La Perle du Kraken

Chapitre 15 : La Vallée Perdue

5412 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 16/02/2025 20:33

Le soleil se levait à peine, baignant l'île d'une lumière dorée, lorsque les soldats émergèrent de leur tente. L'air du matin était encore frais, porteur des senteurs humides de la jungle. Les premières lueurs du jour révélaient la majesté sauvage des ruines autour du campement, vestiges d'une civilisation oubliée recouverts de mousse et de lierre.

En quelques minutes, le campement fut entièrement démonté. Bennett, qui finissait de se raser, avait préparé ses besaces remplies de plantes et de baumes en tout genre. Silver réussit à faire entrer Flint dans sa nouvelle sacoche - au grand dam de celui-ci qui préférait la chaleur rassurante de son maître. Gonzo faisait déjà rire la petite Polly, sous le regard sévère des deux gardes. Plus loin, Jim se réunit avec ses lieutenants afin de préparer leur prochaine avancée.

— Le chemin de pierre que nous avons découvert hier semble s’enfoncer dans la montagne. Tout laisse à croire que nous suivons bien la piste indiquée sur la carte ! Si nous ne rencontrons pas de difficulté, nous devrions atteindre la vallée dans l’après-midi !

— Nous n’avons jamais été aussi proches de l’artefact ! exalta Bennett qui les avait rejoints.

— Ni des pirates… ajouta un lieutenant. Nous n’avons aucun indice ni aucune trace de leur présence… Il serait temps d’arracher des informations à notre otage !

— J’en suis bien conscient…, murmura Jim en jetant un coup d’œil aux muppets, mais elle n’a pas l’air d’être au courant de quoi que ce soit, elle non plus…

Il resta songeur un instant. La légèreté de Polly contrastait avec la gravité de leur situation. Cette jeune muppet, avec son regard doux et son instinct de protection, ne semblait pas être faite pour un monde de pirates. Comment cette demoiselle était-elle arrivée là-dedans ? Il savait qu’elle était une ennemie, et pourtant… il se surprenait à espérer qu’elle ne leur cache rien d'important.

La petite expédition reprit sa marche à travers la jungle dense, suivant le chemin de pierre caché sous la mousse et le lierre. Les arbres imposants formaient une canopée au-dessus de leurs têtes, filtrant les rayons du soleil en une myriade de taches lumineuses qui dansaient sur le sol. Le chemin était escarpé, les racines et les rochers rendant chaque pas incertain, mais l'équipe avançait avec détermination.

Alors qu'ils grimpaient, la végétation se fit plus clairsemée, et la pente devint plus abrupte. Ils étaient arrivés sur un chemin de montagne et celui-ci avait de très fortes chances de les conduire à destination. Ils suivirent le chemin durant deux bonnes heures, évitant de regarder la forêt qui s’étalait sur leur droite, à des centaines de mètres au-dessous d’eux. Les soldats, s'adaptaient sans difficulté, tandis que le capitaine et le docteur suivaient le mouvement, leur attention fixée sur la carte et la boussole. Ils firent ensuite une pause de quelques minutes, essoufflés par l’ascension. Jim s’approcha alors de la prisonnière et fit signe aux soldats de s’éloigner. Puis il s’assit près d’elle.

— Polly, nous serons bientôt à destination. J’ai besoin de savoir ce qui nous attend, là-bas. Est-ce que nous allons être attaqués ?

— Je ne sais pas. Je ne suis pas assez importante pour être au courant…

— Tu…tu dois bien savoir quelque chose. Vous ne nous avez pas attaqué pour rien, toi et les tiens. Tu sais que nous sommes venus chercher un trésor.

Elle resta silencieuse, les yeux fixés sur l’horizon tandis que sa main agrippait fermement son foulard. Jim tenta alors :

— Tu sais, Gonzo pourrait se retrouver en danger si cette histoire tourne mal…

L’expression de la muppet changea, prenant un air plus inquiet.

