La Perle du Kraken
La pluie tombait depuis une heure, entrecoupée régulièrement par les éclairs qui déchiraient le ciel avec un grondement sourd. L’atmosphère s’était cependant éclaircie, annonçant déjà la fin de la tempête. Jim avait rapidement réuni ses officiers, profitant que l’île se dessine encore à l’horizon pour une dernière réunion.
L’ambiance était tendue, les hommes conscients que la véritable aventure démarrerait sitôt le pied posé sur l’île. Bennett avait réuni ses notes qu’il parcourait précipitamment, l’eau ruisselant sur son visage et ses mèches brunes. Mais le plus tendu semblait être le capitaine lui-même. Les sourcils froncés et les traits tirés, rien ne semblait pouvoir le dérider. Il s’éclaircit bruyamment la gorge et tout le monde se tut.
— L’île du Calmar est en vue, messieurs. Nous avons peu de temps avant d’arriver. Il est donc essentiel que nous soyons tous d’accord sur le plan avant d’y accoster.
Il désigna la carte que Bennett avait déposée sur la table.
— La plage qui nous intéresse pour débarquer se trouve à l’ouest. Elle est la plus proche de notre objectif, ce qui nous permettrait de l’atteindre en à peine quelques heures de marche.
Puis il se tourna vers les lieutenants de marines.
— Pour le nombre d’hommes, sur la trentaine de soldats à bord je suggère d’en débarquer une vingtaine, voire plus. Une garnison resterait au vaisseau afin de le protéger en cas d’attaque, même si je fais confiance à l’équipage pour riposter avec les canons. Un lieutenant restera à bord avec les officiers, les autres nous accompagneront.
Une main se leva et Jim autorisa le lieutenant à prendre la parole.
— Puis-je suggérer d’emmener Monsieur Rizzo ? Cet homme est peut-être le coq, mais il a montré de réelles capacités au combat pendant l’attaque du brigantin.
Les autres levèrent les sourcils, surpris.
— Le coq ? Aux dernières nouvelles, il a désobéi à un ordre, et c'est ce qui lui a valu les geôles si je ne me trompe pas ? déclara un des hommes.
— C’est vrai, mais on ne peut pas nier son habileté. Les soldats m’ont rapporté son courage et son sang-froid durant l’attaque !
Jim cogita rapidement. Il avait déjà réfléchi à John, et à l’évidence de sa venue. De toute manière, le pirate aurait lui-même trouvé le moyen de débarquer. Satisfait de voir qu’il n’aurait pas à argumenter là-dessus, il joua le jeu :
— C’est une idée intéressante. Qu’il vienne. Mais que ce soit clair : la moindre désobéissance, et c’est la cale durant tout le voyage du retour.
Il marqua une pause, le bruit de la pluie résonnant au-dessus d’eux. Puis, ne voyant aucune objection, il poursuivit.
— En ce qui concerne les pirates, maintenant. Nous savons que le brigantin qui nous a attaqués n’était qu’un groupe de reconnaissance, ou de ravitaillement. Leur véritable force doit déjà être positionnée sur l’île et, selon moi, la confrontation sera inévitable.
Il y eut une autre main levée.
— Capitaine, que faisons-nous de la muppet dans les geôles ?
Les hommes ne purent s’empêcher d’échanger des sourires railleurs à l’appellation de la petite pirate maladroite. L’officier poursuivit :
— En tant qu'otage, elle pourrait nous offrir un levier. Si ces pirates tiennent à elle...
— Elle vient avec nous, assura Jim. Elle sera sous bonne garde. Si les choses tournent mal, cette muppet pourrait être notre seule monnaie d’échange. Et peut-être qu’après un peu de temps parmi nous, elle finira par nous révéler des choses intéressantes.
Puis il conclut.
— Préparez vos hommes, nous partons sitôt l’ancre jetée. En espérant que la pluie s’arrête entre-temps. Le docteur donnera les dernières indications avant que l’on commence à s’enfoncer dans la jungle. Merci à tous, et que le Seigneur soit avec nous.
Les officiers se levèrent et quittèrent la cabine. Jim s’affala sur sa chaise en soupirant bruyamment. Il ne s’était pas aperçu que Bennett était encore là, l’observant d’un l’air soucieux.
