Le destin des Ackerman - Tome 1

Chapitre 36 : Chapitre 35 - Projection

8502 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 09/07/2020 16:24

Les douze survivants arrivent au sommet de la porte de Trost, au levé du jour. Blessures bandées, ils se présentent devant une foule en liesse.


Ils étaient tous abattus, malgré la victoire et les révélations des trois carnets de Grisha Jäger, face au carnage dans les effectifs du bataillon qui ont pratiquement été anéantis. Pourtant voir la population de Trost les acclamer en agitant des drapeaux et scander le nom de leur corps d'armée leur donne l'impression d'être des héros. Le sont-ils ?


Thomas se le demande en regardant tous ces gens qui leur ont réservé un triomphe. Il est conscient que ce que le bataillon vient d'accomplir est grandiose, reconquérir le mur Maria est une victoire retentissante contre les titans qui tyrannisent l'humanité depuis plus de cents ans.


Pourtant, il a cette impression d'avoir été inutile durant la bataille. Oui certes, il a planté deux lances dans la nuque du titan cuirassé mais... comme tous les autres. Le jeune homme ne peut pas s'empêcher d'être déçu de ne pas s'être illustré comme l'escouade Livaï l'a fait, notamment Armin qui a pratiquement vaincu à lui tout seul le titan colossal avec sa ruse. Son heure de gloire n'est peut-être pas encore arrivée — si elle doit arriver, voilà tout.


Plusieurs soldats de la garnison rejoignent le groupe de soldats du bataillon et proposent leur aide pour transporter du matériel et d'éventuels blessés.


Vous pouvez aussi prévenir l'état-major que le mur Maria est à nous. Dit Hanji dont l’œil gauche est couvert par un bandage.


Elle prend ensuite une grande respiration et se tourne vers ses onze compagnons.


Profitez de ce moment, c'est notre seconde victoire. Affirme-t-elle en désignant la foule massée sur la grand place au pied du rempart.


Tous peuvent humer cette odeur particulière et apprécier ce son si doux que des générations de soldats du bataillon n'ont jamais même eut l'audace d'espérer. L'humanité se relève, l'humanité montre les crocs, l'humanité se libère. Aucun d'eux ne pense à ce qui vient ensuite, ni aux nouveaux sacrifices auxquels ils devront consentir pour véritablement être affranchis de cette cage de pierre, mais le premier pas a été fait, l'avenir semble soudainement radieux et porte enfin en lui l'espoir du genre humain.


Personnification de l'espoir d'une espèce, phare de la liberté et héros d'un peuple jadis opprimé : voilà ce qu'est le bataillon aujourd'hui.


Thomas se tourne d'un quart vers cette plaine d'où ils viennent et observe cet horizon, ce point précis où la terre et le ciel se rencontrent. Ces yeux bleus contemple cette voûte céleste, ce ciel sans la moindre once de nuages : une journée magnifique s'annonce. Ses pensées vont vers Petra, parce qu'il aurait aimé qu'elle assiste à ça, qu'elle vive ce moment si particulier qui leur redonne espoir. Ils ne sont peut-être pas libres, ils ne sont pas encore en paix... Mais en ce jour, et pour la première fois depuis six ans, ils ont l'intime conviction que tout est maintenant possible.


Sans s'en rendre compte et sans le contrôler ses yeux s'humidifient. Est-ce de la tristesse ou de la joie ? Un subtil mélange des deux, à n'en pas douter.


Sa grande sœur s'était engagée en rêvant que ce jour arriverait, il a continué à se battre pour porter son rêve à bout de bras, se promettant silencieusement de terminer ce qu'elle avait commencé. Elle n'est pas physiquement là, avec lui, pour apprécier cette sensation de liberté et d'accomplissement mais il l'imagine très bien mais Thomas ressent sa présence, chaleureuse et douce. Ou peut-être est-ce ce rayon de soleil qui baigne le sommet du rempart de sa lumière chatoyante et réconfortante. Aucune différence.


Une vision étrange s'impose à son regard, comme un rêve éveillé : elle est là, à ses côtés, accrochée à son bras en regardant elle aussi cet horizon. Ses yeux bleus sont brillants et émus, elle a probablement le souffle coupé en se rendant compte de ce qu'ils ont réussi à faire. Machinalement, Petra range une mèche de cheveux derrière son oreille, en remarquant qu'on l'observe, avec un petit sourire puis aurait de nouveau porté son regard sur ce qui s'étend à leurs pieds, comprenant enfin qu'un nouveau départ s'annonce pour le peuple des murs. Le monde s'offre à eux et ils n'ont qu'à tendre la main pour s'en saisir.


Thomas serre entre ses doigts ce collier qu'il porte constamment sur lui et un grand sourire fleurit sur ses lèvres alors que des larmes, brillant comme de petits diamants, dévalent sur sa peau marquée par la récente bataille.


Petra, on a réussi... Dit-il dans un murmure.


Non il n'est pas anéanti, non il n'est pas détruit, non il ne ressent aucun sentiment négatif. Pour la première fois de sa vie il a véritablement ce sentiment d'avoir accompli quelque chose, d'avoir participé à un évènement magistral. Trois mois après s'être juré d'honorer la mémoire de sa sœur qui était tout pour lui, voilà son vœu exaucé.


Il inspire à plein poumons cet air au parfum de liberté et d'espérance, qui n'a curieusement jamais été aussi pur qu'en ce moment.


Tu peux être fier de toi et je suis sûr qu'elle te regarde de là-haut, en ayant un de ses sourires radieux aux lèvres parce qu'elle est reconnaissante et fière que tu aies réalisé son rêve. Dit Livaï avec calme.


Tout juste à la fin de sa phrase une colombe blanche passe devant eux, planant grâce au croisement des vents au sommet du rempart puis s'éloigne en direction de Shiganshina. Les deux hommes l'observent jusqu'à ce qu'elle ne soit plus qu'une toute petite forme méconnaissable à l'horizon.


Merci Caporal... Répond Thomas qui observe un instant le visage de son supérieur.


Il a mis le temps avant de comprendre mais c'est maintenant une certitude : Livaï et Petra partageaient plus que leur appartenance à une escouade.