— Je veux juste éviter un bain de sang, poursuivit-il. Écoute, si tu m’aides à mettre Gonzo à l’abri je te promets que je ferai le maximum pour vous protéger, tous les deux.

Elle parut hésiter un instant, triturant une de ses plumes, et il pensait l’avoir convaincue lorsqu’elle lâcha, d’un ton presque coupable :

— Je suis désolée, je ne sais rien du tout…

Puis la muppet se mura dans le silence, regardant partout sauf lui. Il lâcha un long soupir.

— Très bien, je te laisse tranquille. Si tu as quelque chose à me dire, je ne serai pas loin.

Puis il retourna auprès des lieutenants, un peu agacé par cet échec.

— La pirate a l’air de savoir quelque chose, mais elle ne nous dira rien.

— Quelle petite peste ! grogna un des officiers avec colère. De tous les pirates lâches et égoïstes présents sur les sept mers, il a fallu que nous tombions sur la plus fidèle d’entre eux ! Je ne sais pas ce qui nous retiens de l’abandonner aux prédateurs !

— Allons, nous ne sommes pas des sauvages. Nous sommes armés et entraînés. Si les pirates nous attendent, nous saurons nous défendre.

Un cri retenti derrière eux, coupant net leur conversation. Bennett s’était approché du précipice et la terre, encore humide à cause de l’averse, se déroba sous son poids. Silver, alors non loin de lui, se précipita et réussit à saisir sa main dans un incroyable réflexe. Malheureusement le sol continuait de s’effriter et les deux glissaient maintenant vers une chute mortelle. La terreur figea Jim sur place, son cœur ratant un battement.

— John !

Sous la peur, il laissa échapper le nom de Silver. Personne ne sembla le relever mais Polly, qui se trouvait non loin, entendit et garda cette interrogation pour plus tard, sa curiosité soudain piquée. Sans réfléchir, il voulut s’élancer pour lui porter secours mais un officier le retint, laissant les soldats s’occuper de la situation. Le plus proche se jeta à plat ventre en tendant la main. D’un geste précautionneux, Long John retira alors sa besace et la lui tendit.

— Mais pourquoi tu me donnes ton sac ?? cria l’homme en prenant l’objet d’un air étonné.

— Y a mon perroquet dedans ! 

— Bon sang Rizzo, t’es insupportable avec tes bestioles !!

Il lança la besace que Gonzo attrapa au vol, vérifiant si Flint n’avait pas été trop secoué. Silver sentit ses muscles crier sous l’effort. Bennett bougeait beaucoup trop, était bien trop lourd, et la terre sous son pied valide se désagrégeait un peu plus à chaque seconde.

— Docteur ! Arrêtez de gesticuler comme ça, sinon vous allez finir par nous tuer ! Reprenez-vous !

Le souffle court, Bennett tenta de retrouver son calme, ses yeux fuyant l’effroyable vide en dessous de lui.

— Bon. Vous voyez les rochers au-dessus de vous ? Je vais tenter de vous soulever. Il va falloir que vous vous agrippiez à quelque chose.

— Ça veut dire que vous allez me lâcher ensuite ??

— Pas le choix. Nous sommes trop lourd pour être remonté tous les deux. Prêt ?

— Euh… non ?

Dans un ultime effort Silver tira sur son bas, soulevant sa prise avec une infinie prudence. Celui-ci s’agrippa à tout ce qu’il trouvait, ses doigts s’enfonçant dans la terre, la roche et les racines. Enfin, sa main lâcha celle du coq qui put la tendre au soldat, rejoignant la terre ferme. D’autres aidèrent le docteur, saisissant ses poignets, ses bras et sa blouse, et l’extirpant de son piège mortel. Hors de danger, ils restèrent un moment à terre et reprirent leurs esprits. Jim se précipita, la gorge serrée et les mains tremblantes.

— Bennett, Rizzo, vous… vous allez bien ?

— Il faut que j’arrête de vouloir sauver des vies… c’est pas bon pour ma santé… ! lâcha John d’un souffle irrégulier.

