La 7ème compagnie au coin du feu

Chapitre 1 : La 7ème compagnie au coin du feu

Chapitre final

8464 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 17/04/2022 21:18

La 7ème compagnie au coin du feu



Cette fanfiction participe aux Défis d’écriture du forum Fanfictions .fr : Crossover improbable - (janvier février 2022).


Juin 1940, la guerre fait rage et les armées françaises se dispersent au front pour ralentir la progression adverse. Stratégie et discrétion sont de mise, il faut compter sur une communication sans faille pour assurer une victoire. Malheureusement, la 7ème compagnie du 106° régiment de transmissions a été découverte, rompant ainsi tout échange. Heureusement, trois soldats demeurent introuvables. Cachée dans la forêt de Machecoul, l'élite française se prépare à renverser le cours de la guerre avec une arme peu orthodoxe.



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"Là ! J'ai vu du mouvement, murmura une voix depuis d'épais buissons.

— Encore ? Mais je ne vois rien !

—- Sssssh ! Tu vas nous faire repérer."


Caché derrière les feuilles vertes et à l'ombre d'un grand pin, le soldat Pithivier se tenait courbé, observant avec prudence la rive de la rivière face à lui. L'eau ruisselante dissimulait parfaitement les chuchotements incessants de son acolyte, le soldat Tassin, et leurs tenues kaki leurs offraient un camouflage idéal. Invisibles aux yeux de leur proie, ils épiaient et attendaient l'opportunité parfaite tels de véritables chasseurs.


Une heure durant, ils avaient ignoré le soleil de plomb et la boue humide qui avait séché, emprisonnant leur cheville dans un amas à l'odeur repoussante. Le mélange de terre et d'herbes collantes incrustées aux fibres lâches de leurs pantalons usés étaient des plus désagréables. Le désir de gratter cette croûte jusqu'à la libération était grand, mais aucun des soldats ne céda, l'enjeu était bien trop grand.


"Maintenant !"


Pithivier lança l'assaut. La lutte fut vive et sauvage : il n'avait pas à sa portée les outils appropriés. Une simple branche tordue, un fil recomposé ici et là de lacets sales et la seule force de ses deux bras. Sous les encouragements de Tassin, pourtant bien plus grand que lui, sa détermination lui permit de prendre le dessus. Triomphant, il saisit son adversaire des deux mains, et le hissa au-dessus de sa tête. Le corps dégoulinant encore de l'eau de la rivière, la proie vaincue arrêta vite de se tortiller et Pithivier reprit le chemin du camp tel un héros.


"Ah ! Il va être fier le chef dis donc ! T'as vu ça ? À moi tout seul !

— Regarde un peu sa taille ! surenchérit Tassin, ça, c'est une belle prise ! Les gens de chez moi, et bien ils auraient été jaloux tiens !

— On va se faire un festin ce soir, c'est moi qui régale ! Ce sont les gars de la 7ème qui seront tristes d'pas être avec nous."


Aux abords d'une petite clairière, à quelques minutes de marche depuis la rivière, se dressait un camp de fortune. Étirés entre deux branches, une large couverture épaisse, généralement destinée à protéger les soldats des températures nocturnes, faisait office de toit et protégeait l'habitat improvisé du soleil.

Au sol, munitions, matériel de communication et outils divers étaient étalés maladroitement, couverts de terre pour la plupart ; une épaisse branche avait été déplacée, offrant un banc de fortune aux occupants. Sur ce dernier, était assis un homme dépouillé de son uniforme de la tête aux pieds. Sillons nasogéniens fortement creusés et rides prononcées marquaient non seulement l'âge avancé de ce dernier, mais aussi la fatigue des mésaventures qu'il avait affrontées. Sur des roches lisses à quelques mètres de lui, le sergent-chef Chaudard permettait à ses chaussettes et vêtements de sécher au soleil. Un plongeon malencontreux dans la rivière froide l'avait d'office assigné à la dure tâche de bâtir leur abri pour la nuit.

En tant que plus haut gradé du trio, il avait espéré pouvoir laisser ses deux soldats déplacer les lourdes branches et réunir quelques pierres pour préparer un feu réconfortant.


"Mais que font-ils encore ? Elle n'est quand même pas si loin cette rivière, je l'entends d'ici. Deux heures pour aller chercher de l'eau ! C'est du beau tiens… Et voilà, tout est sec avant leur retour, j'aurai pu y aller moi-même à ce compte-là."


Sans cesser de ronchonner, le sergent-chef commença à enfiler son épais pantalon et à retrouver l'agréable sensation d'être habillé.


"CHEF ! CHEF !"


La voix de tête de Pithiver s'élevait sans aucune discrétion depuis les arbres.


"CHEF ! CHEF ! Vous allez être content !

— Ah bah oui, je vais être content tiens quand les Allemands vont nous tomber dessus. Vous voulez pas les appeler encore un coup tant que vous y êtes ?

— On a vu aucun allemand, chef, mais on peut aller vérifier si vous voulez, défendit Tassin.

— Non, non, c'est bon, vous allez encore disparaître pendant une heure.

— Chef, regardez !"


Fièrement, Pithivier leva les bras en tenant fermement sa prise.


"C'est moi qui l'ai eu, et elle était sournoise !"


Le chef Chaudard étudia avec attention le trophée de son soldat. Effectivement, c'était une belle prise. Des écailles ocres et noires, teintées de reflets violets et avec un dos moucheté. Et quelle taille ! Le sergent-chef n'avait pas vu une aussi belle truite arc-en-ciel depuis de nombreuses années. Un temps où il chassait régulièrement avec son beau-frère aux abords du village où il vivait.


"Je vendais des hameçons à l'époque dans ma quincaillerie, ajouta-t-il à son récit. Nous allions régulièrement les tester non loin de petites chutes. Le remous offrait une excellente cachette à ces petites pestes, mais on était plus malin.

—- Oooh, vous en vendez des choses dites donc chef, dans votre quincaillerie, s'étonna Tassin.

— Ah ! Il faut bien, il faut bien ! C'est comme ça que les affaires tournent ! Allez, Tassin, ramassez quelques branches mortes, je finis de m'habiller et mangeons !"


Tassin installa deux branches et perça la truite dans la longueur avant de l'installer au-dessus de ses bûches à quelques mètres du camp. "Je voudrais pas que notre toit sente le poisson grillé ! Après, on pourra plus dormir, avait-il défendu".


