloigner. Les membres de l'escouade tactique sont eux aussi déjà en marche vers leur maison de « vacances » mais Mikasa ne leur emboîte pas encore le pas, son regard est rivé sur un jeune homme qui ne l'a pas regardé une seule fois aujourd'hui, elle trouve ça étrange venant de la part de celui qui, malgré les coups, n'a jamais abandonné l'idée d'aller vers elle.

Il lui semble pourtant qu'ils s'étaient quittés en plus ou moins bons termes après leur dernier jour de corvée à éplucher une montagne de pommes de terre mais... Apparemment elle s'est fourvoyée.


— Tssss... Qu'est-ce que je croyais... dit-elle à voix basse pour elle même en regardant la paume de sa main droite, celle qui avait épongé le sang qui coulait sur son visage.


Elle se dit qu'elle ne doit pas perdre de vue ses objectifs ni ce qui lui est le plus précieux, sous prétexte que quelqu'un a réussi à la pousser dans ses retranchements, malgré toutes les barrières qu'elle lui a imposées et croyait jusqu'alors infranchissables.

Ces moments sont arrivés seulement parce qu'ils sont restés coincés ici pendant plusieurs jours, après des évènements traumatisants et graves. Cette proximité était temporaire et est même déjà terminée. Pourtant, ce constat ne la réjouit pas autant qu'elle le voudrait.





Environ une vingtaine d'heures plus tard, la petite troupe pose pied à terre devant une vision familière, surtout pour Thomas : la bâtisse en bois où a élu domicile l'escouade tactique. Livaï ouvre la porte et dit quelque chose à ses soldats que monsieur Ralle n'entend pas mais quand son escouade et lui entrent, ils sont tous assis autour de la table et attendent sagement.

Hanji, Moblit, Keiji, Abel et Thomas s'installent dans des fauteuils et sièges disposés là dans la pièce de vie. Julia n'est pas avec eux, Nifa non plus.


— Le Révérend Nick est mort, annonce brutalement Hanji.


Tout le monde prend une expression étonnée.

S'ensuit le récit du capitaine sur sa découverte du corps et ce qu'elle en a conclut, en plus de son échange avec les deux membres de la division centrale - groupe d'élite des brigades spéciales - qui lui barraient la route.

En écoutant cela, Mikasa lance un regard en direction de Thomas et celui-ci semble ailleurs et préoccupé, ses yeux fixant le sol d'un air absent. Armin remarque l'attention que porte Mikasa à un membre de l'autre escouade et son regard tombe tout naturellement sur ce jeune homme, à son tour.


— ...punir Nick de nous avoir parlé. Je l'avais donc caché dans cette caserne incognito. Je n'imaginais pas qu'ils enverraient des soldats du centre pour le tuer. Quelle naïveté... Je suis responsable de sa mort, termine Hanji qui baisse les yeux, le silence règne après tout ce qu'elle a dit.


Le Caporal-Chef se saisit de sa tasse de thé et en boit une gorgée. Armin détourne le regard et dévie ses pensées vers les circonstances de la mort du Révérend.


— Vous croyez que les brigades spéciales l'ont torturé pour savoir ce qu'il nous avait révélé ? demande Armin.

— Probablement. Et si la division centrale a été envoyée, c'est qu'on a affaire à un gros poisson, répond Livaï avant de se tourner vers Hanji, combien d'ongles lui ont-ils arrachés ?


Thomas se questionne sur la nature de ces évènements. Il y aurait donc des secrets que les puissants du centre veulent dissimuler quitte à assassiner des hommes d'église ? C'est insensé. Le jeune homme pensait l'humanité unie et regardant dans la même direction mais il s'avère que même au bord du gouffre, les hommes ne peuvent s'empêcher de se trahir.

Il se demande aussi pourquoi Erwin Smith a demandé à ce que Julia reste avec lui, la jeune femme avait d'ailleurs demandé à Thomas de lui rendre son livre pour le rendre à son véritable propriétaire : le Major. Qu'est-ce que peut contenir ce livre de si important et intéressant ? C'est un vieux manuel d'histoire qui n'est même pas à jour dans ce qu'il raconte. Les manœuvres politiques, les secrets, le pouvoir, les zones d'ombre du passé... Tout cela le dépasse et lui donne la migraine.