Le jeune homme ne put se retenir de rire avec les autres. Le pirate venait de frôler la mort et il ne pouvait s’empêcher de plaisanter !

— Bennett, mon ami, vous devriez rester allongé encore un instant ! reprit-il en le voyant tenter de se lever.

— Mais non, je vous assure que je vais bien ! 

Mais ses jambes flanchèrent et il s’effondra avec un bruit sourd.

— Finalement, je ne suis pas si mal par terre !

L’atmosphère se détendit et la pause fut rallongée de quelques minutes. Le capitaine était resté auprès de Silver, se remettant tous deux de leurs émotions.

— Tu as été d’un courage incroyable. Tu ne cesses de m’impressionner.

— Je n’ai pas eu le choix, c’était ça ou finir au fond du ravin !

— Arrête de plaisanter. J’ai eu peur de te perdre…

Un ange passa entre eux.

—Est-ce que… tu as encore besoin de temps ? demanda Long John à voix basse.

— Quoi ? Evidemment ! Je ne vais pas passer l’éponge comme ça !

— Dommage. J’ai une irrésistible envie de t’embrasser, là tout de suite.

— Eh bien, tu vas devoir attendre longtemps ! rétorqua Jim sèchement, malgré le petit sourire qui était apparu sur ses lèvres.

—Peut-être jusqu’à ce que tu récupère ta récompense en Angleterre, qu’en penses-tu ?

— Tu es incorrigible…

Derrière son regard chargé de sous-entendu, il sentit ses entrailles se tordent lorsque John mentionna la récompense. Il se félicita intérieurement d’avoir tenu le mensonge aussi loin, sans que son mentor ne suspecte quoi que ce soit…

Un peu plus loin, Gonzo observait la scène avec le cœur léger, la besace de Flint toujours dans ses mains. Jim et Silver semblaient enfin se parler, mieux vaut tard que jamais !

— Ils ont l’air de bien se connaitre, ses deux là… 

Polly venait de rejoindre son ami et regardait avec lui les deux hommes assis.

— C’est Rizzo, avec Jim. Ce sont les deux amis dont je te parlais. Ça faisait un moment qu’ils se faisaient la tête, mais là, ils ont l’air d’aller mieux !

— C’est étrange, j’ai juré l’entendre l’appeler John - ou Josh - tout à l’heure…

Gonzo parut soudain mal à l’aise.

— Ah… il a dû dire ça sous le coup de l’émotion…

— Alors, il ne s’appelle pas réellement Rizzo ?

— Normalement, je ne peux pas te le dire… Mais vu que tu m’as sauvé la vie hier, je pense que je te dois bien ça !

Alors il la prit par l’épaule, l’éloignant discrètement du groupe, puis chuchota :

— En fait, Rizzo n’est pas vraiment un coq. C’est un pirate. Et son vrai nom, c’est Silver…

Le visage de son amie se décomposa soudain sous le choc de la révélation.

— Silver ? Tu veux dire, Long John Silver ??

Le muppet regretta d’avoir ouvert la bouche. Si Polly avait un lien avec le pirate, c’était bien sa veine !

— Euh oui… Tu le connais ? 

Doucement, une vague de colère, brûlante et soudaine, sembla envahir la paonne, comme si la mention de Silver avait réveillé en elle une haine viscérale. Elle se força à se calmer, respirant lentement, jusqu’à ce que son visage redevienne impassible. Puis elle se tourna vers son ami, et lâcha d’une voix neutre et sans émotion.

— Merci Gonzo, tu viens de me fournir une information très intéressante.

Puis elle s’éloigna sans un mot, rejoignant ses deux gardes qu’elle ne quitta plus. Son petit cœur se serra. Elle n'avait pas réagi comme il l'avait espéré. Cette froideur, ce silence… Il devina qu'il avait - encore une fois - trop parlé.

