Un Vide de Vérité

Chapitre 4 : Chocolat

2046 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 24/09/2020 23:51

Epaule contre épaule, Elsa et Anna s’étaient installées à même le sol, avec quelques coussins, en face du feu qui s’éteignait doucement. Chacune avec une assiette pleine de gâteau qu’elles mangeaient avec une satisfaction évidente.          La cadette faisait la conversation pour deux, comme souvent. Elle savait par expérience que sa sœur ne s’ouvrait pas facilement au sujet de leurs parents, encore moins quand il était question de son isolement. Alors en attendant qu’Elsa soit prête à aborder le sujet, elle babillait gentiment. Anna s’inquiétait toujours pour sa sœur. Depuis aussi longtemps qu’il lui était possible de se souvenir. Enfant, elle avait passé de longues heures devant la porte à tenter d’attirer l’attention d’Elsa, les chansons, les suppliques, les menaces, rien n’avait réussi à faire ouvrir cette fichue porte.

Même chose du côté de leurs parents qui étaient restés complètement sourds à ses protestations et à ses questions légitimes. D’une certaine façon, peut-être qu’Elsa avait raison, peut-être qu’elle prenait trop de place dans sa vie parce qu’en vérité, Anna n’avait jamais cessé de s’inquiéter. Et maintenant qu’Elsa était devenue le cinquième esprit, qu’elle avait quitté le château, c’était encore pire. Et comment ne pas l’être quand elle se mettait constamment en danger, toujours soucieuse de rétablir les injustices au mépris de sa propre vie, de protéger tout le monde de tout, et surtout d’elle-même. Comme si Elsa était dangereuse. Une petite voix s’éleva pourtant dans sa tête pour lui rappeler que sa sœur avait bien failli la tuer, non pas une, mais deux fois. Oui, mais par accident, toujours par accident, simplement parce qu’il fallait qu’elle apprenne à maitriser ses pouvoirs, à comprendre qu’ils étaient liés à ses émotions. Et que les ignorer, tenter de tout contrôler et de refouler, ne pouvait provoquer qu’un désastre… Et quel désastre…


Anna réalisait petit à petit à quel point l’histoire de leur famille était basée sur le mensonge. Celui de son grand père, puis celui de ses parents et à chaque fois, le résultat fut catastrophique.


« Elsa ?

-Oui Anna ?

-Je sais qu’on s’est déjà fait la promesse de ne plus rien se cacher mais… C’est vraiment important pour moi.

-Je sais, et je te promets que je ne te cache plus rien.

-Et tu penses vraiment que tu prends trop de place dans ma vie ? »


Elsa observa sa part de gâteau un instant, comme si elle pouvait prendre vie et lui répondre à la manière d’un Olaf.


« Je pense que tu avais raison tout à l’heure mais… » Elle fit une pause pour sourire à sa sœur « je ne veux pas que tu laisses ta vie de côté, pour moi.

-Comment ça ? Parce qu’entre nous deux, je suis quand même celle qui a rencontré quelqu’un, au cas où tu n’aurais pas remarqué. »


La remarque malicieuse d’Anna fit rire l’ex reine.


« Effectivement. Mais je sais que tu t’inquiètes toujours pour moi, que tu cherches toujours à me protéger et à prendre soin de moi. Et parfois, je me demande simplement si ce ne serai pas au détriment des autres, comme Kristoff par exemple.

-Est-ce que tu ne fais pas la même chose ? Sauf que toi tu n’hésites pas à me forcer à m’éloigner. »


Elsa marqua un silence. Elle savait très bien à quoi Anna faisait référence, et elle savait aussi que sa cadette souffrait de ses décisions où elle ne lui laissait pas le choix. Et visiblement, sa petite sœur avait décidé qu’un silence en guise de réponse ne lui conviendrait pas, parce qu’elle reprit calmement.


« D’ailleurs, est ce n’est pas ce que tu es en train de faire en essayant de t’éloigner ? N’aurais-tu pas décidé toute seule de ce qui était le mieux pour moi ? »


Etait-ce qu’elle faisait ? Peut-être… Probablement et sans même s’en rendre compte.


« C’est… Possible en effet. Mais je croyais qu’on devait parler des parents ?

-Oh alors ça ! C’est un coup bas ! Je te laisse t’en sortir pour cette fois, mais tu ne perds rien pour attendre ! »


Elsa battit des cils innocemment, et pourtant, si la diversion était efficace, le sujet n’en était pas moins délicat. Anna se releva et lui tendit la main.


« Viens. »


L’ancienne reine prit la main de sa sœur et la suivit dans les couloirs sans même réfléchir.


« Où est ce que tu m’emmènes cette fois ci ?

- Juste dans la chambre. »


Elsa haussa les sourcils, c’était à se demander laquelle des deux cherchait le plus à éviter le sujet.


« Nous ne sommes pas obligés d’en parler si tu ne veux pas.

-Oh si je le veux, mais je veux aussi que tu sois bien, confortable, et en sécurité. »


Et comme il n’y avait rien à répondre à ça, elles se trouvèrent rapidement en vêtements de nuit pour se blottir l’une contre l’autre sous les draps. Anna caressa doucement les cheveux de sa sœur.


« Que voudrais-tu savoir ?

-Comment ils étaient avec toi, est ce qu’ils étaient… proches ? Que disaient-ils sur moi ? Ce genre de chose…

-Hé bien… Comme je m’ennuyais beaucoup, je crois qu’ils essayaient de jouer avec moi autant que possible. Quand les activités du royaume le permettaient bien sûr. Et maintenant je me rends compte à quel point c’est fastidieux ! Tu m’avais caché tout ça quand tu m’as proposé de devenir reine d’Arendelle !