La porte de la maison s'ouvre et Thomas en sursaute, il était une fois encore plongé dans ses pensées. Nifa entre et marche rapidement en direction de Livaï pour lui donner une note.


— Caporal-Chef. Des ordres du Major Erwin. Je venais l'informer du meurtre du Révérend Nick et il m'a aussitôt remis ceci, explique-t-elle.

— Évacuation générale, on se tire d'ici, ordonne Livaï avec une mine légèrement déconfite et perturbée, après avoir rapidement lu ce qui est écrit sur ce bout de papier. Ne laissez aucune trace.


Personne ne comprend vraiment mais personne ne pose de question. Les membres de l'escouade du capitaine sortent rapidement et, avant que Thomas ne fasse de même, il s'arrête au niveau de l'encadrement de la porte et se retourne, se sentant observé. Mikasa est là, debout de l'autre côté du couloir à le regarder s'éloigner. Le jeune homme sourit puis hoche la tête avant de tourner les talons pour suivre les ordres, refermant la porte d'entrée derrière lui.

La brune esquisse un sourire, après coup, en fixant cette porte qui vient de se fermer. Elle range une mèche de cheveux derrière son oreille puis se met à son tour en mouvement pour aller s'équiper et aider ses compagnons à récupérer tous leurs effets personnels.

Traces nettoyées, affaires réunies, équipement sur le dos : les deux escouades lèvent le camp et vont se poster sur la haute falaise qui domine la clairière et vont y attendre de voir les brigades spéciales pointer le bout de leur nez.

La nuit commence à tomber et ils arrivent enfin sur les hauteurs. Manteau sur le dos et capuche sur la tête, toute la troupe reste sur le qui-vive. Thomas est avec Nifa qui a la main tendue vers le visage du jeune homme et effleure sa blessure à l'œil pour voir comment ça évolue.


— Bon, ça a l'air d'aller, monsieur Ralle, dit-elle avec un sourire en plongeant sa main dans une poche pour sortir un pansement frais.


Mikasa - qui était en train de parler avec Sasha - entend les mots de Nifa et tourne la tête, se coupant au milieu de sa phrase.


Sasha s'étonne du comportement de Mikasa et va suivre son regard pour observer à son tour les deux membres de l'escouade Hanji.

La petite rousse s'affaire à changer le pansement du jeune homme et le fait délicatement. Comme elle a une tête de moins que lui, elle l'a fait assoir sur une souche pour s'occuper de son petit bobo. Pour l'enquiquiner, Thomas fait mine de souffrir le martyr dès qu'elle le touche ou quand elle retire l'ancien tissu médical.


— Mais arrête enfin espèce de crétin ! râle Nifa qui ne peut pas s'empêcher de glousser.

Thomas se marre lui aussi.

— Peut-être que si je t'en mets une au même endroit tu seras calmé ? menace-t-elle.


Mikasa parvient à garder une expression de visage neutre mais elle serre les poings en assistant à cette scène, en regardant ces doigts qui s'occupent de changer ce pansement. Il y a quelque chose qui gronde doucement en elle. Un sentiment étrange qu'elle ressent pour Nifa, pour ses mains qui n'ont pas à toucher cette coupure. Un sentiment de possession est éprouvé par Mikasa, cette blessure appartient à ce moment si étrange et hors du temps qu'elle a partagé avec le jeune homme.

Oui, cette semaine elle a ressenti des choses qu'elle ne comprend pas vraiment mais qui, même si elle essaye encore de se convaincre que ce n'est rien, comprend peu à peu leur importance. Elle s'est jurée qu'il n'y aura plus jamais quiconque qui pourra entrer dans le cercle des personnes auxquelles elle tient et si ce moment était aussi unique que marquant, c'est du passé et elle ne peut pas se payer le luxe d'y penser encore une fois. Le jeune homme n'a de toute façon pas l'air de s'en soucier plus que ça, peut-être a-t-il déjà oublié.