— Capitaine, comment vous sentez-vous ? Vous semblez être accablé par la fatigue…
Jim se redressa, surpris de le voir toujours dans la cabine.
— Comment ? Tout va bien, ne vous inquiétez pas, Bennett.
— Je ne suis pas un membre de votre équipage, vous savez. Vous pouvez me dire si quelque chose vous tracasse, cela n’altèrera en rien votre manière de diriger.
Il fut un peu hésitant, puis finit par lâcher :
— J’ai eu quelques soucis personnels ces derniers temps. Rassurez-vous, rien de grave mais… j’ai la sensation d’être abandonné par des êtres qui me sont chers…
Pendant qu’il parlait, le savant sortit de ses poches quelques herbes sèches qu’il étudia, avant d’en garder une ou deux.
— Tenez. Ce sont des herbes connues pour leurs vertus relaxantes. Il faut prendre le temps de les mâcher longuement. Ça devrait vous remettre un peu d’aplomb !
Le jeune homme prit la poignée d’herbes et les porta précautionneusement à sa bouche. Il grimaça en sentant la saveur désagréable et Bennett parut compatissant.
— Je suis navré, ça n’a pas très bon goût… En temps normal je vous aurais proposé une infusion, mais j’ai eu peur qu’on manque de temps…
— Ce n’est rien… C’est très aimable à vous de m’avoir donné vos plantes…, remercia Jim en tentant de cacher sa mine écœurée.
— Ne vous inquiétez pas, j’en ai en quantité. Il nous en faudra pour traverser la jungle !
Il commençait à ouvrir la porte lorsque Flint s’engouffra soudain pour se réfugier de l’orage, faisant sursauter les deux hommes.
— Flint, tu n’es qu’une brute, tu nous as fait peur ! gronda Jim alors que le perroquet se posait sur son bureau, l’eau de la pluie imbibant les papiers.
— C’est un superbe animal ! Un Éclectus mâle, n’est-ce pas ? Je n’arrive jamais à savoir à qui il appartient, il semble toujours en vadrouille !
— C’est celui de Monsieur Rizzo. Il m’a beaucoup aidé ces derniers temps.
— Ah oui, j’ai remarqué que les bêtes ont des effets très positifs sur nous. À condition de bien les traiter, bien sûr !
L’oiseau se secoua, faisant voler quelques gouttelettes de pluie, avant de fixer le blond de ses adorables yeux ronds.
— Oh, croyez-moi, celui-ci est très bien traité ! ricana-t-il. Et lui, au moins, il reste…
Bennett aurait aimé prolonger la conversation, parler de Flint ou de mille autres sujets avec ce capitaine curieux, qui respectait ses passions au lieu de les ignorer. Mais en voyant son air las, il préféra ne pas s’imposer davantage. Il quitta la cabine en se protégeant de la pluie avec sa blouse, le laissant seul avec le perroquet. Il resta à l’observer pendant qu’il se nettoyait les plumes, perdu dans ses pensées. Si seulement les relations humaines pouvaient être aussi simples que celles avec les bêtes…
Heureusement pour les membres de l’Invincible, l’orage cessa à l’approche de l’île et les hommes purent sortir sur le pont pour contempler la terre inconnue qui s’offrait à eux. Partout, ce n’était que de la jungle à perte de vue, avec à peine quelques étendues sablonneuse ci et là. La plage qui les intéressait semblait être, d’après la carte, la plus grosse de ce côté-ci de l’île. Et elle ne s’était pas trompée. Le rivage était vaste et leur offrait un terrain parfait pour commencer l’expédition.
L’ancre fut mouillée au large, laissant au vaisseau une vision claire pour toute menace éventuelle. Puis les soldats grimpèrent dans les canots avant d’être mis à l’eau petit à petit. Coiffés de bandana ou de chapeau militaire, vêtus d’épais pantalons, de bottes en cuir et portant chacun un grand sac rempli de provisions et d’équipement de survie, ils étaient prêts à affronter les dangers de la jungle tropicale. Bennett distribua aux hommes des brocs qui contenaient un liquide d’une étrange odeur.
