Un Vide de Vérité

Chapitre 17 : Premier contact

5482 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 30/10/2020 17:55

La forêt avait peu à peu disparu au profit d’une longue plaine et de champs de fleurs qui s’étendaient à perte de vue. Si le paysage était magnifique, il obligeait surtout les deux femmes à avancer à découvert. L’endroit était tout de même vallonné, avec des collines et des talus herbeux qui masquaient l’horizon. Pour l’instant, elles n’avaient croisé aucun autre être humain, ni rien de comparable à un esprit. La carte n’était évidemment pas très précise, mais elles devaient maintenant se trouver sur le territoire des Skamjorder. Les deux femmes avançaient plus lentement, en silence. Leurs regards étaient concentrés sur les alentours, à la recherche d’un indice ou de quelqu’un qui les espionnerait. Mais à part un lapin qui détala devant elles, il n’y avait toujours rien. L’après-midi était bien entamée et ce qu’aucune des deux n’avaient prévu, c’était de ne trouver personne. Anna fronça les sourcils.


« Il doit bien y avoir du monde quelque part. Cette tribu n’a pas pu disparaitre comme ça. 

-Nous aurons sans doute une meilleure vue une fois que nous serons arrivées en haut. »


Elsa huma l’air, plusieurs fois, à la recherche d’un feu de camp, d’une odeur de nourriture ou de quoique ce soit d’autre qui aurait pu lui révéler la présence des hommes. Mais tout ce qu’elle put distinguer par-dessus l’humidité fut le parfum des fleurs. Pourtant, elles ne s’étaient pas trompées de direction, l’une comme l’autre savait lire une carte et se repérer sur la route. Elles gravirent les derniers mètres qui les séparaient de la crête et toute une partie du paysage se révéla enfin à elles.

Les deux femmes se trouvaient au sommet d’une vallée encaissée, des pentes herbeuses parsemées de sapins se refermaient autour d’un lac immense. A l’ouest de leur position, une partie plus abrupte formait des falaises de grès et c’est là qu’elles distinguèrent le village.


« Enfin… »


Les Skamjorder s’étaient installés dans des habitations troglodytes. Contrairement aux Northuldra, ils avaient adopté un mode de vie plus sédentaire. Même à bonne distance, Elsa pouvait distinguer les enclos pour le bétail et les champs de culture. Au fur et à mesure qu’elles se rapprochèrent, elles perçurent les premiers éclats de voix et les coups du marteau contre le métal, il y avait un forgeron. Le village n’était pas très étendu, en son centre, la place réunissait les étals de nourritures. Les habitations qui n’étaient pas creusées à même la roche étaient construites dans un assemblement de pierre et de bois. Quelques allées étaient pavées, mais la plupart étaient simplement en terre.


Elles mirent pieds à terre quand elles n’étaient plus qu’à quelques mètres. Un éclaireur avait certainement signalé leurs présences depuis quelques temps parce qu’un attroupement s’était créé à l’entrée du village, dont un petit nombre de gardes armés de lances. Anna se lança la première.


« Bonjour ! »


Avec son enthousiasme et son sourire habituel, même si l’accueil n’était pas des plus chaleureux.


« Vous êtes bien loin d’Arendelle. »


La voix était dénuée de menace mais la personne qui parlait, un homme à l’évidence, demeurait invisible, probablement derrière les gardes.


Elsa plissa les yeux.


« C’est si évident ?

-Nous sommes loin, mais nous avons des éclaireurs. »


Les gardes s’écartèrent pour laisser passer un homme bien plus grand qu’eux. Même recouvert d’une fourrure sombre, sa stature était impressionnante, mais le plus étonnant étaient les bois de rennes qu’il portait en guise de coiffe. Anna ouvrit la bouche de surprise. Il ressemblait en tout point au dessin que leur mère avait reproduit dans le dernier carnet. Elsa ne se laissa pas distraire.


