L'Ode à la liberté [Livre II]

Ses cheveux flottaient au gré du vent soufflant par le sud, pendant qu'Eren contemplait hagard l'horizon. Il se retrouvait assit sur le sable face à l'immensité inconnu séparé par la mer, où la nuit régnait faisant place à une obscurité accrue - même pas l'ombre d'une étoile.

L'eau glacée venait effleurer ses orteils, le faisant sortir de son apathie, percutant la seconde d'après qu'il était dans un rêve. Encore.

Le détenteur du Titan Assaillant se mit debout, ne prenant même pas la peine d'épousseter son pantalon. Bien trop préoccupé à l'environnement qui l'entourait, pour la première fois, il découvrait le paysage qu'il côtoyait temps sous un autre jour, cherchant des yeux une source de luminosité intense - mais rien, ni personne pour le guider.

Que devait-il faire, alors que d'innombrables choix s'offraient à lui ? Ainsi, pour la première fois, il pouvait se permettre de se balader comme bon lui semblait que quelque chose ou quelqu'un l'entrave et le force à revivre des réminiscences qui ne lui appartenaient pas et pourtant, il désirait pouvoir revenir sur le sillage d'un de ces prédécesseurs qui lui permettrait de remonter jusqu'aux origines dissimulées sous des amoncellements d'informations aussi fausses que vraies. Or, pour y arriver, il devait absolument retrouver l'axe.

Ne sachant pas par où commencer et ne réussissant pas à écouter son instinct, Eren avança de quelques mètres et se laissa tomber par terre, ses fesses s'enfonçant dans le sable humide - englouti par les vagues qui venaient, puis repartaient silencieusement.

Que ferait Hanji à sa place ? Que lui conseillerait Armin ? Comment aviseraient-ils ? Un sourire en coin se dessina sur son visage, pendant que ses joues s'empourprent partiellement lorsqu'il songea à Æsma. Personne n'était là pour penser à sa place, il devait prendre les devant. Un mal pour un bien peut-être.

Quand est-ce qu'il avait accédé au chemin pour la première fois ? Probablement, lorsqu'il avait dévoré son père, quand certains de ses souvenirs ont surgi de les mois après qu'il ait découvert son pouvoir, pourtant le moment le plus marquant était lors de la bataille à Shiganshina - un souvenir évaporé revenu il y a peu, après avoir eu connaissance des huit clans ayant travaillé main dans la main avec le Fritz. Ce n'était autre que l'affreuse sorcière qui savait comment les mener à la baguette, qui avait filé l'information au Major Dorke.

Lui-même avait été témoin lorsqu'elle celle-ci avait échanger des informations confidentielles avec le docteur Jäger dans un de ses souvenirs, se remémorant parfaitement la scène. Pourquoi diable, en échange de cela, avait-elle souhaité récupérer son liquide cérébro-spinal ? Des questions qui demeuraient encore sans réponses, ne pouvant qu'extrapoler sur le sujet. Il hésitait encore à interroger directement la concernée, songeant parfois à enquêter par le biais d'Æsma.

Envahi par le doute et complètement abattu, Eren poussa un soupir.

Les fesses toujours immergées dans la mer, le brun agita ses orteils dans le sable : sensation étrangement agréable et pourtant encore inconnu dans la vie réelle.

Il lui aura fallu de longues minutes avant qu'une idée géniale ne traverse son esprit encore tout étriqué.

Ne pouvant accéder au chemin, et même si tout ceci n'était qu'un rêve, il pouvait toutefois visiter l'île. Trouvera-t-il une réponse ou un quelconque indice pour la suite des événements ? De toute manière, il n'avait pas grand à perdre que de rester cloîtrer ici jusqu'à son réveil.

Si seulement il avait la capacité à se déplacer comme bon lui semblait, se téléporte là où il souhaitait, mais non, voilà déjà quelque heures qu'il errait dans ce paysage erg - percevant de temps à autre, les fantômes du passé déambuler en direction du Nord.

Alors qu'il décidait de poursuivre son chemin vers l'Est et non en direction du Nord, un éclair transperça la voûte céleste arrimer sur les terres défraîchis. Similaire à l'axe, un portail s'inscrivait à la hauteur du jeune Titan qui y pénétra sans se poser de question.

