Villes mortes

Chapitre 1 : Villes mortes

Chapitre final

1817 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 29/10/2021 16:09

Villes mortes


Cette fanfiction participe aux Défis d’écriture du forum Fanfictions.fr : Je ne suis pas un héros ! - (septembre octobre 2021)


Aníbal Cortés se leva ce matin-là avec un petit sourire. Aujourd’hui, tel un enfant, il se réjouissait de fêter son anniversaire. 70 ans. Il avait dû faire exploser les records de longévités de malfrats. À son âge, il avait enfin cessé de s’inquiéter de la solitude. Je ne veux pas vieillir seul, s’était-il toujours dit. Et pourtant, il avait fini par l’être : vieux et seul. Après quelques années de prison, puis de fuite, il ne s’était pas aperçu que les premières rides étaient déjà arrivées.

Un matin, vers quarante ans, il s’était levé et il avait vu ses boucles blanchir, son visage se flétrir et enfin il avait fait son deuil. Après quoi, il avait quitté l’Espagne. Loin de toute cette histoire. Il avait fait le choix de l’Islande, il y faisait froid, été comme hiver. Rien pour lui rappeler toute cette histoire.

Trente ans plus tard, il avait reçu une lettre. Montrant que le Professeur avait toujours su où il était. Aníbal n’en avait pas été étonné. La lettre était écrite à la main, les lettres tremblaient montrant que Lisbonne avait, elle aussi, vieillie. Le Professeur est mort, quatre mots. Pas plus. Pas moins. Et finalement, Aníbal était parti pour l’Espagne. Home sweet home.


C’était sous sa fausse identité qu’il était revenu : Arturo Oliveira. À quarante-cinq ans, il avait trouvé ça drôle de prendre le prénom d’un otage et le nom de celle qu’il avait le plus aimé. À présent, la blague le faisait beaucoup moins rire. En fin de compte, personne ne l’avait attendu à l’aéroport. Les services spéciaux ne devaient plus le considérer comme menace. L’âge attendrit.

Aníbal était venu sans craindre d’être arrêté. Au pire, à son âge, une maison d’arrêt c’était un peu comme une maison de retraite. Nourri, logé, blanchi. Et surtout, il avait ressenti le besoin de venir.

Avec Lisbonne, ils s’étaient accordés pour se retrouver dans deux jours. Pourtant, il était déjà là. Devant la fameuse maison de Tolède. Pendant vingt ans, elle avait été un lieu touristique. La maison où les braqueurs les plus pugnaces d’Europe avaient vécu. Longtemps, il n’avait pas compris ce mot. Puis, en daignant finalement rechercher sa définition sur internet, Aníbal avait fini par comprendre pourquoi on l’utilisait lorsqu’on parlait des Dali.

Après vingt ans de succès, les Espagnols avaient enfin tourné la page des Dali. Et la maison était tombée en ruine. Aujourd’hui, il semblait qu’elle avait été rachetée. Pourtant, tout paraissait comme avant, comme son premier jour là-bas. Le jour où il avait rencontré Tokyo. Qu’elle était belle, impétueuse et… pugnace ! Il sourit, fier de pouvoir utiliser le terme.


Une voiture s’approcha. Aníbal ne chercha pas à se cacher. Il l’avait suffisamment fait au cours de sa vie, pour comprendre que cela ne servait à rien. On finissait toujours par trouver celui qui se cachait. Parce que, quand on se cache, on pue la crainte et l’angoisse d’être retrouvé.

La voiture déboucha dans l’allée qui menait à la maison. Au moteur, Aníbal comprit qu’il s’agissait d’une vieille voiture. Des années 1990, peut-être 2000. Qui roule encore avec ça ? Puis il vit la couleur rouge délavée et il crut halluciner. C’était une Seat Ibiza de 1992. Une rouge. Comme celle qu’avait le Professeur au moment de leur casse. Était-ce la même ou une drôle de coïncidence ?

Ça n’existe pas, les coïncidences, aurait dit Tokyo.

Et elle aurait certainement eu raison. La vie qu’Aníbal a menée en était la preuve. Tout avait toujours été calculé. Par la police ou par le Professeur. Jamais il n’avait été libre à 100% dans ses décisions. Pour un gars incertain comme lui, c’était sûrement une bonne chose. Il n’aurait pas été jusqu’à ses 70 ans sinon. Peut-être aurait-il mieux valu ?


Aníbal eut un raté cardiaque. Ou peut-être s’était-il étouffé ? En tous cas, sa vision de la personne dans la voiture l’avait mis sur le cul. Bordel de merde ! Que foutait Nairobi par ici ?

Puis, son esprit redevint clair. Nairobi était morte. Pour le sauver. La femme dans la voiture n’était juste qu’une pâle copie de son ancienne amie. La copie sortit et Aníbal rit intérieurement d’avoir pu la confondre avec la grande dame qu’il avait connue. Elle n’avait rien à voir si ce n’est la coiffure et le nez. Rah, qu’est-ce qu’il avait fantasmé sur ce nez en étant jeune ! Bien sûr, il n’avait rien dit à Tokyo. Elle l’aurait privé de relations sexuelles s’il l’avait fait. Et le gamin de 20 ans qu’il avait été, n’aurait jamais supporté ça.


