La Perle du Kraken

Chapitre 22 : La fin de l'aventure

Chapitre final

2908 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 09/03/2025 19:18

Enfin, après plus de deux mois de périples en mer, l’Invincible et son équipage se rapprochaient des côtes familières de leur point de départ. Le navire majestueux fendait les vagues, ses voiles gonflées par le vent, et ses mâts hauts comme des tours reflétaient l’éclat doré du soleil levant. L’équipage, épuisé par la longue traversée mais le cœur rempli d’excitation, observait les contours du port grandir à l’horizon, son effervescence palpable même à distance.

Les quais étaient noirs de monde. Des familles entières, des marchands, des curieux et des enfants grimpaient sur des tonneaux et des caisses pour apercevoir le célèbre vaisseau, leur chuchotement chargé d’impatience. Les femmes, les enfants, et même certains vieillards agitaient des mouchoirs dans les airs, espérant que leur mari, fils, ou frère repère leur silhouette dans la foule.

Sur le pont, les marins se pressaient contre les bastingages, cherchant désespérément des visages familiers parmi les flots d’hommes et de femmes amassés sur le rivage. Leurs voix, rauques et joyeuses, se mêlaient aux appels et cris provenant du port. Certains, trop émus pour parler, essuyaient discrètement des larmes en reconnaissant leurs proches parmi la foule. Les soldats se tenaient en rang, fiers et droits, leur uniforme impeccable malgré la poussière de leurs batailles. Ils ne laissaient transparaître aucune émotion, mais leurs regards furtifs vers la ville trahissaient l’impatience qu’ils avaient de fouler la terre ferme et de revoir ceux qu’ils avaient quittés.

Du pont supérieur, Jim observait la scène en silence, ses mains agrippées à la rambarde. Étant le capitaine du navire, il serait le dernier à descendre. Qu’importe, aucun être cher ne l’attendait sur les quais. Ils étaient déjà avec lui. Il repéra plus loin Silver, Gonzo et Polly, observant les hommes qui commençaient à descendre pour amarrer le vaisseau. Puis la grande passerelle fut mise en place et les marins purent sortir en premier, leurs visages trahissant une certaine nervosité mêlée à l'excitation. Ils étaient de retour, en sécurité, après des semaines de voyage. Les trois amis suivirent le mouvement, noyés dans la masse qui avait envahi le quai.

— Alors Long John, tu vas faire quoi maintenant ? demanda Gonzo en caressant une dernière fois le petit perroquet espiègle.

— Ah, tu sais bien. Naviguer sur les mers, voler, piller, détrousser. La routine, quoi !

— Si t’y penses, ramène-moi un souvenir, d’accord ?

Silver éclata de rire, puis il tendit la main au muppet qui la serra fraternellement.

— À une prochaine fois, les jeunes. Restez loin des ennuis !

Il lança un clin d’œil amical à Polly qui acquiesça avec un sourire joyeux, et Gonzo ajouta :

— Et Jim ? Tu ne l’attends pas pour lui dire au revoir ?

— Ne t’inquiète pas, les grands esprits finissent toujours par se retrouver !

Pendant qu’il parlait son regard se leva vers le capitaine, encore à bord. Ils se regardèrent, parfaitement immobile, semblant tout se dire avec leurs yeux. Puis le pirate fit un léger signe de tête et quitta les deux muppets, Flint fidèle à ses côtés. Ils disparurent tous deux dans la foule compacte.

— Sacré Long John ! Ses phrases sont si mystérieuses !

— Je crois que ça voulait plutôt dire : Je vais attendre que Jim soit seul pour lui faire des adieux convenables ! rectifia la paonne avec malice.

— Oh ! Le langage pirate, c’est quelque chose !

Pendant ce temps, les soldats avaient fini par débarquer à leur tour. Leurs bottes claquaient avec discipline contre le bois du pont, et Jim remarqua que certains hommes avaient le regard ailleurs, cherchant leurs proches parmi la foule. Des mères, des épouses, des enfants, les attendaient en bas, criant des noms, agitant des mouchoirs. Les officiers donnèrent leurs derniers ordres, puis descendirent à leur tour, le saluant d’un signe de tête respectueux. 