-La couronne te va très bien, le peuple t’adore et tu les adore tout autant en retour.

-Maman me laissait beaucoup faire, Papa, un peu moins. Il préférait me voir au calme avec un livre dans la bibliothèque, que sur un vélo en train de descendre les escaliers. On faisait des parties de cache-cache aussi. Mais le château est tellement grand qu’ils ont fini par m’interdire certaines zones. Une fois ils m’ont cherché pendant si longtemps que Papa s’est fâché.

-Vraiment ?

-Oui, enfin, pas longtemps. Ils m’aidaient à faire mes devoirs à tour de rôle mais je préférais quand c’était maman.

-Oui, moi aussi. Elle était plus compréhensive. »


Anna acquiesça.


« Je ne savais pas que Maman t’aidait aussi à faire tes devoirs.

-Si, Papa aussi. Je suppose que lorsque l’un des deux était avec moi…

-L’autre était avec moi. Mais la plupart du temps, j’étais toute seule. Nos parents étaient très occupés avec le royaume.

-Ou à chercher une solution pour moi…

-Ne fais pas ça Elsa, s’il te plait. Ne culpabilise pas pour quelque chose dont tu n’es pas responsable. C’était leur décision et… Elle n’était pas bonne mais… C’était leur choix, pas le tiens. Ils n’ont pas su gérer la situation.

-J’ai l’impression d’avoir perdu tellement de temps et de t’avoir privée de tellement de choses.

-Je ne suis pas la seule à avoir été privée de plein de choses. Et… Du peu que tu m’as dit… Ma place était quand même plus agréable que la tienne. »


Elsa ferma les yeux contre sa sœur, le poids de la solitude l’écrasa de nouveau. Anna avait raison, il lui fallait un lieu où elle se sente bien et en sécurité pour aborder ces sujets. Et ici, tout contre sa sœur qui l’enlaçait tendrement, c’était l’endroit idéal pour chasser ses démons.


« J’avais tellement peur de faire du mal autour de moi…

-Papa et maman disaient que tu avais une maladie rare, que tu allais bien mais qu’il fallait éviter tout contact avec toi pour te préserver.

-Oui… Ou pour préserver les autres. »


Anna resserra davantage son étreinte avant de reprendre.


« Ils me lisaient toujours une histoire le soir, parfois tous les deux, parfois seuls. Et pendant les repas, je racontais toujours ce que je faisais la journée, c’était une sorte de rituelle je crois. »


Ce qui sonnait finalement comme une enfance presque ordinaire. Si l’on exceptait la grande sœur malade, seule, dans sa chambre, l’absence de sortie, et les portes du château toujours fermées.


« Plus je grandissais, plus je posais des questions sur toi et plus je demandais à te voir. Je ne comprenais pas pourquoi que tu ne me répondais pas. Il m’arrivait même de me demander si tu étais toujours en vie. Les réponses de papa et maman étaient évasives. Il fallait éviter les contacts, d’accord, mais qu’est ce qui t’empêchait de me parler ?

-J’avais peur que tu veuilles rentrer et que je te fasse du mal, encore une fois. Mes pouvoirs étaient incontrôlables à cette période. Ma chambre était très souvent complètement givrée, et plus j’essayais de me contrôler, plus la glace s’étendait, plus j’avais peur et… ça ne s’arrêtait jamais. Les gants ont aidé, un peu… »


Le silence tomba quelques minutes dans la chambre, chacune perdue dans leurs souvenirs. Elsa reprit la parole la première.


« Anna ?

-Oui ?

-Tu as lu les carnets de papa ?

-Juste les quelques pages que je t’ai montrées. Je ne suis pas sûre qu’il y ait grand-chose à lire, ça ressemble surtout à des études sur la maitrise de tes pouvoirs. Pourquoi ?

-Parce que j’ai un peu peur de ce que nous allons lire dans ceux de maman.

-Peur ? Pourquoi ?

-Parce que mes pouvoirs ont causé beaucoup de dégâts et ont fait beaucoup de mal à notre famille.

-Ce ne sont pas tes pouvoirs, Elsa, qui ont provoqué ça, mais leur manière à eux de les avoir gérés.

-Peut-être mais, j’en suis quand même la source.

-Nos parents t’aimaient, sinon ils n’auraient jamais cherché de solution à cette situation.

-Tout dépend si la solution était pour eux, ou pour moi. La réponse se trouve certainement dans ces carnets. 

-Tu veux dire, est ce qu’ils faisaient ça pour eux, ou pour toi ?

-Oui.

-Je… Je n’ai pas la même image que toi, de nos parents. Ils ont toujours été présents et affectueux et… Je ne peux pas croire qu’ils aient voulu être égoïstes avec toi. Je pense qu’ils ont été dépassés par la situation et qu’ils ont essayé de gérer du mieux qu’ils ont pu, mal évidemment. Ils n’auraient pas dû avoir peur de tes pouvoirs, ils auraient dû t’aider à les contrôler plutôt que de vouloir t’apprendre à ignorer tes sentiments.

-Ils voulaient te mettre en sécurité et ils avaient raison.

-Tu es ma sœur Elsa, je suis en sécurité avec toi.

-Et pourtant…

- Par accident, Elsa. Précisément parce que tu ne savais pas ce que tu faisais ! Est-ce que j’ai l’air d’être en danger en ce moment ?

-Non, évidemment.

-Parce que maintenant, tu sais ce que tu fais. »


Le ton était si ferme et déterminé qu’Elsa ne répondit pas. Elles continuèrent de discuter un moment, dérivant vers des sujets plus légers avant de s’endormir blottie l’une contre l’autre. 

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