— J’ai déjà de quoi nous protéger de la fièvre des marais . Je préfère vous prévenir, ajouta-t-il face au regard méfiant des soldats, c’est aussi amer qu’un café trop fort… Mais vous me remercierez plus tard ! La poudre de Jésuite , c’est actuellement ce qui se fait de mieux !
Tandis qu’ils avalaient l’épouvantable préparation, un des lieutenants souffla à l’attention de Silver.
— Monsieur Rizzo, nous avons eu l’autorisation de vous laisser nous accompagner grâce à vos prouesses au combat. Mais attention : un seul faux pas et vous vous retrouvez dans la cale avec les pirates, ordre du capitaine !
— Ne vous inquiétez pas, je serai exemplaire, assura le coq avec un petit sourire.
Jim croisa de loin le regard de Silver alors que celui-ci montait dans le canot. Il se sentait étrangement serein, malgré le danger que pouvait représenter le pirate pour l’expédition. Les herbes de Bennett semblaient efficaces !
Puis Polly sortit de l’entrepont, accompagnée de deux soldats. Des liens entravaient ses poignets et ses jambes, rendant ses mouvements difficiles. En la voyant ainsi, Gonzo eut un haut le cœur. Elle allait les accompagner dans cette épouvantable jungle ? Il ne pouvait pas la laisser simplement partir comme ça !
— Très bien, petite muppet, commença Jim. Vous nous accompagnez durant cette expédition. Nous veillerons à vous protéger dans cette jungle. Mais attention : si vous tentez quoi que ce soit, je vous promets que cette excursion sera la dernière. Est-ce que c’est compris ?
Elle leva la tête vers lui, la méfiance encore présente dans son regard ardent. Gonzo lui avait parlé de ce capitaine, ce Jim, et bien que sa menace soit dure, il racontait de lui qu’il était gentil et bienveillant. Elle ouvrit le bec, essayant de garder un air détaché :
— Je m’appelle Polly, pas « petite muppet ». Mais sinon, oui, j’ai compris.
Elle se dirigea tranquillement vers un canot sous le regard étonné des hommes qui ne s’attendaient pas à une réaction aussi docile. « Trop docile… » pensa le capitaine, ignorant tout de la relation entre elle et Gonzo. Celui-ci émergea soudain de l’équipage et vint se planter devant lui d’un air décidé, sac sur le dos.
— Je vous accompagne !
Là encore, l’équipage se regarda avec surprise. Mais qu’avaient donc les muppets aujourd’hui ?
— Gonzo… ça risque d’être dangereux, là-bas…
— C’est pour ça que je suis venu, pour aider ! Pas pour rester sur le bateau à rien faire ! Sans vouloir vous vexer, les gars… ajouta-t-il à l’attention des marins qui haussèrent mollement des épaules.
— Je…
Jim hésita un instant. En temps normal, il aurait clos le débat par un refus catégorique, mais quelque chose semblait le bloquer. Était-ce la dispute qu’ils avaient eu un peu plus tôt ?
— Laissez le venir, capitaine ! lança John, déjà installé dans un canot. Ce n’est pas un enfant non plus !
Il lâcha un petit clin d’œil au muppet qui fut reconnaissant de ce soutien inattendu. Il lui répondit d’un sourire lumineux, à l’inverse de Jim qui le foudroya du regard. Le pirate ne pouvait pas se mêler de ses propres affaires ?
— Si cela peut aider…, renchérit alors Bennett, Monsieur Gonzo pourrait être mon assistant durant l’expédition. Les dangers seront nombreux, et il pourrait m’aider à soigner d’éventuels blessés ou administrer des médicaments…
Il soupira. Tout le monde, à part lui, semblait vouloir précipiter le muppet dans l’inconnu et le danger, mais soit.
— Très bien. Gonzo, tu accompagneras le docteur Bennett. Mais tu fais tout ce qu’il t’ordonne, comprit ?
Il acquiesça poliment, mais son regard restait distant. En croisant celui de Jim, une ombre de gêne passa entre eux, et celui-ci sentit sa poitrine s’alourdir. Était-ce la fin de leur amitié telle qu’il l’avait connue ?