Le capitaine inspira profondément. Il était maintenant le dernier. Le pont du navire semblait étrangement silencieux à présent que les rires et les discussions des soldats s’étaient éteints. Pour la première fois depuis des semaines, il se retrouva seul à bord, sans l’agitation habituelle qui avait rythmé son quotidien. Son regard balaya une dernière fois son navire, avant de descendre lentement vers le quai où l’attendait la garde royale, prête à l’escorter pour le débriefing officiel et la remise du trésor. 

Il observa une dernière fois ses hommes en pleine effervescence, cherchant leurs proches, riant et pleurant parfois. Il vit du coin de l’œil une femme s’effondrer en larmes, tombant à genou au pied d’un soldat qui se baissa alors pour la consoler. Oui, il n’y aurait pas que des joyeuses retrouvailles aujourd’hui. Certains devraient faire le deuil d’un être dont le corps reposait maintenant à des lieux de leur foyer.

— Jim !

Alors qu’il s’approchait de la diligence Gonzo courut vers lui, tenant sa compagne par la main.

— Gonzo, Polly ! Je commençais à m’inquiéter de ne pas vous voir ! Montez vite, nous sommes attendus dans le quartier militaire !

— Justement on voulait te dire, on ne va pas avec toi ! Polly a envie de découvrir la ville, alors on va aller se balader puis on se cherchera une auberge pour la nuit !

— Oh. Mais, quand nous rejoignons-nous ?

— On ne sait pas trop ! On se disait qu’on pourrait te laisser finir tes affaires de capitaine, puis on se rejoindrait à l’auberge Benbow d’ici quelques jours ?

— Mais… ça va aller, seuls tous les deux ? demanda-t-il, un peu inquiet.

— Pourquoi ça n’irait pas ? Il ne va rien nous arriver, tu sais ! Si jamais tu es à la maison avant nous, dis à Rizzo de nous laisser un morceau du repas !

Ils s’étreignirent affectueusement, Jim encore un peu étonné de ce retournement de situation. Puis ils se détachèrent et il observa les deux muppets disparaitre joyeusement dans la foule. Gonzo, si confiant et sûr de lui, était devenu quelqu’un d’autre. Le petit muppet craintif qu’il avait connu avait fait place à un aventurier plein d’assurance. Pourtant, une petite part de lui s’inquiétait toujours pour eux. Mais il savait que tant qu’ils seraient ensemble, ils pourraient toujours compter l’un sur l’autre.

Quelques officiers de haut rang l'accueillirent d’un air solennel à la sortie de la diligence, dans les quartiers militaires de la ville.

— Votre mission fut un succès, Capitaine Hawkins. La Perle est en sécurité ? demanda l’un d’eux. 

Il hocha la tête, prenant soin de remettre un dossier contenant son rapport. L’officier parut satisfait.

— Parfait, elle sera remise à la Couronne dès cette après-midi.

Le débriefing se fit sans encombre, les officiers lui adressant des regards admiratifs tandis que Jim révélait les moindres détails de l’aventure… ou presque. Polly était morte avec le reste des pirates, Silver, alias « Rizzo », ne connut pas d’épisode de trahison ou de désobéissance. Il eut un pincement au cœur lorsqu’il annonça le décès du docteur Bennett et fut agacé de voir que personne ne semblait y prêter attention, les secrétaires se contentant d’écrire sur leurs bouts de papier avec rigidité.

Après la réunion, le capitaine fut conduit au bâtiment officiel de Portsmouth où l’attendait un petit comité composé d’un secrétaire royal, de deux amiraux, et d’un représentant de la Couronne. L’atmosphère, solennelle, était imprégnée du poids de l’enjeu. Au centre de la pièce, un large coffre scellé par des gardes contenait la Perle du Kraken. Lorsque Jim et les officiers présentèrent le trésor, le représentant se leva pour accueillir la délégation. Avec une gravité mesurée, il invita le jeune homme à s’approcher.

— Capitaine Hawkins, au nom de Sa Majesté et de l’Empire, nous vous remercions pour avoir mené à bien cette mission d’importance capitale.

