La Perle du Kraken
— Déployez toutes les voiles ! Prenez vos postes !
Jim prit rapidement le contrôle des opérations et commença à scander des ordres à ses hommes. Ceux-ci, avec une docilité exemplaire, accédaient à ses moindres requêtes dans une rigueur digne d’un camp militaire.
— Armez les canons et tenez-vous prêts à attaquer à mon signal ! Faites accélérer le navire, il faut pouvoir tirer avant eux !
Silver s’était approché et le regardait d’un air grave.
— Fais attention, Jim. Tu ne sais pas ce qu’ils sont, ni ce qu’ils ont l’intention de faire !
— Eh bien, à toi de me le dire.
Le jeune homme sortit de son manteau une longue-vue, qu’il déposa dans la main du pirate.
— Monte là-haut, et dis-moi tout ce dont j’ai besoin de savoir sur eux !
Son regard était sévère, puissant et débordant de confiance. Silver comprit qu’il ne s’adressait plus à son élève ou son ami, mais à un chef de guerre.
— Compte sur moi.
Après un dernier signe de tête, il saisit l’échelle de corde qui oscilla légèrement sous son poids. Mais il grimpa avec agilité, sa jambe de bois tapant doucement contre le mât à chaque mouvement.
— Rizzo ? Qu’est-ce que tu fiches ici ? Et puis, comment t’es monté ? s’écria la vigie, à la fois surprise et admirative.
— Occupe-toi de tes affaires.
Il déplia la longue-vue et commença à épier le vaisseau qui arrivait sur eux à mesure qu’ils avançaient.
Sur le pont, Jim continuait de donner des ordres à tout l’équipage. Un officier s’approcha de lui.
— Capitaine, ne devrions-nous pas bifurquer et mettre les voiles afin d’éviter le combat ?
Le chef leva les yeux. Le ciel était clair, mais les vagues étaient agitées et les voiles claquaient, signe d’un vent capricieux. Dans ces conditions, il ne pouvait garantir une avance rapide du bateau.
— Hors de question ! Si nous fuyons, ils nous rattraperaient sans peine ! Nous avons une chance de les canonner par leur bâbord, nous ne devons pas la manquer ! Poursuivez mes ordres !
Du coin de l’œil, il aperçut Silver qui redescendait et il le rejoignit rapidement :
— Alors, que sont-ils ?
— Un brigantin. Dix-huit canons. Très rapide, ils nous dépasseraient s’ils le souhaitaient. Ils veulent clairement nous attaquer.
— Et l’équipage ?
— Teint basané, yeux et cheveux châtains, sale gueule. Ce sont bien des pirates, des côtes espagnoles si je ne me trompe pas.
— Des Espagnols… Bien sûr, une partie des Caraïbes est encore espagnole. Pas étonnant qu’ils pensent que le trésor leur revient de droit ! Parfait, je vais me faire un plaisir de les renvoyer par le fond ! ajouta-t-il avec un sourire déterminé.
Sans un regard en arrière, il rejoignit Gonzo et Bennett qui se tenaient appuyés sur le bastingage, observant avec inquiétude les voiles menaçantes qui se rapprochaient. Il posa avec douceur la main sur son ami.
— Gonzo, je ne t’ai pas caché que nous risquions de croiser des menaces… Tu vas prendre Flint et le docteur avec toi, et vous allez vous mettre à l’abri dans ma cabine. Vous y serez en sécurité !
Il attrapa le perroquet et le déposa sur son petit tricorne. Il le fixa de ses yeux inquiets.
— Jim, tu me promets que tout va bien se passer ?
— Tout va bien se passer ! répéta-t-il avec un sourire qu’il espérait rassurant. Protège le docteur !
Alors qu’il revenait vers l’équipage en action, il entendit Gonzo lui crier :
— Et toi, protège Rizzo !