Alors il lève les mains jusqu'à sa nuque pour le retirer. Thomas regarde ce bijou qui repose au creux de sa main, la chaînette qui s'est enroulée sur elle-même... Il se remet à sourire parce qu'il sent qu'il peut voler de ses propres ailes à présent et qu'il n'a pas le droit de s’accaparer le deuil de cette femme merveilleuse qu'était Petra.


Tenez. Reprend le jeune soldat Ralle qui tend le collier au Caporal-Chef. Vous me l'avez rendu et je vous en serai toujours reconnaissant mais je crois que c'est près de votre cœur qu'il a vraiment sa place. En tout cas je crois que c'est là qu'elle aimerait qu'il soit. Ajoute-t-il en souriant.


Livaï a le regard qui oscille entre le soldat et cette main tendue dans laquelle un collier qu'il ne connaît que trop bien attend qu'il s'en saisisse. Le meilleur soldat de l'humanité est ému mais ne le laisse bien évidemment pas paraître si ce n'est cette marque sur son visage qui montre qu'il serre ses mâchoires. Il hoche seulement et se saisit du bijou, sachant pertinemment qu'il ne sert à rien de protester. A la fin de la 57e expédition il avait légué le badge de Petra au soldat à cause de qui son corps a dû être abandonné et n'avait donc pas pu garder quelque chose d'elle.


Il hoche simplement.


Sur ce, Thomas tourne les talons et laisse l'officier seul avec lui-même et ses sentiments pour rejoindre Judith qui est allongée plus loin.


Multiples fractures, traumatisme crânien, nombreuses contusions et lésions... Le choc a été violent et c'est un miracle qu'elle ait survécu. Quand Julia et lui ont cherché des survivants après le souffle, ils ont d'abord trouvé Bernd Witsel. Ses jambes étaient arrachées, gisant plus loin, le crâne enfoncé et dont une partie du contenu s'était déversée au sol en se mélangeant à la poussière. Il entendit Julia vomir l'instant suivant.


Deux rues plus loin et après être passé devant un puits se trouvait Moblit. Le lieutenant était transpercé en plein torse par un morceau de poutre de bois, la jambe droite désarticulée et une impressionnante marre de sang à ses pieds.


Enfin il tombèrent sur le cadavre de Julian Peters. Il transportait des lances et la seule qu'il lui restait a dû exploser quand le souffle l'a balayé. Assit au pied d'une maison, sa tête tombait en avant, montrant l'arrière de son crâne qui présentait une blessure béante. Une bonne moitié de son torse avait été arrachée — sûrement à cause de l'explosion de l'arme qu'il transportait.


C'est en s'approchant de ses restes et par pur hasard que Thomas regarda à l'intérieur du bâtiment. Entre les meubles, objets et autres débris qui jonchaient le sol, il remarqua des traces de sang. Il se précipita à l'intérieur sous le regard surpris de Julia et trouva sa camarade avec qui il partage cette dure vie militaire depuis trois longues années.


La jeune femme ouvre lentement les yeux lorsqu'elle sent quelqu'un lui prendre la main puis sourit en reconnaissant son ami.


Merde... Il n'y a qu'aux mourants qu'on prend la main comme ça... Dit-elle. Ne me mens pas comme les autres trous du cul, je vais mourir ?


Thomas n'arrive pas à savoir si elle plaisante pour dédramatiser ou si elle s'inquiète vraiment.


Non, tu vas vivre pour me supporter, désolé. Plaisante le jeune homme.


Et merde... Répond-elle avec un faible sourire.


L'instant suivant Judith se met à pleurer silencieusement, couvrant sa bouche du revers de sa main pour étouffer ses sanglots. Thomas serre légèrement ses doigts autour de sa main pour essayer de la réconforter, bien qu'il ne connaisse pas la raison de son émotion soudaine.


Après quelques secondes elle fait monter sa main pour maintenant couvrir ses yeux.


Ça ne se dit pas mais... Je suis contente de faire partie de cette escouade, sinon j'aurai dû participer à cette charge suicide et je n'aurai pas été retrouvée par un petit con inconscient...


Thomas ne peut pas faire autre chose que sourire, il sait très bien que c'est sa façon de dire merci.


Repose-toi et récupère vite.


Oui chef... Répond-elle.


Julia s'approche d'eux ensuite, quand Thomas s'est relevé.


Comment elle va..? Demande-t-elle.


Bien. Répond le soldat Ralle en souriant tristement.


Qu'est-ce qui ne va pas ?


Thomas hésite. Il n'a pas forcément envie d'embêter Julia avec tout le bazar que sont ses émotions actuellement. Il a l'habitude de se confier à Mikasa ou, en tout cas, de laisser tout ça ressortir dans ses bras. C'est pour cela qu'il lève les yeux vers la brune qui se tient dos à lui, près d'Eren qui a les trois carnets de son père sous le bras.


Il hausse finalement les épaules en détournant le regard de cette jeune femme qui lui manque terriblement.


Ofh... Rien. C'est la pression qui retombe. Je rêve d'une bonne nuit dans mon lit là...


Julia soupire mais ne compte pas le laisser s'en tirer comme ça. C'est surtout qu'elle aimerait lui donner de la tendresse, faire quelque chose de gentil pour le remercier, pour l'aider, pour lui montrer qu'elle aussi peut être là pour lui mais elle ce sentiment étrange qu'il est inaccessible.


Il faudra passer à l'infirmerie avant... Remarque la jeune femme qui compte bien être sur son dos jusqu'à ce qu'il soit guérit.


Oui-oui bien sûr tu me connais, jamais je ne me coucherai en sang dans mon lit... Ment-il, sans scrupules parce que c'est avec Julia qu'il parle, Mikasa lui aurait déjà mit une tape sur la tête pour ce mensonge éhonté, l'ayant déjà trouvé tout ensanglanté dans son lit.







Les quelques survivants du bataillon d'exploration sont rentrés dans leur caserne de Trost, après leur bain de foule tout le long de l'avenue principale.


Thomas s'est rapidement rendu à l'armurerie. Il range lentement son équipement, sépare les différentes pièces, les vérifie, les nettoie puis les dispose une à une dans la malle prévue à cet effet. C'est peut-être idiot mais ça lui permet de faire retomber la pression et le stress intenses ressentis pendant ces dernières vingt-quatre heures.