« Alors vous êtes bien mieux renseignés que nous. »


L’homme sourit, comme un éclair de dents blanches à l’ombre de sa capuche.


« Pardonnez notre accueil mais vous êtes les premiers visiteurs que nous recevons depuis très longtemps. »


Elsa faillit faire une remarque sur la nécessité d’avoir des gardes sans menace extérieur mais elle préféra plutôt se mordre la langue.


« S’il faut le préciser, notre présence ici ne constitue en aucun cas une intimidation, nous ne sommes même pas armées. »


A ses côtés, sa sœur était toujours pétrifiée. L’homme congédia les gardes d’un simple geste de la main. Il avança vers elle et replia son bras droit sur son torse, main posée sur son épaule gauche.


« Je suis Jordand, chef du clan des Skamjorlder. »


Les deux femmes firent une révérence parfaitement synchronisée.


« Je suis Elsa.

-Et moi Anna, reine d’Arendelle. 

-Une reine jusqu’ici ?

-Et pourquoi pas ?

-En effet. »


Jordand repoussa légèrement sa capuche et révéla enfin le haut de son visage. Ses yeux étaient d’un vert étincelant, il devait avoir dans les 45 ans tout au plus, quelques fils argentés parcouraient les mèches sombre qui dépassaient de sa coiffe.


« J’ignore depuis combien de temps vous chevauchez, mais le voyage doit être long depuis Arendelle. Et la nuit sera bientôt là. Il me semble tout indiqué de vous inviter à passer la nuit dans notre modeste village. »


Anna acquiesça d’un signe de tête.


« Merci à vous, nous acceptons avec joie.

-Suivez-moi, je vais vous faire visiter. Et pardonnez-moi si mes manières laissent à désirer. Comme je vous l’ai dit, nous ne sommes malheureusement pas habitué aux visiteurs, en particulier quand il s’agit d’une reine.

-Oh ne vous inquiétez pas pour ça, je ne suis pas très protocolaire. »


Mais Elsa oui, et elle n’aimait pas cet accueil. Elle emboita le pas, juste derrière sa cadette tandis que Jordand leur donnait quelques explications sur le lieu. Les habitants se pressaient avec curiosité sur leur chemin mais sans jamais les approcher. Anna leva les yeux sur la falaise où se trouvait bon nombre de maison, creusées à même la roche.


« Vous vivez à l’intérieur de la montagne ?

-En quelque sorte, oui. C’est très confortable. En été la température reste fraiche et en hiver, nous sommes bien isolés. Par ici. »


Jordand grimpa une volée de marche et les fit rentrer dans une des nombreuses bâtisses troglodyte. Il tint la porte à Anna.


« J’ai demandé à ce qu’on vous prépare des chambres.

-Oh, nous préférons dormir dans la même chambre, en plus, cela vous fera moins de préparatif. 

-Comme il vous plaira. Je pensais qu’une reine avait droit à toute son intimité.

-Je vous l’ai dit, je ne suis pas très protocolaire. Et nous ne voulons pas abuser de votre hospitalité. »


Elsa réprima difficilement un sourire mais comme elle l’avait dit à Yéléna ce matin même, Anna n’était pas naïve.


« Ah ! Je vois. »


L’espace était plutôt exigüe, l’atmosphère qui se dégageait de l’endroit avait quelque chose d’étrange, peut être lié à la roche dans laquelle l’habitation était construire. Quelques bougies éparses tentaient de repousser les ombres dans les recoins. Une cheminée réchauffait la pièce principale qui faisait aussi office de cuisine et une petite porte attenante menait à la chambre proprement dite. Il y avait peu de fenêtres bien sûr, et une seule porte.


« Aïe ! Quelque chose m’a piquée ! »


Elsa passa la main dans son cou, elle en ressortie une pointe de métal assez longue.


« Qu’est ce qu… »


Sa vue devint flou et elle s’écroula lourdement sur le sol, bientôt rejointe par Anna. Jordand sourit.