La femme s’approcha de lui, presqu’en sautillant. Rien à voir avec la classe de Nairobi. Mais le côté enfantin lui rappela plutôt Tokyo.

« Bienvenue chez vous, monsieur Rio. Vous n’avez quasiment pas changé ! Comme dans mes souvenirs d’enfance ! »

S’il avait été armé, Aníbal aurait posé la main sur son flingue. À défaut, son cerveau tentait d’analyser les possibilités le plus vite possible. Mais il n’était ni un bon ordinateur, ni le Professeur. La réflexion n’était toujours pas son fort.


L’inconnue tourna la clé dans l’immense porte d’entrée de la longère. Entra et laissa ouvert, faisant comprendre que Rio pouvait la suivre.

« Rien n’a bougé, soyez-en sûr. J’ai protégé ce petit bijou du mieux que je pouvais. Elle m’a quand même coûté quinze millions d’euro à l’époque. C’était il y a presque vingt ans. On parlait encore en euro, rendez-vous compte ! »

Elle se dirigea vers la pièce où Moscou avait tant cuisiné, tantôt accompagné de Nairobi, tantôt de Berlin. Le cœur d’Aníbal se crispa. Des fantômes hantaient certainement cette cuisine.

L’inconnue prépara un café, qui, rien qu’à l’odeur, annonçait qu’il allait être serré. Tant mieux. Il lui remettrait les idées en place. La femme s’assit après avoir fait couler les deux expressos.

« Je suis ravie de vous revoir ! À l’époque, j’avais presque dix ans et j’avais tout suivi à la télévision ! Le braquage de la Fabrique nationale, puis les zeppelins et enfin la Banque d’Espagne ! Ah c’était magistral ! C’étaient vous contre le reste du monde. Mes parents me parlaient de vous comme d’un espoir. Le bas peuple avait enfin une voix grâce à vous. Je vous suis tant redevable !

- Redevable ? »

La femme hocha de la tête tout en souriant largement. Aníbal vit que ses mains tremblaient d’excitation alors qu’elle fouillait dans son sac.

« Voilà, je l’ai. »

Elle lui tendit une vieille photo imprimée. Dessus une enfant habillée de rouge, un masque de Dali remonté sur ses longs cheveux raides, souriait à pleines dents. Aníbal n’eut aucune difficulté à reconnaître les traits de la femme face à lui. La photo avait été prise devant la Banque d’Espagne et la date à l’arrière de l’impression indiqua qu’au moment de sa capture, ils étaient encore à l’intérieur. Aníbal connaissait parfaitement le déroulé des actions au cours du braquage. À cet instant-là, Nairobi avait été tué, mais tous encore, à l’extérieur, l’ignoraient.

« Grâce à vous, ma vie a pris un sens. À vous regarder, à suivre votre combat, l’enfant que j’étais s’est fait une promesse. Grâce à vous, je me suis toujours battue pour mes convictions, mes rêves, ma liberté. Et surtout pour les autres. Comme vous l’aviez fait.

- C’est là que je dois vous arrêter, madame. Vous vous trompez.

- Je vous demande pardon ? »

Aníbal avala d’une traite son café. Il était effectivement très serré. Après une grimace, il se leva. Son regard parcouru une nouvelle fois la cuisine. Il se remémora une scène : lui embrassant passionnément Tokyo. Le Professeur leur avait pourtant interdit toute relation intime. Mais le gamin qu’il avait été brûlait de passion.

Il secoua la tête. Tout cela, c’était fini. Depuis longtemps. Cette maison appartenait au passé. Ces souvenirs appartenaient au passé. Et cette femme était restée coincée dans ce passé.

« Madame, je suis désolé de vous dire cela seulement maintenant. Mais vos souvenirs sont erronés. Nous n’étions pas des révolutionnaires. Il n’y avait rien d’héroïque dans nos actions. Nous vous utilisions, vous, ce que vous appelez ‘bas peuple’ n’était pour nous qu’un moyen de pression. Nous utilisions l’opinion publique pour arriver à nos fins. Nous nous en foutions de vous.

- Vous mentez !

- Parce que vous croyez que Berlin, que Moscou, que Nairobi, Oslo et Tokyo sont morts pour des idéaux ?! Oh non ! C’était juste pour la thune et notre liberté. Mais pas celle des Espagnols.

- Mais cette guerre contre le pouvoir en place ? Ce putsch ?

- Un putsch ? Non, madame, c’était qu’une affaire de circonstances organisées et maitrisées par le Professeur. Le seul moyen d’être libre, madame, c’est en piétinant les autres. On a piétiné nos otages, on leur a juste offert de beaux syndromes post-traumatiques. Rien de plus. Pas même un centime, pas même une seconde de liberté. En fait, madame, nous sommes justes des salauds. Des putains de salauds morts en portant des noms de villes, morts sans avoir vraiment été libres. Nous sommes juste la représentation de l’échec. Cette maison est la représentation de l’échec. »

Les mains de la femme avaient cessé de trembler. Ses bras pendaient le long de son corps affalé sur la chaise. Ses yeux, secs, fixaient sans comprendre Aníbal qui quittait déjà la longère. Voilà, Rio était enfin mort. Aníbal était enfin libre de vivre comme il le souhaitait. Loin du souvenir de Tokyo qui l’avait toujours hanté.



Laisser un commentaire ?