La Belle et la Bête - une version originale

Chapitre 2 : Le Prince Balafré

3584 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 09/11/2016 13:15

Premier chapitre : Le Balafré (La Bête)

 

Le royaume arborait un ciel sans étoile. Un grand vent soufflait, cherchant à tout balayer sur son passage. Adossé à la fenêtre de sa chambre, Adam semblait s'ennuyer. Son regard allait et venait avec nonchalance sur les parcelles de son jardin.« M... maître ?Adam sursauta et lança un regard furieux à celui qui l'avait sorti de sa rêverie. Lumière, le premier valet du prince, se tenait devant lui. Visiblement gêné et stressé d'avoir déranger le souverain, il tremblait de tout son long.- Quoi encore ? Vociféra Adam.- Quelqu'un... désire... vous... voir, maître, balbutia Lumière tout en fixant ses souliers.Le Prince afficha un air consterné.- Personne ne vient jamais dans ce fichu château à cette heure. Personne ne vient dans ce château tout court ! Hurla t-il. Alors peux-tu m'expliquer pourquoi quelqu'un serait là devant ma porte ?

Lumière dégluti et chuchota :

- C'est une vieille dame. Elle désire entrer et vous parler.- Qu'elle s'en aille. J'ai d'autres chats à fouetter ! Comme tu le vois... je suis un homme très occupé.- Certes monseigneur... mais elle insiste. Elle ne veut pas partir...Adam grogna et, maudissant cette dame qui le dérangeait, quitta sa chambre d'un pas ferme, tout en prenant soin de ne pas éviter Lumière sur son passage. Ce dernier tomba à terre mais se releva immédiatement et couru à la poursuite du prince.Adam parcouru un dédale de couloirs plus somptueux les uns que les autres et tourna à une intersection, pour aboutir sur un grand escalier de marbre qu'il dévala quatre à quatre. Lumière tentait de le suivre tant bien que mal et eut bien du mal à ne pas glisser sur les marches blanches et grises.Arrivé en bas de l'escalier, Adam inspecta ses cheveux devant le grand miroir.- Quelle horreur ! Grimaça t-il. Lumière ! Rappelle moi d'engager une autre coiffeuse, mes cheveux sont un désastre.- B... bien maître.Le valet prit ensuite le devant de la course, et alors qu'ils passaient dans le grand couloir qui les menaient à la grande porte d'entrée, il réprima les gardes dormeurs d'un regard lourd.Deux gardes arrivèrent ensuite et, après une légère courbette en direction du prince, saisirent chacun une poignée d'or massif de la grande porte. Celle-ci s'ouvrit dans un grand fracas, et une bourrasque de vent s'engouffra dans le château. Le prince frissonna.Deux yeux jaunes le fixaient dans la nuit obscure.- Bonsoir, dit une voix enraillée.Le prince ne la salua pas en retour mais se contenta de fixer l'endroit d'où venait la voix.- Puis-je entrer ? Continua la voix.- Peut être que vous feriez mieux de sortir de l'ombre, siffla le prince, agacé.- Certes, lui répondit la voix.Et, joignant le geste à la parole, apparue dans la lumière des bougies et chandeliers une très vieille femme à l'apparence douteuse. Le visage ensevelit de peau grasse d'un côté et un œil à moitié fermé de l'autre, cette dame était dotée de guenilles crasseuses. Une canne de bois bien trop grande pour elle lui servait d’appui ; elle tenait fermement dans sa main quelque chose qui ressemblait fortement à une rose.Le prince ne put contenir son dégoût et grimaça. Puis, tentant de ne pas regarder la vieille femme qui faisait horreur à sa vue, il lui dit :- Que voulez-vous ?Son interlocutrice lui répondit très lentement mais d'une voix affirmée :- Je désirerais le gîte pour ce soir monseigneur. Il fait bien noir et bien froid. Ma maisonnée est bien trop loin. Je vous offrirais la rose que je tiens en gage de paiement et de reconnaissance.Le prince eut un moment de silence, puis éclata d'un rire moqueur.- Non la vieille. Mon château n'est pas ta maisonnée, et encore moins un gîte. Va donc demander la charité ailleurs !Adam allait tourner les talons, mais la vieille femme cloua son regard dans celui du prince.- Puis-je demander la raison de ce refus ?Le souverain eut un petit rire.- Allons donc la vieille, au delà de la dignité de mon château et de mes aïeux qui m'interdit de faire entrer n'importe quel pecnot, est-ce que vous vous êtes bien regardée ?Le valet Lumière, qui jusque là était resté silencieux, crut bon d'intervenir.- M... maître... ce n'est pas très... correcte...- Qu'importe ! Répondit violemment le prince en levant le bras et manquant de peu de gifler plus ou moins par erreur le valet.