Avant de refermer cette grande boîte il en fixe le contenu, pendant un moment, plongeant dans ses pensées. Finalement, il s'appuie contre le bord de la table et tend ses bras, laissant tomber sa tête en avant, avant de soupirer.


Que vont-ils devenir, que vont-ils faire ? Maintenant que le mur Maria est rebouché ils devront sûrement traquer et détruire tous les titans qui se promènent entre les deux murs. Mais ça leur prendra un temps considérable...


Pendant qu'il y réfléchit, des pas se font entendre, signe que quelqu'un approche. Il se redresse et se saisit rapidement d'une pièce qu'il vient de ranger pour faire illusion au cas où l'intendant viendrait jeter un coup d’œil.


Mikasa marche d'un pas décidé pour se débarrasser au plus vite du matériel qu'elle porte depuis deux jours. Elle devra ensuite se présenter à Hanji pour purger sa peine. En arrivant dans l'allée elle remarque Thomas, qui l'a devancée de quelques minutes.


Elle s'arrête net pour le détailler, hésitante à s'en mordre la lèvre.


La jeune femme est complètement perdue vis à vis de lui. Pendant les semaines qui viennent de s'écouler elle a simplement ruminé sa peine et sa frustration avant de les enfouir profondément, préférant y penser le moins possible. Pourtant, c'est évident que ce lien ne pourra pas se rompre si facilement, ils ont besoin l'un de l'autre. Ses sentiments, même si elle ne peut pas les nommer avec certitude, font de lui cette personne contre qui elle peut et veut s'oublier. S'ignorer l'un l'autre, faire comme s'ils étaient des inconnus ou de simples camarades ne fonctionne pas.


Alors, forte de cette conclusion, elle s'approche de lui et, en arrivant à seulement un pas du brun, les travers de leurs premiers moments reviennent : elle est nerveuse et timide. Mikasa ferme les yeux pendant une seconde, le temps de chasser ses doutes et fait ce pas de plus pour enfin passer ses bras autour du ventre du soldat Ralle et le serre contre elle. Elle ne prononce pas le moindre mot et ne bouge plus non plus une fois qu'elle l'étreint, profitant de la simplicité et de l'innocence de ce contact.


Elle remercie le ciel qu'il soit encore en vie, qu'il ait pu être là quand elle était dévastée face à la possibilité de perdre Armin, que son contact soit si réconfortant...


Thomas reconnaît immédiatement ses mains, ce bracelet à son poignet, son odeur, sa présence. Il expire profondément et ne peut pas s'empêcher de poser l'une de ses mains sur celles de la jeune femme dont le visage repose sur le haut de son dos.


Leur raison à tous les deux leur hurle de s'arrêter dans l'instant, de ne pas prolonger le contact une seconde de plus. Pourtant, Mikasa entrecroise leurs doigts et frotte doucement sa joue contre lui avant de déposer ses lèvres sur le côté de son cou, juste au dessus du bandage qui le recouvre à moitié. Le brun est saisi d'un frisson puis sent qu'elle colle sa tête contre la sienne après avoir fait reposer son menton sur son épaule.


Ont-ils vraiment besoin de dire quelque chose ? Tout est là. Un mois et demi à s'abstenir d'apprécier un moment aussi simple et satisfaisant que celui-là, tout ce temps à se trahir eux-mêmes...


Mikasa ferme les yeux et respire profondément pour profiter de l'odeur de sa peau, comme une droguée qui prend sa dose. Pourquoi aime-t-elle tant quand il est blessé et couvert de sang ? Est-ce par besoin de s'occuper de lui ou est-ce quelque chose qui éveille son désir ?


Le jeune homme se retourne doucement et ils échangent un regard si simple et si complexe à la fois, plein de ce qu'ils ressentent et ne peuvent pourtant pas exprimer.


Finalement, ils sont encore une fois confrontés à cette hésitation, comme s'ils étaient condamnés à revivre continuellement les mêmes situations, les mêmes privations, les mêmes retenues.


Après un instant à se noyer dans les yeux de cette brune qu'il considère plus précieuse que tout au monde, Thomas lève ses mains et saisit délicatement le visage de Mikasa, faisant glisser ses doigts le long de ses joues jusqu'à ce qu'ils aillent se perdre dans sa chevelure, terminant leur course à la base de son crâne. Il l'attire à elle, lentement.


Mikasa se sent lâcher prise et frémit toute entière sous la pression des doigts de son ancien amant. C'est tout ce qu'elle espérait, tout ce dont elle avait besoin.


Leurs bouches s'entrouvrent, leurs yeux se closent peu à peu : ils s'approchent centimètre par centimètre, la raison et les interdits remplacés par l'envie dans le même rythme. Leurs nez se frôlent puis leurs lèvres mais Thomas s'arrête à cette distance. Il peut sentir le souffle chaud et éperdument confus de la jeune femme.


Elle ne se montre pas encore impatiente et semble même profiter elle aussi de cette pause aux portes de l'interdit. Son regard embué d'émotions se lève pour capter le bleu magnétique de celui du soldat Ralle. Thomas sait ce que signifie ce regard, il comprend qu'elle lui demande la permission.


Il ne sait absolument pas quoi faire. Il ne peut pas résister à son expression, à sa façon de lui demander silencieusement si elle a le droit de se saisir de ce qu'elle veut, sur le champ, parce qu'il voudrait s'offrir tout entier.


Pourtant les mots qu'il a prononcé plusieurs semaines plus tôt résonnent dans leurs esprits et font vibrer le peu de raison qu'il leur reste.


On ne peut plus l'être et on n'aurait jamais dû non plus.


Ce Erik est ton oncle donc je suis ton...


La jeune femme ferme les yeux un instant, décidée à balayer tout cela.


Au diable les Ackerman... Je n'en ai rien à faire de ce quelconque lien de parenté s'il existe vraiment... Pense-t-elle, si fort qu'elle craint de l'avoir prononcé.


C'est pendant ces deux secondes de flottement qu'elle sent que Thomas colle son front au sien et expire profondément, exprimant sa résignation.