Jim soupira. Silver avait même réussi à gagner la sympathie du muppet bleu. Décidemment, ce pirate était doué pour se faire apprécier. Revenant à sa hauteur, il sortit un de ses sabres et le lui tendit.
— C’est à nous de jouer, maintenant. Ne m’oblige pas à retourner ma lame contre toi, lors de ce combat…
John saisit la garde et l’ancien élève put deviner la fierté, derrière son air sérieux.
— Jamais, Jim…
Le capitaine prit une grande inspiration, sentant tout le poids qu’avait le regard de son maître. Chaque ordre serait un test, une preuve qu’il pouvait être bien plus qu’un simple disciple. Il allait enfin lui prouver sa valeur.
Il se dirigea à bâbord et sortit de sa poche un engin de mesure, calculant la distance qui séparait les deux navires. Puis il déroula la longue-vue et étudia le vaisseau ennemi. Silver n’avait pas menti, le bateau était rapide, mais petit et pourvu de canons faisant à peine une dizaine de livres. En comparaison, l’Invincible était monstrueux et leurs canons faisaient le double des leurs. Ils avaient l’avantage.
— Les canons sont tous armés, Capitaine ! déclara un officier.
— Parfait ! Préparez-vous à faire feu à mon signal !
Il n’eut plus que le silence. Jim, le nez collé à son compas, ne bougeait plus malgré les mèches de cheveux qui lui chatouillaient le visage, mesurant et attendant le moment propice. Il voulait atteindre les canons, ne leur laissant aucune chance de riposte. Le bateau fut proche et ils purent apercevoir ses voiles immaculées ainsi que son drapeau qui flottait fièrement au vent, représentant le Jolly Roger.
Soudain une salve fut lancée chez l’ennemi dans un fracas assourdissant et tous sursautèrent. Un grand bruit sourd retentit, et le navire tressaillit sous leurs pieds, comme happé par une vague invisible. Les marins poussèrent des rugissements victorieux.
— Ils nous ont manqué ! Les boulets ont filé droit dans la mer ! déclara un officier.
— Reprenez vos positions ! Nous devons tirer avant qu’ils ne rechargent !
Jim contempla une dernière fois le ciel azur. Le vent soufflait avec une hargne imprévisible, changeant brutalement de direction, faisant claquer les voiles comme un fouet. Tant pis, ils n’avaient plus le temps.
— FEU !!
L’ordre résonna sur le pont inférieur et les canons mugirent presque en même temps. Les boulets percutèrent la coque ennemie, faisant exploser des canons, projetant des éclats de bois et déchiquetant les pirates pris dans l’onde de choc. Ils poussèrent à nouveau des acclamations triomphantes mais le capitaine serra les dents rageusement. Le vent avait encore tourné, faisant dévier la trajectoire du bateau ennemi, et les boulets avaient seulement atteint sa proue en ne laissant que des dommages trop légers.
— Rechargez ! lança-t-il à ses hommes. Ne perdez pas de temps !
Les instructions se répercutèrent dans tout le navire et bientôt l’équipage s’affairait à nettoyer, charger la poudre et placer les boulets à l’intérieur des impressionnantes armes de destruction. Mais les pirates étaient prêts. Un nouveau tir fendit l’air et, cette fois, l’Invincible encaissa de plein fouet. Les marins s’accrochèrent de justesse aux cordages et aux rambardes tandis que le navire tanguait violemment. Un bruit terrible résonna dans la coque, suivit d’une secousse semblant provenir des fondations. Ils comprirent qu’ils avaient été touchés.
— Que des hommes descendent dans les cales ! Réparez les brèches et écopez si besoin ! Le navire doit rester à flot ! Faites feu à mon signal !
Sans hésitation, Silver descendit avec d’autres marins afin de constater les dégâts subis. La plupart des boulets avaient percés la coque bien au-dessus du franc-bord, ne présentant pas une menace immédiate. Arrivé aux cales, cependant, l’eau commençait déjà à s’infiltrer et les hommes se mirent au travail. Préparant la pompe, sortant l’outillage, ils devaient à tout prix colmater les brèches avant que le navire ne perde de sa flottaison.
