Un Vide de Vérité

Chapitre 16 : Sur la route

3134 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 30/10/2020 17:53

Les deux filles avaient dormi d’un sommeil lourd et sans rêve. Sans surprise, Elsa s’était réveillée la première. Elle s’extirpa de la couche aussi discrètement que possible, laissant Anna à ses ronflements paisibles. Le soleil pointait tranquillement son nez sur l’horizon, certains habitants étaient déjà dehors, mais la plupart dormaient toujours. Peut-être était-ce dû à la rosée du matin, mais l’odeur de feu et de fumée était très distincte, bien plus qu’hier soir. Elle se rendit au centre du campement et aida à la préparation des tisanes et de différents breuvages chauds dans un silence confortable : il ne fallait pas déranger le sommeil de ceux qui se reposaient encore. Elsa tira légèrement sur le col de sa tunique, elle récupéra une tasse fumante et se prépara à l’épreuve qui l’attendait : faire face aux dégâts que l’incendie avait causés.


Les huttes avaient été installées en contrebas d’une colline, juste au-dessus de l’aplomb qui menait à la mer. Il y avait bien quelques bruits d’insectes ce matin, et quelques mouettes qui se disputaient mais le chant des oiseaux manquait cruellement. En réalité, la forêt n’avait jamais été aussi silencieuse. Elsa prit une gorgée de sa boisson : thym, eucalyptus et une pointe de miel. Elle sentit la chaleur se répandre sur sa gorge toujours irritée. Elle gravit la colline avec appréhension mais même en étant préparée, le spectacle de désolation était choquant. Sa tasse lui échappa des mains et glissa sur le sol avec un bruit mat.


« Non… »


Les troncs calcinés s’étendaient à perte de vue, des couleurs de l’automne hier il ne restait aujourd’hui que des arbres noircis et un sol calciné. Le mot que Yéléna avait choisi lui revint en mémoire : « ravagé ». Elsa réalisait maintenant à quel point il était juste, le feu n’avait rien épargné. Elle ramassa la tasse à ses pieds. Si Anna ne lui avait pas rapporté l’avertissement de Grand Pabbie, elle aurait renoncé à partir immédiatement pour aider à la reconstruction. Mais aider comment ? Le feu avait rendu le sol stérile, il faudrait des années pour que la forêt se remette d’un pareil désastre. Elle réprima un frisson.


« Elsaaaaaa ! »


C’était la voix d’Anna ! Elsa dévala la colline à toute vitesse, l’appel venait de la plage. Elle sauta par-dessus un rocher et descendit aussi vite que possible. Sa sœur était là, un peu plus loin, à genoux dans le gravier, au bord de l’eau.


« Anna ! Qu’est ce qui se passe ? »


La question mourut sur ses lèvres lorsqu’elle découvrit Nokk, allongé sur le côté, le corps à moitié sur la terre ferme et à moitié dans l’eau.


« Non… »


Les larmes lui piquèrent les yeux, elle posa sa main sur le museau du cheval pour lui faire savoir qu’elle était là. Son regard était faiblissant, mais il était toujours là.


« Je ne sais pas ce que je peux faire… Je ne sais pas…

-Elsa… »


Anna glissa Bruni dans ses mains. La salamandre était tout aussi mal en point, immobile, il n’y avait que le mouvement de sa respiration pour tromper la mort.


« Je… Anna… Je ne sais pas. »


Le sentiment d’impuissance l’étreignit avec force. Et elle le connaissait bien, Elsa y avait souvent fait face lorsqu’elle ne maitrisait pas du tout ses pouvoirs. Impuissante lorsqu’elle avait blessée Anna, impuissante lorsqu’elle gelait sa chambre, impuissante lorsque tout avait explosé en plein banquet le jour de son couronnement. Et maintenant, qu’elle était le cinquième esprit, elle assistait impuissante à la disparition de deux d’entre eux. Elsa fronça les sourcils.


« Nous devons partir, maintenant. »


L’appel d’Anna avait ameuté du monde, Yéléna arriva à leurs côtés.


« Nous avons fait préparer les chevaux et nous veillerons sur eux du mieux que nous pourrons en votre absence. »


Il fallut à peine plus d’une minute pour que les deux sœurs s’installent chacune sur leur cheval. L’une comme l’autre avait fait le choix de remettre leurs tenues initiales. Arriver en territoire Skamjorder avec des vêtements Northuldra n’était sans doute pas une bonne idée. Honeymaren vérifia une dernière fois les sangles.