« Sans violence, et sans cris. Vous savez quoi faire.

-Oui. »


Les gardes ramassèrent les deux corps inertes.


Anna se réveilla dans une cellule. Sa tête l’élançait douloureusement, en tâtant prudemment, elle découvrit une belle bosse sur le côté droite de son crâne.


« Aïe.

-Vous avez dû vous faire ça en tombant, le produit qu’ils utilisent ne fait pas mal.

-Qui dit ça ! Qui êtes-vous ? »


Elle se colla contre le mur froid dans son dos. Il n’y avait ni feu de cheminée, ni fourrure ici, pas même une fenêtre d’ailleurs. Simplement quelques trous creusés dans la roche épaisse pour laisser passer l’air. Un peu de paille, une couverture miteuse, des araignées et probablement un rat ou deux. L’homme qui venait de lui parler se tenait de l’autre côté de la cellule, à bonne distance.


« Je ne voulais pas vous faire peur.

-Qui êtes-vous ?

-Metiger mais je doute que ça vous avance à grand-chose de connaitre mon nom. »


Anna fouilla l’endroit du regard, son angoisse monta d’un cran encore.


« Où est ma sœur ?

-Comment le saurais-je ? »


Metiger bougea légèrement, à la lueur de la bougie, Anna put découvrir son visage émaciée mangé par une barbe, il avait la peau sombre et les traits fatigués. L’homme devait être là depuis longtemps. Il portait une tunique qui s’était déchirée et dont les pans pendaient misérablement de chaque côté de son torse. Anna déglutit.


« Où sommes-nous ? »


Le prisonnier eut un rire amer.


« Est-ce que ce n’est pas évident ? Dans un cachot.

-Mais… je… Je ne comprends pas… »


Des bruits de pas et des éclats de voix se firent entendre de l’autre côté de la porte. Metiger la prévint à voix basse :


« Ne posez pas de questions, baissez la tête et ne dites rien, ne leur donnez pas l’occasion de vous frapper. »


La porte s’ouvrit à la volée et Elsa fut jetée sans ménagement à l’intérieur, inconsciente. Ses vêtements avaient disparu, remplacé par une simple robe en tissu qui, pour l’instant, avait l’air encore propre. Anna se précipita.


« Elsa ! »


Elle reçut un coup de poing qui l’envoya voler contre le mur, à moitié assommée. Le garde attendit pour voir si elle revenait à la charge, quand elle se ramassa contre la paroie pour se protéger et s’éloigner, il parut satisfait et referma la porte en sortant.


« Elsa… »


La blonde n’avait pas l’air blessé, sa respiration était calme. Metiger s’approcha avec curiosité.


« Restez où vous êtes ! N’approchez pas ! 

-Elsa… d’Arendelle ? »


Face à l’absence de réponse, l’homme renchérit.


« Vérifiez ses bras.

-Quoi ?

-Vérifiez ses bras, et ses avants bras. »


Anna fronça les sourcils, mais elle fit ce qu’on lui demandait. Elle poussa un cri en découvrant les marques de longs serpents fin qui entouraient les bras d’Elsa, remontant jusqu’au niveau de ses épaules.


« Qu’est-ce que c’est ?

-Une marque de restriction, pour empêcher l’utilisation de ses pouvoirs.

-Quoi ? Mais comment pouvaient-ils savoir ? Et comment connaissez-vous Elsa ? »


Metiger l’observa un long moment, en silence.


« Vous n’auriez jamais dû venir ici. 

-Ce n’est pas comme si nous avions le choix. »


Anna ramena la couverture sur Elsa et lui caressa le front. L’homme s’installa en tailleur.


« Elle va bien, elle est probablement juste endormie par les produits.

-Probablement ? Et comment nous connaissez-vous ? Vous n’avez répondu à aucune de mes questions. »


L’homme remonta les manches de sa tunique déchirée, dévoilant les mêmes marques de serpent.