Ils entendirent un nouveau bruit sourd et aperçurent par les hublots leurs propres canons détruire un peu plus le bateau ennemi, arrachant des parties entières de coque. Quelques secondes plus tard, une épaisse fumée s’éleva du brigantin et ils poussèrent à nouveau des cris de victoire.
— Leur bateau est en feu ! On va finir par les envoyer par le fond en un rien de temps ! Notre capitaine est un véritable prodige !
Entendant ces mots, le vieux mentor sentit son cœur se gonfler de satisfaction. Son élève surpassait de loin tout ce qu’il avait pu imaginer ! Il regarda à nouveau par le hublot et arrêta soudain son travail, perplexe.
— Qu’est-ce qu’ils font ?
Le navire ennemi semblait tourner sur lui-même, les canons disparaissant doucement de leur champ de vision.
— Ils ont perdu le contrôle ! Il va bientôt couler si vous voulez mon avis ! lança un des marins.
Ils se mirent à rire. Le pirate en revanche ne riait pas, comprenant instantanément le dernier coup qu’allait jouer leurs ennemis.
— C’est pas vrai, les sales vermines… !
Sur le pont, Jim et les hommes restaient silencieux. Ils regardaient, sans comprendre, le bateau en feu tourner sur lui-même, comme abandonné par ses maîtres. Pourquoi les pirates n’essayaient-ils pas de sauver leur navire ? Il n’y avait aucun mouvement sur le pont, il ne voyait aucun homme se précipiter, sceau à la main, pour tenter de mettre fin à l’incendie. L’odeur du bois brulé commençait à remplacer celle du sel marin. Et ce calme, tellement sinistre… ils n’allaient tout de même pas… ?
— Jim !
La voix du pirate claqua comme une détonation, le faisant sortir de sa réflexion.
— Fais avancer le bateau ! Ils ont l’intention de se fracasser contre nous !
Le capitaine se tourna vers lui, interloqué par ses paroles.
— Tu plaisante ? Cela serait du suicide !
— Arrête de réfléchir, donne l’ordre ! Le brigantin est en feu et nos cales sont pleines de poudre ! Une explosion de cette ampleur, on ne s’en relèvera pas !
Il hésita un instant. Et si c’était un piège ? Silver l’avait déjà trahi une fois… Mais il vit soudain le brigantin foncer dans leur direction, et le doute disparut.
— Toutes voiles dehors ! Virez de bords ! Nous devons les esquiver !
Les hommes s’exécutèrent et un silence angoissant s’installa alors que le brigantin accélérait de plus en plus, porté par les vents et les voiles. L’Invincible était bien plus massif et plus lourd, et durant quelques minutes Jim ne put savoir s’ils allaient être assez rapide pour éviter la catastrophe. Les marins sur les vergues s’affairaient, faisant et défaisant les cordages selon les caprices de la météo. Puis, lentement, l’Invincible commença à reprendre de la vitesse, pivotant sur lui-même sous l’effort des marins. Mais en face, le brigantin continuait sa course folle dans une trainée de fumée noirâtre, tel un prédateur fondant sur sa proie. Les planches craquaient sous la chaleur, les voiles déchirées tourbillonnaient dans le vent. La bête agonisante n’était plus qu’à quelques mètres et tous retinrent leur souffle.
— On va être touché !!