Le groupe se remit enfin en route. La tension était palpable à mesure qu’ils se rapprochaient de leur objectif. Les soldats avançaient prudemment, leurs mains agrippants les armes avec méfiances, les lieutenants chuchotaient entre eux, révisant leur stratégie de défense. Gonzo était abattu par la réaction de Polly, caressant machinalement Flint dans la besace. Seuls Bennett, Jim et Silver étaient d’humeur légère. Le docteur était heureux d’avoir évité une mort certaine, et savourait désormais le moindre souffle d’air pur. Et Jim et Silver, malgré les doutes et les mésententes, ne pouvaient s’empêcher de s’échanger discrètement des regards enjôleurs, le désir étant revenu les taquiner comme le petit diablotin qu’il était. Les romantiques ne retiennent jamais les leçons !

Enfin, après une ascension difficile, le groupe atteignit une crête étroite. Le soldat guide s'arrêta, levant la main pour signaler une pause et le docteur s’avança alors. Puis il se tourna vers le reste du groupe, une expression d’extase sur son visage.

— Mes amis, nous l’avons trouvé…, souffla-t-il, épuisé mais satisfait. 

Ce qu'ils virent les laissa sans voix. De l'autre côté de la crête, la jungle s'ouvrait sur une vaste vallée cachée, entourée de montagnes escarpées. Au centre de cette vallée, à moitié engloutie par la végétation, se dressait une cité ancienne, ses bâtiments en pierre érodés par le temps mais toujours imposants. Des pyramides tronquées, des temples oubliés, et des grandes places abandonnées formaient un tableau d'une grandeur à la fois mystérieuse et inquiétante.

Le silence régna un moment, alors que tous prenaient conscience de la magnitude de leur découverte. Certains soldats tombèrent à genoux, exténués et subjugués, d’autres commencèrent à applaudir, se félicitant d’être arrivé si loin en un seul morceau. Jim sentit son cœur battre plus fort dans sa poitrine. C'était là, enfin, le trésor qu'ils cherchaient, la cité tribale qui cachait peut-être la Perle du Kraken.

— Nous avons réussi, Capitaine Hawkins, déclara Bennett, les yeux larmoyant. C'est là, sous nos yeux…

Le capitaine jeta un coup d'œil vers Silver, qui regardait la cité d’un air indéchiffrable. Difficile pour lui de savoir ce qu’il ressentait en ce moment. Il s’attarda ensuite sur Polly. La pirate semblait, quant à elle, moins abattu que tout à l’heure. Voire… plus déterminée ?

— Oui, docteur. Mais restons prudent, qui sait quelles surprises nous pourrions rencontrer...

Il croisa le regard des lieutenants. Il n’eut pas besoin de développer pour voir qu’ils avaient compris. Ils acquiescèrent rapidement, prouvant qu’eux et leurs hommes étaient prêts en cas d’attaque.

Après une courte pause la compagnie descendit la vallée jusqu’à atteindre la cité. Alors que Jim posait un pied dans l'herbe dense qui recouvrait le sol de la ville, il crut apercevoir une ombre fugitive se glisser derrière une des structures en ruine. Il s’immobilisa un instant, un frisson désagréable parcourant son échine, mais tout resta silencieux l’instant d’après. Il se demanda s’il n’avait pas fait fausse route avec les pirates. Étaient-ils vraiment là ? 

— Séparons nous en quatre groupes pour faciliter l’exploration. Ce que nous recherchons doit être un gros bâtiment, comme un temple ou un palais. Cette fois, vous avez l’autorisation d’utiliser vos armes à feu en cas de menace.

Jim et le docteur furent accompagné par John, ainsi que deux autres soldats. Gonzo et Polly suivirent un autre groupe. Au fur et à mesure de leur avancée la cité révélait toute sa majesté passée, même si le temps avait érodé les murs que la jungle achevait de reprendre. Les bâtiments de pierre, autrefois fièrement dressés, étaient maintenant partiellement effondrés, leurs façades rongées par les intempéries et le lierre. Pourtant, une certaine grandeur persistait dans les colonnes massives et les arcs qui, malgré leur décrépitude, témoignaient de l'habileté des artisans qui les avaient érigés.