Trop tard, la chance est passée.


La raison a repris le dessus.


Les lèvres du jeune homme se posent sur la joue de Mikasa puis il retire ses mains. C'est un déchirement pour lui, une frustration intense pour elle. Pourtant ils savent tous les deux qu'ils se sont accordés bien plus qu'ils ne le devraient.


Ce n'est pas tant que le moindre contact doive être proscrit mais ce moment qui vient de passer le prouve : une simple étincelle pourrait démarrer un feu incontrôlable et, une fois qu'ils l'auraient éteint de la seule et une unique façon possible, ils n'auraient plus qu'une satisfaction amère et coupable.


Alors Mikasa écarte ses bras et se recule d'un pas puisque la réponse à sa demande a été négative. Est-ce qu'elle peut vraiment lui en tenir rigueur ?


Malgré tout, son désir brûle en elle. Son esprit part en vrille à cause de la chaleur, parce qu'elle a senti le cœur du jeune homme s'emballer à son contact.


Après avoir frôlé la mort de si nombreuses fois en ces dernières vingt-quatre heures, elle a mesuré comme la vie ne tient qu'à un fil et qu'ils n'ont pas une seule seconde à perdre, pas une seule seconde à gâcher. Elle s'imagine alors réduire brusquement à néant cette courte distance qui les sépare pour s'emparer fougueusement de ses lèvres. Mikasa aimerait ensuite l'obliger à poser ses mains sur son corps avant de défaire la boucle de sa ceinture dans le même temps.


C'est un instinct sauvage et brutal parce qu'elle ne demande rien d'autre que de le sentir plonger en elle profondément et lui donner ce plaisir qui lui manque au point de la ronger, de hisser la vision du corps nu du jeune homme au rang de fantasme. Leur complicité lui manque tellement...


Peu importe si ça ne dure qu'une minute, peu importe si ça se passe ici, peu importe les regrets ensuite. Maintenant, tout de suite, sans ménagement, sans attendre. S'ils sont condamnés à ce qu'il ne leur reste qu'un petit moment à passer tous les deux avant que la mort ne les rattrape, elle désire plus que de raison qu'ils ne fassent qu'un.


Ses pensées érotiques sont interrompues par le bruit d'une malle qui se referme puis celui des deux loquets qui s'enclenchent. Elle se surprend à le dévorer du regard. C'est à en perdre l'esprit. Avoir goûté à ça, se savoir à deux pas de la personne qui pourrait le lui faire ressentir encore une fois, effleurer du doigt son désir mais ne pas pouvoir s'en saisir.


Une idée lui traverse l'esprit.


Tu es blessé..? Demande-t-elle parce qu'il y a une chance qu'il se dénude, ne serait-ce qu'un peu, appelant ses mains à le toucher.


Thomas se crispe, il agrippe à la malle et retient son souffle. Lui aussi devient dingue. Il ne sait pas si elle pose cette question par inquiétude, voulant donc changer de sujet, ou si elle cherche à raviver ce qu'ils ont déjà réussi à éviter de peu.


Juste quelques égratignures... Ment-il.


Après tout, il est loin d'être aussi amoché qu'après chaque escarmouche contre la division centrale mais Mikasa sait qu'il n'est pas indemne pour avoir vu son état quand il les a rejoint sur le toit, face à Armin et Erwin mourants. Elle se rend compte que sa question est idiote. Il a dû comprendre son stratagème lui qui est si futé et plein de malice.


Le jeune homme se sent coincé. Il ne veut pas aller à l'infirmerie et l'idée que Mikasa s'occupe de changer ses bandages est alléchante à première vue. Mais il est conscient que, vis à vis de cette résignation horrible à sauvegarder, ce serait plus risqué que combattre dix titans dans une plaine vierge de tout arbre.


En tout cas, il reste dos à elle et ferme les yeux avec force, essayant de chasser ses pensées impures. Il se sent brûler de l'intérieur parce que lui aussi aimerait succomber tout entier à son désir, la plaquer contre l'une de ces étagères, la dénuder juste assez pour sentir leurs peaux se frictionner l'une contre l'autre puis répondre à cet appel de la chair.


Nouveau silence, nouvelle tentative de résister.


Il se retrouve à marchander avec lui-même en se souvenant qu'elle porte encore son équipement tridimensionnel. Il se dit alors qu'ils pourraient s'embrasser et, le temps de lui retirer ce matériel qui les empêchent de faire quoi ce soit, il se réveillerait à temps.


Il souffle lourdement en chassant cette idée qu'il sait absolument idiote.


Thomas... Appelle la jeune femme d'une voix suppliante, abattant une autre carte.


Le jeune homme le sait, elle le fait exprès : c'est cette façon qu'elle a de prononcer son prénom dans des circonstances très précises. Son sang ne fait qu'un tour, ses poils se hérissent, son esprit chavire, son corps est saisit d'une vague de chaleur qui consume ses défenses déjà bien faiblardes.


Ne fais pas ça Mikasa... Implore-t-il en dernier recours.


Thomas soulève sa malle et fait deux pas pour la ranger à sa place. Il lui faut une seconde pour se remettre en mouvement puis il tourne les talons, plantant Mikasa au milieu de cette allée.


Rien ne prouve que ce qu'Erik Mül... Ackerman t'a dit est vrai. On ne peut pas continuer comme ça, je l'ai compris à Shiganshina, j'ai besoin de toi... Avoue-t-elle en baissant tristement la tête lorsqu'il passe près d'elle.

 

Thomas s'arrête net. Il tourne à peine la tête et a une expression surprise.


Tu... Tu serais prête à prendre le risque, prête à faire ça, prête à l'accepter ? Demande-t-il, à la fois choqué et soulagé qu'elle ait dit ça.


Mikasa laisse le silence s'installer pendant une seconde, le temps de réfléchir, de peser les mots, de s'assurer qu'elle comprend bien les conséquences de la réponse qu'elle souhaite donner.


Oui. Affirme-t-elle avec aplomb.


Il se tourne vers elle suite à ces mots.


C'est vrai... Peut-être qu'il m'a menti sur toute la ligne. Je ne suis peut-être même pas un Ackerman, je suis loin d'être aussi fort et résistant que Livaï ou toi et puis je n'ai jamais connu cet "éveil"... On pourrait se dire qu'on s'est affolé pour rien, qu'on peut recommencer...