« Nous vous avons mis des provisions pour quelques jours. Et vous devriez longer la côte, traverser la forêt n’est pas sûre, il y a encore des feux épars, les chevaux pourraient paniquer. »


Anna hocha la tête. Les deux sœurs échangèrent un regard. Maren s’écarta pour les laisser partir.


« Nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour prendre soin de Bruni et de Nokk.

-Merci, pour tout. »


Yéléna tapota la jambe d’Elsa pour attirer son attention.


« L’incendie, les vagues hier, vous savez ce que ça signifie n’est-ce pas ?

-Oui. Il y aura le vent, puis la terre. »


Et après… Peut-être bien la glace puisque Pabbie avait dit à Anna qu’elle était concernée.


« Nous sauverons les esprits, Yéléna.

-Je n’en doute pas. »


Elle s’écarta à son tour pour se mettre à côté de Maren. Les Northuldra saluèrent leurs départs à leur manière, avec le chant de la tribu. Les voix s’élevèrent à l’unisson, une fois de plus, l’émotion était palpable pour Anna et Elsa qui se donnèrent la main. Et ce n’est qu’à la fin qu’elles lancèrent leurs chevaux à l’assaut de la grève. Elles galopèrent en silence un moment, chacune perdue dans ses propres pensées. La mer sur leur gauche ne manifestait plus d’agressivité, le paysage presque idyllique qu’elle offrait contrastait directement avec les ruines encore fumantes de la forêt sur leur droite. Si la tribu des Skamjorder se révélait être un ennemi, en plus des attaques potentielles du vent et de la terre, le reste de leur périple promettait d’être très dangereux. Ce n’est qu’après plusieurs heures de course effrénée que les troncs calcinés laissèrent enfin la place à une forêt de nouveau luxuriante. Elsa ralentit la course de son cheval, bientôt imitée par Anna.


« Nous allons pouvoir rejoindre les bois. Un peu d’ombre ne nous fera pas mal.

-Entendu, je crois que les chevaux ont besoin d’une pause aussi. »


Elsa sourit.


« Tu as faim, peut-être ?

-Oui. Quoi ? Heu non ! Enfin si ! Mais ce n’est pas pour ça que je propose une pause ! »


Sous les sabots de leurs montures, le gravier initial s’était peu à peu transformé en sable, la plage sur laquelle elles galopaient invitait bien plus à la farniente et à la baignade que celle côté Northuldra. Evidemment, c’était sans compter sur le côté glacial de la température de l’eau. Les arbres étaient également plus hauts, et plus épais que la forêt enchantée. Les deux femmes s’y avancèrent au trot, observant les environs avec curiosité. Les terres des Skamjorder n’étaient probablement plus très loin, il convenait d’être prudent. Elles mirent pieds à terre dans une clairière proche d’un petit ruisseau. Parfait pour se rafraichir et faire une pause avant la fin du parcours. Anna installait les chevaux pour qu’ils puissent se repaitre tandis qu’Elsa les délestait de leurs sacoches pour en explorer le contenu.


« Nous avons de la viande, des légumes, des fruits, de l’eau à la menthe. »


Elle dévissa le bouchon d’une gourde et renifla son contenue.


« L’infusion de ce matin : Thym et Eucalyptus. Il y a aussi de l’onguent et même de quoi faire du feu si besoin.

-Parfait. »


Anna se pencha vers le ruisseau pour se laver les mains et se rincer le visage.


« Comment va ta coupure à la joue ?

-Très bien, c’est juste une égratignure. Tu as toujours froid ? »


Elsa hésita. « Plus de mensonges. »

 

« Un peu oui.

-Tu veux qu’on allume un feu ?

-Je pense que ça ne changera rien. »


Elle frissonna légèrement lorsque sa soeur posa une main fraiche sur son front puis lui caressa la joue. Elle croisa son regard inquiet.


« Verdict ?

-Tu n’as pas de fièvre.

-Je ne me sens pas malade. Juste… plus faible que d’habitude.

-Et tu penses que c’est en rapport avec l’état de Nokk et Bruni ?

-Oui, ce serait… logique, d’une certaine façon. »


Anna pinça les lèvres. Elsa fouilla de nouveau dans la sacoche.


