Un Vide de Vérité

Derlock écumait de rage, Laceli ne perdrait rien pour attendre, sa tentative misérable pour rattraper la prisonnière n’était qu’un échec cuisant. Cette idiote avait même réussi à se faire capturer, un comble. Mais celle qui attisait sa colère plus que tout était cette prétentieuse d’Elsa. Elle lui avait déjà tenu tête lors de leur combat jusqu’à pratiquement l’assommer, lui. Et maintenant elle réussissait à le défier ? Il ne prendrait que plus de plaisir à maitriser ses pouvoirs et à la faire plier.

« Lenjo ! Apporte-moi l’autre ! »

Il n’allait pas s’abaisser à courir après une fugitive, d’autant moins quand il disposait d’une seconde détenue. Les minutes d’attentes lui semblèrent interminables.

Anna se sentait misérable, Elsa était partie et elle n’avait même pas été capable de s’interposer, elle n’avait pas du tout était capable de se battre contre Laceli et Lenjo quand Elsa avait fait face, seule, à Derlock. La tête lui tournait et la nausée lui tordait l’estomac. Elle se recroquevilla sur le sol, elle n’avait pas la force de boire même un peu d’eau. L’air de la cale était étouffant. Elle ouvrit un œil en sentant une main sur son front.

« Elsa… »

Mais ça n’était pas sa sœur, c’était Lenjo. Il lui tendit la main et l’aida à se redresser, le monde tourna davantage encore et Anna vomit proprement sur son geôlier.

C’est donc d’abord à l’odeur que Derlock nota l’arrivée de son acolyte, le fait qu’il soit seul l’agaça considérablement.

« Pourquoi n’est-elle pas avec toi ? Je ne suis donc entouré que d’incapables ! »

Pour communiquer, Lenjo avait développé un langage des signes qui étaient propre à eux trois.

« Blessure à la tête, besoin de soin, ne tiendra pas le coup du rituel. »

Derlock hurla de rage, il attrapa Lenjo par le col de sa tunique et le fit dégringoler sous le pont. Etre lié à l’esprit du vent lui donnait une particularité, celle d’être extrêmement agile, la gravité avait une emprise bien différente sur lui. Lenjo roula sur le sol et se rétablit d’un bond sur ses deux pieds. Derlock lui jeta un regard mauvais.

« Débrouille toi comme tu veux, mais elle doit être rétablis pour la nuit prochaine. »

Lui et sa mauvaise humeur du moment se retranchèrent dans ses quartiers. Anna se recroquevilla un peu plus lorsque l’homme descendit, elle avait bien entendu les hurlements de rage. Il n’était pas venu les mains vides, ni seul d’ailleurs, un jeune garçon nettoya l’endroit en s’aidant à la lueur des bougies. Lenjo s’était changé, il déposa une couverture sur les épaules d’Anna et l’enveloppa dedans. D’un geste, il rapprocha un sceau d’eau fraiche qu’il avait apporté et lui fit signe de boire. La reine d’Arendelle ne songea pas à discuter quoique ce soit, la douleur lui battait les tempes si fort qu’elle avait du mal à garder les yeux ouverts. Lenjo lui montra une sorte de pâte qu’il avait préparée dans un bol, elle dégageait une vague odeur d’herbe, un peu comme l’onguent des Northuldra. Elle aurait donné cher pour se retrouver autour d’un feu de camp dans la forêt enchantée en cet instant.

« Qu’est-ce que c’est ? »

Même le son de sa propre voix était douloureux. Lenjo tapota sa tête d’un geste de la main, puis de nouveau la pâte. Machinalement, Anna porta ses doigts sur le côté de son crâne. Elle avait déjà reçu une belle bosse de son séjour chez Jordand, le coup supplémentaire qu’elle avait essuyé lors de la dernière bataille avait achevé de l’assommer.

« Hmm… »

Lenjo trempa ses doigts dans la mixture et approcha de sa blessure. Anna eut un geste de recul instinctif, il marqua une pause, l’observa, attendant un signe de sa part.

« D’accord… Je suis prête… »

Son geôlier se montrait particulièrement doux tandis qu’il appliquait la préparation, il faisait bien attention à ne pas lui faire de mal. Il s’essuya les mains dans un linge après avoir terminé et lui lança un regard interrogateur. Anna prit une légère inspiration.