Seul face au feu naissant, il assumait parfaitement la responsabilité de la cuisson de cette truite alors que Pithivier écoutait les récits du chef Chaudard et de sa quincaillerie. 

N'ayant trouvé que peu de branches fines et sèches, le feu mit de longues minutes à se lancer, il demeura ainsi à l'écart un moment. Le rythme constant auquel il faisait tourner sa broche improvisée et le soir tombant le bercèrent tendrement. Le crépitement du feu et l'odeur de poisson fumé étaient un vrai régal, un havre de paix loin de la guerre et du statut de soldat de Tassin. Perdu dans ses pensées, il se concentra uniquement sur sa broche, la peau de sa truite dorait peu à peu, bientôt la chair serait à la fois tendre et goûteuse. 

Il retira alors son fin met du feu et se releva, prêt à le partager. Il voulut éteindre les braises avec un peu de terre du bout de sa botte mais s'arrêta net. Il n'était pas seul à profiter de la chaleur et du réconfort du coin du feu.


Face à lui, se tenait un véritable chevalier. Si, si ! Il avait une armure, une vraie, ainsi qu'une large épée. Assis sur le sol, un genou relevé pour reposer son bras, la main ballante dans le vide, il était vêtu d'une impressionnante armure d'argent. 

De sa tête à ses pieds, tout était recouvert d'argent, même la ceinture qui soutenait le haillon. Tantôt gravée et tantôt composée de nombreuses plaques superposées, cette armure ne laissait jamais entrevoir la peau de son propriétaire. Les motifs blanchis sculptés sur son torse étaient d'une étonnante délicatesse, mais ne donnaient aucun indice sur la faction de ce chevalier.

Le seul élément qui ne scintillait pas à la lueur des braises était un tissu bleu déchiré qui recouvrait les cuisses du guerrier — Était-ce un allié ? — et faisait office d'un foulard démesuré au niveau de son cou.

Ce dernier recouvrait même le visage du chevalier, comment y voyait-il ? Remarquant la présence de Tassin, le chevalier d'argent se redressa, offrant au soldat cuisiner une opportunité d'admirer son heaume. Le haut de la tête uniquement était couvert de métal, la forme allongée du casque retombait sur le nez et soulignait l'espace où auraient dû se trouver les yeux. À l'arrière, une petite pointe portait une épaisse queue en poils noirs, longs et fins ; sur les côtés, deux pointes s'élançaient rappelant des oreilles animales.


Mais Tassin déchanta très vite, quelque chose dans ce tableau sonnait faux. Le chevalier était difforme, si ses bras semblaient suffisamment puissants pour soulever l'imposante lame, ses jambes étaient étrangement rachitiques. N'y avait-il que des os sous ces protections ? Le guerrier avait connu maintes batailles, voilà ce que racontaient les lambeaux de tissu et les crevasses dans le métal.

Faisant face au soldat de la septième, le chevalier d'argent saisit son épée de la main gauche et un couteau semblable à une griffe d'acier de la droite. Sans geste superflu, il tendit son bras et sa lame vers l'avant, dans la direction de Tassin, et plaça sa seconde main sur son épaule en tenant fermement son autre arme.

Parfaitement immobile, il ne prononça aucun mot et resta de marbre face au regard troublé de Tassin.

Totalement perdu, le soldat se crut en plein rêve, comme une machine de chaîne, il reproduit simplement le geste de son vis-à-vis. La truite parfaitement braisée sur la broche de bois vers l'avant, il plaça sa main et la brindille qu'il mâchouillait jusque-là au niveau de son biceps. La position qu'il renvoyait était parfaite, un véritable miroir qui avait visiblement séduit le chevalier.


"Pour Farron."


La voix fut froide et directe, deux mots prononcés sans un souffle et le chevalier s'éloignait dans l'obscurité vers la forêt. Au détour d'un pin, les reflets d'argent s'effacèrent et le guerrier n'était simplement plus là, partit aussi soudainement qu'il était apparu. Tassin, seul avec sa truite et ses braises, se frotta les yeux pour se réveiller de ce rêve, il étouffa rapidement ce qui restait du feu et retourna à ses compagnons… Quelle étrange apparition !


"Et bien ? vous en avez mis du temps, ronchonna le sergent-chef, un sourcil relevé.

— Je me suis assoupie.

— J'espère que t'as pas raté la cuisson, s'inquiéta Pithivier. Parce qu'une truite trop cuite c'est du gâchis. Mon cousin en avait fait brûler une, on distinguait plus la peau des arêtes, une tragédie…

— Non, non, elle est parfaite ! Il ne m'a pas distrait longtemps."


Sur ces mots, Tassin plaça sa truite en broche sur une pierre assez large et commença à la partager avec ses camarades.


"Mais qui ça "il" ? souleva Chaudard.

— Le chevalier, affirma le soldat, la bouche pleine. Celui de mon rêve, il était juste à côté de moi près du feu.

— C'était peut-être un espion, tu es certain que tu rêvais ? demanda Pithivier avec un air assez crédule.

— Aucune chance, sa cape était bleue. Même dans mon sommeil, je préfère ne pas côtoyer l'ennemi.

— Ah bah ça, t'as raison, s'il fallait encore se faire tirer dessus pendant qu'on dort… On serait sacrément fatigué, hein ?

— C'est bien vrai ça, Pithivier ! Déjà qu'on dort à peine sur ses couvertures !"


Couvertures qu'ils devraient se partager ce soir-là. L'une d'entre elles faisant office de toit, et leur fuite dans la forêt de Machecoul ne comprenant pas un équipement complet, ils n'en avaient plus qu'une à disposition. Les trois soldats furent contraints de se blottir les uns contre les autres, enfin, surtout Pithivier et Tassin. Le sergent-chef s'attribua la plus grande partie de leur sommier anti-pierres et herbes. "J'ai le grade le plus haut", avait-il affirmé.


Le soleil se leva sans mal et offrait une agréable chaleur aux Français. Les rayons qui échappaient aux feuilles des arbres vinrent se poser sur leurs joues pour les réveiller en douceur.

Une nouvelle journée, de nouvelles missions ! Le sergent-chef n'avait aucune envie de se retrouver au front, ou pire, face à des Allemands, la prudence était donc capitale. Sans laisser ses deux camarades profiter de la rosée et de l'air frais du matin, il enchaîna les ordres. 