« Ah ! Il y a du pain aussi ! Nous avons de quoi manger pour au moins 3 jours. »


Il devenait nécessaire de changer de sujet puisque de toute façon, l’une comme l’autre connaissait déjà la suite de la discussion. Il fallait régler cette histoire d’équilibre. Comment le faire en revanche, restait encore à déterminer. Les deux femmes s’installèrent dans l’herbe, trop heureuses de pouvoir se détendre après des heures à chevaucher dans le vent froid. Elsa se démenait pour trouver un nouveau sujet de conversation, d’habitude, c’était Anna qui endossait ce rôle.


« Durant ton absence, Kristoff va devoir prendre la fonction de régent pour veiller sur Arendelle.

-J’en doute. »


La réponse était si surprenante qu’Elsa oublia carrément d’avaler le morceau de pain qu’elle s’apprêtait à manger.


« Comment ?

-J’en doute.

-Oui j’avais compris mais… C’est… Enfin… »


Les mots lui manquaient. Anna prit une portion de viande avant de répondre.


« Je pense qu’il va surtout passer du temps avec les Northuldra pour les aider à reconstruire et à sécuriser l’incendie de la forêt.

-Oh, c’est très bien. C’est aussi une façon de prendre soin de son peuple.

-Oui, mais c’est surtout ce qui lui plait et je le comprends.

-Anna, qu’est ce qui se passe ? »


L’intéressée souffla doucement.


« Cela va faire un an que Kristoff et moi nous sommes fiancés. 1 an et nous ne sommes toujours pas mariés, nous n’avons même pas encore fixé de date.

-Je pensais que c’était parce qu’il vous fallait un peu de temps pour trouver vos marques. Maintenant que tu es reine, tu as des responsabilités.

-Oui, et si nous nous marions, Kristoff deviendra roi.

-Si ? Si vous vous mariez ? Tu… Tu ne veux plus l’épouser ?

-Honnêtement Elsa ? Je ne sais pas. Les choses sont un peu compliquées entre nous ces derniers temps.

-Mais tu ne m’en as jamais parlé.

-Tu n’étais plus beaucoup là. »


Cette pique-là fit mal. Elsa l’encaissa en baissant la tête sur son assiette.


« Je suis désolée. Est-ce que tu veux bien m’en parler maintenant ?

-La vie de château ne lui réussit pas. C’est aussi simple que ça. »


Anna ferma les yeux et s’adossa contre un arbre. Elle n’avait plus très faim finalement.


« Il n’est jamais aussi heureux que lorsqu’il prépare le traineau pour partir dans les montagnes. Essais un instant de l’imaginer au milieu des banquets ? Ou pire, en pleine négociations avec nos différents voisins sur le commerce des épices. »


Quand elle se prêtait à l’exercice, Elsa l’imaginait surtout en train de s’enfuir.


« Hmm…

-Oui, Hmm, comme tu dis.

-Mais Anna, cet homme est fou de toi.

-Oui, il m’aime assez pour sacrifier son propre bonheur. Je sais qu’il se prêtera au jeu, il le fera pour moi. Pour que je sois heureuse. Mais et lui ? Combien de temps va-t-il le supporter ? Et moi ? Est-ce que je l’aime si peu pour le vouloir à tout prix à mes côtés ? Même malheureux ?

-Vous en avez parlé ?

-Oui… Mais sans vraiment réussir à trouver une solution. »


Elsa quitta sa place pour prendre Anna dans ses bras.


« Je suis désolée.

-Je ne supporte plus de le voir malheureux. Plus il essaye de faire de son mieux, plus cela me rend triste pour lui.

-Il y a sûrement moyen de trouver un compromis ?

-Lequel ? Toi dans la forêt, mon époux dans les montagnes et moi à Arendelle. Non, je ne veux pas de cette vie. »


Il devenait de plus en plus évident qu’Anna lui en voulait d’être partie. Elle renifla tout contre elle.


« Je ne sais pas quoi te dire.

-C’est parce qu’il n’y a pas grand-chose à dire. Mais, j’ai fait des progrès côté mariage. Kristoff n’était pas le premier venu, nous nous sommes fréquentés pendant 3 ans avant qu’il me demande de l’épouser.

-J’aurais dû rester reine.

-Non Elsa. Je me sens à ma place avec ce rôle, vraiment, pour la première fois de ma vie. Je ne veux pas que tu le regrettes parce que moi, je ne le regrette pas.

-D’accord. Tant mieux parce que je trouve que tu fais une excellente reine.

