Les Chroniques de Livaï

Chapitre 7 : DES OMBRES SUR LES MURS (Mars 820) Bernhard Carsten, un marchand

698 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 16/01/2018 18:45

DES OMBRES SUR LES MURS

(Mars 820)

Bernhard Carsten, un marchand


Des fois, j'ai envie de tout laisser tomber...

On se démène comme des forçats pour que ces saletés de fonctionnaires viennent nous acheter notre marchandise, mais ils préfèrent se fournir auprès de types pas réglos du tout... Ceux-là se contentent de voler et revendent une misère des denrées qu'ils ont ni produites ni achetées aux producteurs. C'est une concurrence déloyale ! On se demande bien ce que foutent les politiciens ; je te ferais arrêter tout ça et jeter au cachot fissa ! Mieux encore, leur couper le cou ! Mais bon, tout ce trafic doit les servir, je vois pas autrement...

On peut pourtant pas dire que la garnison soit débordée... Je les vois se saouler presque tous les soirs dans la taverne d'en face. C'est navrant. Je gagne déjà presque rien et ceux-là s'imbibent avec mon fric... On a beau taper sur le bataillon d'exploration, eux au moins sortent à l'extérieur des murs pour tenter de changer les choses. Enfin bon, qu'est-ce qu'un bougre, même pas citoyen, comme moi comprends de ces trucs-là... Je voudrais juste pouvoir croûter... Je suis venu dans ce coin en pensant me faire une petite clientèle de proximité, mais les habitants sont tout aussi fauchés que ceux qui vivent près de l'escalier sud.

Il fait un froid de tous les diables sous terre. Ca devrait pourtant déjà commencer à se réchauffer à cette période de l'année. Faut croire que le monde nous hait... Il paraît que c'est pire là-haut, mais eux ils peuvent faire du feu autant qu'ils veulent. Je parie que le roi Fritz se chauffe les panards devant une cheminée grosse comme ma maison ! Si on est chopés à enflammer la moindre brindille en dehors des heures autorisées, qui sait ce qui peut nous tomber sur le râble... Quand il s'agit d'arrêter des innocents, les têtes de cochon de la garnison s'y entendent, sobres ou pas. Y en a même qui le font exprès, histoire de se chauffer les fesses au poste au moins quelques heures.

Je peux pas, moi ; j'ai mon étal à tenir et personne pour me remplacer. Et personne pour acheter non plus. J'ai beau baisser mes prix, je peux pas lutter avec ces raclures.

Y a bien cette donzelle, la brune au teint pâle, qui se pointe des fois, dès qu'elle a un peu de monnaie. Je la soupçonne de faire le tapin, mais bon, c'est pas mes oignons. Y a pas de sot métier dans les bas-fonds. Et puis, elles sont utiles, ces filles. Elle vient de temps en temps avec son môme, et pendant qu'elle m'achète quelques légumes, il reste là à me regarder fixement. Il me met très mal à l'aise ; y a quelque chose dans ses yeux de pas tout à fait naturel... Enfin, elle est aimable et son gamin se tient tranquille, si tous les clients étaient comme ça, j'aurai pas à me plaindre.

Mais ce quartier devient de plus en plus malfamé. Il était tranquille il y a deux ou trois ans quand j'ai décidé de m'y installer. Maintenant, on voit des types patibulaires raser les murs à toute heure ; quelques magouilleurs qui se cachent des autorités sans doute... Ils craignent pas grand chose, quand ces ivrognes décideront de se bouger le cul, les murs seront déjà tombés et on se sera tous fait boulottés par les titans !

Les types sans histoire qui essaient de gagner leur vie honnêtement comme moi se font de plus en plus rares. Mon frangin me dit que c'est parce que c'est de plus en plus corrompu là-haut. Mais on se demande ce qu'il en sait. Aucun de ces nobliaux se soucie de nous.

Je vais peut-être bien laisser tomber en fin de compte. C'est pas les quelques clients qui me restent qui vont me faire vivre. Y a un truc que j'ai fini par comprendre : l'honnêteté, ça paie pas, dans ce monde pourri...

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