Un Vide de Vérité

Chapitre 29 : Mauvaise posture

2018 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 08/01/2021 18:53

Anna n’avait pas réussi à trouver le sommeil de la nuit. Il fallait dire que les conditions ne s’y prêtaient pas vraiment. Même si sa tête ne l’élançait plus, les odeurs de poissons et l’air vicié de la cale lui donnaient toujours la nausée. La plante à mâcher lui avait au moins épargnée de vomir. Quant à son gardien, il était resté fidèle au poste. Tous ces critères réunis étaient déjà bien suffisants pour la priver de sommeil, mais plus que tout, c’était l’inquiétude qui lui avait maintenu les yeux grands ouverts. Elle se demandait si Elsa allait bien. Lenjo lui avait dit qu’elle avait réussi à s’enfuir mais c’était peu de choses. Elle s’interrogeait aussi sur ce que Derlock allait lui faire parce qu’il n’était pas question que ses pouvoirs deviennent une arme. Malgré ses différentes tentatives pour reprendre contact, son geôlier n’avait pas donné suite. Et les heures s’étaient étirées ainsi, entre l’angoisse, la solitude et la nausée.


Anna s’était creusée la tête à la recherche d’un plan pour échapper à ses ravisseurs et pour l’instant, la seule conclusion à laquelle elle était arrivée, c’est qu’elle aurait peut-être une chance lorsqu’on la bougerai d’ici. Comme Elsa l’avait fait.


De son côté, Lenjo n’était pas incommodé par les odeurs de la cale, il y avait passé les deux premières années en captivité. Au point qu’il avait même fini par donner un nom à certains rats. Il était resté éveillé pour surveiller Anna bien sûr, mais aussi parce qu’il se demandait quoi faire et comment le faire. Il en avait déjà dit beaucoup à la jeune femme mais il devait se montrer prudent, sans la possibilité de la prévenir correctement, elle pouvait, sans le vouloir, les mettre en danger tous les deux.


Lorsque lui-même s’était fait capturer, Laceli avait fait de son mieux pour l’aider à s’adapter. Elle lui avait donné les règles élémentaires qu’il avait choisi de ne pas respecter, pour son propre malheur. Lenjo passa ses doigts sur la cicatrice qui ornait son cou. Mais maintenant, c’était un peu compliqué, Laceli était on ne savait où, Elsa s’était enfuie, Derlock était dans une rage terrible et il restait seul pour gérer la situation. Lenjo s’accroupit, la nuit était pratiquement terminée mais l’étage était encore calme. Il se rapprocha d’Anna et lui tapota doucement l’épaule. La jeune femme sursauta et s’éloigna. Il leva les mains en signe de paix et lui signifia le silence. Elle l’observait avec méfiance, il ne pouvait pas lui en vouloir. Il pointa l’index vers le haut puis indiqua l’échelle avant de lui faire signe, une nouvelle fois, de se taire. Anna haussa un sourcil, elle avait compris, il en était certain, maintenant elle devait sûrement être en train de décider si elle le suivait ou pas. Elle n’avait pas grand-chose à perdre en réalité. Et la reine dût arriver à la même conclusion parce qu’elle se leva.


Lenjo passa le premier, il attendit patiemment à l’étage et guida Anna au milieu de membres d’équipages qui dormaient dans toutes les positions possibles. Ils louvoyèrent avec agilité et lorsqu’un verre faillit tomber, l’esprit de l’air se servit de sa magie pour le remettre à sa place comme si rien ne s’était passé. Anna l’enviait de se servir de ses pouvoirs avec tant de facilité, elle était encore très loin d’en faire autant. Lenjo poussa une porte et lui fit signe de rentrer.


C’était une cabine aussi petite que possible, on y trouvait deux lits superposés tout contre le mur opposé à l’entrée, une armoire qui avait connu des jours meilleurs et une table. La place était tellement limitée qu’il était impossible de tenir à deux debout. Elle s’installa sur le lit du bas. Lenjo disparut quelques minutes, lorsqu’il revint, il portait un seau d’eau fraiche, de quoi boire et un linge propre. L’homme referma la porte en silence et s’installa en tailleur sur la table. Il indiqua le seau d’un geste de la main puis pointa son index sur Anna qui traduisit :


« Pour moi ? »


Il acquiesça d’un signe de tête. D’un claquement doigt, il fit voler le seul et unique livre de la cabine jusqu’à lui. Il l’ouvrit et le tint devant Anna, pointant des mots qu’elle lut :


« Boire, Nettoyer blessure. »


Elle esquissa un sourire, la méthode était astucieuse.


« D’accord. Je ne sais pas trop à quel jeu vous jouez. »


Cela dit, elle avait soif alors elle ne se fit pas prier pour boire. Avec le linge qu’elle humidifia, elle entreprit de nettoyer sa blessure. Lenjo observait d’un œil critique. Il fit signe pour demander s’il pouvait aider. Considérant qu’il était responsable des soins qu’elle avait obtenus jusque-là, Anna lui tendit le tissu. Comme lorsqu’il avait appliqué la pâte, il se montrait très doux et vigilant à ne pas lui faire mal. Il rinça abondamment afin d’éliminer toutes les traces du soin. La plaie était propre, pas d’infection. Il fit signe à Anna que tout allait bien et reprit le livre pour faciliter la communication :


« Tête, mal.

-Non, ça va mieux. J’ai toujours un peu la nausée mais ça va aller. »


Elle posa sa main sur son bras.


« Pourquoi faites-vous ça ? Prendre soin de moi alors que je suis prisonnière et que Derlock va faire je ne sais quoi avec moi. J’aimerai comprendre. »


Lenjo baissa la tête un instant, elle crut qu’il allait de nouveau refuser de communiquer mais il reprit le livre.