Prenant la direction d’une ancienne ruelle, Gonzo jetait de temps à autre des regards en direction de Polly. Ses yeux semblaient partout, scrutant les moindres recoins comme si elle s’attendait à voir apparaitre une menace. Malgré sa nature joviale et naïve, son instinct l’alerta. Quelque chose ne tournait pas rond. Il se rapprocha de la muppet, malgré les discrètes protestations du lieutenant, et chuchota nerveusement :

— Polly, je sens que quelque chose ne va pas depuis que je t’ai révélé mon secret. Si j’ai été ton ami, ces derniers jours, je dois savoir si on est en danger !

— Silence, le muppet ! On va finir par se faire repérer ! siffla l’officier avec rage.

Le vent souffla dans la cimes des arbres tandis qu’un léger cri d’animal inconnu se fit entendre non loin. Elle leva les yeux et il perçut la profonde tristesse, tapis derrière sa résignation. Une sueur froide coula le long de sa nuque bleue tandis qu’elle prononçait :

— Je te demande pardon, Gonzo. C’est un piège…

— Hein ?

Des ombres surgirent alors de nulle part et de partout à la fois. Il n’eut pas le temps de crier qu’une main se referma sur lui tandis qu’ils étaient brutalement saisis. Il n’y eut plus que le silence total dans la petit ruelle.

Jim et son groupe avançaient bien. Les structures qui dominaient le centre de la cité étaient les plus impressionnantes. Des pyramides tronquées, aux sommets plats et envahis par les arbres, dominaient le paysage. Leurs parois étaient décorées de bas-reliefs représentant des scènes de vie quotidienne, des rituels religieux, et des figures divines.

— Regardez ces détails… Même après des siècles, ces visages semblent encore nous scruter. Imaginez le talent de ces artisans ! souffla Bennett, émerveillé.

Chaque pas résonnait avec une lourdeur étrange, les ruines engloutissant le moindre son et refusant de s’ouvrir aux étrangers qui osaient troubler ce lieu sacré. Au centre de tout cela, une silhouette imposante se dessina alors. Et à mesure qu’ils en approchaient, ils surent qu’ils avaient atteint leur but. 

Le temple principal se dressait fièrement au cœur de la cité, sa façade en pierre marquée par le temps mais toujours imposante. Des sculptures complexes ornaient ses murs, représentant des divinités et des créatures mythologiques, tandis que de grands serpents gravés s'enroulaient autour des piliers. Au-dessus de l'entrée, un bas-relief montrait une figure divine tenant une sphère lumineuse, qu’ils devinèrent être la Perle du Kraken.

— Elle est là…j’en suis sûr ! murmura le docteur, ébahi par la splendeur de l’architecture.

Ils montèrent rapidement les escaliers et laissèrent les soldats en surveillance à l’entrée. En pénétrant dans le temple, ils furent immédiatement enveloppés par une obscurité lourde et oppressante. L'air était frais et chargé de l'odeur de pierre humide et de végétation en décomposition. Le temple ne contenait qu'une seule pièce, immense et silencieuse, aux parois érodées par le temps ; et de nombreuses ouvertures laissaient passer la lumière du jour, baignant les lieux d’une clarté quasi mystique.

Autour d'eux, les murs étaient recouverts de fresques anciennes, mais la plupart des chambres secondaires semblaient inaccessibles, obstruées par des gravats et des racines massives qui avaient envahi l'intérieur du temple au fil des siècles. Au fond de la pièce, face à l'entrée, se dressait un immense mur au bas-relief représentant une magnifique femme, ses longs cheveux semblant se noyer dans la mer.

— Mami Wata… Nous touchons au but.

Lui et le capitaine admirèrent le bas-relief, respectueux et humble devant ce chef d’œuvre d’architecture. 

— Je ne sais pas ce que nous sommes venus chercher, lança soudain Silver de l’autre côté de la pièce. Mais il me semble qu’il n’y a rien d’intéressant ici !