Les gardes ouvrirent le coffre et la Perle, resplendissante sous la lumière des chandeliers, sembla illuminer la salle entière. Elle attira instantanément tous les regards et même les officiers les plus aguerris parurent fascinés. Jim, profitant du silence provoqué par l’apparition captivante, prit alors la parole :

— Cette perle n'aurait jamais été en sécurité sans le sacrifice du docteur Samuel Bennett. Il a donné sa vie pour s'assurer que cet artefact puisse être remis à la Couronne. Je vous demande humblement de faire en sorte que, lorsque la Perle sera exposée, le nom du docteur Bennett y figure en bonne place. Il mérite que son dévouement et ses connaissances soit gravé dans l'Histoire.

Un silence respectueux s’installa. Puis le représentant de la Couronne hocha la tête, visiblement touché par la déclaration de Jim.

— Samuel Bennett recevra tous les honneurs qui lui sont dus. Vous avez notre parole.

Le secrétaire royal s’avança alors pour apposer le sceau sur le document de remise, scellant ainsi le transfert officiel de la Perle à la Couronne. Jim hocha la tête, en signe de respect, tout en ressentant un étrange soulagement : l'aventure touchait enfin à sa fin.

Alors qu’ils sortaient tous de la salle, Jim, pensant qu’il aurait enfin un peu de répit, fut accosté par un des amiraux qui venait de l’accueillir.

— Vous avez une chambre qui vous attend dans nos quartiers. Vous pourrez vous y reposer !

Épuisé, il commença à rêver de la chambre confortable et au lit douillet qui l’attendait lorsque l’amiral reprit :

— J’y penses, Monsieur Hawkins, un illustre ami à moi organise une petite réception ce soir, dans sa résidence près de la plage. Vous nous honoreriez de votre présence !

— J’en serais tout à fait ravi, Amiral, mentit Jim. 

Son lit douillet allait malheureusement devoir attendre…

L’air doux du soir l’accueillit alors qu’il arrivait dans la résidence éclairée par des dizaines de lanternes, accompagné de l’amiral qui l’avait invité. Les jardins étaient somptueux, fraîchement entretenus, et une fontaine au centre de la place provoquait un léger clapotis, couvert par les élégantes discussions. Les femmes portaient de somptueuses robes aux couleurs vives. Leurs rires délicats se mêlaient aux conversations, tandis que les hommes, en redingotes impeccables, sirotaient leur vin avec nonchalance. Un contraste total avec les chants endiablés de l’équipage de l’Invincible, ou les fêtes traditionnelles de son village natal. Il passa une bonne heure à jouer les gentlemans, souriant hypocritement à des bourgeois qui lui demandaient en minaudant :

 — Oh, capitaine Hawkins ! Racontez-nous vos batailles contre les pirates !

Alors il racontait son aventure, tant et si bien qu’il avait l’impression de la revivre une seconde fois. Et les riches aristocrates étaient suspendus à ses lèvres buvant littéralement ses paroles. Mais ces gens, déconnectés de la réalité, n’éprouveraient jamais la peur du combat, l’angoisse de la trahison, ou le dégout d’une vie injustement fauchée. La main potelée de l’un d’eux se posa sur son épaule.

— En tous les cas, vous en avez vécu des choses, pour un capitaine aussi jeune ! J’espère qu’une délicieuse demoiselle vous attend sagement à votre retour ! Parce que sinon, vous savez, vous pourriez trouver un bon parti ici ! 

Le noble fit un clin d’œil aux femmes présentes dans l’assemblée qui ne purent s’empêcher de glousser devant le sous-entendu. Mais le jeune homme resta stoïque et répondit simplement :

— Vous me flattez, Sir. Malheureusement, mon cœur est déjà pris.

Les invitées affichèrent des mines déçues et le noble poursuivit.

— Ah, elle en a de la chance cette jeune fille ! Il y a fort à parier qu’elle doit être charmante !

Jim n’eut aucun besoin de mentir. Son cœur parlait pour lui, et déjà, ses pensées s’envolaient vers John et ses merveilleux sourires.

— Oui… absolument charmante…

Il eut un frisson en songeant qu’à peine quelques heures auparavant, ils s’étaient abandonnés dans une dernière étreinte torride, son corps encore vibrant du souvenir de leurs caresses. Quand allait-il le revoir ?

Après quelques heures, il s’éclipsa discrètement de la fête pour s’offrir un moment de répit au fond du jardin. De là il pouvait voir la plage en contrebas, la lune se reflétant paisiblement dans le calme de la mer. Soudain une petite boule verte se posa sur le muret devant lui, et il fut abasourdit de reconnaître le perroquet.