- Vous savez monseigneur, vous ne devriez pas juger sur l'apparence, murmura la vieille femme. L'apparence n'est pas la vraie beauté.- Ah bon ? S'étonna faussement le prince. Et quelle est donc la « vraie beauté » selon vous ?- La vraie beauté... vient de l’intérieur, lui répondit simplement la vieille femme en désignant la partie gauche de la poitrine du prince, là donc où se situait son cœur.- Balivernes ! Cria le prince. Lumière, fais-moi fermer ces portes !Mais Lumière n'eut le temps de rien faire. Une vive lueur émanant de la vieille femme lui fit perdre tous ses repères. Le prince, tout aussi aveuglé par éclat presque surnaturel, fut abasourdi par ce qu'il vit apparaître devant lui.A la place de la vieille femme tout en guenilles, se tenait une magnifique jeune-femme dotée d'une cascade de cheveux blond et soyeux, ainsi que d'une robe et d'une parure plus brillants et enchanteresses que du diamant. Le bâton que tenait la jeune-femme n'en était plus un, il avait fait place à une grande baguette argentée.Le prince essaya d'ouvrir la bouche pour parler, mais un éclair lui coupa le souffle. La jeune-femme et son aura enchanteresse plongea ses prunelles dans celle d'Adam.- Merci mon prince. Je viens de voir la vraie nature de ton cœur, souffla t-elle.Le prince tenta de dire quelque chose pour justifier son geste mais il était trop tard : son destin était bel et bien scellé.Adam se jeta à genoux devant la jeune-femme et implora son pardon de toutes ses forces. Mais la jeune-femme ne voulut rien savoir, et pointa sa baguette en direction du prince, puis du château, condamnant le souverain et ses sujets à une terrible malédiction.Le visage du prince ainsi que tout son corps, se mirent à frémir.- Monseigneur, puisque l'apparence physique compte tant pour vous, j'espère que vous ferez bon usage d'une apparence physique qui sied avec votre cœur rempli de haine. Vous et vos subordonnés ne pourrez jamais quitter ce château. Adieu. »Adam senti comme une énième bourrasque de vent et lorsqu'il rouvrit les yeux, la jeune-femme enchanteresse avait disparue.Le Prince senti tout d'un coup que quelque chose n'était pas normal lorsqu'il se rendit compte qu'il tremblait de tous ses membres. Lumière, qui était devant lui, se mit tout d'un coup à hurler. Son cri strident se répandit dans tout le château et glaça le sang de tous ceux qui s'y trouvaient.Le souverain tenta de demander à son valet ce qu'il y avait d'anormal, et allait le réprimer pour son hurlement, mais Lumière s'enfuit, probablement terrassé par la peur.Son maître grogna mais eut un hoquet de stupeur lorsqu'il aperçut ses mains.« Qu'est-ce que... »Ses mains, autrefois belles et fines, avec des doigts élégants et des ongles parfaits, étaient devenues caleuses et froides. Ses paumes étaient zébrées de cicatrices, des poils drus et fermes avaient poussés sur ses phalanges et ses ongles étaient aussi noirs et crasseux que ceux du plus pauvre des hommes.Adam hurla.Son premier réflexe fut de courir aussi vite qu'il le put pour aller devant le miroir dans le hall, près des escaliers. Sans perdre de temps, Adam enleva ce qu'il avait sur le torse et hurla de nouveau. Son torse, ses bras nus ainsi que son dos étaient dans le même état que ses mains.Ce fut au bout de quelques secondes qu'Adam leva enfin la tête. Le prince crut alors qu'il allait tourner de l’œil : son visage n'était plus son visage. Où étaient passés ses cheveux soyeux et châtains ? Où étaient passées ses belles joues couleur pêche et ses lèvres prunes ?Le constat était plus qu'alarmant : sourcils broussailleux, lèvres boursouflées, traits bâtards et joues balafrées étaient à présent ce qui composaient le visage d'Adam. Trop de cicatrices pour toutes les compter et trop tristesse et de rage dans ses yeux pour qu'il puisse les exprimer.Parmi toutes les cicatrices qui hantaient désormais son faciès, une apparaissait inévitablement plus que les autres, barrant d'un trait son œil gauche, du milieu de son front jusqu'à ses lèvres.S'en fut trop pour Adam. Lui, qui s'adulait plus que tout et qui aimait qu'on l'admire, se trouvait être le plus affreux des hommes. Aussi belliqueux, poilu et grossier qu'une bête.Tout d'un coup, tout devint noir autour du Prince. Il se sentit juste tomber dans le vide et s'enfoncer plus bas que terre.Adam mit du temps avant de réaliser ce qu'il se passait. Où était-il ? Que faisait-il ?Etait-il mort ? Ou au Paradis ? Etait-il éveillé ? Ou dans un sommeil apaisé ?