« Ca va. »

Lenjo pris quelques feuilles d’une plante qu’il avait rapporté. Il montra son estomac en grimaçant puis mima le fait de mâcher.

« D’accord, je mange ça pour calmer les nausées. »

Il approuva d’un signe de tête mais leva un doigt pour attirer son attention. Il mâcha de nouveau et cracha dans le bol vide.

« Je recrache après. »

Un autre signe de tête positif. Lenjo prit la louche et fit semblant d’avaler de l’eau.

« Et je bois beaucoup. »

Puis il glissa ses mains sur le côté de sa joue et il ferma les yeux.

« Et je dors. »

Anna soupira, elle était sûre qu’il ferait un partenaire extra au jeu des devinettes, si seulement ce n’était pas un tortionnaire, kidnappeur, voleur et menteur. Trois fois rien.

« J’ai compris. »

Mais elle ne comptait pas dire merci. Satisfait, Lenjo s’installa dos contre la cloison, en face d’elle. Elle haussa un sourcil surpris.

« Vous allez rester là ? Pourquoi ? »

Il acquiesça d’un signe de tête et mima la douleur dans le ventre et à la tête.

« Pour voir si je vais bien. »

Il pointa le plafond du doigt et mima des hurlements de colère.

« Oh. Sinon Derlock sera fâché. »

Nouveau oui de la part de son interlocuteur. Elle n’avait pas spécialement envie d’avoir de la compagnie, encore moins quand il s’agissait de l’un de ses ravisseurs mais elle n’avait pas vraiment la possibilité de refuser. Anna prit une des feuilles et se mit à mâcher. Après quelques minutes, les nausées se calmèrent sensiblement et elle en fut très reconnaissante.

« Lenjo, est-ce qu’Elsa s’est enfuie ? »

Elle avait entendu les bruits de combat, le son de quelqu’un ou quelque chose qui tombait à l’eau. La cloche lui avait vrillé les tympans pendant ce qui lui avait semblé être une éternité. Et Elsa, n’était pas redescendue. Comme il n’était pas question d’envisager une autre issue, Anna en était arrivée à la conclusion que sa sœur avait réussi à fausser compagnie à leurs hôtes. Lenjo hésita, en fait il hésita si longtemps qu’elle crut qu’il n’allait jamais lui répondre, mais le signe de tête était là, si léger qu’il en était presque imperceptible. Anna sourit. Elle recracha la feuille mâchée dans le bol et prit une longue rasade d’eau. Elle avait toujours peur mais, la situation n’était pas complètement désespérée. Elle enroula la couverture autour de ses épaules et s’allongea. Elle observait Lenjo dans la pénombre des bougies, sa cicatrice en travers de la gorge et ses cheveux bruns un peu hirsute. Il n’avait pas l’air méchant à le voir ainsi, il avait même l’air plutôt gentil et doux.

« Pourquoi faites-vous ça ? »

Il la fixa en retour et finit par hausser les épaules. Anna soupira doucement.

« Et Derlock ? Qu’est-ce qu’il compte faire de moi ? »

Lenjo pointa son pouce vers son propre torse.

« Comme vous ? Et qu’êtes-vous ? »

L’homme mima un salue militaire.

« Derlock veut faire de moi un soldat ? Mais… Je ne sais pas me battre, vous l’avez bien vu… Enfin j’imagine qu’on va m’entrainer… »

Et ça ne lui plaisait pas du tout. Anna fronça les sourcils.

« En fait, vous n’êtes pas un soldat, vous êtes une arme. »

Elle se couvrit à la bouche d’effrois à l’idée qu’on puisse se servir de ses pouvoirs comme d’une arme, mais c’est exactement ce que Derlock avait fait : l’attaque sur Arendelle, leurs combats au pied de la falaise. Petit à petit elle assemblait les pièces du puzzle. Le regard qu’elle portait sur Lenjo était très différent.

« Et vous êtes d’accord avec ça ? »

Il n’y eut aucun mouvement du côté de son interlocuteur. Apparemment, le jeu des mimes était terminé.

« Comment fait-il ? »

Lenjo posa son index sur ses lèvres pour lui signifier le silence, ou la fin de la conversation, c’était au choix. Anna fronça les sourcils.

« Répondez-moi. »

Le vent se leva doucement autour d’elle, comme pour lui rappeler qu’elle n’était pas en position de force. Elle serra les poings de colère et de frustration.

« Vous êtes des monstres. »

Il acquiesça d’un signe de tête.