« Vous avez des pouvoirs aussi ?

-Je peux communiquer avec les esprits de la nature. C’est pour ça qu’il me garde en vie.

-Qui ça « il » ? Jordand ?

-Oui, j’étais son disciple autrefois.

-Et qu’est ce qui a changé ?

-Nous n’avons pas la même vision des choses. Peut-être parce que je ne suis pas née dans cette tribu. »


Anna le fixa du regard quelques instants, il était difficile d’évaluer l’âge de son interlocuteur, mais, c’était possible.


« Vous êtes Northuldra ? Ou un ancien Northuldra. »


Metiger haussa les sourcils de surprise.


« Comment le savez-vous ?

-Dites-moi d’abord comment vous saviez qu’Elsa avait des capacités… A des capacités. »


Elles avaient fait bien attention à ne pas se servir des pouvoirs depuis leur départ de la grève ce matin. Yéléna les avait prévenues contre les Skamjorder, même si, à l’évidence, elles n’en avaient pas suffisamment tenu compte. Metiger haussa un sourcil.


« Elle a construit un château de glace tout en haut du Pic Gelé. Vous pensiez vraiment que c’était discret ?

-Oui… Bon… d’accord… Mais le Pic Gelé n’est pas en territoire Skamjorder ! Ca n’explique rien.

-Mes pouvoirs me permettent de voir au travers des yeux des animaux.

-Vraiment ? Tous ?

-Oui, tous. Jordand se sert de moi pour observer ce qui se passe ailleurs.

-Oh donc… Vous…

-Je suis presque au courant de tout, oui. J’ai vu le château de glace, j’ai vu la brume disparaitre de la forêt enchantée, même si je ne sais pas comment c’est arrivé. J’ai vu, votre amie, utiliser sa magie pour faire le bien autour d’elle. Et si je l’ai vu alors…

-Jordand aussi. »


Metiger hocha la tête.


« Il va vouloir se servir des pouvoirs d’Elsa et croyez-moi, il va trouver un moyen de le faire. »


Anna caressa les cheveux de la blonde qui dormait toujours. Elle ignorait jusqu’à quel point elle pouvait faire confiance à cet homme mais, elles se trouvaient en bien mauvaise posture.


« Est-ce que Jordand pourrait provoquer un déséquilibre dans la magie des esprits ?

-C’est ce qu’il cherche à faire depuis le début. S’ils sont déséquilibrés, les esprits sont vulnérables. Il pourrait alors s’emparer de leurs magies. »


Bon, elle s’apprêtait peut-être à faire quelque chose de très stupide.

« Metiger, je crois que vous pouvez nous aider. Où est Olaf quand on a besoin de lui ?

-Qui ?

-Olaf ! Il fait très bien les résumés. »


Anna entreprit de faire un récit aussi synthétique que possible de ce qui s’était passé au cours des dernières 48h, le message cryptique de Grand Pabbie, l’incendie, l’attaque à Ahtohallan puis la Mer Sombre. Elle garda pour elle l’histoire de l’adoption, jugeant que ça ne regardait qu’elle. Metiger essayait de suivre.


« D’accord, je pense que j’ai compris. Mais je ne vois pas comment je peux vous aider.

-Vous n’avez aucune réponse ? Enfin c’est bien vous le spécialiste des esprits ! Il y avait une carte qui menait jusqu’ici, jusqu’aux terres des Skamjorder, il doit bien y avoir une raison.

-Eohialan.

-Comment ?

-Eohialan, la montagne sacrée. Dans les livres il est dit qu’Eohialan détient les vérités du passé.

-Exactement comme Athohallan. C’est loin d’ici ? »


Metiger sourit.


« Nous vivons dedans. L’accès aux grottes sacrées se trouve au-dessus, le chemin est difficile et Jordand y passe beaucoup de temps… C’est peut-être là que vous devriez emmener votre amie, elle saura sans doute quoi faire.