Ils avaient un périmètre à inspecter. S'ils souhaitaient, en retrait, pour un positionnement des plus stratégiques, ils devraient s'assurer d'être en parfaite sécurité.


"Tassin, la rivière et le pont, Pithivier, tu prends l'Est, j'irai à l'Ouest. On se retrouve d'ici une heure ou deux."


La tête haute, le sergent-chef laissa les deux soldats et entama l'inspection de son secteur de la forêt. 


"Oh ! regarde Tassin ! La rivière est à l'Est. Je vais faire un peu de chemin avec toi.

— Tu penses qu'il y aura des truites ?"


Pithivier haussa faiblement les épaules, ces poissons aimaient sortir à l'aube et se cacher dans les herbes de rivières et le remous, mais s'ils passaient encore et encore le long du courant pour chercher un signe de leurs ennemis, ils y avaient de grandes chances que les deux soldats les effraies.

Il fallait faire un choix et Pithivier n'avait que peu envie d'une nouvelle joute avec l'une de ses truites.


"Je n'ai pas pris ma canne, soupira-t-il à mi-chemin, pour éviter la pêche."


Pourtant, à l'approche de l'eau de la terre boueuse, Pithivier s'arrêta longuement et observa.


"Je croyais qu'on ne pêchait pas ?

— Dis moi Tassin, ton chevalier, avait-il de longs pieds ?

— Oh oui, très longs ! Je me suis demandé où il avait eu ses grèves. Des sur-mesures, avec cette taille, ça doit être une ruine !

— Et maigre. Il était maigre ?

— Seulement du bas ! Un buste de lion, mais des jambes de gazelles. Je sais que je l'ai rêvé, mais quand même, j'aurai pu lui donner un corps plus naturel. Mais pourquoi tu veux savoir, toi ?

— Ah bah ça. Regarde !"


La main au ceinturon, Pithivier pointa du doigt la boue devant lui. Il avait de nombreuses traces de pas, longues et fines. Intrigués, Tassin décida de les suivre en compagnie de son acolyte. Au diable leurs secteurs, ils devaient chercher des signes, s'en étaient, non ?

Les empreintes traversaient la rivière puis passaient sous le petit pont, les marques étaient visibles sur la rive, mais assez confuses. Elles devinrent beaucoup plus nettes dans la forêt, formant un petit sentier qui écrasait l'herbe et laissait ici et là quelques amas de boue.


"Oh ! Pithivier, ils sont deux !"


Au sol, empreintes de pas se mêlaient à intervalle constant avec une grosse marque ronde et peu régulière mais très profonde.


"Mais, qu'est-ce que c'est ?

— Il a peut-être un compagnon lui aussi, suggéra Tassin.

— Un grand alors ! Tu as vu ça ?! Je pourrais y mettre mon dos.

— C'est peut-être un géant ?

— Tu crois ? Nous suivons déjà un chevalier ! Si on trouve aussi un géant, personne nous croira à la septième.

— Sauf si on ramène son pantalon !"


Pithivier regarda le second soldat troublé. Il fronça les sourcils et prit plusieurs secondes pour réfléchir… Quelle serait l'utilité d'un tel vêtement, bien trop grand pour eux ?


"Oooh, mais oui ! Bien pensé ça, Tassin ! s'exclama-t-il alors."


Sans perdre une seconde de plus, les deux hommes prirent fermement leurs fusils et avancèrent dans la forêt en quête de leur cible.

La piste ne cessait de changer de direction ! Ils la perdaient des fois pendant de longues minutes avant de la retrouver quelques mètres plus loin. Plus ils progressaient, plus les arbres leur semblaient familiers. Les roches, les herbes, même le chemin que suivait le chevalier et son acolyte démesuré, tout rappelait aux soldats des paysages qu'ils connaissaient, ils trouvèrent même une seconde rivière, avec un peu de chance, elle abriterait aussi quelques poissons.


Après une heure de marche intensive, ils n'avaient ni cherché, ni croisé d'Allemands, mais ils arrivèrent à un petit camp de fortune. Visiblement, quelqu'un avait construit un abri ici et y avait passé la nuit.


"Les traces s'arrêtent là, au cercle de pierre, on dirait un ancien feu de camp !

— Tu penses que le chevalier est encore ici ? demanda Tassin.

— Non, regarde ! Le camp est vide… Par contre, le toit ! Une couverture, comme les nôtres ! Tu penses qu'on pourrait la lui prendre ?"


Tassin observa attentivement les équipements devant lui et reconnut la canne à pêche de Pithivier à côté de leur matériel de transmission.


"On est revenu au point de départ, s'étonna-t-il. Où sont-ils allés ? Ils n'ont pas pu disparaître !"


Les deux soldats firent plusieurs fois le tour des arbres et de l'emplacement de l'ancien feu. Il n'y avait pas d'autres empreintes que celles qui partaient à la rivière ou revenaient par le Nord. Assis sous leur toit improvisé, les deux hommes soufflèrent maintes fois, cette quête était des plus épuisantes et ils n'avaient aucunement avancé. Mais une idée leur vint, après avoir échangé un regard complice, les deux hommes coururent à grand pas vers la rivière. Il devait attraper une truite ! 


Le chef Chaudard les retrouva ainsi, les bottes dans la boue, en pleine pêche plutôt qu'à la surveillance.


"Et bien ? Qu'est-ce que c'est que ça ? demanda-t-il avec une pointe de colère. Vous seriez pas en train de tirer au flanc par hasard ?"

Le duo sursauta et effraya malheureusement les quelques truites devant eux. Pithivier tenta maladroitement de cacher sa canne à pêche dans son dos en se tournant vers son sergent-chef. Après quelques passes peu discrètes avec Tassin, faisant passer l'objet du crime d'un dos à l'autre, ils finirent par la jeter tout simplement dans la rivière où elle fut emportée par le courant.


"Non, non chef, affirmèrent-ils alors en cœur.

— Ah oui ?"


Chaudard les fixait directement dans les yeux, bras croisés sur le torse. Il avait de la boue jusque sur les joues et des herbes dans les cheveux. Son exploration n'avait pas été aussi plaisante que celles de ses hommes. Après une glissade sur une fine branche de bois, il avait dévalé un talus de plusieurs mètres pour finalement retomber sur une pierre.