Son choix est fait. En partant ce soir elle laisse sur place tout ce qui a pu se passer ici.


— Mikasa ? appelle Sasha.

— Mh ?

— Tu disais ?

Euuuh... Q...


Tout le monde est interrompu lorsque Conny et Armin se tournent puis font un pas vers le bord de la falaise, le regard rivé vers le chalet.


— C'en était moins une... soupire Conny. Si on avait tardé juste un peu, on serait foutus.


Tout le monde se rapproche alors.


— Comment le Major a-t-il su ? demande Armin.

Livaï soupire et baisse légèrement la tête avant de répondre au membre de son escouade.

— Le centre a donné des ordres : stopper toutes les activités du bataillon puis leur livrer Eren et Historia.

Tout le monde s'en étonne, les choses ont l'air d'être bien plus complexes et graves que prévu.

— Quand je partais avec la lettre du Major, les brigades spéciales sont arrivées et ont mis aux fers tous nos camarades, explique Nifa.

— Ils nous traitent comme des criminels ! s'indigne Hanji.

— L'ennemi a arrêté d'agir dans l'ombre, il nous sort le grand jeu... ajoute Livaï.

— Quel secret peuvent cacher les murs pour justifier ça ? Et pourquoi veulent-ils mettre la main sur Eren et Historia ? Pourquoi les capturer et pas les supprimer ? interroge la capitaine.

— Qui sait... Mais une chose est sûre : ils sont à leurs trousses. Il ne faut pas traîner dans le coin, conclut le Caporal-Chef.


Des mines pensives et préoccupées gagnent la majorité des âmes présentes.


— Allons cacher Eren et Historia à Trost, conseille-t-il.

— Pourquoi à Trost ? Le révérend s'y est fait tuer, remarque Moblit.

— Aller vers le centre serait encore pire. On se glissera dans le chaos ambiant de Trost. Rester en ville nous permettra d'utiliser ça au besoin.

Livaï écarte les pans de sa longue cape et désigne l'équipement tridimensionnel.

Moblit acquiesce, comprenant maintenant le plan.

— On ne peut pas non plus se laisser traquer sans réagir. Il faut qu'on démasque notre ennemi. Hanji, je vais t'emprunter quelques hommes, termine l'officier.

— Pas de souci. De mon côté je vais rejoindre Erwin. Moblit tu viens avec moi, les autres avec Livaï.

— Compris !





Un peu plus de quinze heures plus tard, Thomas et Nifa sont sur un toit de Trost, contre le conduit d'une cheminée. Avec Abel ils ont été chargés de suivre et surveiller le chariot qui transporte Eren et Historia, Keiji le conduit. Au même moment, l'escouade Livaï devrait être sur le point de faire mordre à l'hameçon ceux qui veulent effectuer l'enlèvement pour les capturer et les interroger.


— On sera bientôt chez le commandant Pixis, annonce Nifa.

— Vivement qu'on y soit et que cette situation soit réglée, je trouve ça effarant de devoir se protéger contre d'autres humains... déplore Thomas.

— Hanji et Livaï avaient vraiment l'air préoccupés et inquiets, ça n'arrive vraiment pas souvent. Mais on peut quand même espérer, qu'au final, on se dira que c'était plus de peur que de mal, dit-elle avant de tourner la tête vers le mur, j'aimerai bien qu'on y retourne tous ensemble. Avec ma nouvelle famille.

Thomas l'observe, n'osant pas respirer ni bouger par peur de briser ce moment, cette confession qu'elle fait. Nifa revient à son camarade avec des yeux humides mais aussi et surtout un sourire aux lèvres.

— On montrera à ces titans comme nous sommes forts ensemble, petit frère.


Le jeune homme prend un coup derrière la tête en entendant ses mots. Voilà pourquoi ils se battent si bien ensemble, voilà pourquoi ils se sont tout de suite très bien entendus, voilà pourquoi sans s'en rendre compte il s'est aussi vite attaché à elle plus que de raison alors qu'ils ne se connaissent que depuis une semaine. C'est une grande sœur pour lui. Il est un petit frère pour elle.