-Très bien. Alors maintenant, comment on sort d’ici ? »


La mine de son interlocuteur s’assombrit, l’enthousiasme de la conversation était retombé aussitôt.


« Vous pensez que je serais toujours là si c’était possible ? »


Elsa gémit dans son sommeil, ses sourcils se froncèrent. Anna lui caressa tendrement les cheveux.


« Je crois que j’ai une idée. »


Elle se releva et s’approcha des trous dans le mur. Elle murmura au travers :


« Courant d’air, si tu m’entends, viens nous rejoindre. »


Anna patienta quelques secondes et répéta la même phrase plusieurs fois de suite. Metiger l’observait, perplexe. D’habitude il fallait plus d’année d’enfermement avant que les gens ne sombrent dans la folie, Anna devait être particulièrement fragile pour craquer aussi vite. Il s’apprêtait à intervenir lorsque… Courant d’air se manifesta effectivement. Il passa par un trou pour rentrer à l’intérieur du cachot et fit virevolter les cheveux et les vêtements d’Anna.


« Salut toi. Je suis contente de voir que tu vas bien. Nous allons avoir besoin de toi pour crocheter la serrure. »


Metiger observait la scène, la mâchoire pendante. Tout était délirant. Il se racla la gorge.


« Excusez-moi mais, vous pensez vraiment qu’un… heu… Que du vent peut crocheter une serrure ?

-Bien sûr que oui. Même une carotte peut crocheter une serrure. Mais d’abord, nous devons réveiller Elsa. »


Il cligna furieusement des yeux mais Anna n’y prêta pas attention. Elle secoua doucement Elsa par l’épaule pour la réveiller. La blonde lutta pour sortir des brumes du sommeil et de la drogue. Son corps lui donnait l’impression de peser une tonne, au moins. Tout était lourd et compliqué.


« Anna ?

-Comment tu te sens ?

-Bizarre…

-Je n’ai pas le temps de tout expliquer mais nous allons sortir d’ici. Tu peux marcher ?

-Je crois oui… Ta joue ! »


Plus que tout le reste, c’est l’ecchymose sur le visage d’Anna qui la fit sortir de sa torpeur. Elle se redressa.


« Qu’est ce qui s’est passé ? Qui t’a frappé ?

-Je t’expliquerai tout en chemin, c’est promis, mais pour l’instant, on sort.

-Et lui ! Qui est-ce ?

-Un ami.

-Je m’appelle Metiger, enchanté. »


Elsa était complètement perdue, mais comme Anna le lui avait dit, ce n’était pas le moment pour les explications. Courant d’air venait tout juste de déverrouiller la porte. Les trois comparses sortirent dans le couloir, jetant des coups d’œil méfiants autour d’eux. Les gardes n’étaient pas visibles pour le moment. Metiger leur fit signe de le suivre, c’est qu’il connaissait plutôt bien l’endroit, un peu trop même à son goût. Ils remontèrent quelques marches, toujours en silence. En fait, ils étaient tout simplement dans la demeure de Jordand qu’ils avaient visité quelques heures auparavant. Le chef de clan était allongé sur sa couche, perdu dans la lecture des carnets d’Iduna. Elsa serra les poings, la surprise lui pétrifia les muscles lorsqu’aucune magie ne se manifesta. Anna posa sa main sur la sienne et lui fit non de la tête. D’accord, plus tard il y aurait beaucoup de chose à expliquer. Mais pour le moment… Courant d’air fila au-dessus de leurs têtes et disparu par une fenêtre entre-ouverte. Il n’y avait que quelques mètres qui les séparaient de la porte de sortie, quelques mètres qui passaient juste devant le nez de Jordand.

Des éclats de voix se firent entendre depuis l’extérieur, ils montèrent crescendo avant qu’un vacarme de bruits métalliques et de chute ne viennent achever le tout. Jordand soupira. Il maugréa en se levant, excédé, et sortit sans même prendre le temps de refermer la porte derrière lui.