Elle s'approche en hochant la tête, sentant que le vent peut tourner en sa faveur.


Et ce dont je suis sûr c'est que je ne peux pas vivre sans toi, Mikasa. Annonce Thomas qui se décide à enfin ouvrir son cœur.


C'est quelque chose d'inespéré et précieux pour la jeune femme qui se plante devant lui et prend doucement sa main, heureuse et euphorique de l'entendre dire quelque chose de si fort et si beau.


Il se tourne vers elle mais son regard est fuyant.


Mais... J'ai réussi à faire sans toi pendant plus d'un mois. Ça m'a permis de comprendre qu'il y a quelque chose qui me serait encore plus invivable que ne pas te sentir contre moi, qu'être privé de tes lèvres...


Elle tressaille et crispe ses doigts sur la main du jeune homme, ayant peur de la suite de sa déclaration.


...C'est un monde dans lequel tu n'existes pas, un monde dans lequel je ne peux pas veiller sur toi ni me battre à tes côtés. Rien qu'imaginer ne pas pouvoir remplir ce devoir me...


Il se coupe parce qu'il croise le regard de Mikasa et ça lui coupe le souffle, il a un soudain vertige en comprenant qu'elle n'a qu'à en formuler la demande pour qu'il fasse tout ce qu'elle veut. Le brun soupire et fixe ses pieds.


Quand j'ai trouvé Judith qui était inconsciente et gravement blessée, je me suis dit que si la laisser là se vider de son sang pouvait me donner la moindre chance de te revoir, de t'aider au combat, de te sauver la vie même si c'était au prix de la mienne, ce serait sans hésiter. Mais je devais la sortir de là, je devais aussi soutenir Julia qui était dans tous ses états, je devais faire mon devoir et ne pas me laisser aveugler par mes sentiments. J'en ai eu une telle migraine que j'ai eu du mal à tenir debout.


Mikasa écoute son récit attentivement, buvant ses paroles dans un mélange d'admiration et d'appréhension. Il décrit là ce qu'elle ressent quand elle est dans la même situation vis à vis de Eren. C'est un signe évocateur sur son ascendance qu'elle refuse pourtant de voir. Son esprit se concentre sur l'admiration qu'elle lui voue de parvenir à mettre de côté une pulsion si puissante et inexplicable.


Alors, que mon père ait raison ou non, que ce qu'on a partagé pendant deux semaines ait été une passade ou non, quelques soient les sentiments que l'on a l'un pour l'autre... Tu mets en danger ma raison, mon jugement, ma clairvoyance, ma logique, mon discernement, tout...


La jeune femme est subjuguée. Les mots qui sortent de sa bouche sont à la fois magnifiques et blessants. Il lui déclare quelque chose de si puissant, il décrit sa capacité à tout sacrifier pour elle mais il a en même temps l'air de le déplorer. Elle ne sait pas quoi penser, elle ne sait pas quoi en conclure. Comment le pourrait-elle ?


Elle n'a jamais réussi à faire la part des choses vis à vis de Eren et n'y arrivera sûrement jamais. C'est l'une des raisons de son aversion à ce que de nouvelles personnes puissent avoir de l'importance dans sa vie. La vérité est qu'elle est complètement incapable de faire le tri dans ses sentiments pour Thomas aussi, c'est beaucoup trop compliqué et subtil pour elle et c'est pour cela qu'habituellement elle préfère les enfouir.


Mais tout veut sortir, ce trop plein d'émotions et de sentiments veut exploser.


Qu'est-ce que je dois faire, Mikasa... Je dois te fuir ou tout faire pour t'avoir près de moi ? J'en deviens fou... Quand Bertolt a dit qu'il voulait tuer tous les habitants des murs j'ai instantanément eu envie de le supprimer, de détruire sa vie. Pas parce qu'il nous a trahi ou parce qu'il parlait de tuer des centaines de milliers de personnes. Juste parce que tu fais partie des personnes qu'il veut voir morte.


Elle soupire et il n'y a rien à expliquer, encore quelque chose qu'ils ont en commun.


La vérité c'est que je crois que notre histoire n'était pas si importante que ça pour toi...


Mikasa sursaute et écarquille les yeux, elle a l'impression de se faire transpercer par une lame. Elle observe le visage du jeune homme qui lui fait face et ça la déroute d'autant plus de voir qu'il n'a ni larme, ni expression vide ni quoi que ce soit de commun avec les autres fois où il lui a tenu ce genre de discours, ayant pour but de lui faire comprendre qu'ils ne devraient pas se lier l'un à l'autre : il est lucide et en pleine possession de ses moyens.


Qu'est-ce que tu veux dire..?


Elle tremble de colère sur place et serre les dents. De nouveau elle a envie de le secouer, de le frapper. Mikasa expérimente encore cette étrange faculté que Thomas a de pouvoir la faire sortir de ses gonds.


Tu te rends compte de ce que tu dis au moins..? Demande-t-elle en serrant le poing de sa main libre.


Il ne répond pas et la regarde s'enflammer, intimidé.


Ne me dis pas que tu n'as pas vu de preuves qui montrent que tu comptes pour moi... Non, je crois surtout que tu as peur. Depuis que je te connais tu es comme ça, tu préfères rejeter les autres quand ils s'approchent trop près de ton cœur, pour te protéger.


Les larmes lui montent aux yeux parce qu'elle aussi ouvre son cœur et se laisse emporter par sa colère.


Tu crois que je ne sais pas ce que c'est ? Je suis pareille ! Ces six dernières années j'ai considéré que ma famille est uniquement composée de Eren et Armin et que ça ne changerait jamais. Il n'y a que pour eux que je serai prête à tout. Mais ça a changé... Ça a changé depuis que j'ai rencontré quelqu'un d'inconscient qui a préféré que je le frappe plutôt que de me laisser avec ma souffrance. Quelqu'un qui m'a ouvert les yeux et m'a appris à rêver, à me souvenir qu'il existe des choses qui méritent d'être vécues. Je t'en veux pour ça...