— Flint ? Mais…

L’oiseau s’envola et Jim le suivit du regard. Là-bas, sur la plage, se tenait une silhouette qu’il reconnut immédiatement.

— John ?

Jetant des regards inquiet autour de lui, il se faufila et alla rejoindre son ami. Celui-ci était déjà redevenu un pirate, vêtu de son élégant tricorne à plume et de son manteau rouge et or.

— John, enfin, tu es fou ! siffla-t-il avec angoisse. Si des gardes te repèrent, tu es un homme mort !

Le pirate ricana, laissant apparaitre sa dent de métal. 

— Depuis des années que je me pavane dans cette tenue et on n’a jamais réussi à m’arrêter ! Tu marches un peu avec moi ?

Ils commencèrent à se promener sur le rivage, longeant l’écume, le bruit des vagues comme seule compagnie.

— Je pensais que tu serais déjà parti… avoua le jeune homme après un moment. 

— Pas encore. Je voulais te faire mes adieux et… te donner quelque chose, aussi.

Long John retira de sa main droite un de ses magnifiques anneaux qui ornaient ses doigts. D’une couleur argenté et réhaussé d’un écusson représentant un Pique, rehaussé d’un minuscule rubis, sur deux os croisés. L’objet, que Jim avait déjà eu l’occasion d’apercevoir, était magnifique. Il saisit délicatement la chevalière, la contemplant avec respect.

— John, c’est un très bel ouvrage. Pourquoi un pareil cadeau ?

— La prochaine fois que tu auras besoin de me trouver, pour quelque raison que ce soit, tu n’auras qu’à montrer cet anneau et les pirates sauront t’emmener à moi.

Il ne sut quoi répondre, profondément touché par la marque de confiance que lui offrait son compagnon. Ce n’était pas un simple bijou qu’il tenait dans sa main, c’était un pont reliant leurs deux univers. John venait de lui offrir son entrée dans le monde des pirates.

— Thorne et Morgane étant morts tous les deux, j’ai deux ou trois affaires à régler avec ma confrérie, poursuivit-il tandis que Jim glissait l’anneau dans sa poche. Cela risque de m’occuper un moment. Mais je veux que tu saches que si tu as besoin de moi, je ne serais pas loin…

Leur regard se croisèrent, et ils surent que le moment tant redouté était venu. Ils s’enlacèrent une dernière fois dans une étreinte forte et chargée d’émotion, repoussant l’inévitable. Le monde autour d’eux s’effaça, ne laissant plus que la mer, le vent, et leurs cœurs battant à l’unisson. Il ferma les yeux, sentant le puissant parfum, ses cheveux entre ses doigts et sa peau contre la sienne, ancrant ces sensations dans sa mémoire. Puis il se détacha légèrement et, ancré dans la pâleur de ses yeux, exprima ses sentiments une bonne fois pour toute.

— Je t’aime.

Il savait qu’il ne répondrait pas. Il ne répondrait probablement jamais. Mais le pirate ne le rejeta pas. Il l’attira à lui avec ferveur, leurs lèvres scellant un dernier serment silencieux et passionné. Ils eurent toutes les peines du monde à le briser. Ce fut Jim qui se détacha en premier, signe pour eux qu’il était temps de partir. Après s’être une dernière fois abreuvé dans ses iris verdoyantes, Silver se détourna et il le regarda s’éloigner, la gorge serrée. Son ombre se découpa contre les lanternes du port, puis s’effaça dans la nuit. Le cœur encore battant d’émotion, il sortit de nouveau la chevalière et la contempla avec mélancolie, un sourire doux-amer sur les lèvres. C’était la plus belle preuve d’amour que John avait pu lui faire.

Cette aventure, plus intense encore que celle de l'île au trésor, les avait changés en profondeur. Caressant doucement l'anneau, maintenant symbole de leur lien indéfectible, Jim n’oublierait jamais ce qu'il avait appris aux côtés de Long John Silver, ni la passion qui les unissait. Le regard tourné vers l'horizon où les étoiles se fondaient dans la mer, il savait que, malgré la séparation, leurs destins se croiseraient à nouveau. Car certains trésors, une fois trouvés, ne peuvent être perdus.

Laisser un commentaire ?