« Si vous avez encore trop bu messieurs ! Je vais vous le faire regretter ! »


Les trois amis détalèrent aussi vite que possible. Anna sourit une fois dehors.


« Merci Courant d’air. »


Il n’y avait pas une seconde à perdre, pour l’instant personne n’avait encore remarqué leur disparition, mais ce n’était qu’une question de minutes. Ils filèrent dans les ruelles, profitant de la nuit pour se glisser entre les ombres. Anna posa sa main sur l’épaule de Metiger.


« Conduisez-nous à Eo… Lianla.

- Eohialan.

-Oui, peu importe, conduisez-nous là-bas. »


Elsa n’écoutait que d’une oreille, elle fixait ses mains avec inquiétudes. Qu’est-ce que ce Jordand lui avait fait, pourquoi plus rien ne fonctionnait. Anna posa sa main sur son épaule.


« Viens Elsa, nous devons le suivre.

-Hm hm.

-Ils ont posé une marque sur tes bras, Metiger dit que c’est ce qui empêche ta magie.

-Comment est-ce qu’on l’enlève ? »


Elle releva ses manches pour découvrir ce qu’Anna avait déjà vu auparavant, les serpents qui couraient sur sa peau.


« Pour l’instant je ne sais pas, mais nous trouverons une solution. »


L’homme les fit bifurquer sur un chemin escarpé qui montait à flanc de falaise.


« Collez-vous à la paroi pour éviter de tomber. Je sais comment enlever la marque. N’oubliez pas que j’en porte une moi-même.

-Vous avez des pouvoirs aussi ?

-Oui Elsa. Pas aussi impressionnant que les vôtres, mais je communique avec les esprits. D’ailleurs Anna, vous ne m’aviez pas dit que vous aviez aussi des pouvoirs.

-C’est parce que je n’en ai pas.

-Vous oubliez que je vous ai vu parler avec l’esprit du vent. 

-Quoi ? Mais je… Tout le monde fait ça.

-Ah oui ? Vraiment ? »


Anna jeta un œil surprit à Elsa qui approuvait les paroles de Metiger. Les souvenirs lui revenaient maintenant, Bruni et Courant d’air qui l’avait guidée dans la forêt, Nokk qu’elle avait chevauché pour se rendre à Ahtohallan. L’idée faisait son chemin dans son esprit. L’homme leva le bras pour se protéger d’une bourrasque. Le vent faisait voler de la poussière tout autour d’eux, rendant leur progression encore plus difficile. Elsa se mordit la lèvre.


« La troisième attaque, celle de l’air. »


Un coup d’œil en contre-bas lui appris rapidement qu’une chute à cette hauteur serait mortelle.


« Nous devons nous accrocher à quelque chose !

-Oh très bien ! J’avais justement une corde dans mon sac ! »


Metiger grogna, la bourrasque était en train de se transformer en tempête. Quelqu’un lui accrocha quelque chose à la taille, il n’avait aucune idée de ce que c’était, mais il espérait que ce serait suffisant pour le sauver en cas de chute. Ils progressaient maintenant le visage collé à la paroi pour se préserver au maximum du vent qui hurlait à leurs oreilles. Mais plus ils avançaient, plus les rafales étaient fortes.


« Tenez bon ! On y est presque ! »


Anna avançait en deuxième de cordée, elle s’était servie de son manteau et de sa jupe pour faire une corde de fortune ente eux trois. Et elle avait eu raison de le faire parce que c’est exactement ce qui l’empêcha de s’écraser 60m plus bas lorsqu’elle glissa sur le bord, emportée par le vent.


« Anna !! »


La tempête était si terrible qu’ils devaient hurler pour se faire entendre. Le réflexe d’utiliser ses pouvoirs ne lui était d’aucune utilité, elle s’était rarement sentie aussi handicapée. Elsa tira sur la corde pour remonter sa cadette. Le tissu se déchira sur la roche escarpée mais il tint bon. Metiger s’agenouilla.