Jamais elle ne remplacera Petra mais il trouve en elle nombre de choses qui faisaient de sa grande sœur une personne si importante à son équilibre. Certaines choses ne s'expliquent pas mais les circonstances actuelles doivent jouer.

Les larmes montent aussi aux yeux de Thomas qui acquiesce finalement aux mots de Nifa en lui lançant un regard plein de motivation, de détermination et d'espoir. Étonnée par ce qu'elle lit dans la lueur des deux billes bleues posées sur elle ainsi que ce qui y perle, Nifa entrouvre la bouche pour ajouter quelque chose mais elle n'a pas le temps de s'exprimer.

Le chariot effectue un virage et arrive dans une rue plus large. Les deux soldats recentrent alors leur attention sur ce qu'il se passe plus bas jusqu'à devoir se repositionner plus loin.

C'est à ce moment là que le Caporal-Chef les rejoint.


— Tout est sous contrôle là-bas, comment ça va ici ? demande Livaï qui s'approche d'eux pour jauger par lui-même.

Ça a l'air d'aller pour l'instant, répond Nifa.

— Bien, Thomas rejoins les autres au hangar pour t'assurer que tout va bien et les assister si besoin. Tu reviendras ensuite au rapport. On devrait être chez Pixis d'ici là.

— Oui Caporal.

Le jeune homme se redresse puis empoigne ce qui lui permet d'utiliser son équipement. Nifa et lui échangent un sourire complice puis il s'élance.





Pendant qu'il voltige entre les bâtiments à basse altitude pour éviter d'être repéré de loin, les mots de Nifa ne cessent de lui revenir en tête et cela fixe un sourire indélébile sur ses lèvres. A l'expression de son visage on dirait un petit garçon à qui on a fait le plus beau cadeau du monde. Quand on lui a annoncé la mort de Petra il était véritablement anéanti et il lui a fallu plusieurs jours pour arrêter de sentir son cœur se recroqueviller sur lui-même à chaque battement, pour arrêter de se cacher dans des recoins pour sangloter.

Nifa, Keiji, Abel, Moblit, Hanji, Julia... Tous l'ont aidé à leur manière - et sans forcément le faire exprès - à remonter la pente et enfin entrevoir un semblant de confiance en lui. C'est bien plus précieux que tout le reste et cette impression de compter, d'être capable de devenir quelqu'un, sera la fondation de celui qu'il veut devenir.

Au détour d'un pâté de maisons, il croit entendre des bruits caractéristiques : des équipements tridimensionnels. Il pense à Nifa et Livaï qui le rejoignent, même si ça irait à l'encontre de ce qu'a dit le Caporal-Chef. Il ralentit donc la cadence le temps de les voir de ses propres yeux.

Quand ses poursuivants se montrent enfin ils ne sont pas deux mais trois et ils ne portent ni longs manteaux ni veste d'uniforme. De plus, ils n'ont pas dans les mains ces fameuses crosses auxquelles gripper une lame mais des sortes de longs et grands tubes.


— Il est là ! entend-il et on le pointe clairement, de toute façon il n'y a personne d'autre dans cette ruelle.

— Merde... lâche Thomas dans un souffle en serrant les dents.


Sans réfléchir il se retourne et va tenter de déployer tout le savoir et la technique qu'il a affiné ces derniers jours pour leur échapper mais la tâche s'avère ardue. Les membres des brigades spéciales ont forcément été parmi les dix meilleurs de leurs promotions, ce sont donc des soldats talentueux, ce qui est loin d'être le cas de Thomas qui, au contraire, faisait partie des pires à avoir passé les tests d'aptitude.

Il doit aussi penser à ne pas les emmener droit sur le hangar, il risquerait de compromettre toute l'opération.

De la sueur froide coule le long de ses vertèbres et il ne trouve absolument aucune réponse à ses problèmes : Comment être plus rapide ? Comment les distancer ? Comment rejoindre l'escouade Livaï sans leur amener plus de problèmes ? Comment... Comment ?