C'est au tour de Thomas de tomber de haut. Elle parle si rarement de ses sentiments, elle s'étend si rarement sur ses émotions que son discours le sidère. Il est ému lui aussi et voir des larmes perler dans les yeux noirs qui lui font face n'aide pas.


Je t'en veux parce que c'est trop agréable et que je n'arrive plus à vivre sans, je t'en veux parce que j'étais prête à ce qu'une personne de plus entre dans ce cercle si fermé des personnes qui comptent plus que tout à mes yeux. Mais c'était avant que tout ne tombe en ruines... Elle fait une petite pause pour le regarder puis se calme en soupirant longuement. Pourquoi est-ce que tu es si idiot...


Thomas baisse les yeux, débordé par la tristesse et écrasé par la colère de la jeune femme.


Parce que je suis amoureux... Avoue-t-il à demi-mots, d'une voix tremblante, mais de façon brutale.


Mikasa tombe des nues. Elle connait ce mot, elle sait qu'il désigne un sentiment particulièrement puissant mais n'en saisit pas vraiment les contours. Est-ce qu'elle est amoureuse, elle aussi ? Malgré cette discussion sérieuse et grave, son côté enfantin refait surface alors qu'elle réfléchit au sens véritable de ce terme ainsi qu'à l'impact d'un tel sentiment. La jeune femme aimerait lui demander ce que ça veut vraiment dire et ce que ça fait.


Lui, il se mord les doigts d'avoir échappé cette réponse mais il n'en pouvait plus... Garder cela pour lui était trop lourd et destructeur. Elle peut en faire ce qu'elle veut à présent.


Elle ne répond pas, plongée dans ses pensées. D'habitude il prononcerait son nom pour l'en tirer et voir cette expression qu'il aime tant sur son visage surpris.


Mais il finit par soupirer.


Je dois aller voir comment va Judith... Dit-il en retirant doucement sa main de l'emprise des doigts de la jeune femme.


Elle est encore étourdie par ce qu'il lui a dit et regarde leurs mains se séparer sans rien pouvoir y faire. Thomas s'éloigne et elle est impuissante face à ce mur qu'il dresse entre eux, encore une fois.







Thomas entre dans l'infirmerie et observe la salle pendant un instant. Sasha est assise dans son lit, d'épais bandages à l'épaule droite et à la tête, elle prend son déjeuner. Un peu plus loin Julia est sur le bord d'un lit à se faire soigner par un médecin qui applique un pansement frais sur la coupure qui barre sa joue. Judith est de l'autre côté de la salle et dort, près d'elle se trouve Josh qui lève les yeux vers son ami qu'il reconnaît.


Tom ! S'écrie-t-il, faisant tourner les regards vers lui puis vers l'entrée.


L'estropié s'avance à son rythme vers le brun.


Putain tu m'as fait peur salopard... Si tu ne viens pas ici après une mission c'est qu'il y a un problème, tu passes ta vie à être couvert de sang. Plaisante Josh pour paraître détendu mais il s'inquiétait vraiment.


Je suis allé ranger du matériel avant de venir. Répond-il avec un faux sourire.


Josh détaille rapidement le corps de son ami et, effectivement, il est encore couvert de sang.


T'en fais pas, rien de grave. Rassure Thomas en remarquant son regard le parcourir de haut en bas.


Le médecin s'approche des deux amis.


Asseyez-vous soldat Ralle, je vais vous ausculter. Veuillez retirer votre chemise. Demande le membre du personnel médical qui tourne les talons pour aller chercher un chariot métallique sur lequel se trouvent outils de chirurgie, pansements, bandages et médicaments, entre autres.


Il prend donc place et commence à déboutonner son vêtement d'uniforme, Josh se laisse tomber sur le lit d'en face. Julia les observe en entamant son repas.


Le médecin revient vers eux avec ce qu'il est allé chercher. Thomas termine de défaire les boutons puis retire sa chemise en grimaçant à cause du mouvement de l'épaule qu'il doit faire pour la retirer. L'homme en tenue médicale se saisit de ciseaux et commence à découper les bandages vieux de quelques heures et qui portent de grosses tâches rouges au niveau de cette omoplate gauche.


Qu'est-ce que t'as foutu encore... Soupire Josh en constatant les dégâts.


Quand le titan colossal s'est transformé ça a fait une onde de choc qui a vaporisé au moins une dizaine de pâtés de maisons et en a plongé plein d'autres dans les flammes. J'ai reçu quelques débris.


Outch... Grimace l'estropié.


Thomas acquiesce en souriant à peine puis lance un regard à l'homme qui découvre peu à peu sa peau et ses blessures.


Dites doc', comment va Judith ? Demande-t-il.


Elle est stable. Elle souffre de multiples fractures, il lui faudra plusieurs semaines pour s'en remettre mais ne devrait pas souffrir de séquelles ni de handicap.


Le jeune homme soupire de soulagement.


Elle a eu plus de bol que moi on dirait... Commente Josh qui a toujours le mot pour rire.


Heureusement que vous l'avez retrouvée à temps, mademoiselle Smith et vous, le garrot lui a sauvé la vie. Ajoute le médecin.


C'est Julia qu'il faut féliciter, c'est elle qui en a eu l'idée et a retiré sa ceinture pour le faire. Précise Thomas.


A quelques mètres de là, la blonde baisse la tête et trouve un soudain intérêt pour ce qu'il se passe dans son assiette quand Josh regarde en sa direction.

 

Près d'elle, sur le lit, est posé un tas de feuilles de papier ayant une entête officielle de l'armée ainsi qu'un encrier. Une fois son repas terminé elle rédigera un rapport à Hanji sur ce qu'il s'est passé pour son escouade juste après l'onde de choc.


Quand elle est arrivée ici elle a raconté très brièvement ce qu'il s'est passé au médecin qui voulait en savoir un peu sur la façon dont ça s'est passé et surtout sur la cause de leurs blessures. C'est là que Josh a pu apprendre que malgré la perte de deux cents soldats dont toutes les nouvelles recrues et la majorité des escouades, ils ont finalement réussi à reprendre le mur Maria et condamner les portes du district de Shiganshina.