Ils se regardèrent. C’était vrai : au-delà du savoir et de la connaissance, le temple ne semblait contenir aucune perle, et aucun autre objet de valeur.

— Fouillons les lieux !

Ils passèrent quelques minutes à chercher, s’attardant sur les moindres recoins de la ruine, en vain. Mais alors que Jim passait devant l’immense représentation de la déesse, un léger bruit attira son attention. Un interstice séparait le mur verticalement, comme si celui-ci pouvait s’ouvrir en deux. Prudemment, il passa les doigts sur la faille. Un souffle glacé s’échappa, comme une lente respiration venue des entrailles du temple. Soudain très excité, il appela ses amis.

— Le mur peut s’ouvrir, j’en suis certain ! Il faut chercher comment !

Sous la représentation de la déesse, des inscriptions en relief, gravées dans un ancien dialecte, couvraient la base du mur. Les symboles étaient à demi effacés mais pouvaient encore être lus.

— Docteur, pouvez-vous déchiffrer ceci ?

L’homme ajusta ses lunettes et sortit de son sac plusieurs livres. 

— C’est de l’Arawak, ça. Un dialecte parlé par les vieilles tribus amazonienne. Ma foi, je pense pouvoir me débrouiller !

Quelques minutes passèrent avant que Bennett ne lève son nez de ses livres avec un air triomphant.

— Voyons voir… Appelle…la mère…ses bras. Il est écrit « Appelle la mère et elle t’ouvrira ses bras. »

— Appelez la mère. Il ne peut s’agir que de Mami Wata ! 

Jim prononça le nom de la déesse mais rien ne se produisit. 

— MAMI WATA !

Il n’y eut que l’écho.

— La déesse a peut-être d’autres noms ?

Ils passèrent plusieurs minutes à chercher des réponses dans les livres, pousser tous les murs avec leur mains ou crier des noms improbables, rendant la situation presque gênante. Alors qu’ils commençaient à être à court d’idées, Silver s’approcha de l’inscription.

— Appelle la mère… Dites voir, il y a un mot pour dire mère en Arawak ?

Bennett parut légèrement surpris et se racla la gorge.

— Euh… Je dirais… Ojo ?

Il y eut soudain un énorme bruit, comme si un mécanisme s’était activé. Le temple se mit à trembler alors que le mur et le sol s’ouvraient en une gigantesque ouverture béante. Une cascade de poussière et de pierres s’échappa des interstices du mur, tombant comme un rideau de lumière dans la pénombre du temple. Ils reculèrent précipitamment vers l’entrée pendant qu’apparaissait devant eux dans un fracas assourdissant un immense escalier semblant s’enfoncer dans les profondeurs d’une immense caverne.

— Comme quoi, parfois, il ne faut pas chercher bien loin ! déclara John avec un sourire.

— Vous êtes formidable, Monsieur Rizzo !! Je m'assurerai que votre nom soit mentionné lorsque cet artefact trônera fièrement dans le musée de Sa Majesté !

Jim se figea, effaré par la phrase prononcé du docteur et se tourna vers son mentor. Son visage s’était fermé, ses yeux azur brillant d’une lueur glaciale. Une étincelle de trahison, de colère, sembla prendre place dans ce regard qu’il connaissait si bien. Le capitaine comprit avec une clarté douloureuse que l’épée de Damoclès était tombée, faisant voler en éclats leur alliance fragile.

Il voulut ouvrir la bouche lorsqu’un coup de feu retentit et ils entendirent un soldat alerter à l’extérieur :

— Les pirates ! Ils nous attaquent !

Tout se passa alors très vite. En une seconde les deux hommes avaient dégainé des armes, Silver empoignant Bennett par le bras et le tenant en joue. 

— Lâche-le, John, ordonna Jim, son propre révolver braqué sur lui.