Soudain, un coup de feu résonne au loin, puis deux, puis trois. Il en compte finalement cinq et, quelques secondes plus tard, un sixième puis ça s'emballe.


— Mais bordel qu'est-ce qu'il se passe..? se demande-t-il.


Il regarde par dessus son épaule et voit que les trois membres des brigades spéciales sont sur ses talons. Le membre du bataillon d'exploration va donc tenter des manœuvres plus complexes et risquées en sachant que la moindre erreur pourrait lui coûter très cher.

Un nouveau coup de feu retentit mais celui-ci est beaucoup plus proche. La balle s'écrase avec la vitesse de l'éclair dans le mur tout près de son visage et là il comprend : les membres du bataillon sont pris en chasse avec pour ordre d'abattre ceux qui portent fièrement les ailes de la liberté.

L'adrénaline le submerge complètement et il peut sentir la peur envahir chaque infime parcelle de son corps vulnérable. Jamais il n'aurait cru pouvoir ressentir ça face à autre chose qu'un humanoïde mesurant entre trois et quinze mètres de haut qui tue pour le plaisir.

Deux nouveaux coups se font entendre et les impacts sont toujours aussi proches. Il ne doit pas faiblir.


— Tu devrais être plus prudent, inutile d'ajouter des risques en plus, lui avait conseillé Keiji après un entraînement.


Il se souvient qu'il lui reprochait d'agir sans trop se soucier des conséquences ni des risques. Cette fois là il avait feint un accord de principe. Pourquoi l'inconscience ne pourrait pas être une force ?


— Parce qu'au fond c'est sans doute ce qui fait la différence entre un bon soldat et un soldat exceptionnel... Savoir quelles sont tes forces et tes faiblesses puis apprendre à les apprivoiser. Il n'y a que comme ça que tu auras une efficacité létale au combat puisque tu pourras prendre les bonnes décisions dans toutes les situations, lui avait expliqué Nifa.


C'est décidé : au diable la prudence. Sa façon de se battre est justement basée sur la prise de risque, il veut surprendre ses adversaires avec des approches non conventionnelles, leur faire croire qu'il est idiot ou maladroit voire incompétent pour mieux les piéger.

Thomas tourne la tête et remarque qu'il s'approche d'une église. Il plante son grappin droit dans le mur d'une maison puis actionne le gaz du côté gauche afin de se propulser pour faire un virage serré et s'engouffrer dans une ruelle perpendiculaire à celle dans laquelle il se trouvait, fonçant droit vers le bâtiment religieux.

Une balle fuse de nouveau près de lui. Il s'approche à toute vitesse de son objectif et, quand il le sent, il utilise ses deux câbles pour se catapulter vers le clocher. Une fois cette partie de l'église à portée, il plante son grappin droit dans les tuiles puis avec la vitesse et la force exercée par ce nouveau point d'appui fixé dans la pierre, il va effectuer un rapide demi-tour en passant derrière ce clocher. Il fait maintenant face à ses poursuivants qui devaient s'attendre à ce qu'il utilise l'église pour aller encore plus loin et non pour se retourner, surtout qu'il n'a pas armé ses lames.

Malgré cette action non conventionnelle de la part de leur proie qui les fait hésiter pendant une seconde à peine, les poursuivants ont des réflexes et un temps de réaction très affutés et pointent rapidement leurs canons vers le soldat du bataillon qui ose les attaquer sans avoir grippé deux lames à ses crosses. Ni une ni deux il actionne les deux gâchettes pour se fixer au sol, juste le temps que son mouvement change en espérant pouvoir éviter les tirs et passer dans leur dos.

Le quartier de l'église ne comporte que très peu de bâtiments et l'édifice religieux est le seul assez haut pour que, là maintenant, ils puissent changer de direction et s'adapter à ses mouvements.

Thomas rase le sol en passant sous ses agresseurs puis, dans le même instant, les six coups de feu détonnent. Il est incapable de savoir s'il est en parfaite santé ou si son corps est criblé de plomb mais il multiplie rapidement les manœuvres pour reprendre un peu de hauteur.