-Il faut juste que le prochain prétendant soit à l’aise avec ce que ça représente. Mais que ce ne soit pas un noble barbant ! Ni un arriviste comme Hans.

-Tu penses vraiment qu’il y aura un autre prétendant ?

-Je ne sais pas Elsa, je ne sais plus… »


L’ainée était absolument convaincue que Kristoff était le bon et qu’avec un peu d’aide ces deux là finiraient par trouver un leurs marques avec le poids de la royauté. Mais pour le moment, c’était un problème qu’elle ne pouvait pas régler.


« Je t’aiderai à sélectionner le bon.

-Héééé… Ne le prend pas mal Elsa mais… côté amour… Tu ne brilles pas vraiment par tes succès…

-Hé ! Je ne te permets pas ! J’ai heu… plein de… hé bien…

-Ah oui oui, voilà, c’est ça. Je me disais aussi que j’avais forcément manqué quelque chose ! Plein de quoi exactement ?

-Plein de prétendants !

-Ah oui, qui se sont amassés aux portes du château sans jamais la franchir. Je crois qu’ils attendant toujours d’ailleurs. Tu as vérifié ? Certains sont peut-être morts depuis…

-Hey ! C’est fini oui ! »


Anna rit doucement, elle s’essuya le nez d’un revers de manche. Elsa se réinstalla à ses côtés et récupéra une assiette de nourriture qu’elles partagèrent. Elles rirent ensembles en se remémorant quelques anecdotes sur les fameux prétendant de l’ainée. Durant les trois années qui avaient suivi la réouverture des portes du château, ils avaient été nombreux à se précipiter pour la courtiser.


« Oh ! Tu te souviens de celui qui était arrivé en habit de marié ? »


Elsa leva les yeux au ciel, elle rit franchement.


« Comment l’oublier ! Il m’a demandé en mariage juste après son bonjour ! Je crois que ses mots exacts ont été : « Votre Majesté, je suis délicieusement enchanté de faire votre connaissance. Voulez-vous m’épouser ? » Quelle angoisse !

-Et tu lui a juste dit : « Non. » et tu es partie en le laissant comme ça. J’ai dû me mordre la langue pour ne pas éclater de rire ! Si tu avais vu sa tête. »


L’image devait valoir le coup parce qu’Anna en rit de nouveau. Elsa secoua la tête.


« Et celui qui avait débarqué avec toute son armée ?

-Oh oui ! Tous les soldats alignés sur les quais. C’était un peu inquiétant.

-Tu sais… Je pense qu’il avait prévu d’attaquer si ma réponse ne lui convenait pas.

-Mais… A priori tu n’as pas dit oui et il n’a pas attaqué. Il aurait fait tout ce chemin pour se laisser éconduire ?

-Disons que… J’ai dit non avec un peu de glace. Bon d’accord, avec beaucoup de glace ! »


Elle fit un clin d’œil à Anna qui éclata de rire.


« Mais pourquoi j’ai loupé ça !

-Oh mais parce que tu étais occupée à essayer de me mettre en couple avec celui que tu aimais bien. C’était quoi son nom déjà ? Sorrim !

-Oh reconnais qu’il était mignon !

-Erk !

-Tu es difficile.

-Non, je suis exigeante, c’est différent.

-C’est juste une autre manière d’être difficile. »


Anna croqua à pleine dent dans une pomme juteuse, la conversation l’amusait beaucoup et un peu de légèreté leur fit du bien à toutes les deux.


« Il n’y en a vraiment aucun qui a trouvé grâce à tes yeux ?

-J’avais d’autres choses en tête, les portes étaient de nouveau grande ouverte, je prenais mon rôle de reine et j’avais tout ce temps à rattraper avec toi.

-Ce n’est pas du tout parce que tu as peur ?

-Peur ? Peur de quoi ?

-De laisser quelqu’un rentrer dans ta vie. »


Elsa cligna des yeux, elle n’y avait jamais pensé de cette façon et ça méritait un peu de réflexion.


« C’est une bonne question. Je ne crois pas. »


Anna lui tendit un quartier de pomme.


« Tant mieux parce que tu sais que je ne renoncerai pas.

-Oh oh. Je crois que je vais demander à Ryder d’être mon prétendant imaginaire. »


Elles rirent ensembles et terminèrent leur repas loin des inquiétudes qui les avaient préoccupées au cours des derniers jours.

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