Et eux étaient là, à la pêche tranquillement près du camp.


"C'est pour faire venir le chevalier, expliqua alors Pithivier.

— Le chevalier ? s'exclama le sergent-chef, abasourdi.

— Oui, celui du rêve de Tassin ! On l'a suivi, lui et son acolyte géant !

— Dis, Pithivier, si ça se trouve, on n'a pas besoin de la truite.

— Besoin de la truite ? Mais pourquoi faire ?"


Plus Chaudard les écoutait, plus il pensait qu'ils avaient également fait une mauvaise chute.


"Pour le chevalier ! On vous l'a dit, répéta Pithivier. Venez avec nous !"


Haussant les épaules, le sergent-chef lui suivit, après tout, entre ça et les Allemands, il préférait la quête au personnage imaginaire.

Ils se retrouvèrent tous les trois devant le cercle de pierre disposé par Tassin la veille.


"Je me tenais là, commença Tassin en s'asseyant sur l'herbe, et je faisais cuire mon poisson, comme ça."


Il imita ses gestes du soir précédent avec une branche dans la main. Tout excité, Pithivier scruta la forêt autour d'eux, mais il fut vite déçu. Il n'y avait aucune armure d'argent à l'horizon, seulement des arbres.


"Il faut peut-être la truite finalement, soupira-t-il.

— Il faut peut-être le feu ? se surprit à proposer le sergent-chef."


Pourquoi avait-il laissé ses deux soldats l'embarquer dans cette quête ? Il ne le savait pas, mais quelque part, lui aussi rêvait de voir apparaître la belle armure d'argent que Tassin leur avait décrite.


"Le feu ? répéta Tassin.

— Bah oui, le feu ! s'exclama Chaudard en sortant une boîte d'allumettes. Il venait peut-être pour se reposer près du feu.

— Ooooh, ce que vous êtes malin, chef, souligna Pithivier."


La tête rouge frotta trois fois contre le flanc rugueux de la boîte avant de libérer l'étincelle qui contenait l'espoir des trois rescapés au cœur de la forêt. Les brindilles commencèrent à s'embraser et bientôt les bûches prirent feu à leur tour. Les flammes dansantes offraient un joli spectacle et libéraient une agréable odeur de braises, mais personne n'en profita. Tous les yeux étaient rivés sur les arbres et la clairière, à l'affût du moindre mouvement. Jamais les trois soldats de la septième n'avaient été aussi concentrés sur leur objectif.


Mais aucun mouvement ne vint, juste un bruit. Lourd. Deux temps morts puis un son métallique et pensant, comme quelque chose qui s'écrase au sol. Pithivier et Tassin se regardèrent dans les yeux comme des enfants à l'approche de Noël :


"Le géant, murmurèrent-ils."


Le bruit s'approcha de plus en plus, accompagné d'un pas rapide. Tap, tap, schwoff ! Tap, tap schwof ! Le trio se releva et vit apparaître une silhouette. Le chevalier d'argent était tel que Tassin l'avait décrit, mais il n'était en compagnie d'aucun géant. Non, le chevalier roulait. Entre ses foulées rapides, il effectuait une petite roulade vers l'avant, marquant le sol de son dos sous le poids de son armure et créant ce petit chant métallique.

Lorsqu'il arriva à hauteur des visages décomposés des soldats français, il s'immobilisa, son arme en main et sa griffe d'acier tenu légèrement à l'écart de sa cuisse. Il semblait prêt à bondir, à bondir sur eux. Mais Tassin baissa vite son arme et la laissa retomber contre son flanc, attachée en bandoulière.


"Faites comme moi, ordonna-t-il."


Et pour une fois, même le plus haut gradé s'exécuta. Il y avait quelque chose dans l'aura de ce chevalier qui inspirait la peur. La peur et le froid, malgré les rayons du soleil, il restait très sombre. Totalement immobile et silencieux, il donnait l'impression d'aspirer à la fois la joie et la lumière.

Suivant l'exemple de Tassin, Pithivier et le sergent-chef Chaudard tendirent leur bras gauche poing fermé vers l'avant et placèrent leur autre poing juste en dessous de leur épaule gauche également. Une posture assez offensive, que le chevalier d'argent leur renvoya instantanément. Elle était bien plus impressionnante lorsqu'elle était effectuée avec une épée de plus d'un mètre ! Mais ce dernier devint alors très amical, il se posa près du feu et tria divers breuvages aux couleurs vives : fioles rouges, puis bleues, et finalement, il rangea l'intégralité des récipients dans une maigre sacoche qui disparut aussitôt qu'il referma.


Pithivier et les deux autres hommes le regardèrent en souriant, ne sachant que dire ou que faire. Ils avaient fait venir le chevalier, oui, et maintenant ?


Le sergent-chef donna un petit coup de coude à Tassin, la bouche entrouverte et le dos rond, il tenta d'inciter son soldat à faire quelque chose.

La petite impulsion ne motiva guère le brun, bien au contraire. Il rentra la tête dans les épaules, cherchant à se faire le plus petit possible et agita devant lui ses mains comme un enfant qui refuse poliment un plat qu'il n'a pas apprécié. Un manque de courage qui déplut à Chaudard, mais l'homme n'abandonnerait pas maintenant. Avec un grand sourire, les yeux plissés emplis d'innocence, il se tourna vers Pithivier. Le soldat n'y faisait même pas attention ! Totalement absorbé par le chevalier et sa tenue tout droit sortie d'un sombre conte de fée, il ne détourna pas une seule fois le regard de leur invité.

L'officier souffla une fois, puis se racla la gorge, encore et encore, mais rien n'atteignait le soldat. Avec un profond soupir, Chaudard redonna deux coups de coude à Tassin. Le premier pour attirer son attention, le deuxième en pointant le dernier membre de leur trio du doigt. Heureusement, le soldat comprit le message et après un grand hochement de tête peu discret et très enfantin, il donna un coup à son frère d'armes.


"Hmm ?"


Pithivier quitta ses pensées et son nuage de fantaisie pour apercevoir ses deux amis lui faire de petits signes des mains vers l'avant. Gestes, qui n'avaient aucun sens à ses yeux. Il leur répondit d'un mouvement de tête vers le haut, yeux écarquillés, sourcils relevés et joues gonflées accompagnées d'une bilabiale sourde. Une incompréhension des plus totale et un énième soupir pour le sergent-chef.