« Prenez ma main ! »


Ils parvinrent à hisser Anna dans un dernier effort. Mais même tenir debout devenait impossible. L’homme secoua la tête.


« Nous ne pouvons plus avancer !

-Il le faut ! Aller ! »


Le trio avança lentement à quatre pattes. Lorsque l’entrée se matérialisa enfin, Metiger n’y croyait plus, jamais une ascension de quelques mètres à peine n’avait été si cauchemardesque. Ils s’engouffrèrent à l’intérieur, à l’abri de la tempête, chacun reprenant son souffle.


« Bon sang… Mais d’où vient ce vent ?

-Du déséquilibre. »


Anna défit le nœud qui lui enserrait la taille. En jupon et échevelée, elle n’en restait pas moins déterminée.


« Finissons-en avant que Jordand ne s’en mêle aussi.

-Le vent vient de s’arrêter. »


Elsa s’était relevée, elle se tenait juste à l’entrée.


« Metiger, j’ai besoin de mes pouvoirs.

-Oui, venez »


Ils coururent dans la grotte pour déboucher dans une première pièce. Celle-ci avait été aménagée, probablement par Jordand. On y trouvait un bac creusé dans la roche, actuellement rempli d’eau. Il y avait toutes sortes d’ingrédients sur des étagères, des grimoires, un corbeau dans une cage qui croassait d’indignation dans leur direction. Metiger se mit tout de suite en action, sélectionnant les ingrédients dont il avait besoin. Elsa surveillait l’entrée et Anna prenait connaissance des cartes et des informations qui ornaient les murs de la pièce. Toutes les observations dont Metiger lui avait parlé étaient là, avec à chaque fois une chronologie et un rapport détaillé. Les dernières manifestations des pouvoirs de sa soeur auxquels ils avaient assisté, les questionnements sur les esprits de l’air et de l’eau, une description de Nokk. Elle remonta dans le temps. La première fois que Jordand avait eu connaissance des pouvoirs d’Elsa, c’était lorsqu’elle avait construit le palais de glace. Plutôt logique. Et avant ça, pendant des années il avait observé les Northuldra sans relâche, à la recherche d’une enfant, d’après les notes.


« Metiger ? Pourquoi Jordand cherchait un enfant ?

-Une fille. »


Il répondait tout en travaillant sur la préparation.


« Il y a des années, une famille a donné naissance à une petite fille, avec des pouvoirs. Le père était un ancien Northuldra, comme moi et la mère une Skamjorder qui n’était plus en accord avec les préceptes de la tribu. Ils avaient peur de ce que Jordand ferait à leur fille s’il le découvrait alors ils m’ont supplié de les aider. »


La pommade qu’il confectionnait vira au vert, il rajouta un nouvel ingrédient et elle devint rouge sang.


« Alors j’ai dissimulé les pouvoirs de cet enfant et je l’ai emmenée aussi loin que possible. A mon retour, Jordand avait fait tuer les parents et il m’a fait prisonnier. Il a toujours cru que j’avais emmené cette enfant chez les Northuldra, mais je n’étais pas stupide à ce point. »


Anna s’était pétrifiée en écoutant le récit de Mertiger. Elle avait plein de questions mais aucun son n’avait l’air de vouloir sortir de sa gorge. Sa soeur le fit pour elle.


« Vous l’avez emmenée à Arendelle, n’est-ce pas ?

-Vous avez deviné juste.

-Et vous l’avez déposé non pas devant n’importe quelle habitation mais devant le château. »


L’homme releva le nez de sa préparation pour fixer Elsa du regard.


« Vous avez remarqué quelque chose de particulier parmi le personnel du château ? Normalement ses pouvoirs sont toujours dissimulés.

-Parmi...Quoi ? Non. Mais Anna parle avec les esprits.

-Anna a grandi au château ?