Ce fut un officier qui donna l’alerte, vers l’arrière du navire. Il y eut un choc violent accompagné d’un bruit cauchemardesque et ils se retrouvèrent projetés au sol. Certains marins sur les mâts perdirent l’équilibre, tombant dans l’eau ou chutant sur le pont avec un hurlement. Ils restèrent tous choqués durant quelques secondes. Le brigantin avait percuté l’arrière du navire, arrachant une partie de la coque dont les planches tombèrent dans l’eau avec fracas. Reprenant ses esprits, le capitaine fut soudain saisi d’une fulgurante terreur. Sa cabine était là-bas ! Gonzo, Bennett, Flint ! Il se redressa d’un bond et se précipita à l’arrière du navire, avant de pousser un intense soupir de soulagement. Une toute petite partie de la poupe avait disparu dans l’eau, emportant le drapeau britannique, la balustrade et plusieurs morceaux de plancher dans un tumulte d’eau inquiétant. Mais la cabine était intacte, sauvée de justesse grâce aux efforts de l’équipage. Il fut tout de même bien furieux de voir son Invincible ainsi blessé, mais il se ressaisit vite.
« Cela aurait pu être bien pire… » pensa-t-il, le cœur encore palpitant.
Un grappin atterrit soudainement sur le pont et vint s’accrocher à une des balustrades, sous le regard de l’équipage qui se remettait à peine du choc initial. Puis il fut très vite rejoint par d’autres cordages. Comme des serpents menaçants, les cordes des pirates s'enroulèrent autour des rambardes, tirant le brigantin et ses flammes voraces vers l'Invincible dans un sinistre grincement.
Jim n’eut aucun besoin de donner l’ordre : les soldats s’étaient déjà précipités vers la menace, essayant de couper le plus de corde possible. Mais ces derniers étaient trop épais, résistant aux sabres qui peinaient à les entailler. Il le savait, la confrontation serait inévitable. Alors il se tourna vers l’officier de guerre.
— Que les hommes se préparent à combattre !
Les marins battirent en retraite, emportant leurs compagnons blessés à l’abri. Les soldats prirent aussitôt le relai, armés de sabres et d’armes à feu. Comme un seul homme ils se mirent en position, un genou à terre, prêt à défendre le navire et son équipage. Devant eux, le brigantin continuait de brûler, les hautes flammes léchant la coque et les mâts en projetant des ombres mouvantes sur le pont. Les pirates étaient là, dissimulés par l’épaisse fumée de l’incendie, si proches qu’on pouvait entendre leurs rugissements de rage à travers le vacarme des flammes.
Ils atteignirent le pont de l'Invincible comme une vague furieuse, grimpant le long des cordages et se jetant sur les Anglais avec rage. Les premiers coups de feu retentirent aussitôt, les soldats tirant à bout portant sur les assaillants. Leurs mousquets crachèrent des volutes de fumée noire, fauchant les premiers pirates. Mais leur nombre ne cessait de croître et les tirs se firent rapidement plus espacés alors que les soldats manquaient de temps pour recharger.
Jim tira avec son pistolet, touchant un pirate en pleine poitrine, avant de dégainer son sabre avec une fluidité déconcertante. Il plongea aussitôt dans la mêlée et frappa avec une précision froide, son visage fermé trahissant la détermination d'en finir rapidement. Chaque mouvement était précis, chaque coup calculé pour abattre l'adversaire le plus proche. Il esquiva de justesse un sabre ennemi, ripostant aussitôt d'un revers qui envoya son agresseur s'effondrer sur le pont. L’épaisse fumée, portée par le vent, s'était désormais infiltrée sur le pont de l’Invincible, brouillant les silhouettes et rendant chaque affrontement plus chaotique. Jim peinait à distinguer ses propres hommes, l’air saturé par l’odeur du bois calciné et de la poudre.
Il vit du coin de l’œil un pirate tomber raide mort près de lui. Silver surgit à travers le voile grisâtre, son propre sabre brillant sous les lueurs vacillantes des flammes. Il se battait avec l'agilité d'un vétéran, sa jambe de bois martelant férocement le plancher à chaque coup porté. Il restait toujours à portée, abattant tout pirate qui osait s'approcher trop près du jeune capitaine. À travers le mur de fumée, leurs regards se croisèrent un instant et, malgré la déchirure de leur relation, Jim ne put s’empêcher d’esquisser un léger sourire. C’était la première fois de leur vie que lui et son maître se battaient côte à côte, égaux, contre un ennemi commun. Et la sensation grisante qui en résultait était à la hauteur de ses attentes !