Tassin et lui-même firent alors un nouvel essai, beaucoup moins discrets — si toutefois les tentatives précédentes étaient passées inaperçues. Les lèvres serrées, ils secouèrent plusieurs fois la tête dans la direction du chevalier, puis, sans faire un son, ils imitèrent de nombreux mots en exagérant le mouvement de leur bouche.


Cette fois, ils firent mouche. Pithivier laissa un "Aaaaah" silencieux s'échapper et leva les pouces avant de se tourner vers leur invité d'argent.


Après un bon raclement de gorge, il se lança, prêt à entamer la discussion même son vis-à-vis paraissait peu loquace.


"Et sinon… Vous aimez la truite ?"


Parmi toutes les introductions possibles, celle-ci n'avait ni été envisagée, ni encouragée. Personne ne répondit, qu'y avait-il à répondre ? Un chevalier mystérieux venait d'apparaître par magie près de leur feu et Pithivier lui proposait un poisson de rivière. C'en était trop, Chaudard laissa retomber sa tête tout entière dans le creux de sa main. Un immense son d'explosion retentit. D'explosion ? Le sergent-chef se redressa en sursaut, lui et toutes les autres personnes autour du feu, le chevalier y compris, contemplèrent la paume de sa main. Non, ce n'était pas lui, si ? 

Moteurs et voix suivirent, mais ce n'était pas du français, non, c'étaient les Allemands. Les trois soldats s'empressèrent de bouger. Saisissant leur casque, leur matériel et leurs armes laissées au camp de fortune, ils s'éloignèrent vers la fin de la clairière et grimpèrent aussi vite que possible dans les arbres les plus touffus à leur portée.

L'invité surprise, lui, ne s'agita presque pas, il ne semblait pas inquiet, en réalité, les soldats avaient déjà beaucoup de mal à saisir ses émotions en étant face à lui, maintenant qu'ils étaient au loin dans les branches d'un chêne cela relevait de la divination.

Le chevalier se releva et observa les véhicules mécaniques souffler de l'air noir et des nuages de poussière en entrant dans la clairière. Il s'agissait de petites motos, elles avançaient lentement et un groupe de soldats les suivait à pied. Au-dessus de la forêt, deux biplans passèrent, chassant un autre avion, un Français. Ils tiraient sur leur cible, mais le pilote des alliés réussit à abattre l'un de ses poursuivants avant d'être touché à l'arrière de son engin. Une pirouette habile avec sa carcasse d'acier fumante et il détruisit le second avion allemand avant de quitter le champ de vision des soldats de la forêt.

Le groupe n'en avait pas perdu une miette, ni le trio de la septième depuis leur cachette, ni leurs ennemis qui avançaient lentement vers le camp, attirés par le feu et la silhouette d'argent.

Armes en avant, ils se dirigèrent avec prudence vers le chevalier. Son imposante épée sur l'épaule et sa griffe de fer dans la main, il se décida enfin à se mouvoir, prêt à saluer ces hommes comme il avait salué les précédents. Mais à peine eut-il avancé sa lame qu'un projectile de métal ricocha contre son épaulière. De nombreuses balles suivirent, les soldats allemands avaient décidé d'éliminer la menace potentielle. Les balles fusaient et ricochaient sur les parties les plus épaisses de l'armure, certaines d'entre elles traversèrent la cible de part en part, mais le chevalier d'argent demeura debout.


Les soldats rechargèrent leurs armes en panique, ils n'avaient plus une munition en chambre et n'avaient fait aucun dégât. Nombre d'entre eux ratèrent l'encoche du chargeur à plusieurs reprises, mains tremblantes et les yeux rivés sur l'adversaire qui avançait désormais vers eux.

Le chevalier fit deux pas pressés, puis une roulade avant de s'élancer vers le premier soldat. Un léger bond, son épée tenue loin derrière son épaule et sa griffe d'acier vers l'avant. Il retomba sur cette dernière, plantée dans le sol jusqu'à la garde, il s'en servit pour effectuer une rotation très rapide. Glissant sur ses genouillères crissantes au contact avec les branches mortes, il tendit son bras et son arme dans toute leur longueur, emportant au passage les jambes de l'Allemand d'un coup sec.

Mais il ne s'arrêta pas là, gardant son élan, il fit une nouvelle pirouette. Extirpant sans mal sa griffe du sol, il virevolta, le dos vers le sol avant de retomber, sa petite lame animale directement dirigée vers le torse du soldat suivant. Pour clôturer son ballet sanglant, il rabattit avec force son épée sur la moto et l'homme qui se trouvait encore dessus.

L'attaque était étonnamment rapide pour sa complexité. Malgré son armure imposante et la grandeur de sa lame, le chevalier était d'une habileté sidérante. Il trancha chacun de ses adversaires avec la même puissance et la même vitesse. Lorsqu'un soldat tenta de l'attaquer au couteau après avoir lâché son arme d'effroi, l'invité d'argent roula simplement sur le côté. Il évita l'impact avec une précision déroutante, prenant assez de temps pour que le soldat ne puisse pas changer de trajectoire, étant assez rapide pour ne pas être effleuré par l'arme. Une fois dans son dos, le chevalier saisit son adversaire par l'épaule et lui enfonça son épée dans les côtes, avant de s'extirper d'un coup de pied dans le bassin du corps sans vie de sa dernière victime.


Il n'y avait aucun survivant chez les soldats allemands, tous gisaient au sol sans avoir eu la moindre chance de se défendre. Les rescapés de la septième se regardèrent alors, le sergent-chef Chaudard avait le sourire en coin le plus menaçant de l'armée française. Ses deux soldats n'y trouvèrent aucune raison, mais lorsque ce dernier descendit de l'arbre, ils le suivirent sans poser de questions.

L'officier se frotta les mains avec un petit rire machiavélique en avançant vers le feu où le chevalier avait retrouvé sa place. Après un rapide coup d'œil vers le ciel, il évalua la direction qu'avait prise l'avion de leur fabuleux pilote.


"Posez vos armes, mes amis, leur ordonna-t-il confiant."