« Méchant. Pas contrarié, douleur.

-Je suppose que vous parlez de Derlock mais… Et vous ? Vous êtes son prisonnier aussi ? »


Il réfléchit quelques secondes puis finit par hocher la tête.


« D’accord, Lenjo, alors comment s’enfuit-on ? »


Il fit non de la tête et tourna les pages jusqu’au mot qu’il cherchait : « impossible », il tourna d’autres pages encore : « puissant »


« Pourtant ma sœur a réussi. »


L’homme déboutonna quelques boutons de sa chemise sous le regard inquiet d’Anna. Sur son torse il lui montra une marque, un hexagramme au centre duquel se trouvait le symbole de l’air.


« Qu’est-ce que c’est ? »


Lenjo souffla de frustration, il n’allait jamais réussir à expliquer ça avec un stupide bouquin. Il haussa les épaules pour montrer son impuissance. Anna avait quelques difficultés à comprendre mais malgré ce que disait son interlocuteur, Elsa avait quand même réussi à échapper à Derlock, alors c’était possible. Cette marque qu’il avait en revanche, elle n’avait pas la moindre idée de son rôle. Une voix tonitruante la fit sursauter.


« Lenjo !! »


L’intéressé lui fit signe de se taire et de s’allonger, ce qu’elle fit en toute hâte. Derlock ouvrit la porte à la volée.


« Hm… »


Il posa un regard mauvais sur l’esprit de l’air.


« Je peux savoir ce qu’elle fait là ? »


Lenjo répondit avec le langage des signes qu’Anna ne parvenait pas à comprendre. Derlock acquiesça d’un signe de tête.


« Je vois. Et maintenant ? »


D’autres signes incompréhensibles.


« Parfait. Sort d’ici. »


L’esprit de l’air fit une pirouette adroite qui le propulsa au-dessus de la tête de Derlock sous le regard stupéfait d’Anna. Juste avant de sortir, dans le dos du sorcier, il lui fit de nouveau signe de se taire. Elle déglutit, n’ayant aucune envie de ce tête à tête. Elle se redressa en position assise tandis que l’homme s’appuyait contre l’armoire qui avait l’air de souffrir sous l’effet du poids. Derlock sourit.


« Bonjour. »


Lenjo lui avait dit de ne pas le contrarier, sinon douleur. Alors elle jouerait la carte de la prisonnière docile.


« Bonjour. »


Son interlocuteur sembla agréablement surpris de la réponse.


« Lenjo dit que vous allez mieux, est-ce vrai ?

-Ma tête n’est plus douloureuse. Mais j’ai toujours la nausée.

-Peut-être n’avez-vous pas le pied marin. »


Oui bien sûr, ça n’avait rien à voir avec le fait qu’on l’avait battue, enchainée au fond d’une cale et qu’elle n’avait rien mangé depuis des heures. C’était sûrement le roulis du bateau, évidemment. Elle se retint de dire tout ça à voix haute et préféra feindre l’ignorance pour ne pas mettre Lenjo en porte-à-faux.


« Puis-je demander où se trouve ma sœur ? »


A voir l’expression de rage qui passa sur les traits de Derlock, c’était probablement la question qu’il ne fallait pas poser.


« Votre sœur, ma chère, me pose un léger contretemps. Mais je gage qu’il sera réglé dans les prochains jours.

-Est-ce qu’elle va bien ?

-Je préfère être celui qui pose les questions.

-Naturellement. »


Puisqu’elle n’était plus autorisée à faire part de ses interrogations, Anna garda donc le silence sous l’œil observateur et dérangeant de Derlock.


« Depuis quand avez-vous vos pouvoirs ? »


Oh, elle n’avait pas du tout envie de répondre à ce genre de questions. Le sorcier nettoya son monocle et l’ajusta à son œil droit.


« Alors ?

-Depuis… peu.

-C’est-à-dire ?

-Tout ça n’est pas très clair en fait. Voyez-vous, j’ai une histoire de famille un peu compliquée et moi-même je n’y comprends pas grand-chose.

-Hmm… »


Anna n’aimait pas non plus ce « Hmm… » qui signifiait qu’il n’était pas du tout convaincu par sa réponse.


« Vous aviez vos pouvoirs dès la naissance ?

-Je ne sais pas.

-Vraiment ?

-Oui, je vous assure. J’étais justement en train de rassembler les fragments de mon passé avec ma sœur lorsque vous êtes arrivés.

-Je vois. Permettez ? »


La question était purement rhétorique puisque Derlock n’attendit pas sa réponse. Il posa une poigne ferme sur son épaule et la repoussa contre le mur. Anna tenta vainement de se débattre mais l’homme était puissant. Il souffla une poudre étrange à son visage, elle cracha, toussa, éternua, parfois tout ça en même temps. Le sorcier posa une main à hauteur de son sternum, Anna sentit que quelque chose de puissant vibrait en elle, c’était très étrange.


« Parfait, ma chère, parfait. »


Elle laissa passer une nouvelle crise d’éternuement.


« Qu’est-ce que vous venez de me faire !

-Rien de dangereux, rassurez-vous, je ne le permettrais pas. Je voulais simplement m’assurer de quelque chose.

-Mais de quoi donc ! Espèce de malade ! »


Le mot lui avait échappé, mais elle avait le droit d’être en colère après tout. Derlock serra les poings si forts que ses phalanges blanchirent. Anna se recroquevilla dans l’attente du coup qui ne vint jamais. A la place, elle entendit le claquement de la porte qui résonna dans toutes les parois du bateau. Lenjo refit son apparition quelques secondes plus tard, il pointa le plancher de son index.


« J’ai compris, retour dans la cale. »

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