Long John fut le premier à sentir le pont vaciller sous son pied, comme si celui-ci se soulevait doucement. Il comprit immédiatement le danger : le brigantin, entièrement noyé, était en train de couler en emportant inexorablement l’Invincible dans son naufrage.
— Leur navire nous entraîne ! Il faut finir de couper les cordages ! hurla-t-il en prévenant ses coéquipiers.
Les soldats les plus proches obéirent à l’ordre, se précipitant vers les grappins et les cordes qui reliaient encore les deux navires. Sous les cris de guerre des pirates et le fracas des lames, ils tirèrent leurs haches d'abordage, coupant frénétiquement les cordes une par une. D’autres ennemis arrivèrent avec la ferme intention de les empêcher de défaire les liens mais Jim s’interposa, sa lame rencontrant celle d'un pirate avec un bruit métallique strident.
— Rassemblez-vous ! Empêchez-les de nous atteindre !
Les assaillants, bien que sauvages et déterminés, commencèrent à perdre leur ardeur en voyant leur navire sombrer sous leurs yeux. La frustration de voir leur ennemi encore à flot se lisait sur leurs visages, mais certains continuaient à se battre avec l'énergie du désespoir, refusant de lâcher prise.
Enfin, le dernier cordage céda sous la tension du brigantin, libérant l'Invincible qui se redressa fièrement, meurtri mais debout. Le bateau ennemi s'enfonça dans l'océan avec un gargouillis terrifiant, disparaissant rapidement dans les profondeurs obscures. Les pirates, désespérés, redoublèrent de violence, leur rage se transformant en une dernière tentative pour prendre le contrôle du pont de l'Invincible. Mais ils étaient bien peu nombreux comparé à leur force militaire. Les derniers encore debout étaient rapidement maîtrisés et, tandis que la fumée de l’incendie s’évanouissait, emportée par les vents, Jim exulta. Ils avaient gagné.
Soudain, une voix retentit en hauteur, stoppant net son élan victorieux.
— Vous pensez vous en sortir victorieux parce que vous avez coulé notre navire ? Ah ! Ne criez pas victoire trop vite !
Ils levèrent les yeux, cherchant l’origine de cette provocation. Sur la vergue la plus proche se tenait une silhouette, masquée par les rayons du soleil. Elle fondit sur Jim avec une rapidité fulgurante et il leva son arme juste à temps. Les lames se rencontrèrent violemment. C’est alors qu’il découvrit, avec stupeur, son nouvel adversaire.
Ce n’était pas un de ces pirates à la peau brune et aux cheveux noirs. C’était une muppet. Une mignonne petite muppet paonne, à la chevelure et au plumage si chatoyant qu’on aurait cru du feu. Mais elle ne lui laissa pas le temps de se remettre de sa stupeur et contre attaqua immédiatement. Elle compensait sa petite taille par une pluie de coups féroces qu’elle abattit violemment, portée par une rage frénétique. Il para sans effort, reculant par pur réflexe tandis que son cerveau était encore en train de traiter la situation. Était-il sérieusement en train d’esquiver les attaques d’une muppet pirate enragée ? Il jeta un rapide coup d’œil à ses hommes. Ceux qui n’étaient pas en train de s’occuper des survivants espagnols regardaient la scène avec stupeur.
— Vous… vous voulez de l’aide, Capitaine ? demanda poliment l’un d’eux.
Son ennemie bondissait dans tous les sens, attaquant avec une fougue incontrôlée. Ses plumes tourbillonnaient autour d’elle et ses yeux reflétaient sa frustration à chaque coup esquivé. Mais Jim, plus grand et infiniment plus expérimenté, se contentait de reculer légèrement, esquivant chaque coup avec une aisance déconcertante.