Lui-même jeta son fusil dans le camp improvisé en continuant sa route vers le feu. Les deux soldats étonnés, s'exécutèrent avec une petite moue. Quand le chef donnait des ordres, il ne fallait pas y chercher trop de sens. Soit ils n'en comprenaient pas le but, soit ils les interprétaient de travers, alors autant ne pas se fatiguer.

D'un simple coup de pied, il écarta quelques pierres du cercle du feu, la flamme continua à consumer les bûches, mais le soldat disparut aussitôt. Sa silhouette s'effaça tout simplement, laissant apparaître les bois qu'elle cachait. Mais Chaudard ne s'arrêta pas là, avec de grandes gifles dans le vide, il vérifia que le chevalier était bien parti. Peut-être était-il simplement invisible ? Malheureusement, non, l'air n'offrait aucune résistance. Dommage, ça aurait été un atout certain ! Satisfait, le sergent-chef remit les pierres en place, les mains sur les hanches, il attendit quelques secondes, le temps pour lui de finaliser son plan.

L'armure d'argent finit par réapparaître, quelques mètres plus loin, le chevalier marchait paisiblement dans la forêt.


"AH ! HAHAHAHA ! Parfait, parfait."


Cette fois-ci, Chaudard étouffa complètement le feu, il n'en avait pas besoin, pas ici. Sans prendre en compte les regards dénués d'intelligence de ses camarades, il se saisit de son couteau et découpa la toiture de leur camp. Trois grandes bandes de tissu, il confia l'une d'entre elle à Pithivier et une autre à Tassin, avant de nouer la sienne au niveau de son épaule. L'ancienne couverture ressemblait maintenant à un mélange entre un baluchon et une écharpe de portage. La besace de fortune était large et solide. 


"Bah alors ? Vous attendez quoi ? ça va pas se nouer tout seul !"


L'officier haussait bien trop souvent la voix sur ses deux soldats, mais c'était la solution la plus efficace quand ils se tenaient immobile comme deux empotés incapables de comprendre la situation. Après un sursaut, Pithivier et Tassin se hâtèrent de mettre en place le tissu fourni par le sergent-chef, puis, en silence, ils attendirent les ordres suivants.


"Tassin, ramasses-nous des pierres, plein de pierres ! Et Pithivier,... Pithivier des branchages ! Feuilles mortes ou brindilles, peu importe ! Je veux du sec et du rapide !"


Parler à des grenouilles aurait été tout aussi efficace. Les hommes ne bougèrent pas. Ils haussèrent légèrement les épaules en se regardant, les yeux vides.


"Allez ! Allez ! On n'a pas toute la journée ! Et j'ai du bois à récupérer, moi !

— Mais, chef, on fait plus la tenaille ? demanda Tassin.

— C'est vrai ce que dit Tassin, ici, on empêche les Allemands de se replier s'ils commencent à perdre.

— Mais non ! mais non ! On va faire mieux que ça ! Beaucoup mieux que ça !

— On rentre chez nous ? 

— Mais pas du tout Pithivier ! On va gagner la guerre ! s'exclama Chaudard avec beaucoup d'assurance.

— Avec des pierres ? souligna Tassin, beaucoup plus perplexe que son officier.

— Non, avec des feux !"


Chaudard avait les yeux pétillants, ses sourcils très hauts sur le front et il ne cessait de hocher la tête. Il n'avait pas été excité comme ça depuis qu'il avait acheté sa quincaillerie. Aujourd'hui, les noms de Chaudard, Pithivier et Tassin allaient rentrer dans l'histoire. Finies les corvées de transmissions, finies, les escapades dans la boue et les railleries de la septième. Ils seraient tous les trois médaillés et officiers à l'issue du conflit !

Avec une étincelle à faire peur aux enfants dans les yeux, le sergent-chef rehaussa le coin droit de sa lèvre, suffisamment haut pour former des rides fuyantes à l'extrémité de son œil. Confiant, il répéta ses dernières paroles en murmurant, comme pour réaliser une terrible incantation en vue d'un méfait.


"Avec des feux, Tassin, avec des feux."


Dispersés dans la clairière de la forêt de Machecoul, les soldats français collectaient les composants de leur victoire, ramassant autant qu'ils pouvaient. Allégés du poids de leurs armes et de leur matériel, ils pouvaient se surcharger sans hésitation, ces feux de camp seraient des armes bien plus efficaces au combat. Les besaces débordantes de végétation, le trio s'enfonça vers le Sud en suivant la route depuis les buissons. Ils trouveraient et élimineraient tous les Allemands les séparant de la carcasse de l'avion français. Si ce pilote avait survécu, il était de leur devoir de le secourir !

La première fois qu'ils aperçurent leurs cibles, elles étaient installées au bord du chemin. Cinq ou six soldats et deux autres attelés à la réparation d'un véhicule visiblement en panne. Ni véhicules en amont, ni bruit de moteurs provenant du reste de la route. Ses soldats laissés en arrière seraient leur sujet test.


Avec des mouvements pour une fois très discrets, Chaudard demanda à ses soldats de se baisser. Couchés à même le sol, rampant entre les feuilles et les insectes sans un bruit comme de vrais membres de l'élite, les trois soldats formèrent un cercle de pierre au pied d'un arbre. Pithivier y ajouta quelques feuilles mortes et Chaudard y déposa une ou deux branches plus épaisses pour assurer au futur brasier une belle longévité.

Sur les coudes, ils poursuivirent leur route jusqu'à des buissons à un bien sept ou huit mètres de leur édifice mortel.


"Chef, comment va-t-on l'allumer ?"


Pour une fois que Pithivier avait une question pertinente, Chaudard avait déjà prévu ce détail. Il sortit fièrement de sa besace une demi-pomme de pin. Abîmée et bien sèche, il l'avait lui-même coupé afin d'avoir plus de munitions. L'embraser avec une allumette ne fut pas compliqué, la grenade enflammée forestière dans la main, il la jeta sur le feu construit quelques minutes auparavant.

Sans même contempler un atterrissage parfait, les soldats se faufilèrent de buissons en buissons pour éviter d'être repéré. Car le lancé fut d'une étonnante précision, le feu s'alluma en moins d'une minute, attirant les militaires allemands par la même occasion. Les Français, maintenant cachés à l'opposé de leur piège, prièrent pour la venue de leur nouvel allié d'argent.