Après être passé dans leur dos, lancé à vive allure, son grappin gauche déjà planté dans une maison pour se glisser entre elle et la suivante, il consomme une bonne quantité de gaz pour accumuler un maximum de vitesse : c'est sa chance.

Les soldats des brigades ont été pris de court par cette manœuvre à l'audace insolente et le temps qu'ils utilisent le clocher pour faire demi-tour puis se remettent sur les traces du jeune homme, ils auront une poignée de secondes de retard qui peuvent déjà avoir scellé l'issue de la poursuite.

Thomas respire lourdement, ne sachant pas par quel miracle il est encore indemne. Il regarde derrière lui dans cette ruelle malodorante et ne voit personne le suivre. Il aurait réussi ?

Par précaution - et maintenant que c'est plus calme - il sort deux lames neuves de leur fourreau. Les deux prochaines minutes il pourra voltiger sans encombres ni dérangement très près du sol en direction du hangar où devrait se trouver l'escouade tactique.

C'est à un moment où il perd un semblant de concentration qu'il est pris par surprise. En sortant d'une ruelle, voulant traverser une avenue pour se glisser dans un autre corridor étroit, quelque chose vient le heurter de plein fouet. Il est propulsé au sol contre lequel il s'écrase puis roule sur plusieurs mètres.

Quand sa course s'arrête, il sent une douleur intense à de nombreux endroits de son corps. Sa vision devient floue et il ne peut rien faire d'autre que rester là, à essayer de se relever sans réel succès, sentant que son bras droit est intensément douloureux et inutilisable.


Les trois soldats se posent près de lui et le toisent du regard.

— Bon, un de moins, le capitaine ne sera pas de mauvais poil ce soir.

— Ne traînons pas, il faut aller aider les autres.

Effectivement, au loin des coups de feu se font encore entendre.

— Aller Phil, mets-lui une balle dans le crâne et rejoins nous près de la porte.

— Entendu, répond Phil.


Ses deux compagnons s'envolent déjà et lui se tourne vers sa prochaine victime.

A l'aide de son pied il fait rouler le soldat du bataillon d'exploration sur le dos. Thomas peut enfin regarder dans les yeux celui qui veut le tuer pour une raison qui n'est pas si évidente. Ce soldat du centre est bien bâti et musclé, doit mesurer plus d'un mètre quatre-vingt-cinq et a une trentaine bien tassée.

Il se baisse et attrape Thomas par le cou puis sort - d'un holster à sa ceinture - son revolver, un modèle que Thomas n'avait jamais vu. Il fait bien trop moderne comparé aux fusils qu'ils se sont procurés de leur côté à savoir des fusils à platine à silex.

Il colle le canon au milieu du front du jeune homme.

Thomas se sait fini et il sait aussi que son regard doit montrer sa peur intense à ce moment précis, de quoi se délecte celui qui va l'abattre à en voir son regard.

Soudain, Thomas sent sa peur couplée à son instinct de survie qui commencent à vibrer dans ses entrailles. Ses muscles se tendent tous et il se sent parcouru d'un regain de force.

La seconde que prend le membre des brigades pour jubiler suffit à Thomas pour serrer ses doigts autour de la seule crosse qu'il a encore en main et sur laquelle il reste encore un morceaux de lame brisée. Sa vie étant plus que menacée, poussé par cette pulsion qui vient du plus profond de lui, il plante son épée dans le ventre de ce Phil. Ce dernier produit un hoquètement rauque et son regard s'agrandit avec le choc de cette douleur intense et soudaine qui le surprend.

Son regard se baisse lentement vers son abdomen et il voit ce sang commencer à couler à flot. Thomas retire sa lame et regarde son bourreau lâcher son arme puis reculer de façon hasardeuse en appuyant de ses deux mains contre sa plaie béante. N'ayant pas le temps pour les états d'âme, Thomas en profite pour se redresser et ramasse sa crosse tombée plus loin afin de prendre ses jambes à son cou d'une démarche peu assurée.

Alors que le soldat Phil est au sol à convulser, Thomas essaye d'actionner son appareil tridimensionnel mais celui-ci semble avoir été endommagé pendant la chute.