— Je ne crois pas non, pas après ce que je viens d’entendre, répondit le pirate avec un rictus, tenant fermement le docteur qui, terrorisé, ne comprenait plus rien à la situation. Regarde-toi, Jim, te voilà devenu aussi fourbe que moi ! Toutes mes félicitations, moi-même j’y ai cru à ton petit mensonge !

Ses traits étaient durs, crispés, trahissant la déception envers son ancien élève. Cela, plus que tout, acheva de rendre le jeune homme accablé par sa propre malhonnêteté. 

— Tu ne m’a pas laissé le choix… expliqua-t-il, le regard suppliant. Tu ne voulais pas venir et… j’avais besoin de toi…

— Sache que s’il y a une chose que je ne supporte pas en plus d’être trahi, gamin, c’est d’être manipulé !

Bennett, dans un accès de panique, tenta de s’enfuir mais John resserra sa prise et arma son révolver. 

— On ne bouge pas, docteur. Ce serait dommage de se sortir d’une chute mortelle pour finir avec une balle dans la tête !

Dehors, des cris et des ordres fusaient, couvrant les bruits de confrontation. Sentant que la situation lui échappait, Jim arma son propre révolver avec un cliquetis menaçant et le regard de son maître brilla de défi.

— Eh bien, tire Jim ! Finissons-en !

Celui-ci n’eut pas le temps de réfléchir qu’il sentit une lame glacée se glisser sur son cou.

— Il ne va tirer sur rien du tout, pas vrai, niño ? susurra derrière lui une voix féminine. Lâche ton arme, si tu ne veux pas goûter à la mienne…

Soudain pris au piège, il laissa tomber son arme à feu. À peine touché le sol, des mains rugueuses saisirent ses poignets tandis que deux pirates l’entravaient par derrière.

Émergea de l’ombre celle qui hantait ses pensées depuis des semaines maintenant. Une femme adulte, bien plus âgée que lui mais loin d’atteindre celui de Silver. Une véritable déesse espagnole d’une beauté à rendre fou : de longs cheveux aussi noirs que de l’encre, des traits fins et une paire de lèvres charnues rehaussées d’un grain de beauté. Avançant avec la grâce d’une prédatrice, ses yeux sombres ne laissaient aucun doute sur son contrôle de la situation. Elle semblait bien préparée pour le combat, portant à sa ceinture un sabre ainsi qu’une arme à feu et un arc attaché sur son dos. Dévisageant Jim d’un simple coup d’œil, elle se tourna ensuite vers son ancien amant avec un large sourire.

— Long John Silver… cela faisait longtemps, mi amigo !

Sa voix, suave et teintée d’un accent espagnol, roula comme une vague entre eux, à la fois séduisante et menaçante. Alors qu’elle se tournait vers le pirate, Jim remarqua sur son épaule un tatouage représentant une main noire. Le même qu’avaient arboré les pirates qu’ils avaient combattus, quelques jours auparavant.

— Et comme toujours, tu arrives au bon moment, Morgane… !

D’un coup sec, il assomma le docteur qui tomba par terre avec un bruit sourd sous le regard du capitaine, impuissant.

— Qu’est-ce qu’il peut gesticuler, celui-là…

— Au bon moment, comme toujours, John… ! Quoique, je vous attendais un peu plus tôt ! 

Elle reporta son attention sur son prisonnier. 

— Capitaine Hawkins, quelle efficacité ! Voilà des jours que nous avons trouvé la cité et que nous essayons par tous les moyens de trouver l’accès à la perle ; vous débarquez et en un claquement de doigt… ! 

Elle émit un petit rire et il comprit qu’ils étaient tombés dans un piège. Malgré le danger, il demanda :

— Comment avez-vous su que nous arrivions ? 

— Mais oui ! Il faut que je vous présente mon petit espion !

Elle porta ses doigts à sa bouche et siffla légèrement. Un piaillement se fit entendre au dehors et un oiseau entra dans le temple. C’était un rapace, au plumage gris et blanc, au regard perçant et aux serres acérés. Il fondit sur eux à toute vitesse et se posa docilement sur l’épaule de sa maîtresse. Jim reconnut la forme blanche qu’il avait aperçu la nuit dernière, et il se demanda si c’est celui-ci qui avait terrorisé ce pauvre Flint, sur la plage. 