Eren avait atterri sur un balcon en plein jour devant une fenêtre fermée. Il s'approcha de celle-ci pour y jeter un coup d'œil à l'intérieur, distinguant une silhouette féminine assise en face d'un bureau jonché de piles de livres. Il déposa ses mains sur la vitre, lui servant de longue-vue lorsqu'il déposa son front. Ne pouvant voir que la chevelure blonde de cette dernière, il dévia son regard sur les bouquins pour déchiffrer quelques titres : la genèse, Edda et Ennéade.

Aucun de ces termes ne lui parlait, il continua tout de même à analyser ce qu'il pouvait entrevoir dans cette bibliothèque, il finit par se décoller de la fenêtre pour observer les alentours, le balcon donnant vue sur une partie des remparts.

Eren se questionna sur sa présence ici : que devait-il découvrir ?

Avant même de tirer une quelconque conclusion, ce dernier se réveilla.

La nuit étant encore loin de se terminer, le jeune Titan s'extirpait de son sac de couchage.

Tout le monde - hormis le chef d'escouade - dormait à point fermé.

Se joignant au buveur de thé, ce dernier lui proposa une tasse de thé, qu'Eren accepta avec plaisir. Rien de mieux qu'une boisson torréfié et chargé en caféine pour le requinquer.

— De nouvelles visions ? Demanda Livaï.

Eren hocha de la tête en signe de négation.

— Rien de mirifique, plutôt calme même, finit par répondre le brun - après avoir vidé à moitié sa tasse.

Il plongea aussitôt son regard dans le liquide noirâtre. Plus il avait accès à ses souvenirs, plus il triait les données avant de divulguer une quelconque information et jusqu'à aujourd'hui, il partageait peu ses découvertes, inquiet pour l'avenir de ses amis, n'osant même pas échangé avec les concernés.

La dégustation terminée, il se recroquevilla sur lui-même, enfouissant la tête entre ses jambes.

Comportement qui ne passa pas inaperçu chez le caporal-chef. Également hanté par ses propres démons, cela le n'empêchait pas de rester de marbre et de vouloir creuser en profondeur avec son protégé, décelant même une ouverture dans sa tourmente.

— Tu as probablement oublié une partie alors, tu n'as cessé de geindre durant ton sommeil.

Eren eut un petit soubresaut et releva la tête en direction de son chef.

— Je veux bien accepter que tu sois dans la fleur de l'âge, il n'empêche que ton comportement est de plus en plus bizarre. J'espère pour toi que tu nous ne cache rien d'important, continua-t-il - après une autre lampée.

La tête dans les épaules, le détenteur d Titan Assaillant se mordit l'intérieur des joues.

— C'est assez flou, répondit Eren - cherchant activement de fausses excuses. Je ne sais pas comment y avoir accès, à croire que mes prédécesseurs partagent leurs souvenirs quand ils sont d'humeur.

Cette réponse fit grogner le caporal Ackerman, toujours aussi incrédule.

— Je vais vraiment finir par opter par la torture.

Eren s'étouffa avec sa salive.

— Je faisais référence à la mère d'Æsma, se corrigeai Livaï. Je me demande pourquoi elle tient absolument à ce qu'on nettoie de fond en comble l'île.

Hanji soupçonnait qu'elle cherchait à devancer l'armée, à se demander si ce n'est pas elle qui contrôlait et manipulait le jeu depuis le début - les Fritz n'étant que des pions parmi tant autre, et de quelle manière a-t-elle réussi à convaincre Historia et Zackley ? Pourquoi ne pas les impliquer directement dans ses affaires ? Que désirait Jane Traum pour insister autant sur le nettoyage de fond en comble de l'île ? Ce n'était pas la seule interrogation qu'elle laissait en suspend. La seule façon d'approcher le problème était de suivre les instructions et rester vigilant, noter le moindre mot qui sortait de sa bouche pour anticiper tout prochain mouvement.

Cependant, ni Livaï, ni Hanji n'avait abordé le sujet avec les vétérans, à l'exception de Jean et Delroy. Non pas qu'ils se méfiaient du reste de l'équipe, mais le sujet était bien trop épineux entre un jeune Jäger désabusé par son pouvoir, une Ackerman toujours aussi paumée, un Arlelt plus morose que ces deux compères et une Traum aux attitudes plus que douteuses.

— Enfin, peu importe ce qu'elle souhaite, nous comptions dans tous les cas faire le ménage. Le plus important est d'aller au Sud et trouver une solution pour affronter l'ennemi avant qu'ils ne reviennent à la charge.

— Vous pensez qu'ils vont nous attaquer de front ?