— Merde manquait plus que ça... Peste-t-il à haute voix.


Pas le choix, il essaye de courir et manque de tomber deux fois avant de s'engouffrer dans une ruelle.

Près de la porte de la ville qui donne vers l'intérieur du mur Rose, les survivants viennent de voir Eren et Historia leur être enlevé. Mikasa est à genoux, les bras baissés, profondément inquiète et triste d'avoir échoué à sauver Eren.

Livaï se tourne vers les autres et a l'air de les compter.


— Où est Thomas ?

— Thomas ? demande Sasha.

— Je vous l'avais envoyé juste avant qu'on ne se fasse tirer dessus, il devrait être ici avec vous.

Ils échangent tous un regard inquiet mais lucide : ceux qui ont survécu sont là, uniquement là.





La nuit est tombée, les survivants se sont réfugiés là le temps de se remettre de leurs émotions et de se ravitailler. Manger et boire un peu fait du bien même si l'envie n'y est pas.

Tous sont à l'intérieur sauf Sasha qui fait le guet à l'extérieur, juste à côté de la porte de service. Elle scrute minutieusement les alentours et ses talents de chasseuse l'aident en ce sens. Soudain elle voit une silhouette s'approcher lentement avec une démarche étrange. Elle donne deux coups contre la porte en acier afin de prévenir ceux à l'intérieur puis met en joue la personne qui approche avec son fusil.

Après quelques secondes, elle comprend que la raison de cette démarche doit être une difficulté à marcher. Elle s'approche de deux pas et, l'instant suivant, reconnaît l'un des membres de l'escouade Hanji : Thomas Ralle.

Sans hésiter elle pose le fusil contre le mur du hangar et accourt pour aller aider le soldat qui a l'air mal en point. Elle passe l'un de ses bras autour de ses épaules et le soutient de toutes ses forces pour l'emmener jusqu'à la porte.

Les Ackerman se tiennent derrière celle-ci, lames en mains, prêt à surgir sur un éventuel intrus qui entrerait si Sasha ne suffisait pas à le repousser. Quand la porte s'ouvre, ils découvrent mademoiselle Braus qui aide quelqu'un à entrer : un homme qui porte l'écusson du bataillon.

Mikasa reconnaît cette touffe de cheveux bruns, de quoi lui donner un coup au cœur, une joie étonnamment intense : est-ce parce que dans leur situation il était inespéré de voir un survivant de l'escouade Hanji ou est-ce parce qu'elle est heureuse de le savoir en vie ? Il ne faudra qu'une seconde de plus au Caporal-Chef pour le reconnaître aussi. Il se précipite d'ailleurs pour apporter son aide à Sasha et prend l'autre bras du malheureux.


— Thomas ? Thomas ça va ?

Ouais... souffle-t-il, à bout de forces.


Ils l'aident à s'assoir puis l'auscultent rapidement. Son pantalon est déchiré à de nombreux endroits et sa peau y est à vif, même constat pour sa chemise. Son avant-bras droit saigne et il y a une coupure profonde mais nette sur toute sa longueur, les points de son arcade sourcilière ont cédé et tout le côté gauche de son visage est couvert de sang plus ou moins séché.


— Mikasa, vas chercher une trousse de secours !


La jeune femme se lève immédiatement et y va en courant.

Thomas respire lourdement et se met à tousser, c'est douloureux à cause d'une douleur dans son flanc droit.

Mikasa revient très rapidement et s'agenouille près du jeune homme et ses deux compagnons puis ouvre la boîte.


— Putain, j'ai réussi à pas me paumer en venant ici, c'est un exploit hein ? dit-il avant de rire nerveusement avec les yeux fermés mais grimace bien vite à cause de ses côtes douloureuses.

Mikasa et Livaï échangent un regard puis sourient, Sasha glousse.

— Tu as surtout de la chance d'être entier, répond Livaï.

Thomas tourne la tête vers le campement provisoire de fortune où Armin, Jean et Conny sont assis et regardent dans sa direction. Il fronce.

— Où sont les autres..?

Laisser un commentaire ?