Enfin, le dernier canot toucha la surface de l’eau et une petite dizaine d’embarcations naviguèrent lentement vers la plage. Bercé par la mer légèrement agité, le ciel tapissé de nuages d’un blanc presque éclatant, ils heurtèrent la surface sablonneuse après quelques minutes. Jim mit le pied sur le sable mouillé et leva les yeux vers l’océan de verdure qui semblait s’étendre à l’infini. Ils y étaient : l’île du Calmar. Ce n’était plus une carte, ni une légende. C’était réel.
Les soldats se dépêchèrent de remonter les canots vers la plage afin qu’ils ne dérivent pas en cas de marée ou de tempête. Bennett s’était un peu éloigné, étudiant une plante qui semblait pousser à même le sable, et Silver tentait de trouver son équilibre, encore habitué à la surface stable du bateau. Ils entendirent un cri perçant et levèrent la tête. Haut dans le ciel, un oiseau observait leur arrivée, décrivant des cercles lents et menaçants au-dessus d’eux, comme un mauvais présage. Posé sur Jim depuis la réunion, Flint s’envola soudain dans un petit piaillement apeuré et rejoignit son maître en se nichant dans son cou.
— Il sent les prédateurs… remarqua John alors que le perroquet tentait de se cacher sous sa chemise. La jungle doit être grouillante de vie.
— Hélas, pour un petit oiseau comme lui, il est une cible facile dans cet environnement… rajouta Bennett qui était revenu dans le groupe et fixait le rapace au-dessus d’eux.
— Comme nous tous, d’ailleurs ! termina le capitaine d’une voix forte. N’oubliez pas que les bêtes ici n’ont jamais vu d’êtres humains. Elles pourraient même nous attaquer pour défendre leur territoire !
Gonzo, silencieux durant tout ce temps, tenta de jeter un coup d’œil discret à la muppet. Celle-ci fixait l’oiseau de proie d’un air inquiet, sa main crispée sur son foulard. Elle était entourée de soldats, et il ne pouvait faire le moindre geste vers elle sans éveiller les soupçons. Il aurait tant voulu la rassurer ! La voix de Bennett le fit sortir de sa rêverie.
— Monsieur Gonzo ! Venez par ici !
Docile, le muppet se dirigea vers lui et celui-ci tendit deux sacoches chargées qui firent un petit bruit de tintement.
— Ces besaces contiennent des fioles, quelques seringues de sérum et d’autres médicaments essentiels. Je vous les confie pour la marche, prenez-y soin !
Gonzo se chargea des sacoches, déterminé à prendre soin de leurs précieux contenus.
— Comptez sur moi, docteur !
Les hommes étaient fin prêts, et Jim prit à nouveau la parole :
— Nous allons avancer prudemment en file indienne. Avec la récente averse, la marche sera plus hasardeuse. Surveillez où vous posez vos pieds et vos mains et écoutez bien les avertissements du docteur Bennett. Que ce soit clair : je ne veux aucun coup de feu si la menace n’est pas humaine, je me suis bien fait comprendre ?
Les hommes approuvèrent puis, à peine un quart d’heure après avoir posé le pied sur l’île, la petite troupe s’enfonça dans l’épaisse jungle.
Avançant dans un parfait alignement, un des soldats ouvrait la marche, équipé d’une machette afin de tracer le chemin pour la troupe. Jim et le docteur se trouvaient juste derrière, vérifiant avec boussole et carte qu’ils empruntaient la bonne direction. Ils étaient suivis par les soldats, divisés en quatre groupes, et supervisés par leurs officiers qui fermaient la marche. Ils progressèrent durant deux bonnes heures, gardant une allure modérée pour prendre le temps d’observer les alentours. Ils parlaient très peu, gardant leurs forces pour la marche. Les seules paroles étaient celles de Bennett, stoppant parfois la marche pour ramasser des plantes médicinales ou pour avertir d’un danger caché.
— Stop ! Regardez devant !
Les soldats s’approchèrent prudemment. Des milliers de petites fourmis avançaient en ligne droite devant eux, formant un véritable tapis vivant. Ils pouvaient entendre, presque imperceptible, le bruissement des milliers de mandibules en action, comme un murmure menaçant sous les feuilles.
— Des fourmis légionnaires… murmura le docteur, si on les dérange, elles seraient capables de nous dévorer vivant ! Il faut les contourner.