Celui-ci arriva bien vite, non pas assis près du brasier comme à son habitude, mais en plein milieu du chemin. Il tourna rapidement la tête autour de lui, son apparition soudaine au milieu du groupe d'inconnus semblait l'avoir légèrement dépaysé. Un soldat tenta de lui donner un coup de crosse dans le dos, mais le chevalier était bien trop vif pour ses adversaires. Une simple roulade et le carnage commença. Sous le voile usé bleu qui couvrait partiellement son visage, Pithivier perçut son regard inhumain. Deux grandes lumières rouges, rubis fumant, perçaient à travers le tissu. Effrayé par le frisson qui parcourut son dos, le soldat français enfouit son visage dans ses deux mains, il n'était pas prêt à voir la boucherie qui se tiendrait devant lui.

Chaudard et Tassin, eux, observèrent le chevalier découper la chair des soldats ennemis sans effort. Saut, frappe, roulade, frappe, griffe, lame, gouttelettes de sang, giclées de sang, mare de sang. Le chevalier baignait dans le liquide écarlate au milieu des corps des huit soldats qui n'étaient pas sur le véhicule — qui avait donc compté aussi mal ?

Il se dirigea vers les deux autres, un coup vers l'avant et il disparut. Invisible ou retourné de là où il était venu ? Une lame surgit du vide : une frappe vers l'arrière et il était là, à nouveau, tuant l'avant-dernier soldat. Une roulade par ici et le revoilà parti. Le ballet fut des plus étranges, l'armure d'argent ne cessait de s'évaporer et de revenir. Il fallut bien plus de temps à leur allié pour tuer son ultime adversaire que pour massacrer les autres.


Les Français sortirent de leur cachette, Pithivier baissa les yeux pour éviter de voir le chevalier couvert de sang, mais tomba à la place nez à nez avec un corps sectionné au niveau du buste. Finalement, le soldat préféra fermer les yeux, au moins, il ne risquerait pas de faire un malaise ainsi. Tassin quant à lui contempla sa rencontre du soir précédent, une main sur la bouche, il se demanda avec quel démon il avait partagé son feu. Chaudard, lui, se posa les vraies questions. Debout près du véhicule, il laissa le chevalier partir s'asseoir vers le brasier sans même le regarder, préférant garder les yeux rivés sur les roues du camion, juste à côté du dernier cadavre. Pourquoi avait-il disparu ainsi plusieurs fois ? Le sergent-chef marcha plusieurs fois à travers la ligne invisible qu'il avait tracée dans son esprit.

Rien ne se passa. Il traversa encore une fois, puis sauta de part et d'autre, il tenta même une ridicule roulade. RIEN. Il restait toujours dans la forêt.


"Vous essayez de disparaître, chef ? demanda Tassin.

— Bon sang, comment est-ce que… ! s'énerva Chaudard.

— Oooh, vous énervez pas, chef. Vous êtes simplement trop loin des flammes."


Le sergent-chef décocha un regard noir, bercé de colère et en même temps extrêmement surpris vers Tassin. Qu'avait-il dit ? Le feu ? Il y avait une zone limitée ? Il avança vers son soldat d'un pas très déterminé.


"Allons bon,... Et ça vous est venu comme ça ?

— Bah non, chef. Mais l'autre soir, pendant mon rêve. Il a fait quelques pas vers la rivière, puis à disparu et en revenant vers moi, il est apparu à nouveau.

— Et vous pouviez pas le dire plus tôt !

— Je savais pas que ce serait important. C'était un rêve au départ quand même, chef."


Une piètre réponse qui ne sut pas convaincre le sergent-chef. Exaspéré par ses soldats, il éteignit le feu, et poussa ses hommes à grands coups dans le dos vers la forêt.


"On continue !"


Leur route traversa la rivière deux fois, slalomant à travers les arbres alors que le ciel se couvrait au-dessus de leur tête, les soldats suivaient des traces de pneus très marquées. Sans doute plusieurs véhicules. Ils ne firent pas l'effort de compter, de toute façon, ils se tromperaient.

Juste avant la lisière de la forêt, ils trouvèrent le camp des Allemands. Trois véhicules et une bonne vingtaine de soldats. Leur installation était assez impressionnante. Officiers, communications, réserves de munitions, soldats d'infanterie, canon, un véritable contingent de renforts. Peut-être étaient-ils là avant la chute de l'avion ? Où peut-être avaient-ils comme eux perçus le nuage de fumée ?

Cette fois, ils ne firent pas la même erreur. Ils placèrent plusieurs installations. Encerclant la zone, bien cachés dans les fourrés, les soldats se déplaçaient comme des prédateurs félins autour de leurs proies. Tous les cercles de pierre placés, toutes les banches empilées, ils étaient désormais dispersés tout autour des Allemands. Le sergent-chef Chaudard effectua un compte à rebours de ses doigts, mimant en même temps les chiffres avec ses lèvres.

Le chiffre trois atteint, le trio de soldats embrasa leurs feux respectifs. La fumée s'éleva de toutes les directions en même temps, déjà noyée par l'épais nuage provenant sans doute de la carcasse de l'avion et soufflée par le vent qui s'était levé. Aucun Allemand ne savait où donner de la tête. Les Français, tous en retrait par rapport à leurs pièges flambants, se couvrirent les yeux dès que le chevalier d'argent fit son apparition. Cette-fois, personne n'assistera au carnage. 

L'invité arriva cette fois au centre des trois feux, comme sorti du sol lui-même, il se redressa le dos rond avant de faire briller ses yeux rouges. Hurlements, tir de fusil-mitrailleurs, sifflements d'acier, de nombreux sons se superposèrent les uns aux autres. Suffisamment violents pour faire ressentir aux soldats de la septième l'ampleur du combat, suffisamment reconnaissables pour leur nouer l'estomac aux sons des os brisés et de la chair déchirée. Une explosion s'éleva même par-dessus les cris, sans doute une grenade, peut-être une tentative désespérée ? Le chevalier était-il seulement encore en vie ? Le champ de bataille était étrangement silencieux.