A cette étape du récit le médecin demanda à Julia comment elle a réussi à sortir indemne de cette onde de choc vu les dégâts causés à Judith et la mort sur le coup des autres membres de l'escouade. Elle expliqua alors succinctement que quelqu'un est arrivé à temps pour l'extirper de la zone de danger puis a fait rempart de son corps pour la protéger des débris.


Josh fit tout de suite le lien. Julia et Judith font partie de l'escouade Hanji et un fêlé qui se serait intentionnellement mit en danger pour faire le héros, il n'y en a pas des milliers.


La jeune femme relève les yeux et les pose sur Thomas qui se fait rafistoler avec du fil et une aiguille. Elle se demande s'il ne serait pas le meilleur candidat entre les trois derniers membres de l'escouade Hanji pour en devenir le nouveau lieutenant. Julia s'estime beaucoup trop timide et pas du tout qualifiée pour monter en grade et donc avoir la moindre autorité, Judith est blessée et ne sera pas en état avant plusieurs semaines... D'autant plus que Thomas est maintenant très expérimenté au combat et dispose d'un sang-froid impressionnant.







[ Le soir même - Cellules de la caserne de Trost ]


Eren et Mikasa sont enfermés dans des cellules suite à leur insubordination durant la reprise de Shiganshina lorsque le Caporal-Chef Livaï voulait administrer la seringue de liquide cérébro-spinal. Ils ont déjà passé une bonne partie de la journée ici et la soirée est déjà bien entamée.


Malgré leur condition temporaire de prisonniers, ils ont le droit à un bon lit et des repas chauds plus fournis qu'un simple bol de gruau ou une pauvre miche de pain rassise.


Le jeune Jäger s'est endormi, Mikasa et Armin — qui reste avec eux — peuvent entendre sa respiration profonde et régulière qui le prouve.


La brune est assise par terre, face à son lit, et adossé au mur, pensive. Toute cette journée à ne rien faire lui a permis de beaucoup réfléchir, notamment à ce qu'il s'est passé entre elle et Thomas le matin même.


Ses mots l'ont profondément touchée, en bien et en mal, mais avec le recul elle se dit qu'ils ont bien fait de dire ce qu'ils avaient sur le cœur. En tout cas elle se sent plus légère, de ce côté là. Toutefois elle a le sentiment de ne pas avoir fait ce qu'il faut pour faire comprendre au brun qu'il occupe maintenant une place particulière dans son cœur, même si elle ne saurait pas nommer la nature de ses sentiments aussi clairement que lui.


Elle sait ce qu'est l'amour, que ce soit celui que l'on porte à sa famille ou ses amis entre autres... Mais « être amoureux » est un peu obscur pour elle. Elle pense tout de suite à ses parents et à ceux d'Eren, elle se dit qu'être amoureux ça veut sûrement dire s'aimer en tant que couple, vouloir se marier et avoir des enfants ensemble.


Ça veut dire que Thomas projette qu'après la guerre, et une fois qu'ils seront assez vieux, ils se marieront tous les deux et auront des enfants ?


Cette réflexion la fascine et la terrifie en même temps. Elle se souvient forcément de ce moment où ils sont sortis de chez lui, à Karanes, et qu'elle a soudainement eu l'impression de recevoir un coup de masse, en retrouvant la sensation de foyer et se rappelant de ce qu'est avoir des parents. Ce jour là elle compris que son rêve était le même que celui de Thomas.


Est-ce que ça veut dire qu'ils le feront ensemble ? Sur le moment c'est ce qui lui avait fait mal : ce n'était pas lui l'homme qui se dessinait dans son imagination en se projetant plusieurs années en avant. Après tout, elle s'est peut-être trompée, ici aussi.


Mikasa a dit au jeune homme qu'il a peur que quelqu'un puisse atteindre son cœur et c'est pour ça qu'il la repousse. N'aurait-elle pas expliqué sa propre façon de fonctionner en s'appuyant sur lui ?


Elle sourit.


Elle sourit parce qu'elle se rend compte à quel point ils sont pareils sur certains points... Beaucoup de points ? C'est évident, c'est un Ackerman, lui aussi. Pourtant c'est aberrant qu'il puisse être son cousin, son père ne lui a jamais parlé d'un oncle quelconque, pourquoi l'aurait-il caché ?


La jeune femme secoue la tête pour remettre de l'ordre dans ses pensées parce qu'elle s'éloigne du sujet originel.


Qu'est-ce qui diffère entre « aimer » et « être amoureux » ? A-t-elle imaginé un autre homme que lui par réflexe défensif parce qu'elle se refusait encore à ce qu'il entre dans son cœur ? Ferait-il un mauvais compagnon de vie ?


Tant de questions, si peu de réponses.


Elle tourne la tête et regarde un instant son ami d'enfance qui est appuyé contre cette portion de mur qui sépare les deux cellules.


Armin.


Mikasa ?


Il se tourne pour la regarder, attendant de savoir ce qu'elle lui veut.


J'aimerai te poser une question... Commence-t-elle en gardant encore une part de mystère.


Depuis qu'ils en ont rapidement parlé tous les deux avant que Thomas ne revienne d'une absence à Mithras en compagnie de Hanji, Armin est devenu son conseiller en matière de sentiments et de décisions à prendre.


Laquelle ? Demande-t-il en s'asseyant près des barreaux de sa cellule.


Comment tu... Elle s'arrête avant d'en dire trop et décide de partir sur un autre sujet au dernier moment. Comment tu te sens ?


Bien... Vous avez eu tort de vous interposer mais merci...


On ne pouvait pas accepter qu'il choisisse le major... Si on devait revivre ça, je le referai sans hésiter. Dit-elle.


Armin baisse la tête. Il est très reconnaissant et touché par ce qu'ils ont fait mais il ne peut pas ignorer le poids qui pèse à présent sur ses épaules. Il faudra sans doute plusieurs semaines au bataillon pour recruter des dizaines de nouvelles recrues et les former, les initier à cette formation de détection à distance qu'a mise au point Erwin Smith.


L'avantage c'est que le nombre de candidatures devrait être exceptionnellement haut maintenant que ce corps d'armée a prouvé sa valeur et sa capacité à remporter de grandes victoires. Il leur reste beaucoup à accomplir mais le plus dur à été fait. Leur mission à présent est de mettre au point des mesures de sécurité supplémentaires pour minimiser les pertes lorsqu'ils partiront en expédition afin d'éliminer tous les titans qui se promènent entre les murs Rose et Maria.