Halcón peregrino. Ça vole vite et longtemps. Et plus discipliné que les vieux perroquets butés !

Caressant la tête de son volatile, elle lança un petit regard moqueur à John qui rétorqua.

— Pourtant mon vieux perroquet buté a bien réussi à retrouver ta trace, si je ne me trompe pas ?

— Un coup de chance ! Avec lui, tu peux être sûr que je reçois les messages de ma complice en temps et en heures ! 

L’attention de la femme fut soudain attirée par quelque chose derrière l’épaule de Jim. 

— Hablando del rey de Roma …

Polly pénétra dans le temple d’un pas rapide. Elle observa Morgane, puis Jim, maintenu par les deux pirates. Et en voyant Silver son regard se fit aussi froid que la glace.

— Morgane, fais attention à cet homme ! lança-t-elle en s’interposant entre les deux.

— Tiens, ma petite catastrophe ambulante ! Alors, je te donne une simple mission de ravitaillement, et toi tout ce que tu trouves à faire c’est détruire notre brigantin ?

Son ton était froid et sec et la petite muppet sembla soudain désolée.

— Excuse-moi. Mais, tu m’avais dit qu’il fallait les empêcher d’atteindre l’île… !

— Pas en détruisant notre seul moyen de transport ! ¡Venga!

— Morgane, écoute-moi … ! insista la muppet.

— Pas maintenant, tu vois bien que je parle ! Va plutôt dehors vérifier que tous ses soldats sont bien à notre merci !

Elle désigna Jim d’un signe de tête. Polly n’insista pas plus et commençait à se diriger vers l’extérieur lorsque le prisonnier se tourna vers elle.

— Polly, où se trouve Gonzo ? Est-ce qu’il va bien ??

La muppet fit mine de ne pas l’entendre tandis qu’elle poursuivait sa route, et il ajouta furieusement :

— Si tu lui as fait du mal, je te jure que tu…

— Il est vivant, il va bien ! coupa soudain la pirate d’un air agacé, voire un peu coupable, avant de s’éclipser. 

— Dis donc, elle est émotive ton amie… déclara John.

Morgane leva les yeux au ciel en soupirant.

— Elle est fatigante, même !

Elle s’intéressa de nouveau à son prisonnier et ressortit son couteau. Il retint son souffle en sentant approcher la lame sur son cou, mais ne flancha pas, soutenant le regard noir de la pirate.

— Mais ce n’est pas une raison pour la menacer. Je devrais tuer tes hommes sur le champ, pour avoir osé bombarder mon vaisseau et manquer de respect à ma muppet ! Mais ils pourraient encore me servir. Toi, cependant, à charge de revanche !

— Tu ne devrais pas te salir les mains tout de suite, lança John. Il est jeune mais débrouillard, il pourrait nous être utile !

Réfléchissant un instant, elle changea d’avis et se désintéressa de sa proie, désignant le pauvre Bennett inconscient.

— C’est vrai, qu’il est encore jeune et vaillant. Lui et le docteur nous accompagnerons, lorsque nous descendrons dans le temple.

Pendant qu’ils parlaient, le temple avait peu à peu perdu de sa lumière. Le soleil avait commencé à descendre, colorant les ruines d’une douce couleur orangée.

— Mais avant cela, laissons passer la nuit. Depuis toutes ces années, tu dois en avoir des choses à raconter, John !

Elle lâcha nonchalamment une phrase en espagnol et les pirates entrainèrent leurs prisonniers à l’extérieur du temple sans ménagement. Jim ne put lâcher son ancien maître du regard, qui ne lui accorda pas la moindre importance. L’homme qu'il admirait et qu’il aimait se tenait là, impassible, comme s'il avait déjà tout oublié de leur affection.

Long John Silver, le légendaire pirate, avait retrouvé son monde.

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