Les Français entrouvrirent lentement les doigts pour voir ce qu'il se passait. La pluie tomba doucement, lavant la flore de la souillure de l'Homme. Les trois soldats se dirigèrent vers le centre du camp totalement détruit des Allemands. Il n'y avait aucun survivant parmi les Hommes, seul le chevalier tenait encore debout. Il n'était même pas blessé lorsqu'il salua ceux qui l'avaient invoqué. Toujours la même posture, toujours silencieux et toujours la même réponse de la part du trio. Cet instinct qui avait poussé Tassin à imiter le chevalier plutôt que de saisir son arme était sans aucun doute ce qui leur avait sauvé la vie à tous les trois. La pluie s'intensifiait le tonnerre donna de la voix au loin, il était temps de finir cette mission s'ils voulaient passer une nuit au sec avant de retourner la guerre à l'avantage des alliés.


La lisière était juste là, les premiers débris de l'avion étaient visibles, après avoir éteint leurs trois feux, ils avancèrent sans crainte dans la vallée, couvrant leur matériel sec afin de le protéger de l'eau. 

Cinq soldats allemands se tenaient face à la carcasse d'acier, ils ne cessaient de crier et de tirer sur les débris. 


"Vite ! Vite ! ordonna Chaudard, notre homme est sans doute encore en vie !"


Tassin jeta les pierres pendant que Pithivier empila les brindilles, ce dernier resta même au-dessus de la pile pour la protéger de la tempête qui s'intensifia. Le sergent-chef alluma une première allumette : des étincelles et des flammes fébriles, le temps acheva le feu avant qu'il ne pût naître. Les rafales étaient de plus en plus fortes, la pluie venait de côté et Pithivier avait de plus en plus de difficultés à faire barrage. Chaudard craqua une seconde allumette, la fumée s'éleva depuis les bûches humides qui luttaient contre les flammes. Il en usa une troisième puis une quatrième. Le feu ne gagna jamais face à la pluie. Leurs branches totalement imbibées, les soldats nageaient désormais sans arme dans un épais nuage de fumée. Toutes leurs tentatives ratées avaient nourri la nuée trouble. Les ennemis tentèrent d'avancer vers la source cette purée de pois, mais personne n'y voyait plus loin que ses pieds et les soldats toussaient, Français comme Allemands. Il n'y avait que des silhouettes vagues à travers le gris et le noir. Pithivier se retrouva face à l'une d'entre elles. 

Dans un sursaut d'effroi, il hurla. Il ne voulait pas mourir, pas aujourd'hui ! Une perte d'équilibre et sol boueux après, il glissa le long de la vallée sur les herbes mouillées. Branches et pierres le frappèrent en chemin, blessant son faible corps ici et là. Tassin, qui tenta de la rattraper, honteux de l'avoir effrayé en premier lieu suivit dans sa chute et Chaudard, décida simplement de suivre ses hommes, ne voulant pas se retrouver seul face au canon d'un fusil.

Les trois hommes dans la brume étaient particulièrement bruyants. Cris, onomatopées, chocs contres des arbres, une véritable ambiance de film d'horreur, dont la pression eut finalement raison des Allemands. Une ombre passa et le soldat ouvrit le feu sans hésitation, son adversaire lui répondit aussitôt dans un cri de douleur, les doigts crispés sur la gâchette jusqu'à la mort. Les membres de la septième rampèrent sur l'herbe jusqu'à ce que le vent ne dissipe leur méfait. Lorsque l'air fut à nouveau pur, ils se retrouvèrent au sol, face à face avec un jeune homme bien bâti dans une veste de cuir.


"Soldats ?"


Le trio se redressa prestement, main sur la tempe pour saluer l'homme en face d'eux. Sa tenue, les distinctions de métal sur les épaules, nul doute que l'homme face à eux étaient le pilote qu'ils cherchaient et un haut gradé qui plus est.


"Mon lieutenant ! saluèrent-ils tous en cœur.

— Repos, repos, ordonna-t-il rapidement. Je suis le lieutenant Duvauchel. C'est vous qui m'avez secouru ?"


Les soldats regardèrent autour d'eux, avec leur besace pleine de broutilles de la forêt, leur absence d'armes et les cadavres allemands à leurs pieds, oui, ils étaient bien ceux qui avaient sauvé le pilote.


"Oui, mon lieutenant. Sergent-chef Chaudard et voici Pithivier et Tassin, septième compagnie de transmission, mon lieutenant !"


L'homme hésita, rien, chez ses soldats ne semblaient en faire de bons éléments, rien. Ni leur tenue, ni leurs expressions.


"Et bien… Ramenez-moi à votre division, dans ce cas, je dois parler à vos officiers.

— Nous avons été séparés mon lieutenant, annonça Tassin en guidant le pilote sur le chemin vers la forêt.

— Mais, on a un camp dans la forêt de Machecoul, mon lieutenant surenchérit Pithivier avec fierté, comme ça, on était en sécurité pour faire la tenaille et on allait renverser la guerre !"


Le groupe était alors debout devant les vestiges du camp Allemands. Tous les cadavres jonchaient le sol sous la pluie et la boue, même le lieutenant Duvauchel sentit son estomac se tordre face au carnage. Qui étaient donc ces soldats, non, ces tueurs ? Il observa encore son escorte et cligna plusieurs fois des yeux. Il devait y avoir une erreur ?

Plus il s'enfonçait à leur côté dans la forêt, plus il découvrait les corps en chemin. Il était vraiment aux côtés des meilleurs des meilleurs, avec ces soldats, ils pourraient faire de grandes choses ! Peut-être retrouver la compagnie perdue et faire tourner la guerre à leur avantage.


"Ah non, souffla tristement Tassin lorsque le lieutenant leur fit ces propositions.

— Commença, non ? s'exclama le pilote à en perdre la mâchoire.

— On avait déjà prévu de gagner la guerre, mon lieutenant, soupira le sergent-chef, mais c'est du passé, ça.

— Quoi ? Mais qu'est-il arrivé ?"


Ils étaient en si bon chemin, pourquoi s'arrêter maintenant alors qu'ils semblaient avoir un si grand avantage tactique et technique sur leurs ennemis ? Le lieutenant se tourna vers le dernier soldat du trio, peut-être que lui aurait une réponse ou aurait le courage de motiver ses camarades vers la bataille ! 

Mais il fut profondément déçu et resta dubitatif, doutant encore de son jugement quand le soldat Pithivier haussa épaules et mains et donna sa réponse comme si elle découlait de la logique elle-même :


"Et bah il a plu, mon lieutenant, il a plu."


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