— Ça va, je… je pense pouvoir m’en sortir ! assura-t-il au soldat.
La demoiselle, même s’il était convaincu qu’elle savait très bien se servir de son arme, restait une muppet. Et quel genre de monstre serait-il en faisant du mal à une créature aussi adorable ? Souhaitant en finir vite, il la désarma d’une seule parade et elle regarda avec désespoir son sabre finir au fond de l’eau.
— Voilà, j’ai gagné, déclara-t-il d’un ton nonchalant. Rendez vous, Miss.
Soudain disparut l’atmosphère légère du combat, et un éclat sombre brilla dans ses yeux, contrastant avec l’innocence habituelle des muppets.
— Je… vous interdis… de vous moquer de moi ! Ce navire est à nous !
Elle sortit un poignard de son gilet et s’élança sur Jim dans une tentative désespérée. Mais la lame n’eut pas le temps d’atteindre sa cible, celle du capitaine s’était déjà levée en même temps que l’arme de Silver. Ses yeux bleus la transpercèrent, s’embrasant d’une lueur sanguine.
— Je ne crois pas, non… gronda-t-il entre ses dents.
Voyant qu’elle avait raté son unique chance d’abattre le commandant de l’Invincible, elle recula prestement tout en esquivant les soldats et se retrancha vers la poupe, ses yeux lançant des éclairs.
— Ne vous approchez pas de moi ! Ou… je vous étripe un par un !
Les hommes ne purent s’empêcher de rire devant la menace de la mignonette, vite étouffés par le regard sévère de leur capitaine. L’attaque aurait pu lui couter la vie s’il avait relâché sa garde ! La jeune paonne ne manquait pas de courage, et elle restait dangereuse, même avec un petit poignard. Il s’approcha d’elle avec résolution, mais non sans prudence.
— Vous êtes cernée, Mademoiselle. Vous avez perdu, alors rendez les armes et nous tâcherons d’être clément envers vous une fois en Angleterre.
Elle n’écouta rien et, d’un bond, escalada les caisses et les tonneaux pour se retrouver sur le toit de la cabine, son plumage étincelant au soleil.
— Vous ne m’aurez jamais ! Je suis Polly la Flamboyante, et je préfère rejoindre mon brigantin dans les abysses plutôt queaaaAAAH !!
Le plafond de la cabine venait de céder sous son poids avec un craquement sec, la faisant chuter à l’intérieur. Il y eut de nouveaux éclats de rire de la part de l’équipage, alors que les pirates vaincus s’échangeaient des regards, rouges de honte.
Jim se précipita à l’intérieur. Bennett était dans un coin près de la fenêtre, observant le déroulement du combat. Gonzo tenait un sabre qu’il avait trouvé dans la cabine et observait la muppet qui avait atterri en plein milieu de la pièce.
— Gonzo ! Ne t’approche pas d’elle !
Mais il n’écouta pas. Tel un gentleman, il lui tendit sa main alors qu’elle reprenait ses esprits, l’aidant à se relever.
— Vous ne vous êtes pas fait mal ? demanda-t-il gentiment.
Il y eut un doux flottement alors que son regard croisait celui de la jolie pirate, comme si le temps s’arrêtait entre eux l’espace d’un instant.
— Ne me touche pas !
Puis le temps reprit son cours et la muppet le repoussa brusquement. Mais Gonzo resta là, admirant d’un air béat la magnifique créature avec des yeux brillants. Celle-ci fut vite maîtrisée par Silver qui l’attrapa par le col, avant de la sortir de la cabine.
— Sale brute ! Repose-moi par terre !
— Comme tu veux, ma jolie.
Il lâcha son petit gilet de cuir et elle tomba au pied de Jim, lui lançant un dernier regard furieux. Le capitaine leva son arme d’un air triomphant, hurlant à plein poumons.
— La victoire est à nous !!
Un rugissement victorieux retentit alors, faisant vibrer l’Invincible comme un cœur battant à l’unisson.