« Adam, assez de pensée. Je dois vous parler.Adam crut alors ouvrir les yeux ; une infinité de blanc s'élançait devant lui. Il posa enfin son regard sur une lumière devant lui. Lumière qui, au fur et à mesure des secondes, se métamorphosa. Le prince eut un mouvement de recul lorsqu'il reconnu la créature enchanteresse qui s'était déguisée en vieille femme.- Que voulez-vous ? Demanda t-il, méfiant.- Vous expliquer ce que j'attends de vous, répondit la jeune-femme doucement.Adam eut un rire hypocrite.- Ce que vous attendez de moi ? Que voulez-vous que je fasse dans cet... accoutrement ?La créature fronça les sourcils.- Cet accoutrement, comme vous le nommez, est celui qui représente le mieux votre personnalité aux yeux du monde.Le souverain déglutit. Pour la première fois peut-être de sa vie, il se demandait bien ce qu'il avait bien fait de si grave au monde pour être si repoussant.

 

- J'ai sondé votre cœur Adam, poursuivit la créature. Et j'y ais vu du bon. Cela remonte à bien loin, mais je me dois de le prendre en compte. Aussi, c'est pour cela que je réapparais devant vous. Je vais vous donner une chance.- Vous allez me rendre mon apparence normale ? Demanda Adam, soudain plein d'espoir.- Je ne peu hélas défaire ce qui a été fait. Mais je peux vous aider à vous en défaire en ajoutant à cette malédiction qui est la votre une échappatoire.- Dites-moi tout! S’écria Adam presque dans un sanglot. Je suis prêt à tout pour redevenir comme avant.La jeune-femme parut hésiter: son visage s'assombrit un instant, puis elle tendit sa main vers Adam. Une rose, la même que celle qu'elle tenait auparavant dans l'entrée du château, apparue dans sa main. Elle semblait flotter et envoyait autour d'elle de puissants rayons rosés.

- Voici une rose, clef la plus importante de votre salut. Conservez-la puisqu'elle vous indique le temps que vous avez après votre 26ème anniversaire.

- D'accord, une rose...- Écoutez bien ce que je vais vous dire monseigneur. Pour que la malédiction vous quitte à tout jamais et vous libère vous et vos subordonnés, vous allez devoir me prouver que l'on peut vous aimer. Aussi, le temps que la rose se fane, vous devrez aimer une femme et vous faire aimer en retour. Si le dernier pétale de la rose chute, la malédiction perdurera pour le reste de votre vie, et vous conserverez à jamais votre apparence.

La jeune-femme s'approcha d'Adam et lui donna la rose avec précaution.- J'ai aussi autre chose pour vous, continua la créature. Un miroir magique. Ce dernier, bien que vieux et un peu démodé, vous aidera à rester en contact avec les mondes extérieurs à votre château.Adam sera le miroir contre lui mais ne prononça aucun mot. Il en fut le premier étonné, mais songea que cela devait s'agir du choc émotionnel dans lequel il était.

- J'espère que vous prendrez au sérieux tout ce que je vous ais dit. N'oubliez pas qu'il faut vous faire aimer en retour d'une personne que vous aimez... adieu maintenant. »

Et, dans quelque chose qui ressemblait vaguement à un tourbillon d'étoiles et de poussière, la créature disparue.Adam, quant à lui, sentit ses paupières devenir lourdes et fut contraint de fermer ses yeux.

Il sentit qu'il rêvait, mais son cerveau allait à vives allures. Il savait que le temps lui était compté.