Je me demande comment vont réagir les gens à ce qu'on a découvert dans les carnet du père de Eren. J'espère que l'état-major ne choisira pas de mettre ça sous silence. En attendant, je me demande quelles mesures va prendre Hanji maintenant qu'elle est aux commandes.


Mikasa réfléchit pendant un instant.


Tu vas sûrement devenir officier et commander une escouade. Lâche Mikasa qui ne le regarde pas, ses jambes repliées contre elle et fixant le sol.


Hein ? Mais...


Tu es intelligent, tu as un sens tactique hors du commun et tu as prouvé que tu peux mener en débusquant Reiner.


Armin regardait son amie d'enfance d'un air surpris mais il baisse de nouveau la tête. Cette logique est indiscutable mais ça lui ajoute une pression supplémentaire. Sans doute prendra-t-il les rênes de l'escouade que Hanji va laisser derrière elle et si ça arrive, il ne sait pas qui choisir comme lieutenant.


Livaï n'a nommé personne à ce poste mais chaque chef d'escouade est libre de gérer son équipe comme il l'entend même si celle du Caporal est à part. Il connait plutôt bien Julia et Thomas mais ne sait pas grand chose de Judith sinon qu'elle est connue pour ses qualités de leader. Ce sera sûrement un casse-tête.


Mikasa remarque que son ami est pensif en posant ses yeux sur lui.


On a confiance en toi, tu te dis sûrement que tu n'y arriveras pas mais tout ce que tu as déjà accompli parle pour toi.


Merci, Mikasa.







[ Bureau de Hanji Zoe ]


Livaï entre dans la pièce et referme la porte derrière lui. Hanji n'a pas encore élu domicile dans l'ancien bureau d'Erwin mais il se doute qu'il lui faudra plusieurs jours pour le faire. Il s'avance alors que le nouveau major parcourt des dossiers. Une fois qu'il est assez prêt il remarque que ce sont les documents concernant les membres de leurs escouades encore en vie. Il comprend surtout qu'elle n'a pas encore pris le temps de passer sous la douche.


Tu voulais me voir ? Demande-t-il puisqu'elle n'a pas levé le nez de ses papiers à son arrivée.


Ouais, j'ai besoin de ton avis pour une histoire de grades.


Il ne répond pas et attend une explication plus approfondie.


Avec mes nouvelles responsabilités mon escouade va se retrouver sans chef et je dois choisir quelqu'un pour me remplacer.


Que des mioches de quinze piges et aucun n'a l'étoffe. Déclare Livaï pour la pousser à en dire plus.


C'est vrai... Mais certains en ont le potentiel en plus d'une expérience qui les légitimerait.


Pourquoi tu me demandes mon avis si tu as déjà choisi ? S'impatiente l'Ackerman.


Parce que je voulais savoir si tu serais d'accord pour qu'Armin quitte ton escouade et devienne le chef de la mienne. Annonce Hanji.


N'oublies pas que c'est toi le chef du bataillon maintenant, n’a-qu’un-œil. Si tu considères que le nouveau titan colossal doit être promu je n'ai pas mon mot à dire.


Bon-bon...


Erwin lui faisait confiance et lui a déjà confié des hommes. Il manque de charisme et ne s'affirme pas beaucoup mais il est intelligent et fin stratège. Il ne lui manque que de la confiance en soi. Et puis je ne vois pas qui pourrait prendre ce poste à part lui.


Judith en est parfaitement capable mais elle manque d'expérience et d'ancienneté pour ce poste et puis... Elle est gravement blessée, je pensais suggérer à Armin d'en faire son lieutenant.


Ça me semble bien et puis Thomas saura les épauler. Précise Livaï.


Justement... Contredit le nouveau Major, ce qui fait froncer son interlocuteur.


Quoi justement, ne me dis pas que tu vas lui confier des responsabilités. Il est instable, il peut partir en vrille à n'importe quel moment et tout risquer pour un simple pari.


Il est un peu dur avec le jeune homme qu'il estime beaucoup, il doit se l'avouer. Livaï est conscient de ses qualités indéniables et du fait qu'il pourrait devenir quelqu'un d'important et de décisif pour le bataillon, comme le prévoyait Erwin, mais il estime qu'il est trop tôt, c'est pourquoi il préfère minimiser ses qualités et exagérer ses défauts pour le protéger.


Ça ne te rappelle personne ? Rétorque Hanji.


Le caporal soupire en s'appuyant des deux mains sur le dossier d'un fauteuil.


Erwin était plus calme et savait analyser les situations. Argumente Livaï.


Tu as raison mais comme on l'a dit à Armin, personne ne pourra remplacer Erwin. Mais nous avons besoin de nous appuyer sur le peu de personnes qu'il nous reste et sur leurs qualités. Thomas a de l'expérience, il est fidèle au bataillon, est adroit au combat et a une audace insolente. Peut-être que des responsabilités et des hommes à charge pourraient l'aider à s'améliorer. En tout cas... Ça n'arrivera pas tout de suite, je le garde à l’œil pour l'instant. Plaisante-t-elle en faisant référence à son nouveau handicap physique.


Tssss... Comme tu voudras.


Bref. Demain nous irons voir l'état-major pour lancer une campagne de recrutement, nous aurons rapidement besoin de sang frais pour mener des expéditions d'élimination des titans. On organisera ensuite une réunion avec Armin et Julia afin de discuter tactique, j'aimerai que nos sorties soient beaucoup moins mortelles à l'avenir.


Tu penses pouvoir améliorer le système d'Erwin ?


Peut-être mais, en tout cas, prendre certaines précautions supplémentaires ne ferait pas de mal.


Très bien, tu me diras où et quand. Dit le caporal en se redressant et tournant déjà les talons.


Mh-mh, attendons quelques jours avant d'informer Armin sur ses nouvelles responsabilités, il doit déjà digérer sa nouvelle condition et tous ont mérité un peu de repos. Conclut Hanji.


Entendu.


Laisser un commentaire ?