— Pas forcément. Même si nous avons contrôlé l'identité de chacun, il est encore possible que des espions se cachent parmi nous, protégés par certains qui font bonne figure dans notre société. Enfin, même si nous nous trompons, l'ennemi cherchera forcément à récupérer l'Originel, et probablement les autres Titans.

Cette conversation à peine entamée, vida le jeune Titan de toute son énergie.

— Si seulement j'avais pu dévorer Annie à temps, murmura-t-il.

— Pas besoin de te flageller pour ça, nous savions trop peu de chose à cette époque. Elle ne pourra pas rester éternellement dans son cristal, marmonna Livaï

Le simple fait d'évoquer Leonhart le rendait irascible.

— Peut-être obtiendrons nous réponse en fouillant l'île. Pour camoufler leur identité, les Fritz ont élu une autre personne à leur place, leur permettant de gouverner en toute discrétion et perpétuer leur rituel à l'abri des regards, ajouta Eren - remarquant le scepticisme de son chef. Ils ont même employé une partie des Brigades Spéciales pour s'occuper des basses besognes. Ceux qui dirigeaient le culte du mur aussi agissaient dans l'ombre. Regardez la façon dont mon père s'est intégré parmi nous, sans éveiller aucun soupçon, pour accomplir sa mission. Il ne serait pas étonnant que chacun est agit en parallèle un peu partout dans l'enceinte des murs.

— Tu veux dire que les secrets ont été éparpillés un peu partout, et probablement dans chaque District.

— Aucune hypothèse n'est à exclure.

Continuant sa dégustation, le caporal-chef assimilait les paroles du garçon. Terminant sa dernière gorgée, il exhala l'arôme floral avant de répondre :

— Et bien, si un jour, on m'avait dit que tu te mettrais à réfléchir, je n'y aurais jamais cru.

Le garçon fit mine d'être offusqué par ses propos.

— Loin de moi de vouloir être insultant, mais t'es pas une lumière non plus, se moqua Livaï.

— C'est pas très gentil...

— Ceci dit, je devrais être rassuré de voir que tu mûris un peu.

— Je me demande si tout se passe bien pour l'escouade d'artillerie, dit Eren - déviant innocemment la conversation

— Ne t'inquiète pas, tu vas vite revoir ta petite amie, répliqua Livaï.

— Ce n'est pas ce que j'ai dit...

— C'est tout comme. T'inquiètes pas, vous allez survivre l'un sans l'autre pendant quelques jours. C'est pas comme si c'était la première fois.

— N'importe quoi, maugréa le soldat Jäger - braquant son regard ailleurs, quelque peu embarrassé.

— À moins que tu t'inquiètes ce qu'il pourrait se passer entre elle et l'un de vos camarades, souffla-t-il.

Les poils d'Eren se hérissaient.

— C'est une des raisons que je n'ai pas souhaité prendre Æsma dans mon équipe.

— Nous savons nous tenir à carreau. Dites plutôt que vous ne la supportez pas, rétorqua le jeune Titan - un brin provocateur.

— Je ne me voyais pas détruire son duo avec Delroy, non plus, souligna Livaï.

Toujours avec la fâcheuse envie de triturer sur les points sensibles d'Eren, il enrichit :

— Lâche-lui un peu la grappe. Si tu commences à être jaloux de la sorte, votre petit couple ne fera pas long feu. La confiance est primordiale.

Eren pointa à nouveau ses yeux sur lui, le regard sombre.

— Je ne suis pas jaloux. Je me méfie juste des autres.

— Aurais-tu oublié ce que je t'ai dit ce jour-là ?

Le concerné claqua la langue.

— Je n'ai aucune raison de me laisser dominer par la colère ou par la peur, répondit-il — il savait parfaitement à quoi le caporal faisait référence.

— Entre autres. Vous êtes encore jeune, vous avez le temps de vous prendre la tête pour des choses futiles.

— Vous parlez comme si vous aviez l'habitude...

— J'ai beaucoup d'expérience voyons. En tant que membre du Bataillon, je mets ma vie en danger quasiment tous les jours. Je ne préfère pas trop m'attacher tout simplement.

Eren scrutait son caporal. Il n'était pas aussi bavard sur sa vie privée, intrigué, il osa demander qu'elle fût sa situation amoureuse actuelle. Livaï le toisa un instant, avant d'émettre un petit ricanement.

Un sourire énigmatique sur les lèvres du chef, le garçon n'aura pas sa réponse.