Ce fut certainement cela qui le réveilla, malgré les braillements et gémissements de Lumière qui pleurnichait à côté de son maître. Ce dernier ne se rendit même pas compte qu'il était dans son lit et se leva d'un bon.

« Lumière, que s'est-il passé ? Balbutia t-il, ne sachant plus s'il se trouvait dans un rêve ou dans la réalité.Le pauvre valet ravala ses larmes et tenta de remettre le prince dans son lit, mais sans succès.Adam fixa sa chambre et eut un sursaut lorsqu'il aperçut sur sa table de nuit la rose et le miroir.- Tout cela était donc vrai alors...murmura t-il d'une voix brisée.- M... maître... tout finira par s'arranger, couina Lumière tout en revêtant son souverain d'une robe de chambre.- « Tout finira par s'arranger » ? Tu veux plaisanter ? Hurla Adam en postillonnant par terre.- Heu... oui... ? Coassa le valet timidement.- Est-ce que tu m'as bien regardé Lumière ? Je suis horrible! Je suis balafré! Je suis un monstre!

Adam se prit la tête entre les mains, s'assit sur le rebord de son lit et poussa un grognement qui traduisait bel et bien sa transformation. Son valet eut un mouvement de recul puis tenta maladroitement de redonner du courage à son maître :

- Voyons Maître, il n'y a pas vraiment à désespérer!

Le prince retira ses mains et lança un regard noir à son interlocuteur.- Lumière, je pense que tu n'as pas compris. Nous sommes piégés! Tant que la malédiction est là, nous ne pouvons sortir du château, et je suis condamné à avoir cette apparence hideuse!Le valet ne répondit rien et s'éclaircit la gorge, comme si quelque chose le tracassait.- M... maître... en parlant du cha... château... vous devriez venir dans le jardin...- Pourquoi donc ?- Je crains que la malédiction ne se soit étendue à l'édifice...Adam émit un gémissement.- Je suis réellement perdu... se lamenta t-il.- M... maître ?- Quoi encore ?Lumière s'éloigna d'un pas et hésita quelques secondes avant de répondre :- La malédiction s'est étendue non seulement à l'extérieur mais aussi à l'intérieur du château... Tous les serviteurs, exceptés moi, Big Ben et quelques autres, ont été transformés en statues et ornent votre jardin.

 

S'en fut trop pour le prince. Dans un mouvement de râge, il fit tomber le pauvre Lumière et quitta sa chambre, furieux. « Maudite sorcière! Toi et ta malédiction... Si jamais je te retrouve! »

Ses pas l'emmenèrent malgré lui dans le jardin où il eut l'horreur de constater que les dires de son valet étaient vrais.

Ce dernier arriva tout essoufflé et se posta derrière le prince.

- Maître... nous ne pouvons pas les laisser comme ça... et vous non plus... balbutia t-il.- Tu as raison, approuva le prince sans sourciller.- Mais comment allons-nous faire ? Se lamenta Lumière soudain pris par une crise de panique.Adam se retourna et posa sa main sur l'épaule de son serviteur.- Nous allons faire du mieux que nous pouvons : nous avons jusqu'à ce que la rose fane pour trouver une jeune-femme convenable pour moi, qui saura m'aimer et que je saurais aimer. »Adam tenta d'expliquer alors tant bien que mal à son serviteur sa deuxième rencontre avec la créature.Lumière parut perplexe et regarda son seigneur retourner à l'intérieur du château lorsqu'il eut fini de parler, avec une nouvelle énergie.

- Le prince est faussement optimiste, dit une voix derrière le valet.Ce dernier se retourna et fit fasse à Big Ben, qui le fixait durement.

- Je le comprend. Lui qui était si adulé et désiré par les femmes, il va devoir en trouver une qui l'accepte pour ce qu'il est.- Si j'ai bien entendu, le temps nous est compté, Lumière.- Le prince n'a que 23 ans. Nous avons du temps... » tenta de se rassurer Lumière.

Deux grandes et interminables années passèrent. Le Château commençait à tomber en ruine, faute d'arrangement et Adam, qui se faisait désormais appeler le Prince Balafré, errait dans son domaine telle une âme en peine.Scrutant le moindre mouvement de la rose qu'il avait placé précieusement sous une cloche dans la plus haute tour de se demeure, il perdait petit à petit espoir de ne jamais redevenir comme avant.Car en réalité, qui pourrait un jour aimer une bête ?

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