Au revoir Tonie Mason

Chapitre 2 : L'ambuscade

Chapitre final

1014 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 11/12/2016 21:05

Après une chevauchée d’une dizaine de minutes, on s’arrête finalement. Jed a choisi un défilé rocailleux coincé entre deux crêtes abruptes. Le décor est morne. De la pierre partout. Pas d’arbre. Les rares touches de verdure se limitent aux buissons dégarnis. Malgré tout, nous y serons à l’abri pour ouvrir le buffet. Il y a un gros rocher solitaire qui trône au pied de la pente comme un souverain silencieux sur un jardin de rock. On descend des montures pour attacher les brides aux arbustes. Nos gestes sont rapides. La faim nous presse à agir. 

Mon regard se dirige sur le dessus du gros rocher pour jauger sa hauteur. Il doit bien faire deux mètres de haut. J’esquisse un petit sourire en coin. Le sommet arrondi me parait idéal pour aller y dévorer en paix mes trouvailles. Je dépose mon AK-47 et grimpe jusqu’en haut. Ici, le timide soleil de novembre semble plus chaud. Presque réconfortant. Je m’assois. Je farfouille ensuite à l’intérieur de ma doudoune pour en extraire une orange qui doit bien avoir la taille d’un pamplemousse. Où les Russes ont-ils réussi à dénicher des aliments semblables? C’est presque irréel. Je souris encore alors que mes doigts palpent doucement la surface ronde de l’agrume. Mon premier fruit frais en plus de deux mois. Sans m’éterniser davantage, je l’épluche et mords dans la chair tendre.

Du jus sucré m’éclabousse le menton et dégouline sur sa doudoune. Je hausse les épaules en signe d’indifférence. Ce n’est qu’une tâche de plus sur un manteau que je porte en continu depuis le début de cette guerre merdique. J’en étais pourtant si fier lorsque mes parents me l’ont acheté l’hiver dernier. J’adorais me pavaner au High School avec elle sur les épaules. Je me trouvais cool et sexy. Maintenant, sa belle teinte bleu-claire est fade et décolorée. À force de me coucher par terre pour tirer, les coudes sont en permanence jaunis par la crasse. Elle tombe court sur mes hanches, laissant voir la ceinture qui retient mon pantalon de treillis kaki.

Mes cheveux bouclés, qui tombent sur le col matelassé, sont sales et gras. J’ai une bonne excuse. Ma dernière toilette digne de ce nom remonte à la semaine dernière. Ma dernière douche? Pff… j’ai arrêté de compter. Faut plus que j’y pense et que j’assume. La vie d’une résistante, c’est avant tout d’être sale, de puer et de porter toujours les mêmes vêtements, allant même jusqu’à dormir avec. Même pour une fille à peine sortie de l’adolescence qui ne demande pas mieux que de retourner à la vie normale.  

Alors que mes pensées défilent, je lance un coup d’œil au reste du groupe. Les autres Wolverines mangent en silence, chacun dans leurs coins. Tous assis au pied de mon rocher. Absorbés par la magie du moment. J’aperçois Jed, toujours aussi sérieux, deux mètres plus bas sur ma droite, le dos appuyé sur la roche. J’étire le bras et presse l’agrume au-dessus de sa tête. Du jus dégoute sur la capuche de son hoody. Il redresse la tête pour me lancer un regard effarouché.

— J’adore les oranges! Dis-je en gloussant de rire.

Il secoue le crâne en soupirant. C’est bien lui! Aucun sens de l’humour.   

Puis soudain, cette résonance qui attire notre attention. On relève tous la tête comme des marmottes qui s’extirpent de leur tanière. On dirait des rotors d’hélicoptère. L’écho des montagnes produit un étrange effet de réverbération qui nous empêche de deviner la provenance exacte. Jed se redresse sur ses pieds et saisit son arme.

           — Écoutez! Écoutez! Fait-il en cherchant du regard la provenance du bruit.

Soudain, deux hélicoptères surgissent de la crête devant. Ils foncent droit sur nous. Je reconnais leurs silhouettes massives aux ailerons bordés de roquettes. Des hélicos d’attaque Mil Mi-24 !  

L’appareil en pointe de la formation ouvre le feu avec sa mitrailleuse. Le crépitement résonne entre les flancs rocheux des montagnes. Une rafale percute le sol devant pour dresser une série d’impacts en ligne droite dans le sable. Elle se dirige droit sur moi! Mon cœur s’arrête. Les yeux écarquillés. La bouche ouverte sur un cri qui reste bloquée dans ma gorge. La peur me cloue sur place.

La seconde suivante, ma doudoune crache une mixture de duvet et de sang. S’enchaine une douleur atroce qui explose dans mon pectoral droit. Tout juste au-dessus de mon sein. Un hurlement puissant s’échappe de mes lèvres. Je jette la tête par-derrière. Mes cheveux fouettent le vide. La violence de l’impact m’éjecte de ma position. Je percute le sol plus bas derrière. Ma chute est brutale. Mon corps roule sur quelques mètres et s’immobilise, face contre terre. Le souffle coupé. Ma vision s’embrouille.

Le sol tremble. Une explosion me ramène à la réalité. Une roquette vient de s’abattre plus loin. La déflagration fait pleuvoir sur moi un mélange de motte de terre et de débris d’arbuste. Je redresse le menton. Les oreilles et les tempes bourdonnantes. Les mains à plat sur le sol poussiéreux. J’ai mal… Une douleur lancinante irradie ma poitrine, mon sein, mon épaule pour se propager jusqu’au bout de mes doigts. Une sensation tout aussi horrible s’enchaine : celle de ce liquide chaud et visqueux qui ruisselle sous ma doudoune. Dans mon esprit, ces quelques mots :

Je me suis pris une balle dans la poitrine!

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