-Vous n’avez pas vu ça en nous espionnant avec vos pouvoirs ?

-Jordand n’était intéressé que par vous.

-Anna est ma sœur. »


L’intéressée avait la gorge nouée par l’émotion. Elsa quitta temporairement son poste de surveillance pour lui faire un câlin, elle reprit la discussion pour fournir les explications manquantes.


« Nous avons découvert récemment qu’Anna avait été adoptée par nos parents. Et notre mère a dessiné la silhouette d’un homme portant des ornements de rennes. Comme Jordand.

-Vous êtes sœurs ? Mais ! Jamais je n’aurais cru que… »


Metiger était stupéfait. Lorsqu’il avait déposé cette enfant devant la fenêtre, il avait simplement pensé qu’elle serait plus facilement recueillie dans un endroit où il y avait assez de place et d’argent pour nourrir une bouche supplémentaire, et qu’elle trouverait sa place parmi le personnel du palais. Il n’avait pas imaginé un seul instant que le roi et la reine eux même puissent l’adopter.


« Jordand porte des bois de rennes parce qu’il se fait passer pour moi. Il prétend être celui qui peut se transformer. »


Son regard se porta enfin sur Anna qui n’avait pas bougé.


« Un vide à combler, je dois vous rendre vos pouvoirs… »


Il déposa un bol plein d’une pommade maintenant jaune dans les mains d’Elsa.


« Tenez, appliquez ça sur les marques, elles vont disparaitre, et vos pouvoirs vont revenir. Nous allons avoir besoin d’un peu de temps, vous pensez pouvoir les retenir ? »


Pour toute réponse, Elsa eut un sourire suffisant qui plut beaucoup à Metiger. Elle s’appliqua l’onguent avec précaution. De son côté, l’homme emmenait Anna plus profondément au cœur de la montagne.


A l’extérieur, Jordand fulminait de rage. Ce n’est que parce qu’il pensait avoir besoin d’eux qu’il n’avait pas déjà balancé quelques gardes dans le précipice. La tempête venue de nulle part les avait fortement ralentis mais maintenant ils avançaient rapidement.


« Armez vos lances ! Elsa ne doit pas mourir, faites ce que vous voulez des deux autres. 

-Comment est-ce qu’on la reconnait ? »


Il grogna de frustration.


« Celle avec les cheveux blonds presque blanc. Vous ne pouvez pas la louper. »


Et effectivement, impossible de ne pas la voir, elle se tenait bien au centre de la pièce quand ils débarquèrent, de nouveau dans sa tenue blanche, la longue traine volant au vent même dans une pièce confinée. Et elle était très en colère parce que personne n’avait le droit de les droguer, personne n’avait le droit de les emprisonner et pire que tout, personne n’avait le droit de frapper sa soeur. D’un mouvement des bras, elle scotcha tous les soldats aux parois rocheuses, les emprisonnant dans la glace.


« Vous me cherchiez ? »


Il n’y aurait aucune sarbacane cette fois ci. Le combat serait entre Jordand et elle. Le sorcier eut un sourire mauvais.


« La dernière fois que nous nous sommes affrontés, je vous ai presque battu. Sans l’intervention de votre amie, vous seriez morte. »


Elsa fronça les sourcils, elle n’avait pas souvenir d’avoir déjà affronté cet homme, avec son air antipathique elle n’aurait pas pu l’oublier. Ce n’est que lorsqu’une main sortie des ombres pour se saisir d’elle qu’elle comprit. Elle sauta sur le côté pour éviter l’attaque et matérialisa une épée de glace dans sa main. C’était avec une arme similaire qu’Anna avait réussi à trancher les ombres.


« Le goût de la défaite vous manquait ? Vous réclamez un deuxième round ? »


Elle était nettement moins à l’aise avec une épée, d’autant qu’elle se sentait de plus en plus faible. Mais qu’importe, il y avait suffisamment de colère pour l’alimenter. 

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