Un éclat de rire nerveux traversa l’assemblée.
— Je sais qu’il faut être prudent, mais sérieusement… des fourmis ?
— On recule, et tout de suite ! ordonna le capitaine avec fermeté.
Ils restèrent quelques secondes fascinés devant cette marée implacable, puis bifurquèrent, laissant les fourmis poursuivre leur œuvre de destruction. Mais à peine quelques minutes plus tard, un cri retentit au cœur de la file. Ils se précipitèrent. Un des soldats, livide, se tenait la main, une douleur atroce marquant ses traits. Une énorme fourmi était agrippée à sa chair, ses mandibules profondément plantées dans la peau. Il retira la minuscule attaquante d’un geste paniqué, mais ils s’aperçurent avec effroi que seul le corps s’était détaché, la tête toujours accrochée dans la plaie.
— Mais… qu’est-ce que c’est que cette horreur ?
Bennett, impassible, sortit de sa besace une fiole d’alcool et une bande de linge propre.
— Eh oui… Les mandibules des soldates légionnaires ne se détachent pas une fois plantées… Il va falloir arracher…
— Vous plaisantez ?? s’étrangla le soldat.
Jim fit signe à la troupe. Le groupe reprit la marche, mais ils ne purent ignorer le cri de douleur qui leur parvint dans le dos. Et tous imaginèrent, avec un frisson, ce qu’il adviendrait si une colonie entière s’abattait sur eux.
Après les deux premières heures il fut décidé de faire une pause rapide avant de reprendre la route. S’asseyant avec précaution, ils en profitèrent pour boire un peu et essuyer leur transpiration. La chaleur étouffante et l’humidité causées par la pluie rendaient l’atmosphère lourde et difficilement supportable. Beaucoup avaient retiré leur gilet, ne laissant que leur chemise comme protection, et avaient noué leurs cheveux pour éviter qu’ils ne se collent à leur visage. Gonzo, aidé par le docteur, s’occupait de soigner ci et là les soldats qui s’étaient égratignés sur des rochers ou des plantes urticantes. Silver tentait de faire sortir Flint de sa chemise mais celui-ci semblait n’en faire qu’à sa tête, accrochant ses serres au torse de son maître qui serrait les dents sous la douleur.
Juste avant de repartir, Jim vit du coin de l’œil la pirate, un peu à l’écart, avec les deux soldats chargés de la surveiller. La sueur perlait à ses plumes, et il pouvait la voir déglutir avec difficulté, tout en jetant de furtifs coups d’œil aux gourdes que tenaient ses surveillants. S’approchant des deux hommes qui rangeaient leurs sacs, il leur demanda :
— Vous avez donné de l’eau à la prisonnière ?
— Non, pas encore. On s’est dit qu’il valait mieux économiser pour l’instant !
— Je vous demande pardon ? Nous marchons depuis plus de deux heures, dans une jungle étouffante, et elle n’a toujours rien bu ? Qu’êtes-vous, des hommes ou des tortionnaires ? Donnez-lui à boire !
Les soldats échangèrent un regard incertain, ne s’attendant pas à une telle réaction. L’un d’eux baissa les yeux, visiblement honteux, tandis que l’autre sortit sa gourde avec précipitation, comme si cela allait alléger leur culpabilité. La muppet attrapa la flasque et but de longues gorgées avant de la rendre, l’air soulagé.
— Je vous le dit une seule fois : Polly est une prisonnière, pas un déchet ! Dans cette jungle, nous sommes tous vulnérables. Vous êtes aussi garants de sa sécurité et de sa vie !
Sans attendre une réponse le capitaine fit volte-face et s’éloigna furieusement. Polly fut à la fois étonnée et reconnaissante de son intervention. Elle n’avait déjà pas l’habitude de telles considérations venant des siens, alors venant d’un ennemi ? Gonzo avait sans doute raison, sous ses airs sévères et froids, son ami devait probablement cacher un grand cœur. Elle tourna les yeux vers le muppet qui avait observé la scène de loin, et il lui lâcha un sourire de satisfaction. Il ne s’était pas trompé : Jim était un homme bon, et il était fier de voir qu’il n’avait pas perdu son sens de la justice !